Le manuscrit de l'Historiae Alexandri Magni: le rêve de la cour bourguignonne


La bibliothèque universitaire de Gênes conserve un précieux manuscrit de l'"Historiae Alexandri Magni" de Curtius Rufus, traduit en français par Vasco de Lucena: écrit vers 1470-1475, il symbolise les rêves de la cour bourguignonne entre le Moyen Âge et la Renaissance.

La littérature courtoise qui a fleuri à la fin du Moyen Âge a contribué à alimenter la légende d’Alexandre le Grand (Pella 356 av. J.-C. - Babylone 323 av. J.-C.), dont les exploits, lus à travers le filtre des récits littéraires, ont pris des contours presque fabuleux: ce n’est qu’au XVe siècle que les érudits ont commencé à s’intéresser à la véritable histoire de celui qui est entré dans l’histoire comme l’un des plus grands conquérants de tous les temps. C’est ainsi qu’au XVe siècle, on a redécouvert un ouvrage de l’époque impériale romaine, les Historiae Alexandri Magni de Quintus Curtius Rufus, traduits pour la première fois en Italie en 1438, à Milan. Exactement trente ans plus tard, en 1468, la première traduction française paraît sous la plume de l’humaniste portugais Vasco da Lucena, qui a réalisé l’ouvrage à la demande d’Isabelle de Portugal, épouse de Philippe le Bon, duc de Bourgogne.

La traduction de Vasco de Lucena présente Alexandre comme un modèle, enfin libéré de l’aura légendaire que les fables de cour avaient construite autour de lui, et s’inscrit dans le mouvement humaniste qui s’est développé autour des ducs de Bourgogne. La bibliothèque universitaire de Gênes conserve un important manuscrit contenant la traduction de Vasco da Lucena des Historiae Alexandri Magni, enluminé par au moins deux personnalités de goût et de formation flamande, réalisé dans la seconde moitié du XVe siècle (on l’a daté de 1470-1475) dans un atelier de Bruges et très probablement destiné à une personnalité du proche cercle ducal. Il existe d’autres copies à peu près contemporaines, l’une conservée à la Bibliothèque nationale de Paris, l’autre à la Fondation Martin Bodmer à Coligny, en Suisse, l’autre encore en Suisse mais à la Bibliothèque de Genève. Le codex génois est attesté dans la ville dès le milieu du XVIIIe siècle et comporte un blason noble (sur la carte 18 recto), attribuable à la famille piémontaise Solaro Del Borgo, inséré à une époque postérieure à la réalisation du codex. Cet élément atteste que le codex a appartenu à la famille, mais il est très difficile à l’heure actuelle d’établir comment il est parvenu à la famille Solaro Del Borgo et comment il est parvenu à Gênes (à la bibliothèque des Jésuites, le noyau originel de la bibliothèque universitaire).



Bibliothèque universitaire de Gênes, Ms. E.IX.2 (Historiae Alexandri Magni) Bibliothèque universitaire de
Gênes, Ms. E.IX.2 (Historiae Alexandri Magni)
Bibliothèque universitaire de Gênes, Ms. E.IX.2 (Historiae Alexandri Magni) Bibliothèque universitaire de Gênes, Ms. E.
IX.2 (Historiae Alexandri Magni)
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Le codex bourguignon conservé à Gênes n’a pas été très populaire auprès des chercheurs: la première à s’y intéresser fut Maria Teresa Lagomarsino dans sa thèse de maîtrise (en 1958), après quoi le manuscrit fut examiné en profondeur pour la première fois en 1965 par Dino Puncuh, dans un essai publié dans les Atti della Società Ligure di Storia Patria, puis réédité en 2006. Le volume se compose de 326 feuillets de 390 sur 278 millimètres répartis sur 42 fascicules, avec deux papiers de garde (ceux qui s’intercalent entre les pages et la couverture pour protéger cette dernière), le tout réuni dans une reliure en velours rouge du XIXe siècle avec des clous en laiton, reproduisant la reliure ancienne. L’écriture est en deux colonnes de trente lignes chacune, et l’on peut également voir les traces de quadrillage et de pointes rouges que le copiste avait tracées sur les feuilles pour l’aider à écrire droit. Le codex comporte également huit grandes miniatures sur deux colonnes, chacune entourée sur trois côtés d’une ornementation de feuilles d’acanthe bleues, de sarments de vigne et de feuillages verts et or, et cinquante autres miniatures plus petites disposées sur une seule colonne. La décoration comprend également des capilettera de différentes tailles et des frises dans la marge extérieure des pages contenant les miniatures plus petites.

L’ouvrage, ouvert par un prologue du traducteur, commence par une grande miniature représentant la remise du volume à Charles le Téméraire (fils de Philippe le Bon et son successeur: il fut duc de Bourgogne de 1467 à 1477), représenté trônant et entouré de sa cour. Le traité est divisé en neuf livres, chacun richement décoré de miniatures qui offrent au lecteur une présentation visuelle des faits décrits. Les autres grandes miniatures décrivent par exemple la naissance d’Alexandre le Grand, la fuite de Darius et de son armée, le conseil de guerre de Darius, Philotas enchaîné devant Alexandre sur le trône, Alexandre sacrifiant au soleil en présence de son armée, Alexandre faisant décapiter des gouverneurs de province pour malversation. Une dernière grande miniature se trouve dans le prologue du livre V et représente Charles le Téméraire, accompagné d’un courtisan, visitant le traducteur au travail.

Selon Puncuh, les décorations sont dues à l’environnement d’un important peintre et miniaturiste néerlandais, Loyset Liédet (Hesdin, 1420 - Bruges, vers 1478), spécialiste de l’illustration de livres avec des personnages historiques: ses tableaux présentent des personnages aux visages rectangulaires et aux traits durs et marqués, des paysages simples, beaucoup d’architecture, et se caractérisent par des couleurs très vives. Les éléments décisifs pour l’attribution de notre manuscrit au miniaturiste de Hesdin“, écrit Puncuh, ”se trouvent avant tout dans le sens de la couleur, les paysages simples, l’architecture extérieure (avec le cinquième central caractéristique limitant un intérieur à gauche), la composition des scènes et l’apparence et l’anatomie des personnages représentés“. Cependant, la main ne semble pas toujours être celle du maître: si les architectures apparaissent bien définies et conduites avec qualité, il n’en va pas de même des intérieurs, ”négligés, bâclés, certainement exécutés par des élèves travaillant dans son atelier“, suppose Puncuh. Il semblerait également qu’il y ait une autre main, que Puncuh attribue à un ”Maître de la grisaille" inconnu, qui serait responsable des parties monochromes.

Bibliothèque universitaire de Gênes, Ms. E.IX.2 (Historiae Alexandri Magni)
Bibliothèque universitaire de Gênes, Ms. E.IX.2 (Historiae Alexandri Magni)
Bibliothèque universitaire de Gênes, Ms. E.IX.2 (Historiae Alexandri Magni) Bibliothèque universitaire de Gênes, Ms. E.
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Bibliothèque universitaire de Gênes, Ms. E.IX.2 (Historiae Alexandri Magni) Bibliothèque universitaire de Gênes, Ms. E.IX.2 (Historiae Alexandri Magni
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Le codex est écrit en bâtard bourguignon, un type d’écriture attesté à Hesdin, un important centre d’écriture qui fut le lieu de naissance de Loyset Liédet et de David Aubert (actif entre 1458 et 1479), le principal calligraphe de la cour bourguignonne, dès le milieu du XVe siècle. Dans l’écriture qui se répand à Hesdin au cours de ces années, on retrouve les principaux aspects de la bâtardise bourguignonne dans laquelle est écrit le Codex de Gênes: des lettres modérément inclinées vers la droite, avec des tiges descendantes pointues, des hachures rapides, un tracé très régulier et équilibré, et ensuite des caractéristiques propres à certaines lettres. Par exemple, explique Puncuh, "le e a une boucle constituée d’une grande virgule pointant vers le haut et reliée au premier trait descendant par un mince filet [...] ; la tige du f et du s, parfaitement effilée en bas, ne descend pas beaucoup en dessous de la ligne ; [...] la pliure à droite des tiges ascendantes de h et l est rarement fermée en boucle ; peu prononcées sont les cannelures en forme de trompe de h, m, n ou les tirets courbes initiaux de m et n; les tiges descendantes de p et q, peu développées et pointues, tendent à s’incurver vers la gauche ; [....] le s final, comme dans tous les bâtards, a la forme typique d’un b majuscule pointu, la hampe du t t tend à se courber, à pointer vers le haut et à s’allonger ; l’emploi du v initial sous forme de b paraît quelque peu modéré". Il s’agit d’une écriture qui allie l’élégance de l’écriture gothique à la nécessité de rapidité de rédaction: la diffusion de la bâtardise bourguignonne entre la septième et la huitième décennie du XVe siècle est telle qu’il est difficile de comprendre l’origine d’un codex d’un centre d’écriture plutôt que d’un autre.

Ces nouvelles formes graphiques apparaissent à un moment de l’histoire du duché de Bourgogne où se met en place une littérature officielle destinée à exalter la famille régnante et à diffuser une forte conscience nationale: les ducs de Bourgogne étaient très étroitement liés aux centres d’écriture, à tel point que les ducs eux-mêmes sont probablement intervenus dans le développement de la nouvelle écriture, qui est probablement née d’une adaptation du gothique, notamment en raison de la reprise des thèmes et des motifs médiévaux qui caractérisaient le contenu des codex. La magnificence de la cour de Philippe le Bon, puis de Charles le Téméraire, et cette restauration des thèmes médiévaux avaient ouvert, écrit Puncuh, “à la littérature, à la musique et à l’art une ère de splendide épanouissement”. La cour de Bourgogne entendait désormais rivaliser avec celle de France, dans un rêve politique grandiose, plein d’anticipations modernes et pourtant si tenacement imprégné de la mentalité et de l’esprit médiévaux. C’est une expérience unique qui finit par poursuivre un rêve inaccessible, visant à répéter les thèmes et les coutumes d’une société chevaleresque, plutôt tournée vers le passé que vers l’avenir".

Les Historiae Alexandri Magni de Gênes, avec leur mélange de connaissances humanistes et de rêves d’une cour splendide, sont un exemple brillant du climat culturel qui régnait dans le duché de Bourgogne peu avant que la domination des Habsbourg ne s’abatte sur l’État après la mort de Charles le Téméraire: l’unique héritière de Charles, Marie de Bourgogne, s’engagea dans une guerre contre Louis XI, qui visait à annexer le duché à la France. Le conflit s’achève en 1482, avec la fin du duché, qui est divisé: la Bourgogne proprement dite revient à la France, tandis que Maximilien de Habsbourg, époux de Marie, se voit attribuer les Flandres, les Pays-Bas, le Luxembourg et la Franche-Comté. Les Habsbourg conserveront ensuite le titre de ducs de Bourgogne jusqu’au XVIIIe siècle. Les Historiae Alexandri Magni témoignent donc aussi de la fin d’une époque: il suffit de rappeler que dans les mêmes années où ce codex était produit, plus au sud, dans la Florence de Laurent le Magnifique, Puncuh concluait que “parallèlement à la politique sans préjugés et réaliste des Médicis, l’écriture moderne faisait ses premiers pas sur les traces des sciences humaines”.

La bibliothèque universitaire de Gênes

La bibliothèque universitaire de Gênes trouve son origine dans l’ancienne bibliothèque du collège des Jésuites: La première information connue sur l’existence d’une bibliothèque annexée aux écoles fondées par les jésuites génois remonte à 1604, tandis que l’acquisition par les jésuites de la zone du couvent de San Gerolamo del Roso, vendue aux pères ignatiens par la famille Balbi, sur laquelle la construction du collège a commencé en 1664 (bien que les écoles se soient déjà installées dans les parties du bâtiment qui devenaient progressivement utilisables, entre 1636 et 1642) remonte à 1623. Le Collège de Gênes, comme tous les collèges jésuites, disposait d’au moins deux bibliothèques: la bibliothèque “domestique”, à l’usage des écoles, et la “Libreria”, installée dans la “troisième salle”, qui conserve encore la partie monumentale de la collection de la bibliothèque. La bibliothèque a été rénovée au XVIIIe siècle dans le style baroque génois, après quoi, en 1773, avec la dissolution de la Compagnie de Jésus, le collège a été rebaptisé “Université publique” et est passé sous le contrôle direct de la République de Gênes. La bibliothèque des Jésuites est alors transformée en “Libreria della Pubblica Università di strada Balbi” où sont réunies les bibliothèques des couvents et des corporations religieuses supprimées. En 1785, le bibliothécaire Gaspare Luigi Oderico, nommé en 1778, acheva ce qui est, dans l’état actuel des connaissances, le plus ancien catalogue de bibliothèque. Depuis le XVIIIe siècle, la collection de livres de la bibliothèque universitaire de Gênes est restée liée à l’université de Gênes.

La collection de livres de la bibliothèque s’appuie sur une importante collection de manuscrits, conservée dans la “Salle des manuscrits rares”, située dans la chapelle gauche de l’église des Saints Jérôme et François Xavier, construite avec un mobilier spécial en 1935: la collection se compose d’environ 2000 codex datant principalement des XVIe-XVIIIe siècles. Parmi les pièces les plus précieuses figurent le Missel florentin, composé et enluminé pour l’église de Santa Reparata à Florence et datant d’avant 1296 ; le Liber Iurium Reipublicae Genuensis du XIIIe siècle, l’Historia Alexandri Magni de Curtius Rufus dans la traduction de Vasco de Lucena. Parmi les pièces du fonds documentaire et archivistique figurent l’Epistolario di Angelico Aprosio (5 550 unités d’inventaire), le fonds Autografi (avec plus de 14.000 lettres, constitué par la réunion, dans les années 1930 et 1960, d’au moins trois importants noyaux de lettres autographes ; les Autographes du Risorgimento (conservés dans quatorze boîtes, lettres et documents relatifs à Nino Bixio, avec une consistance d’environ 3 367 unités d’inventaire). À cela s’ajoutent de nombreuses correspondances et des collections mineures qui ne cessent de s’enrichir.

La bibliothèque universitaire de Gênes
La bibliothèque universitaire de Gênes

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