Ce sera une Biennale de Venise “contre la Renaissance”, prévoit Chiara Valerio, qui signera l’un des essais du catalogue de l’exposition internationale organisée par Cecilia Alemani. En d’autres termes, elle tentera de proposer au visiteur un “renversement de perspective” (quoi que cela signifie) sur la Renaissance, “une époque mythique dont le mythe est utilisé et réattribué (souvent en vain) pour projeter sur quelqu’un ou quelque chose une suprématie artistique et culturelle de l’Italie”: c’est ce qu’informe l’écrivain, traductrice, mathématicienne, éditrice, présentatrice de radio. Il est possible de tenter une paraphrase en résumant ce qu’Alemani a dévoilé lors de la conférence de presse: le commissaire de l’exposition internationale a fait savoir que la cinquante-neuvième édition de la Biennale d’art célébrera le domaine de l’hybride et du fantastique, réfléchira sur le rapport entre corps et technologie, verra la participation d’artistes qui “déclarent la fin de l’anthropocentrisme” pour s’ouvrir à une nouvelle communion entre toutes les formes de vie qui peuplent la planète, dans un rapport d’harmonie et de symbiose.
Il est impossible de savoir plus précisément, à partir d’une présentation qui a duré une heure, comment l’exposition sera organisée, comment elle tentera de respecter son cadre théorique et surtout comment elle parviendra à “renverser les perspectives”. Bien sûr, dire que la prochaine Biennale de Venise sera “contre la Renaissance” est une provocation, sans doute destinée à sortir un instant la scène de l’art contemporain endormie de sa torpeur pérenne. Il s’agit donc d’une intention à ne pas prendre au sérieux: personne ne remettra en question la Renaissance (à supposer que l’on puisse remettre en question toute une époque). Bien sûr, la boutade anti-Renaissance met cependant en évidence le court-circuit (pour utiliser un terme cher aux curateurs) provoqué par ce même esprit de révolte qui attise les appétits du curateur et de ceux qui collaboreront à la prochaine Biennale, et qui fait qu’Alemani et Valerio sont victimes de cette même mythographie à laquelle ils entendent opposer leurs barrières (une intention intéressante, cependant): Il est vrai que la légende d’un prétendu âge d’or entre le XVe et le XVIe siècle imprègne la rhétorique (politique, économique, souvent même culturelle), continuant à alimenter des visions déformées ou du moins dépassées d’une époque trop complexe pour être réduite à des schémas banalisants, mais si l’intention, dépassant le schéma de l’instigation facile, est de déconstruire la fable pour ensuite se laisser prendre dans les mêmes stéréotypes identiques qui la soutiennent, le risque n’est pas évité. Il en résulte plutôt une vision polarisée en sens inverse, mais fondée sur les mêmes mythes. Seul l’usage qui en est fait change: érigé en paradigme pour affirmer une suprématie présumée d’un côté, considéré comme un modèle à dépasser de l’autre.
La Biennale de Venise débutera en avril, et il faut attendre pour voir l’exposition. C’est vrai: mais il y a des déclarations programmatiques qui, bien qu’elles ne nous permettent pas de nous faire une idée même partielle de la prochaine Biennale, fournissent néanmoins quelques indices pour discuter de l’idée de Renaissance qui habite l’âme de ceux qui ont voulu concevoir une Biennale du “lait des rêves”, et la présenter aux initiés qu’ils voulaient provoquer en l’enveloppant d’une rhétorique anti-Renaissance malveillante. Il faudra donc lire les essais (qui ne sont pas encore disponibles pour le moment) afin de trouver une image complète, qui ne peut certainement pas émerger d’une présentation lors d’une conférence de presse ou d’un petit paragraphe dans un journal généraliste. Et dans l’espace limité d’un article de journal, il est toutefois possible d’ouvrir des perspectives supplémentaires sur la mesure dans laquelle certaines croyances peuvent être démystifiées.
Premier mythe: la Renaissance comme ère de la rationalité et de la domination de l’homme, à laquelle on peut opposer le fantastique, l’hybride, la perméabilité. Selon Cecilia Alemani, “de nombreux artistes contemporains imaginent une condition post-humaine en remettant en cause la figure universelle et purement occidentale de l’être humain et en particulier du sujet blanc occidental comme mesure de toute chose et mesure du monde, modèle des Lumières et de la Renaissance auquel ils opposent différentes alliances, des corps fantastiques et des êtres perméables”. L’hybride et le fantastique imprègnent en effet la culture de la Renaissance. Le succès de Marsilio Ficino est dû, écrit Eugenio Garin dans le fondamental L’uomo del Rinascimento, à “l’investigation de terres peu visitées (le monde de la fantaisie)”, à “la fascination de l’occulte et à la séduction de la magie”, à “l’entrelacement suggestif de la poésie et de la philosophie dans la rencontre entre Lucrèce et Plotin”. Dans le cycle de la préhistoire humaine de Piero di Cosimo, le spectateur se trouve plongé dans un monde peuplé de créatures hybrides et d’une humanité primitive, où il n’existe aucun degré de séparation entre l’homme et l’animal, et les images du peintre florentin sont le fruit d’un esprit qui est non seulement capable d’élaborer une sorte de théorie évolutionniste en avance sur son temps, mais qui est bien conscient des dangers encourus par une humanité qui s’éloigne de la nature (pour Piero di Cosimo, écrit Panofsky, “la civilisation signifiait un royaume de beauté et de bonheur tant que l’homme restait en contact étroit avec la nature, mais un cauchemar d’oppression, de laideur et de misère dès que l’homme s’en éloignait”). Chez les peintres de l’école ferraraise, la peinture rationalisante de Piero della Francesca et les hordes de monstres et de créatures fantastiques coexistent en toute harmonie, dans un monde qui trouve son apogée dans les fresques du Palazzo Schifanoia, où des éléments de la culture arabe et indienne se greffent sur un mélange singulier de culture astrologique, de motifs païens et de pensée chrétienne. Il n’y a pas de palais de la Renaissance dans la plaine du Pô où une représentation à fresque ne donne pas corps et forme aux rêves païens des cours. Dans l’œuvre de Ludovic Arioste (et peut-être dans celle de son homologue artistique le plus immédiat, Dosso Dossi), la raison ne domine ni ne réprime la fantaisie, mais elle est plutôt l’outil de médiation entre le réel et l’irréel utilisé par l’intelligence.
Deuxième mythe: la Renaissance est “l’ère de la plénitude de l’être humain, en tant qu’être masculin dans le cercle et le carré” et “de l’anthropomorphisme [sic] tel que nous l’avons imaginé jusqu’à aujourd’hui - créditer l’homme de Vitruve” (Chiara Valerio). L’Homme de Vitruve n’a rien à voir avec l’anthropocentrisme “tel que nous l’avons imaginé jusqu’à aujourd’hui”, notamment parce qu’il n’existe pas une seule forme d’anthropocentrisme qui soit restée inchangée du XVe siècle à nos jours (pour mieux calibrer la provocation et la rendre ainsi plus efficace, une lecture même moins superficielle de The Posthuman de Rosi Braidotti, qui, on peut s’en douter, constituera le cadre philosophique de la prochaine Biennale, aurait suffi). L’anthropocentrisme ontologique des humanistes n’est pas l’anthropocentrisme éthique né à l’époque moderne: l’anthropocentrisme de la Renaissance est une forme d’émancipation et non l’idée qu’il n’y a “qu’une seule forme de Renaissance” qui crée “diversité, abus, exclusion” (selon Valerio). Le substrat culturel sur lequel germe l’anthropocentrisme de la Renaissance (ou, pour être encore plus précis, l’anthropocentrisme des humanistes) a des connotations très précises: l’homme de la Renaissance se rend compte des limites qui le rendent esclave du monde naturel, et l’être humain lui-même est considéré comme un élément du monde naturel: l’anthropocentrisme de la Renaissance est une conscience de soi, un désir de liberté et d’autonomie. “L’homme, écrivait Nikolaï Berdjaev en 1916, a dû passer par l’expérience de l’éloignement de Dieu. L’humanisme, en ce sens, est une expérience nécessaire de l’humanité. L’homme devait nécessairement trouver sa liberté dans le monde naturel et la vie humaine devait être sécularisée. L’homme, en tant que partie nécessaire du monde naturel, a voulu la liberté et l’autonomie et s’est ainsi fixé, de manière arbitraire et subjective, le but ultime de la nature”. L’écho de l’anthropocentrisme ainsi compris résonne non seulement chez Léonard de Vinci (dans ses dessins et ses écrits, et il faut aussi noter que le grand artiste toscan, amoureux des animaux, est souvent identifié comme un pionnier de l’antispécisme) mais aussi dans les peintures de Piero di Cosimo mentionnées plus haut: car c’est le fond culturel commun à tous les artistes de la Renaissance. L’homme est bien la “mesure de toutes choses”, mais parce que c’est avec sa conscience qu’il observe le monde qui l’entoure, et qu’il ne peut en être autrement puisque c’est la condition qui lui est donnée: au VIe siècle avant J.-C., Xénophane écrivait d’ailleurs que si les chevaux savaient peindre, l’image de leur dieu serait semblable à celle d’un cheval.
Troisième mythe: la Renaissance comme ère de dualismes rigides et irréconciliables. Selon Alemani, à la Biennale, nous verrons “des femmes artistes, écrivains, danseuses et personnalités culturelles qui adoptent la métamorphose, l’ambiguïté et la fragmentation du corps pour contrer l’idée de l’homme unitaire de la Renaissance et, par opposition, célébrer le domaine du merveilleux et du fantastique, en dépassant les dualismes entre l’esprit et le corps, l’humain et le non-humain, le masculin et le féminin qui ont imprégné la pensée de la Renaissance, en faveur de l’hybridisme et d’une individualité fluctuante”. Quelques traces d’une Renaissance fantastique ont été évoquées plus haut, de manière très limitative et banalisante. La Renaissance est une époque où la réalité et la fantaisie ne vivent pas en opposition, tout comme elle est une époque où il n’y a pas de séparation nette entre l’humain et le non-humain. Leon Battista Alberti et, encore, Leonardo da Vinci étaient bien conscients des lois qui régissent la nature, auxquelles l’être humain est également soumis. Le recours aux classiques avait, de ce point de vue, une double motivation bien soulignée par Garin dans La cultura del Rinascimento: ils aidaient “à pénétrer non seulement les processus réels dans lesquels la puissance de l’esprit humain était déjà mise en œuvre, mais rappelaient aussi la conquête que les anciens avaient faite des raisons des choses dans leur fonctionnement dynamique”. Au XVe siècle, cette correspondance de l’homme et de la nature, de l’individu et du cosmos, est constante: et elle l’est sous le double profil de l’histoire et de la science“. La découverte de la nature se fait parallèlement à la prise de conscience de sa propre liberté: il n’y a pas d’antithèse. L’homme et la nature trouvent une correspondance totale: ”l’homme est le microcosme, le monde abrégé, la centralisation en un point de ce qui est diffusé dans l’ensemble". Et c’est avant tout dans ce sens qu’il faut lire l’Homme de Vitruve. C’est d’ailleurs à la lumière de cette correspondance qu’il est possible d’observer le grand intérêt que les écrivains et les artistes de la Renaissance ont cultivé pour les Métamorphoses d’Ovide (pensons à l’Eridanus de Giovanni Pontano, qui s’éloigne le plus possible d’une opposition présumée entre l’humain et le non-humain). La science des affections d’Alberti, qui trouve sa plus haute expression dans la Cène de Léonard de Vinci, présuppose un lien étroit entre l’âme et le corps.
Enfin, il convient de rappeler qu’il n’existe pas une seule “pensée de la Renaissance” (la Renaissance est aussi une époque de polémiques culturelles, de disputes philosophiques) et que l’image d’une Renaissance triomphante et monolithique a depuis longtemps été battue en brèche par la critique, notamment celle qui a mis l’accent sur la fascination pour le fantastique, pour l’occulte, pour le merveilleux, pour l’hybride, pour le populaire nourri par une vaste gamme d’artistes et d’écrivains (Eugenio Garin a été mentionné plus haut, mais il faut aussi rappeler L’anti-Renaissance d’Eugenio Battisti) et ceux qui ont souligné les caractéristiques même tragiques de cette époque (Cacciari). Pour provoquer, il fallait peut-être mieux.
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