Quel amateur d’art n’a jamais nourri, même en secret, le rêve de revoir, même temporairement, la Joconde en Italie? Nous savons évidemment qu’il sera très difficile, voire impossible, de revoir le célèbre tableau de Léonard de Vinci (Vinci, 1452 - Amboise, 1519) dans nos contrées: l’œuvre est tout d’abord extrêmement délicate, elle est ensuite inextricablement associée au musée qui l’abrite, le Louvre, et comme il s’agit du chef-d’œuvre que tous les visiteurs de l’institution française s’attendent à voir lorsqu’ils la visitent, il est très improbable qu’elle soit prêtée. La dernière “sortie” de la Joconde remonte à 1974, lors de sa première exposition à Tokyo (au milieu d’un millier de protestations de la part de ceux qui ne voulaient pas que l’œuvre parte, et en effet le transfert n’a pas été facile: l’œuvre a en effet fait l’objet d’une attaque de la part d’un activiste qui, pour protester contre le manque d’accès pour les handicapés au Musée national de Tokyo, où la Joconde était exposée, a barbouillé l’œuvre de peinture rouge à la bombe le 20 avril de cette année-là, jour de l’inauguration de l’exposition qui la présentait), puis à Moscou. Le directeur du Louvre, Jean-Luc Martinez, a ensuite réitéré le concept à l’occasion des célébrations du 500e anniversaire de la mort de Léonard de Vinci: la Joconde est trop fragile pour voyager, et son déplacement pourrait causer des dommages irréparables. Pour paraphraser, on peut dire que c’est un “non” catégorique.
Les musées du monde entier doivent donc se débrouiller, mais certains le font mieux que d’autres, car la fortune de la Joconde, même dans l’Antiquité, était telle qu’aujourd’hui, éparpillées aux quatre coins du monde, il existe des dizaines de copies et de variantes anciennes, dont certaines de grande qualité: le 500e anniversaire de la mort de Léonard a suscité un regain d’intérêt pour cette longue liste de “petites sœurs” de la célèbre Joconde, dont certaines sont également présentes en Italie. La célébrité mondiale de La Joconde n’est née qu’au XXe siècle, mais déjà à l’époque de Léonard, son portrait de Lisa Gherardini (Florence, 1479 - Florence, 1542), également connue sous le nom de Lisa del Giocondo, du nom de son mari Francesco di Bartolomeo di Zanobi del Giocondo (Florence, 1465 - 1542), qui avait commandé l’œuvre, a connu un certain succès. L’artiste et historiographe Giorgio Vasari (Arezzo, 1511 - Florence, 1574) énumère déjà les qualités de la Joconde: “Lionardo s’est chargé de peindre pour Francesco del Giocondo”, lit-on dans l’édition torrentine des Vies de 1550, “le portrait de sa femme Mona Lisa ; et quatre ans après l’avoir subie, il l’a laissée imparfaite, cette œuvre se trouvant maintenant chez le roi François de France à Fontanableo”. Celui qui veut voir jusqu’à quel point l’art peut imiter la nature, peut facilement comprendre la tête, parce que tous les détails qui peuvent être peints avec subtilité y ont été rendus. [...] En vérité, on peut dire que cette œuvre a été peinte d’une manière qui ferait trembler et craindre n’importe quel artiste habile, et qu’elle est ce que l’on veut qu’elle soit. [...] Et dans cette œuvre de Lionardo, il y avait un sourire si agréable qu’il était plus divin qu’humain de le voir, et il était considéré comme merveilleux, car il n’était pas autrement vivant". La description de Vasari (qui, pour mémoire, nourrissait une forte admiration pour Léonard, à la limite de l’adoration) s’attarde également sur de nombreux détails de la peinture, et comme le jugement du grand Arétin était tenu en haute estime par nombre de ses contemporains, nous pouvons lui attribuer une partie du succès de la Joconde(du moins dans l’Antiquité). Mais, à peu près à la même époque, il y eut aussi des opinions contraires: le commentaire lapidaire de Federico Zuccari, qui, ayant vu l’œuvre en France, à Fontainebleau, en 1574, la définit comme “sèche et de peu de goût, à fuir et à ne jamais rien finir comme le susdit Lionardo qui consuma sa vie en sustentation de paroles et de caprices sufistichi peu utiles à lui-même et à l’art”.
La célébrité de l’œuvre a donc été renforcée par les avis des grands artistes qui l’ont vue, mais il faut imaginer que les échos de la Joconde ont dû commencer à se faire entendre bien plus tôt, peut-être même en même temps que sa réalisation (début du XVIe siècle: le Louvre fixe la date aux alentours de 1503-1506). Le premier artiste fasciné par la Joconde fut l’un des plus grands, Raphaël Sanzio (Urbino, 1483 - Rome, 1520), qui était également très attiré par les œuvres de Léonard de Vinci, comme l’atteste Vasari lui-même: l’historiographe nous apprend en effet que l’Urbain s’est mesuré aux œuvres de Léonard, “mais quelle que soit sa diligence ou son application, il n’a jamais pu surpasser Léonard dans certaines difficultés, et bien qu’il semble à beaucoup qu’il l’ait surpassé en douceur et en une certaine aisance naturelle, il ne lui était cependant pas supérieur dans une certaine assise terrible des concepts et de la grandeur de l’art”. Nombreux sont ceux qui ont remarqué qu’un dessin de Raphaël conservé au Louvre, une esquisse pour un portrait féminin (Roberto Longhi l’a associé à la Dame à la licorne conservée à la Galleria Borghese, le séparant ainsi du Portrait de Maddalena Strozzi des Offices auquel d’autres historiens de l’art avant lui l’avaient comparé), s’inspire directement de la Joconde, dont il dérive l’idée de la main saisissant le poignet, la légère torsion du cou, l’agencement avec le paysage derrière, le regard. Il est d’ailleurs probable que Raphaël ait cherché à apprendre de Léonard l’étude de l’expression, la posture des mains, la capacité à communiquer un sentiment par une attitude, et par conséquent tout le potentiel du mouvement. Nous ne sommes pas certains que Raphaël ait été directement inspiré par la Joconde, mais les similitudes sont évidentes et ne devraient pas faire de doute.
Léonard de Vinci, La Joconde (1503-1506 ; huile sur panneau, 77 x 53 cm ; Paris, Louvre) |
Raphaël, Portrait de femme (vers 1505-1507 ; plume, encre brune et traces de craie noire sur papier, 222 x 159 mm ; Paris, Louvre, Département des Arts Graphiques) |
Raphaël, Dame à la licorne (vers 1505-1507 ; huile sur panneau, 65 x 51 cm ; Rome, Galleria Borghese) |
Pour rester dans le domaine des dérivations et sans entrer à nouveau dans celui des copies ou des variantes, le plus connu est certainement le nu dit Mona Lisa, également appelé Mona Vanna, un dessin de l’école de Léonard de Vinci, conservé au musée Condé de Chantilly, et dont dérivent d’autres peintures plus célèbres: celle du Museo Ideale Leonardo da Vinci, que l’on voudrait attribuer à Gian Giacomo Caprotti dite la Salaì (Oreno, 1480 - Milan, 1524), celle du cercle de Joos van Cleve (Joos van der Beke ; Kleve, 1485 - Anvers, 1540), et la Flore de Carlo Antonio Procaccini (Bologne, 1571 - 1630). La Joconde nue reproduit presque servilement la pose des mains de la Joconde mais, contrairement à cette dernière, Mona Vanna est nue, ses seins sont découverts au spectateur et son regard est nettement plus frontal que dans le tableau du Louvre, plus célèbre. L’œuvre est étroitement liée à Léonard de Vinci, qui a très probablement exécuté le prototype. On sait en effet que le 10 octobre 1517, le cardinal Louis d’Aragon rendit visite au génie toscan dans sa résidence française, le château du Clos-Lucé près d’Amboise, et que le secrétaire du prélat, Antonio de Beatis, nota que tous deux avaient observé trois tableaux, dont le portrait d’une “certaine Florentine faite au naturel à la demande du quondam magnifico Juliano de’ Medici”. Le “magnifico Juliano de’ Medici” était Giuliano di Lorenzo de’ Medici (Florence, 1479 - 1516), seigneur de Florence à partir de 1513 et duc de Nemours à partir de 1515: Léonard a travaillé pour lui de 1513 à 1516 (mais il n’y a aucun lien entre la Joconde du Louvre et le seigneur florentin, c’est pourquoi beaucoup ont exclu que la “dona” soit la Joconde, à moins que nous ne voulions invoquer une relation improbable entre Lisa Gherardini et Giuliano di Lorenzo de’ Medici, qui n’est documentée par aucune source), et si nous supposons que la “Joconde nue” est la “dona fiorentina facta di naturale” (où “fatta di naturale” pourrait signifier “nue”), il est probable qu’Antonio de Beatis faisait référence à un tableau de Léonard dont on n’a pas encore retrouvé la trace à ce jour, mais qui devait manifestement fournir des idées et de l’inspiration à ses élèves. Il y a ensuite un acte notarié daté du 21 avril 1525 qui énumère certains biens en possession de Salaì et où le terme “Joconda” apparaît pour la première fois, mais où il est également fait mention d’un “quadro cum una meza nuda”, qui pourrait être la monna Vanna. La citation ne fait pas référence à la caricature de Chantilly, puisque l’inventaire ne répertorie que des peintures et que le terme “peinture” ne peut pas désigner un dessin, mais l’œuvre (en supposant qu’il s’agisse d’une œuvre de la main de Léonard et non de celle de Salaì) devait probablement être plus petite ou de moindre qualité que la “Joconda”, qui est évaluée à 100 scudi dans la liste, contre 25 pour la “meza nuda”.
Dans une étude de 2016, l’un des léonardistes les plus accrédités, Martin Kemp, a comparé la caricature de Chantilly avec le tableau qui s’en rapproche le plus, une Joconde nue conservée à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg et datée d’environ 1515. L’analyse des dimensions, tout à fait compatibles (bien que la caricature, endommagée par des taches d’humidité et des abrasions, ait été retaillée en hauteur et en largeur), indique que l’œuvre de Saint-Pétersbourg a probablement été réalisée à partir de la caricature de Chantilly, signe que le dessin a vraisemblablement été utilisé dans l’atelier de Léonard de Vinci. Kemp repère ensuite quelques éléments (les pentimenti des doigts de la main, certains traits qui semblent avoir été exécutés par la main d’un très bon dessinateur, gaucher comme Léonard, quelques changements dans les perforations des contours) qui suggèrent que Léonard lui-même est intervenu dans la caricature, peut-être réalisée par un de ses assistants et ensuite corrigée par le maître. De plus, la Joconde nue introduit des éléments différents, comme nous l’avons vu, de la Joconde, signe qu’il s’agit, selon Kemp, d’une invention indépendante de la Joconde, et non d’une dérivation de celle-ci. On peut donc s’interroger, à ce stade, sur les motivations qui ont poussé Léonard à imaginer une telle œuvre (pour une invention qui, selon Kemp, a toujours été sous-estimée par les historiens de l’art, parce que le tableau réalisé par Léonard, à supposer qu’il ait jamais existé, n’est pas conservé, et parce qu’on ne sait pas s’il est vraiment l’auteur de la caricature de Chantilly): un sujet non conventionnel qui, écrit Kemp, “est simplement ce qu’il est: une image provocante d’une femme révélant sans honte son corps au spectateur, regardant droit devant elle avec un sourire ambigu. Elle a une dimension pornographique évidente, du moins à l’époque où l’œuvre a été réalisée”. Il ne s’agirait donc pas d’un portrait, comme le nom sous lequel l’œuvre est universellement connue pourrait le laisser penser (“monna Vanna” est le nom conventionnel donné au tableau, basé sur l’hypothèse qu’il représente une maîtresse de Giuliano de’ Medici ainsi nommée), ni d’une étude pour mieux analyser la pose de la Joconde, comme l’a supposé Kenneth Clark.
Il existe une vingtaine de versions de la Joconde nue elle-même, copies et variantes comprises. En réalité, l’œuvre, comme le montre l’exposition La Joconde nue, présentée au château de Chantilly du 1er juin au 6 octobre 2019 (et première exposition consacrée à l’œuvre), jouit d’une certaine popularité auprès des artistes du XVIe siècle, et finira par donner naissance à un véritable genre, celui des dames au bain: Le Portrait de Gabrielle d’Estrées et de sa sœur la duchesse de Villars, d’un auteur inconnu, est très célèbre, et l’on peut en dire autant d’un tableau chronologiquement plus proche de Léonard, la Dame au bain de François Clouet (Tours, 1515 - 1572), qui dérive elle-même de la version de Joos van Cleve. La popularité du sujet est probablement due à l’intérêt de François Ier pour le nu (sa collection comprenait plusieurs nus, anciens et modernes, tant en peinture qu’en sculpture), et peut-être pour répondre au goût du jour, de nombreux artistes se sont adaptés. À commencer par celui qui a peint le plus célèbre nu, Mona Lisa, celui de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg, autrefois attribué à Léonard lui-même et aussi à Salaì: aujourd’hui, cependant, on a tendance à ne pas donner le nom de son auteur, même si tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agit d’un produit de l’atelier de Léonard, et d’un artiste manifestement moins talentueux que le grand Toscan (il suffit de regarder la chevelure, trop plate, les passages en clair-obscur plus abrupts et le paysage simplifié par rapport à celui de la Joconde). L’Italie a elle aussi sa Joconde nue: il s’agit de celle, mentionnée plus haut, déposée au Museo Ideale Leonardo da Vinci à Vinci, peinte elle aussi par le cercle de Léonard (peut-être, comme on l’a dit, par Salaì, mais il n’y a pas de certitude à ce sujet), et une œuvre d’une importance considérable puisque les études scientifiques menées peu avant l’exposition susmentionnée ont permis d’établir qu’elle avait été réalisée à partir de la caricature de Chantilly.
Cercle de Léonard de Vinci, Mona Lisa nue (vers 1514-1516 ; fusain et plomb blanc sur papier, 724 x 540 mm ; Chantilly, musée Condé) |
Gian Giacomo Caprotti dit le Salaì (?), Mona Lisa nue (1515-1525? ; huile sur panneau transférée sur toile ; Collection privée, en dépôt à Vinci, Museo Ideale Leonardo da Vinci) |
Cercle de Léonard de Vinci (?), Nu de Mona Lisa (1515-1525? ; huile sur panneau transférée sur toile ; Saint-Pétersbourg, Ermitage) |
Cercle de Joos van Cleve, Portrait féminin (XVIe siècle ; huile sur panneau ; Prague, Národní Galerie V Praze) |
Carlo Antonio Procaccini (attribué à), Flore (vers 1600 ; huile sur toile ; Bergame, Accademia Carrara) |
École de Fontainebleau, Portrait présumé de Gabrielle d’Estrées et de sa sœur la duchesse de Villars (vers 1600 ; huile sur panneau, 96 x 125 cm ; Paris, Louvre) |
François Clouet, Dame au bain (1571 ; huile sur panneau, 92,3 x 81,2 cm ; Washington, National Gallery of Art) |
De toutes les variantes, la plus célèbre est probablement la Joconde du Prado, ce qui est également utile car, parmi les nombreuses versions de la Joconde, c’est celle qui présente les couleurs les plus proches de celles qu’un spectateur du XVIe siècle pouvait voir peu après l’achèvement du tableau: nous devons imaginer l’archétype du Louvre avec des couleurs similaires. Aujourd’hui, nous voyons la Joconde jaunie par l’action du temps: cependant, pour les raisons que le professeur Dal Pozzolo a éloquemment expliquées dans ces pages, il est peu probable qu’une intervention permette de redonner au chef-d’œuvre de Léonard ses couleurs du XVIe siècle. Pour en revenir au panneau du Prado, il est daté de la même époque que la Joconde du Louvre (les critiques le situent entre 1503 et 1519: cette datation fait de ce tableau la plus ancienne variante connue de la Joconde ), mais nous ne savons pas qui l’a peint: elle n’est pas de Léonard de Vinci, car elle n’atteint pas la qualité des œuvres du maître (par exemple, on peut facilement remarquer que la Joconde du Prado est totalement dépourvue de sfumato, un détail qui révèle une sensibilité très éloignée de celle de Léonard), mais elle est bien l’œuvre d’un artiste de son cercle, bien qu’il n’ait pas encore été possible d’établir un nom avec certitude, même si ceux de Salaì et de Francesco Melzi (Milan, 1491 - Vaprio d’Adda, 1570) ont été proposés. On pense que la Joconde du Prado est enregistrée pour la première fois en 1666, dans un inventaire de la Galería del Mediodía de l’Alcázar de Madrid, en tant que “mujer de mano de Leonardo Abince” (“femme de la main de Léonard de Vinci”), et qu’elle était déjà la propriété de la famille royale espagnole à l’époque. Elle arrivera au Prado en 1819, et il est intéressant de noter que le célèbre écrivain français Prosper Mérimée a également parlé de l’œuvre dans une lettre envoyée en 1830 d’Espagne (où l’auteur se trouvait à l’époque) au rédacteur en chef de la Revue de Paris, dans laquelle il dit que “parmi les œuvres de Léonard de Vinci, j’ai été impressionné par une Joconde qui semble être une variante, avec quelques modifications, de celle que nous possédons au Louvre. Au lieu de ce paysage fantastique, plein de ces rochers pointus si chers à Léonard de Vinci, le fond est sombre et plat”.
En effet, il convient de noter que la Joconde du Prado, jusqu’en 2012, était jaunie et sur un fond sombre, à tel point qu’avant cette date, beaucoup ne la considéraient même pas comme une œuvre de Léonard. Les techniciens du musée madrilène s’étaient rendu compte, grâce à la réflectographie infrarouge, que sous la couverture noire derrière la dame représentée dans le tableau se trouvait un paysage assez semblable à celui de la Joconde du Louvre, et l’analyse avait permis d’établir que le fond sombre était le résultat d’une repeinte postérieure à 1750. La restauration effectuée par Almudena Sánchez Martín, qui a éliminé les repeints et les superpositions, rétablissant la lisibilité de l’œuvre grâce à la récupération des couleurs et des transparences (et, répétons-le, nous aidant également à comprendre à quoi devait ressembler la Joconde originale), a également révélé que l’auteur du tableau avait utilisé des matériaux de grande qualité, tels que ceux utilisés dans l’atelier de Léonard de Vinci. On a ainsi découvert que le panneau de bois de noyer est similaire à celui utilisé pour des chefs-d’œuvre tels que la Dame à l’hermine ou la Belle Ferronnière, et que l’imprimatur en plomb blanc et huile de lin est identique à celui que l’on trouve dans plusieurs œuvres de Léonard et de son entourage: la découverte la plus intéressante concerne le dessin préparatoire, qui est identique (il a également été analysé par réflectographie infrarouge), et qui présente, surtout dans la version du Prado, les mêmes corrections que celles de la Joconde (le contour de la taille et de la tête, la position des mains), signe que l’auteur du tableau madrilène a suivi Léonard pendant qu’il peignait le tableau du Louvre. Il ne s’agit donc pas d’une simple copie, car le copiste a travaillé sur l’œuvre achevée, et il lui est donc très difficile d’apporter des corrections: avec la Joconde de Madrid, nous sommes en présence d’un artiste qui a travaillé en contact étroit avec le maître.
Un autre cas intéressant est celui de la Joconde d’Isleworth, ainsi appelée parce qu’au début du XXe siècle elle appartenait au marchand anglais Hugh Blaker, résidant dans la ville anglaise d’Isleworth. Il s’agit d’une œuvre très particulière car elle ressemble à une version “jeune”, presque adolescente, de la Joconde: inachevée (le paysage derrière la dame est à peine esquissé), plus large que la Joconde du Louvre et avec deux colonnes à chaque extrémité, semblables à celles que l’on trouve dans le dessin de Raphaël mentionné plus haut. Ce sont précisément les colonnes qui constituent un élément important dans le débat sur la paternité de la Joconde d’Isleworth: Dans le passé, on pensait que la Joconde du Louvre avait également des colonnes sur les côtés (et que, par conséquent, le dessin de Raphaël et la version d’Isleworth étaient des dérivés directs de l’œuvre parisienne), mais en 1993, une analyse de l’érudit Frank Zöllner a établi que la Joconde n’avait pas de colonnes sur les côtés, ce qui a conduit de nombreux historiens de l’art à supposer l’existence d’une autre version de la Joconde qui a dû inspirer Raphaël. D’autre part, parce qu’un célèbre peintre et auteur de traités du XVIe siècle, Giovanni Paolo Lomazzo (Milan, 1538 - 1592), dans son Traité sur l’art de la peinture de 1584, parle de portraits “de la main de Léonard, décorés en guise de source, comme le portrait de Mona Lisa et de Mona Lisa, dans lequel il a merveilleusement exprimé, entre autres parties, la bouche en train de rire”. La phrase de Lomazzo suggérerait donc que la Joconde et la Joconde sont deux tableaux distincts. Or, à l’heure actuelle, cette Joconde antérieure (c’est sous ce nom qu’elle est connue en Angleterre et dans les pays anglophones), aujourd’hui conservée dans une collection privée suisse (la première mention de ce tableau en Angleterre remonte à 1778: Achetée par le susnommé Blaker en 1914, l’œuvre est passée en 1962 au collectionneur Henry Pulitzer, qui l’a léguée à son épouse Elizabeth Meyer, et après la mort de cette dernière en 2008, elle a été achetée par un consortium international de particuliers à l’initiative de la Fondation Joconde), n’a toujours pas trouvé de nom. Ce ne serait pas Léonard, comme le pense Martin Kemp, l’un des plus ardents contestataires de la paternité de Léonard sur cette œuvre: selon lui, aucun des spécialistes “sérieux” de Léonard ne se serait prononcé en faveur d’une attribution à l’artiste de Vinci: exécutée sur toile (support qui n’a été retrouvé dans aucune œuvre connue de Léonard), plus plate que les dames de Léonard, dépourvue de leur profondeur psychologique, vêtue d’une robe plus schématiquement conduite que celle de la Joconde du Louvre et de draperies plus raides, la Joconde d’Isleworth est probablement l’œuvre d’un imitateur ou d’un artiste du cercle.
Cercle de Léonard de Vinci, Mona Lisa (1503-1519 ; huile sur panneau, 76,3 x 57 cm ; Madrid, Musée du Prado) |
Cercle de Léonard de Vinci, Mona Lisa au musée du Prado, avant restauration |
Cercle de Léonard de Vinci, Mona Lisa du Prado, réflectographie infrarouge |
Cercle de Léonard de Vinci (?), Mona Lisa d’Isleworth (XVIe siècle ; huile sur toile, 86 x 64,5 cm ; collection privée) |
Quant aux copies, il en existe plusieurs dans le monde, comme nous l’avons mentionné au début. Pour certaines d’entre elles, on a même tenté par le passé de les attribuer à Léonard de Vinci, mais ces tentatives ont toujours été rejetées par les critiques, car aucune de ces copies n’atteint la qualité de la Joconde du Louvre. L’une des erreurs les plus fréquentes dans les copies, surtout les plus anciennes, est la ligne de la balustrade derrière la dame: dans de nombreuses copies, la partie de droite apparaît légèrement plus basse que celle de gauche (Adolfo Venturi était déjà convaincu qu’il s’agissait d’une erreur que Léonard n’aurait pas commise, et selon le grand érudit, il s’agit d’un élément déterminant pour ne pas attribuer le tableau au génie de Vinci). En général, cependant, toutes les copies connues semblent être des œuvres plus scolastiques que la vraie Joconde, plus rigides, moins expressives, manquant de la profondeur de l’original, souvent incapables d’égaler le sfumato du maître. Il est également très difficile d’établir le nom de l’auteur. Il en existe une, conservée à la Galerie nationale d’Oslo, en Norvège, qui est signée Bernardino Luini, mais le style est incompatible avec celui de l’artiste léonardesque, et l’on pense plutôt qu’il s’agit d’une version réalisée au XVIIe siècle par Philippe de Champaigne (Bruxelles, 1602 - Paris, 1674), peintre connu surtout pour son travail de portraitiste. L’une des copies les plus intéressantes est la Joconde Vernon, du nom du collectionneur (William H. Vernon) qui la possédait au XVIIIe siècle: on pense qu’il s’agit d’une œuvre du XVIe siècle et, contrairement à de nombreuses copies ultérieures, elle conserve les colonnes sur les côtés. Par le passé, la famille Vernon a tenté à plusieurs reprises de faire authentifier sa Joconde comme un original de Léonard (elle y est presque parvenue dans les années 1960, lorsqu’elle est passée dans une exposition comme “attribuée à Léonard”... et certains sont même allés jusqu’à dire que la Joconde de Vernon est l’original et la copie du Louvre !
Parmi les copies de meilleure qualité, telles qu’elles ressortent d’une étude du tableau réalisée en 2005, figure la "Mona Lisa Reynolds", ainsi appelée parce qu’elle faisait partie de la collection du grand peintre anglais Joshua Reynolds (Plympton, 1723 - Londres, 1792): l’artiste l’a acquise en 1790 auprès de Francis Osborne, 5e duc de Leeds, probablement en échange d’un portrait. La Joconde de Reynolds est censée être plus jeune d’un siècle que l’original du Louvre (bien que Reynolds ait été convaincu d’avoir entre les mains une œuvre de Léonard), elle est attribuée à un artiste français anonyme (en fait, elle proviendrait de France, ou du moins d’Europe du Nord): selon des examens effectués en 2005, les matériaux utilisés par le copiste anonyme sont ceux qui étaient utilisés en Europe du Nord à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle), et est en meilleur état de conservation que la Joconde du Louvre: les couleurs dans lesquelles elle est présentée peuvent donc nous donner une idée supplémentaire de ce qu’était à l’origine la Joconde de Paris. En revanche, une Joconde provenant d’une collection privée et mise aux enchères chez Sotheby’s en 2019, s’est vendue pour un résultat extraordinaire: 1,695 million de dollars (une somme exceptionnelle pour un artiste anonyme !), contre une estimation initiale de 80-120 000 dollars. Contrairement à la Joconde de Vernon et à la Joconde de Reynolds, celle-ci ne comporte pas de colonnes, mais au niveau du visage et du paysage, elle est plus proche de l’original, au point d’être considérée comme l’une des copies de la plus haute qualité: il pourrait d’ailleurs s’agir d’une copie de provenance italienne, puisqu’elle aurait appartenu à la noble famille des Pistoiese de Pistoj. En revanche, la copie du Walters Art Museum de Baltimore, apparue sur le marché au début du XXe siècle, n’est pas de la même qualité: les colonnes y reviennent et le copiste, un autre artiste anonyme du XVIIe siècle, tente à nouveau d’imiter le sfumato de Léonard, mais les résultats sont médiocres et le visage de la Joconde semble presque vieilli. Des colonnes apparaissent également dans la copie de Saint-Pétersbourg, une autre version du XVIIe siècle.
Une copie à l’histoire curieuse est celle conservée au musée des Beaux-Arts de Quimper, ville côtière de Bretagne: œuvre d’un copiste italien du XVIe siècle, elle est très semblable à la Joconde du Louvre (bien que plus étroite sur les côtés, elle présente les mêmes signes du temps sur la surface et les ombres imitent bien celles du maître), ce qui explique que les autorités françaises aient pensé à l’exposer au Louvre en 1911, immédiatement après le vol de la Joconde originale par le peintre italien Vincenzo Peruggia. L’objectif était de dissimuler le fait au public, mais l’hypothèse s’est immédiatement effondrée car les journaux ont immédiatement rapporté le vol. Pour rester en Italie, la Joconde dite de Torlonia, connue sous ce nom parce qu’elle a appartenu aux collections de la noble famille romaine, a fait l’objet de discussions lors des célébrations de la fête de Léonard en 2019: Propriété de la Gallerie Nazionali di Arte Antica (Galeries nationales d’art antique), elle était en dépôt depuis 1925 à la Camera dei Deputati (Chambre des députés) et tout le monde l’avait oubliée, jusqu’à ce que, à l’occasion du 500e anniversaire, le sénateur Stefano Candiani prenne connaissance du panneau et, après l’avoir fait analyser et restaurer, souhaite la faire figurer dans une exposition, qui s’est tenue à la Villa Farnesina du 3 octobre 2019 au 13 janvier 2020, et où d’autres pièces de l’envergure de Léonard étaient exposées. À l’occasion de l’exposition à la Farnesina, l’œuvre s’est vu attribuer une date du XVIe siècle et a été attribuée à un peintre inconnu du cercle de Léonard de Vinci (dans le catalogue du Palazzo Barberini publié en 2008, elle était attribuée, quoique de manière douteuse, à Bernardino Luini, sur la base d’un rapport du XIXe siècle qui, cependant, n’était plus reflété dans les inventaires de Torlonia). D’autres exemplaires de qualité sont conservés au Walker Art Museum de Liverpool et à l’Alte Pinakothek de Munich.
Philippe de Champaigne (?), Mona Lisa (XVIIe siècle ; Oslo, Nasjonalmuseet) |
Anonyme du XVIe siècle, Mona Lisa (XVIe siècle ; Vernon Collection) |
Anonyme français du XVIe siècle, Mona Lisa connue sous le nom de Mona Lisa Reynolds (XVIe siècle ; collection privée) |
Anonyme français du XVIIe siècle, Mona Lisa (XVIIe siècle ; huile sur panneau, 73,5 x 53,3 cm ; collection privée). Vendue aux enchères par Sotheby’s en 2019. |
Anonyme du XVIIe siècle, Mona Lisa (vers 1635-1660 ; huile sur toile, 79,3 x 63,5 cm ; Baltimore, Walters Museum of Art) |
Anonyme du XVIIe siècle, Mona Lisa (XVIIe siècle ; huile sur panneau ; Saint-Pétersbourg, collection privée) |
Anonyme du XVIIe siècle, Mona Lisa (XVIe siècle ; huile sur toile, 73 x 58 cm ; Quimper, Musée des Beaux-Arts) |
Cercle de Léonard de Vinci, Mona Lisa dite Mona Lisa Torlonia (XVIe siècle ; huile sur panneau ; Rome, Gallerie Nazionali d’Arte Antica, Palazzo Barberini) |
Anonyme du 17e ou du 18e siècle, Mona Lisa (17e-18e siècle ; huile sur toile, 80,2 x 58,6 cm ; Munich, Alte Pinakothek) |
Anonyme du XVIIe siècle, Mona Lisa (XVIIe siècle ; huile sur panneau, 82 x 56,5 cm ; Liverpool, Walker Art Gallery) |
En conclusion, il est nécessaire de souligner que, bien que l’on ait tenté d’attribuer plusieurs copies à Léonard de Vinci, aucune d’entre elles n’ est actuellement attribuée avec conviction à sa main, et dans les quelques cas où l’on s’obstine encore à attribuer une certaine copie au maître, il s’agit toujours de positions le plus souvent isolées et qui ne bénéficient pas du soutien de la majorité de la communauté scientifique. Toutes les copies en circulation et toutes les variantes de la Joconde que nous connaissons actuellement sont donc soit l’œuvre d’artistes du cercle de Léonard (mais même dans ce cas, établir les noms des auteurs est souvent une tâche très difficile), soit de copistes dont nous ne connaissons pas l’identité. Ainsi, si en visitant un musée autre que le Louvre, on tombe sur une Mona Lisa.... on peut être certain qu’il ne s’agit pas de l’œuvre de Léonard de Vinci. Ensuite, comme nous l’avons vu, les documents semblent suggérer que Léonard lui-même a peint au moins deux “Joconde”... mais il s’agit de théories qui ne sont pas encore étayées par des preuves. Il est donc fort probable que la Joconde du Louvre restera encore longtemps la seule où le génie de Léonard pourra être véritablement reconnu.
Bibliographie indispensable
Avertissement : la traduction en français de l'article original italien a été réalisée à l'aide d'outils automatiques. Nous nous engageons à réviser tous les articles, mais nous ne garantissons pas l'absence totale d'inexactitudes dans la traduction dues au programme. Vous pouvez trouver l'original en cliquant sur le bouton ITA. Si vous trouvez une erreur,veuillez nous contacter.