Un monde visionnaire incroyable: les illustrations de Botticelli pour la Divine Comédie


À la fin du XVe siècle, Sandro Botticelli réalise plusieurs dessins pour illustrer la Divine Comédie de Dante. Ils font partie des œuvres les moins connues du grand artiste florentin, mais ils nous restituent toute sa puissance visionnaire.

Le Kupferstichkabinett de Berlin et la Bibliothèque du Vatican conservent 92 dessins illustrant un texte manuscrit de la Commedia de Dante Alighieri (Florence, 1265 - Ravenne, 1321). Ces dessins ont été commandés à Sandro Botticelli (Florence, 1445 - 1510) par Lorenzo di Pier Francesco de’ Medici (Florence, 1463 - 1503), cousin de Laurent le Magnifique. C’est à ce membre de la famille Médicis que l’on doit certaines des œuvres les plus connues du peintre florentin: la Primavera, la Naissance de Vénus et Pallas et le Centaure. Par rapport aux œuvres à thème mythologique que nous venons d’évoquer et qui sont devenues des symboles universels de la peinture italienne de la Renaissance, les dessins de la Commedia sont souvent restés dans l’ombre au sein de la production de Botticelli. En effet, en 1632, le manuscrit est déjà démembré. Les sept feuillets sont actuellement conservés à la Bibliothèque du Vatican. Ils sont arrivés à Rome avec la bibliothèque de Christine de Suède: ils avaient été achetés en son nom en 1650 par son bibliothécaire, Isaac Vossius. À la mort de la reine, ils sont passés au cardinal Pompeo Azzolini et ont ensuite été achetés par le futur pape Alexandre VIII. En ce qui concerne les 85 dessins de Berlin, nous savons qu’en 1803, ils se trouvaient à Paris chez un libraire d’origine italienne, Giovanni Claudio Molini. Avant février 1819, ils furent achetés par Alexander Douglas, qui allait devenir le dixième duc de Hamilton. En 1882, il fallut vendre chez Sotheby’s les manuscrits conservés à Hamilton Palace. Friedrich Lippmann, directeur du Cabinet royal des estampes à Berlin, réussit à faire échouer la vente publique afin de gagner du temps et d’acheter cette collection, qui comprenait également les dessins du Dante de Botticelli, pour sa propre institution.

Il existe peu de références à ces dessins dans les sources anciennes. Dans l’Anonimo Gaddiano ou Anonimo Magliabechiano (Codex Magliabechiano XVII, Bibliothèque nationale de Florence), nous trouvons l’indication suivante: “Il a peint et raconté un Dante en carton-pâte à Lorenzo di Pierfrancesco de’ Medici, qui a été merveilleusement conservé”. Le jugement, ici résolument positif, change de connotation dans l’œuvre de Giorgio Vasari qui, se référant à certains dessins de Botticelli sur le thème de Dante, écrit: “Où, pour être un sophiste, il commenta une partie de Dante, et figura l’Enfer et le mit sous presse, derrière lequel il consuma beaucoup de temps ; pour lequel, ne travaillant pas, fut la cause d’infinis désordres dans sa vie”. On trouve également une référence chez Filippo Baldinucci, qui s’appuie essentiellement sur les propos de Vasari. Il n’est pas possible d’affirmer avec certitude que Vasari se référait à ces dessins ; en effet, seule l’exécution des dessins relatifs à la première cantica,Inferno, est indiquée. Il est donc probable qu’il ne se réfère pas à cette série, dans laquelle les trois cantiques sont présents, mais plutôt à la première occasion où le peintre florentin s’est essayé à représenter le texte de Dante. Il s’agit des illustrations qui devaient accompagner l’édition de 1481 publiée à Florence par Niccolò della Magna avec l’important commentaire de Cristoforo Landino, qui défendait la figure de Dante en tant que poète en langue vernaculaire au sein de la culture néo-platonicienne, dominante à l’époque. Il s’agit de la première Commedia imprimée accompagnée d’images. De ces illustrations, il ne reste que dix-neuf gravures de Botticelli exécutées par Baccio Baldini (Florence, 1436 - 1487), qui ne couvrent que l’Enfer.



Baccio Baldini (d'après un dessin de Sandro Botticelli), Dante menacé par les bêtes est sauvé par Virgile (1481 ; burin ; Florence, Biblioteca Riccardiana)
Baccio Baldini (sur un dessin de Sandro Botticelli), Dante menacé par les bêtes est sauvé par Virgile (1481 ; burin ; Florence, Biblioteca Riccardiana)


Sandro Botticelli, La Voragine infernale, d'après les dessins pour la Divine Comédie (vers 1481-1495 ; pointe d'argent et encre sur parchemin, 325 x 475 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)
Sandro Botticelli, La Voragine infernale, d’après les dessins pour la Divine Comédie (v. 1481-1495 ; pointe d’argent et encre sur parchemin, 325 x 475 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)


Sandro Botticelli, La Voragine infernale, d'après les dessins pour la Divine Comédie, détail
Sandro Botticelli, Le gouffre infernal, d’après les dessins pour la Divine Comédie, détail


Sandro Botticelli, Inferno X (1481-1495 ; pointe d'argent, encre et plume sur parchemin ; Cité du Vatican, Bibliothèque du Vatican)
Sandro Botticelli, Inferno X (1481-1495 ; pointe d’argent, encre et plume sur parchemin ; Cité du Vatican, Bibliothèque du Vatican)

Le manuscrit commandé par Lorenzo di Pier Francesco de’ Medici a été conçu pour être consulté de bas en haut. Le texte complet de chaque canto était contenu sur une seule page, orientée horizontalement et divisée en quatre colonnes, et était écrit à la plume et à l’encre. Sur chaque page, on peut observer l’absence de la lettre initiale du canto, parce qu’il était censé être enluminé, et du premier verset, parce qu’il était écrit en caractères de couleur. Le calligraphe chargé de la rédaction de ce texte était le presbytre Nicola Mangona, l’un des plus renommés et des plus compétents de Florence à l’époque. Malgré l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles en Occident en 1455, de nombreux miniaturistes et calligraphes travaillaient encore pour de grands mécènes tels que Mattia Corvino, Federico da Montefeltro et Laurent le Magnifique.

Dès le début, ces dessins ont donc été conçus pour accompagner le texte poétique. On peut considérer qu’il s’agit d’une série inachevée, car les dessins devaient être complétés par des couleurs et seuls quatre de ceux qui ont été conservés le sont. Il n’est pas possible de savoir si Botticelli était également responsable de la rédaction de la couleur ou si ce travail a été confié à un autre exécutant. Le dessin pur, dans la plupart des cas, est réalisé avec une pointe d’argent et retouché à la plume.

Bien que, pour des raisons pratiques évidentes, les dessins soient réalisés sur des feuilles séparées, ils sont conçus comme une unité, et non séparés les uns des autres. Sur le frontispice du manuscrit figure la seule miniature achevée représentant le gouffre infernal créé par la chute du Paradis de Lucifer, que l’on reconnaît coincé dans le lac gelé Cocito, à l’extrémité du royaume infernal, en forme d’entonnoir inversé. Botticelli nous offre une vision générale de l’enfer qui peut aider le lecteur à s’orienter par rapport à la géographie de ce royaume de l’au-delà.

Il faut se rallier au jugement de l’Anonimo Magliabechiano et constater que cette série de dessins est vraiment merveilleuse. Les mots de Dante permettent à Botticelli de nous livrer par l’image un monde visionnaire incroyable. Surtout pour l’Enfer et le Purgatoire, Botticelli remplit la page de figures et de détails dans lesquels on peut se perdre. Le peintre met l’accent sur le voyage, non seulement le voyage physique, mais surtout la métamorphose intérieure que Dante effectue à travers les trois royaumes de l’au-delà. C’est également pour cette raison que Botticelli choisit pour chaque canto non seulement de représenter un épisode spécifique, comme la rencontre avec un damné ou un pénitent, mais aussi de traverser toute l’histoire à travers la réitération du protagoniste Dante, portant le manteau rouge, et de son guide Virgile, portant le manteau bleu. Dès le dessin du premier canto de l’Enfer, il est possible de saisir cette approche: en effet, pour chacune des trois bêtes rencontrées lors de la sortie de la forêt obscure, il y a un Dante “différent”, chez qui il est possible de saisir des réactions et des états d’esprit différents face au lion, au lion et à la louve. L’effet obtenu n’est donc pas seulement celui d’une subdivision spatiale, mais aussi d’un balayage émotionnel. En faisant défiler les images de l’Enfer, on se rend compte que la composition est surchargée de personnages, mais comme nous l’avons dit plus haut, aucun personnage ou histoire spécifique n’émerge, comme c’est le cas dans le texte poétique. Botticelli ne ménage pas ses efforts pour représenter les tourments et les atrocités de l’Enfer, caractéristiques qui, comme dans le texte, le rendent terrible et, en même temps, fascinant. Dans certains dessins de la première cantica, l’espace vide est presque totalement absent, alors qu’il augmentera dans les compositions du Purgatoire et prédominera dans les représentations du Paradis.

Sandro Botticelli, Inferno XIX (1481-1495 ; pointe d'argent, encre et plume sur parchemin, 320 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)
Sandro Botticelli, Inferno XIX (1481-1495 ; pointe d’argent, encre et plume sur parchemin, 320 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)


Sandro Botticelli, Inferno XXII (1481-1495 ; pointe d'argent, encre et plume sur parchemin, 322 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)
Sandro Botticelli, Inferno XXII (1481-1495 ; pointe d’argent, encre et plume sur parchemin, 322 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)


Sandro Botticelli, Inferno XXVIII (1481-1495 ; pointe d'argent, encre et plume sur parchemin, 320 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)
Sandro Botticelli, Inferno XXVIII (1481-1495 ; pointe d’argent, encre et plume sur parchemin, 320 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)


Sandro Botticelli, Inferno XXXIV (1481-1495 ; pointe d'argent, encre et plume sur parchemin, 322 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)
Sandro Botticelli, Inferno XXXIV (1481-1495 ; pointe d’argent, encre et plume sur parchemin, 322 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)


Sandro Botticelli, Purgatorio I (1481-1495 ; pointe d'argent, encre et plume sur parchemin, 323 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)
Sandro Botticelli, Purgatorio I (1481-1495 ; pointe d’argent, encre et plume sur parchemin, 323 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)


Sandro Botticelli, Purgatorio X (1481-1495 ; pointe d'argent, encre et plume sur parchemin, 322 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)
Sandro Botticelli, Purgatorio X (1481-1495 ; pointe d’argent, encre et plume sur parchemin, 322 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)


Sandro Botticelli, Purgatorio XV (1481-1495 ; pointe d'argent, encre et plume sur parchemin, 321 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)
Sandro Botticelli, Purgatorio XV (1481-1495 ; pointe d’argent, encre et plume sur parchemin, 321 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)


Sandro Botticelli, Purgatorio XXVIII (1481-1495 ; pointe d'argent, encre et plume sur parchemin, 322 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)
Sandro Botticelli, Purgatorio XXVIII (1481-1495 ; pointe d’argent, encre et plume sur parchemin, 322 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)


Sandro Botticelli, Purgatorio XXVIII (1481-1495 ; pointe d'argent, encre et plume sur parchemin, 322 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)
Sandro Botticelli, Purgatorio XXVIII (1481-1495 ; pointe d’argent, encre et plume sur parchemin, 322 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)


Sandro Botticelli, Paradis I (1481-1495 ; pointe d'argent, encre et plume sur parchemin, 321 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)
Sandro Botticelli, Paradis I (1481-1495 ; pointe d’argent, encre et plume sur parchemin, 321 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)


Sandro Botticelli, Paradis IX (1481-1495 ; pointe d'argent, encre et plume sur parchemin, 322 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)
Sandro Botticelli, Paradis IX (1481-1495 ; pointe d’argent, encre et plume sur parchemin, 322 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)


Sandro Botticelli, Paradiso XXVIII (1481-1495 ; pointe d'argent, encre et plume sur parchemin, 321 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)
Sandro Botticelli, Paradiso XXVIII (1481-1495 ; pointe d’argent, encre et plume sur parchemin, 321 x 470 mm ; Berlin, Kupferstichkabinett)

À travers ses images, Botticelli met en scène le chaos infernal opposé à l’harmonie divine. L’artiste n’hésite pas à dépeindre les détails les plus horribles de l’enfer: c’est le cas dans le chant XXVIII, où se trouvent les semeurs de discorde, dans lequel Dante lui-même déclare que tout langage serait insuffisant pour dépeindre ce qu’il a vu. Par contrepoint, les damnés sont soit déchirés en deux, soit privés de certaines parties de leur corps, et dans le dessin de Botticelli, ce sont précisément ces détails qui sont reproduits. Pour parvenir à un tel résultat, d’une grande fidélité au texte, il faut supposer que Botticelli a lu en profondeur la Commedia de Dante. Dans le Purgatorio, la composition est moins chaotique, mais la réitération de Dante et de Virgile demeure. Dans le Paradis, l’artiste change clairement d’approche: l’attention se porte entièrement sur Dante et son nouveau guide, Béatrice. Ils sont presque toujours représentés seuls, insérés dans un cercle indiquant le ciel dans lequel ils passent. Par rapport aux cantiques précédents, il n’y a pas de références topographiques, un élément fondamental de la construction de l’Inferno et du Purgatorio, et la représentation est ainsi rendue éthérée. Les dialogues intenses et complexes du Paradis de Dante sont ici rendus par une interaction profonde entre Dante et Béatrice. Botticelli dessine Béatrice avec la grâce et l’élégance qui caractérisent ses figures féminines les plus célèbres, qu’elles appartiennent à la sphère mythologique, comme Vénus ou Flore, ou à la sphère religieuse, dans ses représentations de la Madone.

En ce qui concerne la chronologie, il n’est pas possible d’établir une date exacte, mais on peut prendre quelques repères temporels. Le terme ante quem est 1503, année de la mort du commanditaire. Il faut également tenir compte du fait que le premier groupe de dessins ayant pour thème Dante est destiné à la Commedia commentata da Landino publiée en 1481 ; en outre, Botticelli se trouvait à Rome en 1481-82, occupé à la décoration de la chapelle Sixtine. Il semble raisonnable, également sur la base de certaines considérations sur l’orthographe du texte, de penser à une réalisation au cours des années 1490 pour ce manuscrit qui voit deux illustres Florentins côte à côte. Ils ont vécu dans une Florence profondément différente: le poète immergé et protagoniste dans la civilisation communale, au milieu des luttes des Guelfes et des Gibelins, le peintre dans la Florence aristocratique de Laurent de Médicis.


Avertissement : la traduction en français de l'article original italien a été réalisée à l'aide d'outils automatiques. Nous nous engageons à réviser tous les articles, mais nous ne garantissons pas l'absence totale d'inexactitudes dans la traduction dues au programme. Vous pouvez trouver l'original en cliquant sur le bouton ITA. Si vous trouvez une erreur,veuillez nous contacter.