Un ajout pour Bernardino Detti, peintre de Pistoia (1498-1572)


Gigetta Dalli Regoli propose une nouvelle attribution pour le peintre pistois Bernardino Detti, actif au XVIe siècle.

J’ai toujours regardé avec intérêt le grand panneau du Museo Civico de Pistoia qui témoigne de l’activité d’un artiste singulier et fascinant qui fut Bernardino Detti: la Madone de l’humilité avec les saints Barthélemy, Jacopo et Giovannino (fig. 1). L’œuvre, paraphée BDP, apparaît dans plusieurs documents qui en précisent la commande, la destination et la date: elle a été commandée en 1523 par la Pia Casa di Sapienza pour la chapelle de l’Oratoire de la Spedale dei Santi Jacopo e Filippo alla Pergola à Pistoia, et le peintre avait vingt-cinq ans à l’époque1.

J’interviens dans le cadre d’un problème critique dense et complexe uniquement pour proposer un petit ajout qui nécessite une clarification marginale. J’ai suivi les résultats positifs obtenus par les critiques, en particulier Chiara D’Afflitto et Alessandro Nesi2, dont les contributions ont permis de reconstruire un maigre catalogue autour du nom de Bernardino: grâce à ces études, l’œuvre clé du peintre, aujourd’hui connue sous le nom de Pala della Pergola, peut être lue dans son sens le plus général, ainsi que dans ses nombreuses composantes mineures, même si certaines questions restent ouvertes.



Il est probable qu’elle représente le témoignage figuratif d’un événement lié à un enfant (maladie, guérison, perte?), réalisé dans l’intention d’évoquer la vie de l’enfant.), réalisé dans l’intention d’évoquer le thème de la fragilité de l’enfance et de sa protection en rappelant les coutumes et les rituels du territoire des Pistoiese: en introduisant des figures et des cultes locaux bien caractérisés (Notre-Dame de l’Humilité3, Saint Barthélemy protecteur des enfants et titulaire de la Pia Casa di Sapienza, Saint Jacopo, patron de la ville auquel un hôpital a été donné), des amulettes et d’autres éléments chargés de références symboliques ; des bibelots et des langes pour les nouveau-nés, des fruits, des herbes, des fleurs et des objets qui qualifiaient Pistoia comme un lieu de repos important pour les pèlerins et les voyageurs.

Dans le passé, j’ai essayé de déchiffrer certaines de ces présences intrigantes (la touffe de fleurs et de fruits, les herbes éparpillées sur le sol)4 mais je n’ai pas poursuivi la recherche, que d’autres ont plutôt menée à bien, en restituant au retable les lignes d’un programme iconographique très articulé.

Par rapport à ce qui a déjà été dit, il convient peut-être de souligner encore une fois le caractère scénographique marqué des principales œuvres de l’artiste, qu’il faut considérer en tenant compte de la présence à Pistoia d’une forte tradition liée au spectacle5, et de l’absence de scrupules de Bernardino à combiner les personnes et les choses, en imposant même des parcours de vision et d’interprétation inhabituels.

Dans le retable de la Pergola, les protagonistes, situés dans un édifice monumental, sont au premier plan et plusieurs d’entre eux interagissent individuellement avec l’observateur: saint Barthélemy avec un geste agressif qui exhibe le couteau6, saint Jacob avec le visage tourné vers l’extérieur7, ainsi que l’Enfant Jésus qui, avec une physionomie d’adulte, dirige son regard intense vers le spectateur (fig. 3) ; pénétrant au cœur de l’âme de l’artiste, le retable de la Pergola est un exemple de la façon dont Bernardino a su combiner les personnages et les choses, jusqu’à imposer des parcours de vision et d’interprétation inhabituels.) ; au cœur de la structure compositionnelle, mais sans se tourner vers nous, se trouvent saint Jean, qui fait irruption par la droite, et un ange qui arrive par le haut (fig. 19, 20): le premier offre à l’Enfant les signes de sa propre identité (croix et Agnus dei), une corne, une rose, un brin de corail8, le second une couronne pour la Mère et un chardonneret apprivoisé pour le Fils. Dans la zone centrale encombrée, le peintre passe d’une approche illusoire de l’observateur (la mouche sur le bras de l’Enfant9) à un enfoncement soudain du spectateur, où s’ouvre un canal montrant un spectacle dans le spectacle: une mise en scène élaborée du Jugement de Salomon qui, à travers la sagesse du roi biblique, fait allusion au commissaire (la Pieuse Maison de la Sagesse, fig. 4) ; à mon avis, cependant, ce n’est pas le cas de l’œuvre de l’artiste.) ; à mon avis, cependant, l’espace accordé à la confrontation entre les deux mères introduit également une référence au thème de l’amour maternel. Avec un autre changement de direction, l’ange au-dessus de l’action théâtrale traverse l’espace et se projette vers l’extérieur, et le fort raccourcissement de la figure papillonnante semble trahir une citation des peintures plus novatrices de Rosso Fiorentino vers 1520(Madones de l’Ermitage et de Los Angeles)10.


1. Bernardino Detti, Vierge de l'humilité et des saints (Pala della Pergola) (Pistoia, Museo Civico. Par concession de la municipalité de Pistoia)



2. Bernardino Detti, Vierge de l'humilité et des saints, détail
2. Bernardino Detti, Madone de l’humilité et des saints, détail


3. Bernardino Detti, Madone de l'humilité et des saints, détail, Madone à l'enfant
3. Bernardino Detti, Madone de l’humilité et des saints, détail, Madone à l’enfant


4. Bernardino Detti, Madone de l'humilité et des saints, détail, Jugement de Salomon
4. Bernardino Detti, Madone de l’Humilité et des Saints, détail, Jugement de Salomon

L’autre témoignage décisif de Bernardino, le retable du château royal du Wawel à Cracovie, se présente comme un “tableau vivant” également lié à la liturgie et au culte enracinés à Pistoia11 (fig. 5). Un échafaudage idéal en gradins soutient le plan de la composition, où la vision, progressant en profondeur, passe du rez-de-chaussée au sommet, de la statique solide de la base au tourbillon fluide qui voit la Vierge en gloire avec son enfant sur les genoux au milieu d’anges qui volent en déployant un drapé précieux12. Il s’agit d’une grande machine théâtrale, où les personnages placés sur les côtés sont proposés comme supports explicites d’un parcours de lecture doté d’une “entrée” et d’une “sortie” (fig.9): à gauche saint Jacob placé de dos et Madeleine montrant la jarre d’onguents, à droite Catherine, qui de sa main bénissante rejoint le groupe divin, tandis que de son bras près du corps elle les invite à descendre vers saint Barthélemy ; ici, par un véritable coup de théâtre, le bras écorché du saint facilite la reconnaissance et oriente en même temps l’observateur vers le centre, où siège saint Zénon, qui a donné son nom à la cathédrale et qui était aussi le patron des meuniers, comme le rappelle le pain que le saint évêque tient dans sa main droite: un pain semblable à celui d’aujourd’hui, mais qui fait également référence à la nourriture eucharistique. Une palette de couleurs vives, également basée sur le contraste entre l’avers et le revers des tissus, accentue le caractère spectaculaire de l’image.

Il n’existe que deux portraits reconnus comme étant ceux de Bernardino (New York, Metropolitan Museum, Londres, Wallace collection)13 et dans les deux cas, la disposition stratégique des objets entourant les deux protagonistes révèle le goût raffiné et la culture d’un directeur de haut rang: des instruments de musique, des parchemins, des livres, un encrier, et même des armes, des fragments archéologiques, une pièce de monnaie ou une médaille, un chien de race et des robes précieuses qualifient les deux hommes comme des personnages de haut rang social, des “gentilshommes” et des intellectuels.

Dans le cadre de l’exposition consacrée à l’âge de Savonarole, le retable de Pergola et son auteur semblaient constituer un épisode isolé, même si d’une importance absolue, alors que le catalogue, et plus tard, mettait en évidence un réseau de relations qui a vu Detti recevoir des commandes pour des œuvres importantes (difficiles à faire correspondre à la réalité concrète en raison des pertes et des dispersions). Les traces d’autres lieux et d’autres travaux que Detti a réalisés dans le cadre de son activité artistique sont très importantes, car elles permettent de mieux comprendre la réalité concrète (en raison des pertes et des dispersions), mais aussi de se consacrer à des travaux d’engagement limité (décoration, ameublement, restauration) en faisant appel à des collaborateurs, et à des activités sans rapport avec la production artistique. Les traces d’autres lieux et œuvres susceptibles de conserver des témoignages de Detti ont été minutieusement recueillies et commentées par Alessandro Nesi ; en ce qui concerne le profil qui en résulte, le cas qui peut offrir des possibilités d’approfondissement est un tableau d’une collection privée que je ne connais pas directement et que Nesi lui-même a fait connaître à la suite d’une recommandation d’Andrea De Marchi14: le titre de l’œuvre, Sacra Allegoria, indique en lui-même une certaine incertitude, que Nesi s’est proposé de résoudre en esquissant l’hypothèse qu’une variante du thème de l’Immaculée Conception est proposée dans l’image. Je suis certain que Nesi lui-même continuera à travailler sur l’iconographie de la peinture, qui est de très grande qualité, mais qui pose de multiples questions quant à l’identification et au rôle des différents personnages.


5. Bernardino Detti, Vierge à l'enfant avec des anges et des saints (Retable de Wawel) (Cracovie, château de Wawel)
5. Bernardino Detti, Vierge à l’enfant avec des anges et des saints (Retable de Wawel) (Cracovie, château de Wawel)



6. Bernardino Detti, Vierge à l'enfant avec des anges et des saints (retable du Wawel), détail
6. Bernardino Detti, Vierge à l’enfant avec anges et saints (Retable du Wawel), détail


7 e 8. Bernardino Detti, Vierge à l'enfant avec des anges et des saints (retable du Wawel), détail de Madeleine et Catherine
7 e 8. Bernardino Detti, Vierge à l’enfant avec anges et saints (retable du Wawel), détail de Madeleine et Catherine


9. Bernardino Detti, Vierge à l'enfant avec des anges et des saints (retable du Wawel), détail de saint Zénon
9. Bernardino Detti, Vierge à l’enfant avec anges et saints (retable du Wawel), détail de saint Zénon.

Je quitte cependant le thème plus général de la personnalité de l’artiste pour en venir à la proposition concrète qui fait l’objet de cette brève intervention.

J’avais perdu de vue les problèmes relatifs aux nouveautés et aux contradictions de Bernardino Detti, lorsque mon intérêt pour la personnalité du peintre pistois s’est réveillé face à une affaire qui a surgi sans fracas dans le cadre d’une exposition et d’un colloque.dans le cadre d’une belle exposition et d’un catalogue riche en contributions stimulantes consacrées aux “faux” ; ce terme englobe non seulement les contrefaçons explicites, mais aussi les remakes, les transpositions et la casuistique bigarrée du réemploi: Primitifs Italiens, le vrai, le faux, la fortune critique15, Ajaccio 2012).

Ce n’est qu’après une deuxième ou troisième lecture du vaste catalogue que j’ai arrêté mon attention sur un polyptyque composite, un pastiche singulier conservé aujourd’hui à Lyon, dans la chapelle du Centre Saint-Marc des Pères Jésuites, dans lequel ont été réunis des éléments des XIVe et XVe siècles (fig. 10): non seulement des peintures, puisque même le cadre en argent semble provenir d’un savant assemblage de fragments originaux et de pièces de date plus récente. Il s’agit d’une structure imposante (219 x 140 cm) dans laquelle des fragments de la fin du Moyen Âge et de l’époque moderne sont associés, et qui est dans l’ensemble élégante malgré son aspect très hétérogène.

Dans le cadre en bois se trouvent six peintures datant de la fin du 14e au début du 16e siècle. Au centre, en bas, se trouve une Crucifixion, attribuée à Simone de’ Crocifissi ; sur les côtés, deux fragments avec des groupes de dévots en bas, et en haut, deux saintes (Sainte Brigide et Sainte Catherine), peut-être de l’école ombrienne. Je n’ai pas de raison de commenter les cinq petites peintures, mais je pense pouvoir ajouter quelques observations concernant le panneau central.

Il s’agit d’une Vierge à l’Enfant entre deux anges, partiellement altérée par un repeint16 et par une réduction du panneau sur les côtés (fig. 12): l’image comprenait sûrement au moins deux autres anges dont il ne reste qu’une faible trace. L’œuvre, inédite jusqu’à l’exposition de 2012, a été considérée par certains chercheurs, mais ces opinions ont été exprimées verbalement, avec des oscillations entre peinture romagnole et peinture de la région de Lucques. La seconde option a prévalu dans le catalogue de l’exposition d’Ajaccio, et le nom de Michele Angelo di Pietro da Lucca, d’une famille originaire de Pistoia, a été accepté comme auteur de la peinture, malgré les variantes présentes dans le débat historico-critique et la différence d’opinion entre deux chercheurs, tous deux faisant autorité et spécifiquement compétents: Everett Fahy, qui a confirmé la référence à Michele Angelo, et Maria Teresa Filieri, qui a exprimé des doutes, rejetant pratiquement l’attribution17.


10. Polyptyque, composition d'éléments de différentes époques (Lyon, Chapelle du Collège des Jésuites - Centre Saint-Marc)
10. Polyptyque, composition d’éléments d’époques différentes (Lyon, Chapelle du Collège des Jésuites - Centre Saint-Marc).



11. Pala della Pergola, détail. 12. Polyptyque de Lyon, détail de la Vierge à l'enfant avec les anges.
11. Retable de la Pergola, détail. 12. polyptyque de Lyon, détail de la Vierge à l’Enfant avec les anges


13. Retable de la Pergola, détail. 14) Polyptyque de Lyon, détail. 15. Bernardino Detti, Sacra Allegoria, détail (Florence, collection privée)
13. Retable de la Pergola, détail. 14. polyptyque de Lyon, détail. 15. Bernardino Detti, Sacra Allegoria, détail (Florence, collection privée)

J’ai consacré plus d’un essai à la peinture à Lucques dans la seconde moitié du XVe siècle, et surtout à la personnalité de Michele Angelo18, j’interviens donc sur ce sujet pour confirmer la position de mon amie Teresa Filieri, en écartant l’attribution du tableau lyonnais au peintre lucquois. Toutefois, les alternatives exprimées par les critiques (peinture romagnole, peinture lucquoise) ont une certaine justification: dans le style de Michele Angelo, bien qu’il ait un fond florentin, émergent une veine subtile d’un autre signe et une tendance à la discontinuité qui voit des moments d’excellence (par exemple certains portraits de tête) émerger à l’intérieur de structures compositionnelles d’un tracé traditionnel. Un fil ténu qui, face aux questions posées par le jury de Lyon, m’a conduit à me diriger vers Pistoia, vers un environnement où la localisation dans un contexte proche des voies de communication qui sillonnent les cols de l’Apennin a favorisé de multiples opportunités d’échanges entre différentes écoles19. En définitive, cette “altérité” qui caractérise certains aspects de l’œuvre de Michele Angelo a rappelé à mon esprit cette excentricité qui marque les témoignages d’un artiste aussi insaisissable et difficile que Detti.

La formation de Bernardino est sans aucun doute liée à la culture figurative de la Florence du début du XVIe siècle, avec une référence particulière à Fra Bartolomeo, Piero di Cosimo, Andrea del Sarto et aux autres protagonistes de l’atelier de la Manière20. Dans certains témoignages de son activité, on peut également saisir les nuances d’un style de transition, les déviations par rapport à la tradition de la fin du XVe siècle et les ouvertures vers les points d’extravagance manifestés par les promoteurs de l’atelier. Emblématique est le saint Jean assis au centre du retable du Wawel (fig.6): la petite figure qui se tord et lève un bras est l’une des nombreuses interprétations du célèbre module du contrapposto, ici lié à une formule de Fra Bartolomeo répliquée sous diverses formes et en divers lieux, y compris à Pistoia par Scalabrino (retable de Cutigliano), et également présente dans l’orbite d’un peintre à l’empreinte “marginale” comme Zacchia da Vezzano.

J’ajouterais que D’Afflitto a insisté à juste titre sur l’empreinte révélatrice de certaines solutions de Detti, évoquant Dürer et le graphisme transalpin21; j’ajouterais aussi que les draperies envahissantes (manteaux, draperies) où les draperies sont intentionnellement modelées avec un effet “abstrait” s’inscrivent dans la même perspective: Je pense aux manteaux de saint Jacob (retable du Wawel) et de la Vierge assise au sol (retable de la Pergola), cette dernière étant froissée comme un fragment de tôle (fig.11) ; dans le même retable, je remarque également le somptueux manteau de saint Barthélemy, qui devait faire écho à la trame de vêtements liturgiques tout aussi splendides. Autant d’éléments qui confirment la prédisposition de l’artiste à la digression et à l’artifice, et son détachement des courants stylistiques conventionnels.

Les chercheurs qui ont analysé l’œuvre des Pistoiese et la documentation correspondante ont souligné à maintes reprises les doutes et les contradictions qui se dégagent d’un profil que l’on peut néanmoins considérer comme fiable aujourd’hui. Au-delà des pertes considérables qui ont compromis une reconstruction articulée de son ardeur au travail, les données d’archives révèlent un personnage qui acceptait des missions plus ou moins importantes et qui éprouvait peut-être une certaine impatience à l’égard du travail à effectuer en personne: pour Bernardino, fils d’un homme influent et appartenant à une famille de haut rang social, le travail manuel ne devait pas être une stricte nécessité. Nous en trouvons une petite confirmation dans le panneau de Lyon, qui doit lui aussi être évalué avec prudence car il nous est parvenu à la suite d’événements qui en ont compromis l’intégrité. Néanmoins, une attribution à Bernardino et une date précoce, un peu après 1520, pourraient être plausibles.

La disposition de base du tableau prévoyait de placer le petit groupe de personnages à l’intérieur d’une loggia: De celle-ci, il reste deux paires de colonnes22 surmontées de chapiteaux qui, avec une architrave, servent également à encadrer le paysage à l’arrière ; une campagne vallonnée, sillonnée à droite par un fleuve, où la vision s’enfonce vers quelques édifices, une agglomération composée d’un pont et de quelques tours aux toits pointus dans lesquels on reconnaît une typologie répandue marquée par des accents nordiques. Dans la loggia, la Vierge se tient au premier plan, soutenant et exposant l’Enfant ; la putto est nue, son corps voilé par une ceinture qui facilite l’action de soutien de la mère, et dans son visage régulier ses yeux montrent un regard perdu dans le vide. Tous deux sont enfermés dans la capsule du manteau bleu: une grande coquille sonore aux bords ondulés qui glisse de la tête aux épaules jusqu’aux hanches, et qui constitue l’élément le plus important de la partie figurative (on peut voir une similitude dans le retable de la Pergola, dans le manteau de consistance métallique qui enveloppe la Madone accroupie sur le sol). L’effet qui en résulte est celui d’un temps “suspendu” autour de la figure dominante de la Vierge: De l’encolure modeste de la robe émergent le cou et un visage poli, dépourvu de trouble comme d’affection, qui fuit le regard du spectateur et évoque des typologies pierfrancesques impassibles ; un visage très proche de celui des présences féminines des retables de Detti, dont il partage les joues pleines et la coiffure: des cheveux raides séparés par une raie centrale et rassemblés derrière la nuque (figs. 16, 17, 18).

De part et d’autre des protagonistes, les deux anges présentent des visages aux traits particuliers (fig. 14): les yeux lointains émergeant de paupières mi-closes, le nez camouflé, la bouche petite et fermée, sans sourire, sont loin des types angéliques les plus populaires et captivants développés au cours du XVe siècle, et frôlent, à nos yeux, le pathologique. Ces visages ont des affinités avec celui de la petite fille qui apparaît au centre du retable de la Pergola, en train d’apporter des fleurs et des fruits à la Madone, ainsi qu’avec ceux qui interviennent dans la Sacra Allegoria que j’ai brièvement évoquée plus haut (fig. 13, 15): parmi les personnages, certains sont résolument inquiétants (corpulence trapue, visages aux traits lourds et inexpressifs).


16, 17. Retable du Wawel, détail. 18. polyptyque de Lyon, détail
16, 17. Retable du Wawel, détail. 18. polyptyque de Lyon, détail



19, 20. Retable de la Pergola, détail. 21. polyptyque de Lyon, détail
19, 20. Retable de la Pergola, détail. 21. polyptyque de Lyon, détail

Le panneau lyonnais - à supposer que mon attribution soit correcte - n’apporte pas d’éléments décisifs à l’œuvre de Bernardino Detti, c’est-à-dire qu’il n’appartient pas à la phase de grande profondeur stylistique qui s’affirme dans les grands retables et les portraits ; mais les deux anges, si éloignés des formules à succès, ajoutent une touche supplémentaire à l’absence de scrupules du peintre ; habile à construire l’image mais aussi à diffuser des “pilules” d’érudition, des allusions à la tradition orale des fables et des proverbes, et aux événements du temps présent, où les épidémies et autres fléaux frappaient la population, et surtout ceux qui ne pouvaient pas compter sur des formes de protection. Dans cette optique, on peut mieux comprendre les images destinées à la dévotion et articulées autour de l’appel au salut adressé à la divinité et aux saints, que Bernardino a interprété en introduisant des variations inédites, peut-être liées à des événements dont la mémoire s’est perdue. Un mécénat que l’on peut supposer cultivé, mais conservateur dans ses goûts, n’aurait pas accepté ces personnages s’ils n’avaient pas eu un rapport avec un élément de la vie quotidienne. Malheureusement, nous ne connaissons pas la variété de l’humanité vers laquelle les artistes du XVIe siècle se tournaient pour composer leurs histoires; peut-être que les anges aux visages étonnés et disgracieux qui escortent la Madone de Lyon se reflétaient dans la présence réelle de physionomies marquées par des traits anormaux: ils se distinguent des images dont les irrégularités physiques avaient été lissées au siècle précédent, mais leur rusticité se distingue aussi de l’empreinte sophistiquée des saints étourdis de Rosso Fiorentino, ces “saints diaboliques” qui, selon Vasari, effrayaient un mécène.

La recherche historico-critique a rencontré de nombreuses difficultés pour identifier les éléments du retable de Pergola que le temps avait transformés en énigmes, et aujourd’hui presque tout a été clarifié et motivé ; mais peut-être l’œuvre de Bernardino Detti présente-t-elle encore quelques passages obscurs, et ce qui est résumé ici pourrait servir d’invitation à des recherches ultérieures.


Pour la rédaction de ce texte, j’ai bénéficié de la collaboration de plusieurs amis, que je remercie chaleureusement: Elena Testaferrata, Patrizia Lasagni, Enrico Frascione et Andrea Baldinotti.


Notes

1 Le catalogue de l’exposition L’Età di Savonarola. Fra Paolino e la pittura a Pistoia nel primo ’500 (Pistoia 1996), édité par C. D’Afflitto, F. Falletti, A. Muzzi, Venise 1996. Tous les essais sont importants, mais je voudrais souligner que C. D’Afflitto, schede pertinenti al Detti, pp.222-226 ; par le même chercheur, voir La Madonna della pergola... “Paragone”, 45, 1994, nn. 529-533, pp.47-59. Des contributions plus récentes ont été faites avec beaucoup d’engagement par A. Nesi, Bernardino Detti, un eccentrico pistoiese del Cinquecento, “Nuovi Studi”, 15, 2010, pp.88-100 ; Bernardino Detti, La Pala di Cracovia, Florence 2016, et Bernardino Detti. La Pala della Pergola, Florence 2017. Dans les essais cités, il est précisé qu’Andrea De Marchi est crédité d’avoir approché Detti pour le retable de Wawel.

2 Un résumé détaillé de la bibliographie antérieure à 1996 figure dans L’Età di Savonarola 1996, cit. p. 251-261 ; pour les années ultérieures, je renvoie aux publications d’Alessandro Nesi. Il convient de noter que le caractère exceptionnel de certaines des œuvres citées ci-dessous en référence à Detti avait été pressenti par deux maîtres qui sont toujours dans mes pensées: F. Zeri, Eccentrici fiorentini....II, "Bollettino d’arte", XLVII, IV, 1962, pp.216-218 ; Idem, Italian paintings. A Catalogue of the Collection of the Metropolitan Museum, New York 1971, p.308 ; C.L. Ragghianti, Pertinenze francesi nel Cinquecento, “Critica d’arte” XIX, 121, 1972, pp.3-92 (12-14).

3 Sur le livre tenu dans les mains de saint Jacob figure une référence à un passage d’une lettre de saint Jacques contenant une exhortation à l’humilité (Nesi, Bernardino Detti 1910, cit., p. 89).

4 En ce qui concerne le faisceau de fleurs et de fruits, j’observe que la tentative d’insérer chaque élément dans les mailles individuelles d’un réseau de symboles n’est pas convaincante: il s’agit de fruits, de fleurs et de feuillages qui mûrissent et fleurissent entre la fin de l’été et le début de l’automne, et il serait raisonnable de les reconnaître comme une métaphore de la fin de la vie, ou comme un indice chronologique de l’événement évoqué par la peinture.

5 A. Chiappelli, Storia del teatro a Pistoia dalle origini alla fine del XVII secolo, “Bullettino Storico Pistoiese”, XII,1910, 4, pp... Les documents conservent des traces explicites des spectacles organisés dans la cathédrale au cours du Moyen Âge, de l’attitude critique de l’ecclésiastique et de l’Église.Les documents conservent des traces explicites des spectacles organisés dans la cathédrale au cours du Moyen Âge, de l’attitude critique de l’autorité ecclésiastique face à l’expansion des déguisements et des danses, de la défense du peuple et, en tout cas, de la poursuite des spectacles entre le XVe et le XVIe siècle à l’extérieur de l’édifice sacré.

6 C’est un attribut constamment présent, mais c’était aussi l’emblème de la Pia Casa di Sapienza. La détérioration de la surface de la peinture dans la zone du visage est due au contact lié à la dévotion, c’est-à-dire aux baisers des enfants.

7 Je me demande s’il ne s’agit pas de l’autoportrait du peintre (fig. 2). En 1523, il avait environ vingt-cinq ans, alors que la physionomie du saint tel qu’il apparaît sur le panneau pourrait ressembler à celle d’un homme mûr: Dans le panneau, le personnage représente saint Jacques en pèlerin, et montre donc un visage bronzé, des cheveux et une barbe en désordre ; la vivacité du regard pourrait cependant trahir la volonté de l’auteur de se présenter sous une forme directe, confirmant les initiales inscrites dans le cartouche du Baptiste.

8 La proclamation de la Passion (Ecce Agnus dei), la croix, la rose et en même temps les bibelots communs auxquels on attribuait un pouvoir scaramantique. De toute évidence, Bernardino aimait donner une forme visuelle à ce qui appartenait aux hautes sphères de la culture, mais aussi aux croyances populaires.

9 Selon D’Afflitto(L’Età di Savonarola 1996, p. 224), la mouche, avec les herbes et les fleurs fanées, rappellerait le thème de la vanité.

10 En introduisant des formes audacieuses de raccourcissement pour les anges en vol, Fra Bartolomeo se distingue parmi les comprimari florentins, mais dans ce cas, la vue abrégée qui écrase les traits du visage du putto semble dériver précisément de Rosso.

11 Nesi(Bernardino Detti 2010, p. 90) a émis l’hypothèse que l’œuvre avait été commandée par la famille Fabbroni pour un autel de l’église de San Domenico. Je ne peux pas consulter le texte d’une chercheuse polonaise, M. Szubiszewska, et je dois me référer au résumé offert par Alessandro Nesi dont je partage les réserves (Nesi, La Pala di Cracovia 2016, cit.).

12 L’utilisation de tissus fins à l’intérieur des églises est bien attestée à Pistoia.

13 Zeri, Italian Paintings 1971, cit, p. 308 ; Ragghianti... Pertinenze francesi 1972, cit, pp.12-14.

14 Nesi, Bernardino Detti, un eccentrico 2010, citée, pp. 94-95.

15 Primitifs italiens, le vrai, le faux, la fortune critique (Ajaccio 2012), édité par E. Moench, Milan-Ajaccio 2012, pp.222-231, entrées par E. Mognetti et N. Hatot).

16 Partiellement enlevé lors de la récente restauration approfondie, sur laquelle voir N. Hatot, Primitifs italiens 2012, cit. pp.226-231. La partie inférieure du panneau peut également avoir été réduite.

17 Primitifs italiens 2012, cit, carte de E. Mognetti, pp.222-226. L’hypothèse selon laquelle la composition originale était dédiée au transfert de la maison de la Vierge Marie à Lorette ne semble pas pouvoir être déduite avec certitude de l’état actuel.

18 Peintres éclectiques de Lucques: nouvelles pour Michele Angelo di Pietro, “Critica d’arte”, LXIII, 8, 2000, pp.27-42; I pittori nella Lucca di Matteo Civitali. Da Michele Ciampanti a Michele Angelo di Pietro, in Matteo Civitali e il suo tempo, catalogue d’exposition (Lucca 2004), édité par M.T. Filieri, Milan 2004, pp.95-141; A tutela di Michele Angelo di Pietro, pittore stravagante, “LUK”,23, 2017, pp.126-137.

19 Le père de Michele Angelo était un maître menuisier originaire de Pistoia, et son fils est également mentionné dans les documents sous les noms de Michele Angelo de Luca et de Pistorio.

20 Je me réfère bien sûr à ce qui fut une étape décisive dans les études sur le début du XVIe siècle à Florence: L’Officina della maniera, catalogue d’exposition (Florence 1996-97) édité par A. Cecchi et A. Natali, Florence 1961.

21 L’âge de Savonarole 196 cit. p. 224.

22 Surtout, les colonnes du premier plan sont à peine lisibles car elles ont été supprimées par le fort recadrage.


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