Pour faire connaître son existence, il a fallu l’emmener dans un musée réputé, quelques kilomètres plus bas dans la vallée, au Mart de Rovereto, et lui organiser une exposition, après restauration. Sinon, le retable de Bernardo Strozzi aurait continué à rester caché, loin des foules, protégé dans sa petite église de montagne, à Tiarno di Sopra, un millier d’habitants éparpillés dans un amas de maisons aux toits pentus, au bout de la vallée du Ledro. Ou au début, si l’on arrive ici de Storo en franchissant le col d’Ampola. On monte au milieu des contours aigus et menaçants des Giudicarie, on avance pendant quelques kilomètres au milieu de ces rochers couverts de verdure, au milieu de nulle part, en suivant les virages en épingle à cheveux de la route nationale de Loppio, des kilomètres de bois, de sapins, de parois rocheuses, de filets d’éboulement, les crêtes des montagnes qui masquent la vue de ce qui se trouve derrière et semblent avoir été placées là exprès pour vous barrer la route. Puis la route commence à descendre. Les courbes deviennent plus douces. Les bois commencent à devenir moins denses et laissent place aux prairies : d’abord quelques petites étendues d’herbe le long de la route, puis de plus en plus grandes, jusqu’au lac Ampola et au-delà. Elles sont comme les premières lueurs bleues après un après-midi d’orage. Et enfin, voilà que ça descend, les montagnes s’ouvrent, la vallée arrive, comme le soleil à la fin de l’orage, comme la fin heureuse d’un rêve tourmenté. Les premières maisons du Tiarno di Sopra vous indiquent que le voyage est terminé. On imagine ce qu’ont dû ressentir les voyageurs d’autrefois, quand il n’y avait pas de moyens de transport, quand la traversée des Alpes était une entreprise dangereuse qui nécessitait des jours de marche sans savoir ce qui vous arriverait au cours du voyage. Et imaginez ce qu’ils ont dû ressentir à la vue des maisons après les montagnes. Un sentiment de libération.
Tiarno di Sopra a un village jumeau qui lui fait face. Il s’appelle, bien sûr, Tiarno di Sotto et compte un peu plus de sept cents habitants. Autrefois, au Moyen-Âge, les habitants vivaient plus haut dans la montagne, autour de la petite église de San Giorgio, accrochés au sommet d’une colline qui dominait les deux villages : puis, pour une raison ou une autre, ils ont décidé de descendre, formant les deux villages, distants de moins de mille mètres. Dans l’Antiquité, ils ne devaient pas être si différents de ce que nous voyons aujourd’hui. Deux villages avec des maisons en pierre au milieu des prés, loin de tous les grands centres : ce n’est qu’au XIXe siècle que fut ouvert l’axe reliant la vallée de Ledro à Storo, puis la vertigineuse route de Ponale, celle qui menait au lac de Garde, aujourd’hui rendue inutile par les tunnels de la route nationale et transformée en sentier pour touristes. Avec l’ouverture des nouvelles routes, la vallée fut reliée au reste du monde. Et quelques années plus tard, en 1866, elle se retrouvera au centre de l’invasion du Trentin par Garibaldi : Garibaldi voulait ouvrir la route de Trente en passant par ces montagnes oubliées, et il avait raison. Après avoir passé les Giudicarie, pris le fort d’Ampola, vaincu les Autrichiens à Bezzecca, la route de Trente était ouverte. Pourtant, hormis cet épisode, la vallée du Ledro était restée isolée pendant des siècles, et rien de mémorable ne s’y était jamais produit. Tout au plus le passage d’armées, mais rien de ce qui fait les pages épaisses des livres d’histoire. Les événements les plus passionnants que les archives de la vallée relatent pour les siècles précédents sont les conflits frontaliers entre les habitants. Il y en a même une entre les habitants de Tiarno di Sopra et leurs voisins de Tiarno di Sotto. La vie devait donc s’écouler paisiblement. Pourtant, ces deux villages abrités ont une caractéristique singulière : leurs églises sont remplies d’œuvres importantes. Des œuvres que personne n’imaginerait trouver au milieu des montagnes d’une vallée latérale du Trentin. Des œuvres dignes des églises d’une grande ville.
Il y a tout d’abord le retable de Bernardo Strozzi, qui représente une Vierge en gloire avec l’Enfant Jésus et une théorie de saints : Pierre au premier plan, puis Barthélemy, Simon et Antoine abbé plus en retrait, et dans l’abîme les portraits des deux mécènes. Un tableau spectaculaire, l’une des réalisations les plus inspirées du peintre génois, cité dans toutes les monographies. Un rêve bleu animé par les teintes du manteau de la Vierge et de la robe de saint Pierre : un outremer chatoyant d’une modernité débordante, sans équivalent dans la production de Bernardo Strozzi. A l’exposition Mart, on avait placé le retable près d’une œuvre d’Yves Klein, pour dire. C’est-à-dire près de l’inventeur du bleu le plus célèbre du monde. Un retable si important qu’il marque, a-t-on écrit, le début de la peinture baroque dans le Trentin. A l’intérieur d’un autel noir qui illumine et rehausse ses couleurs, un autel construit avec du marbre sombre extrait d’une ancienne carrière près du lac d’Ampola, manifestement petite et peu exploitée puisque personne ne s’en souvient plus. Mais il y a autre chose dans la petite église des Saints Pierre et Paul : un Christ en croix avec Marie-Madeleine, autrefois attribué à Bernardo Strozzi, mais ensuite donné par Camillo Manzitti, l’un des plus grands érudits du prêtre génois, au plus fidèle de ses élèves, le Padouan Ermanno Stroiffi, un artiste qui a beaucoup travaillé entre Venise et Mantoue. Il y a un Baptême du Christ de l’un des peintres allemands les plus audacieux du XVIIe siècle, Joseph Heintz le Jeune, sorte de Bosch bavarois, qui réalise ici une composition plutôt compassée et régulière dans le registre inférieur, mais tourbillonnante et animée dans la partie supérieure, avec l’apparition de Dieu au milieu d’un tourbillon d’anges et d’une lumière éblouissante. Il y a même deux œuvres d’Andrea Michieli, plus connu sous le nom d’Andrea Vicentino, qui fut l’un des collaborateurs les plus talentueux de Tintoret, et qui a peint pour Tiarno di Sopra une Vierge à l’Enfant trônant, accompagnée de deux anges musiciens et de quatre saints, Rocco, Pierre, Sébastien et Barthélemy, et une Vierge du Rosaire avec saint Dominique, saint Pierre martyr, sainte Catherine, sainte Agathe, sainte Lucie et sainte Apollonie. D’après les documents, l’église aurait également été ornée dans le passé d’œuvres de Jacopo Bassano, dont nous n’avons plus de nouvelles.
Les surprises continuent à Tiarno di Sotto, dans l’église de San Bartolomeo. Celle “dont le clocher est le deuxième plus haut du Trentin”, tiennent à préciser les habitants, particulièrement fiers de ce mât de soixante-douze mètres de haut, datant du XIXe siècle. À l’intérieur, il y a tout. En levant les yeux, on découvre, un peu dans l’obscurité car l’éclairage de l’église n’aide pas, une intéressante Cène, seule œuvre connue d’un peintre énigmatique, un certain Ferdinando Valdambrini, artiste peut-être d’origine lombarde, qui porte le même nom qu’un musicien qui, selon des documents du XVIIe siècle, était musicien.un musicien que les documents du XVIIe siècle qualifient de “Roman” et qui, selon certains, pourrait être la même personne, puisque notre peintre se signe également “Romanus” dans le grand tableau du Tiarno di Sotto. Il s’agit d’une œuvre au goût un peu rétro, pourrait-on dire : elle est datée de 1666, mais elle tourne son regard vers l’arrière, vers la peinture du XVIe siècle, vers la Renaissance vénitienne, vers les compositions du Tintoret, avec tant de citations directes. Et puis, dans la même église, avant d’arriver au maître-autel, on s’attarde sur un retable de Martino Teofilo Polacco (qui se trouvait pourtant autrefois dans la cathédrale de Trente), sur une Descente du Saint-Esprit qui est peut-être l’œuvre d’Ignazio Unterbeger, sur le plafond décoré au début du XXe siècle par le Mantouan Agostino Aldi, et enfin sur le spectaculaire polyptyque vénitien de 1587, une œuvre qui nous échappe encore.Une œuvre dont l’auteur nous échappe encore, mais il suffit de se rappeler qu’elle a longtemps été attribuée au Tintoret lui-même pour prouver la qualité de ce retable que l’on ne s’attendrait pas à trouver dans l’église d’un village caché dans les montagnes.
C’est une concentration rare d’œuvres d’art pour deux villages de montagne qui comptent ensemble moins de deux mille habitants. Ceux qui connaissent les artistes dispersés dans les deux églises ne peuvent s’empêcher de remarquer que toutes les œuvres sont liées par un élément commun : elles ont toutes été peintes par des artistes qui, à un moment de leur vie, ont séjourné à Venise. On apprend ainsi que dans l’Antiquité, cette vallée, et ces deux villages en particulier, ont bénéficié d’un lien particulier avec la lagune. Il s’agissait d’abord d’un lien politique : au XVe siècle, lorsque la vallée de Ledro et Riva del Garda furent conquises par la République vénitienne, les habitants de Rivano firent tout ce qui était en leur pouvoir pour faire valoir leurs droits sur la vallée, en essayant d’obtenir de la Sérénissime le droit d’administrer la justice ordinaire sur le territoire de Ledro. Ce fait, explique l’historien Silvano Groff, “implique une série de motivations politiques et économiques plus larges, liées au rôle même de la ville par rapport à la campagne”. La vallée a toutefois réussi à conserver une certaine autonomie, malgré les exigences des Rivaniens. Et puis, le lien est passé de politique à économique, car la vallée s’est révélée être un important exportateur de matières premières cruciales pour Venise. Peaux, laine et denrées alimentaires arrivent dans la lagune depuis le lac Ledro, mais surtout du bois et de la poix pour l’arsenal : du bois pour la construction des bateaux, et de la poix, la “pegola” comme l’appelaient les Vénitiens, qui servait à calfater les navires, c’est-à-dire l’ensemble des opérations qui rendaient les coques, les haubans et les cordages imperméables. C’était une denrée si précieuse qu’elle a mérité une mention dans la Commedia de Dante, dans le Canto XXI de l’Inferno, où le brai sert à donner au lecteur un terme de comparaison utile pour se faire une idée de la pagaille dans laquelle sont plongés les affrètements : “Quale nell’arzanà de’ Viniziani / bolle l’inverno la tenace pece / a rimpalmare i legni lor non sani, / ché navicar non ponno in quella vece / [...] / tal, non per foco ma per divin’ arte, / bollia là giuso una pegola spessa, / che ’nviscava la ripa d’ogne parte”.
Tiarno di Sopra et Tiarno di Sotto étaient les principaux centres de production de poix dans le Val di Ledro. Cette substance dense et collante, obtenue à partir de la résine des pins sylvestres qui abondent dans les bois autour des deux villages, bouillonnait dans les fours de la vallée, sortait des mines et était collectée dans des conteneurs qui arrivaient à Venise à dos de mulet par les routes de montagne escarpées. La Sérénissime a également bâti sa fortune sur le travail des éleveurs de moutons de la vallée de Ledro, qui transpiraient chaque jour entre les bois et les fours, et qui pouvaient à leur tour compter sur les ouvriers de Ledro qui quittaient les villages autour du lac pour aller travailler à Venise. Mais d’autres habitants de la vallée profitaient de ces liens économiques pour commercer avec la capitale de la République. Simone Sala, par exemple : c’est lui, avec son frère Bortolo, qui commanda à Bernardo Strozzi le retable de la Vierge à la Gloire et qui paya au peintre ligure une “magno pretio”, nous apprennent des documents, pour en faire don à l’église de son village natal, afin de montrer aux villageois d’où il venait. Et pour que son portrait et celui de Bortolo soient placés sous l’effigie de la Madone : un cas unique dans toute la production de l’artiste génois. Ce sont les seuls mécènes des œuvres de Tiarno dont on se souvienne encore. D’autres, comme le commanditaire de laCène de Valdambrini, ont laissé un portrait, mais nous ne connaissons pas leur nom. D’autres encore sont restés empêtrés dans les méandres de l’histoire. Il faut cependant imaginer que l’enclave de Ledro à Venise était vivante, active, bruyante : les Trentins constituaient l’une des communautés les plus denses de la Sérénissime, et en parcourant les documents historiques, on trouve des noms de famille typiques de la vallée de Ledro attestés avec une bonne fréquence.
Puis, avec le déclin de la République, la prospérité de la vallée a également pris fin et elle est redevenue un lieu en marge de l’histoire. Pendant de nombreuses années, entre le 19e et le 20e siècle, la vallée de Ledro deviendra également une terre d’émigration. La prospérité ne reviendra que dans l’après-guerre, plus tard que dans le reste de l’Italie, d’abord avec les effets du développement industriel du Trentin, favorisé par sa position, proche des grandes villes du nord de l’Italie et projeté vers l’Allemagne, puis avec le début du tourisme, qui est aujourd’hui l’une des premières et des plus précieuses ressources économiques de la vallée. Le tourisme est aujourd’hui ce qu’était autrefois la tangue, ce qu’était autrefois le commerce que la vallée entretenait avec Venise, l’écho de ces fortunes que les riches de Ledro, il y a quatre siècles, voulaient étaler devant leurs compatriotes en ornant d’œuvres d’art magnifiques les églises des deux bourgs chefs-d’œuvre. Il y a aussi cette histoire, l’histoire de la richesse et de l’esprit d’entreprise de toute une vallée, cachée dans ces coups de pinceau.
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