Si l’on voulait trouver une trace, un fragment de l’histoire ancienne du Palazzo del Monte di Pietà de Savone (l’un des premiers instituts de ce type en Europe, comme le soulignent les guides touristiques), on aurait du mal à le remarquer à l’extérieur, sur la façade du XIXe siècle du bâtiment qui devint le siège de l’institut en 1479, sur l’ordre du pape Sixte IV de Savone: il faut entrer et visiter l’actuel musée de la céramique de Savone, inauguré en 2014 après une importante restauration du bâtiment, et désormais géré par la Fondation du musée de la céramique, qui a eu le mérite de fonder sa structure organisationnelle sur un groupe soudé de jeunes gens spécialisés et enthousiastes. Il faut se promener dans les salles, parmi les vitrines qui racontent l’histoire séculaire de l’art qui a fait le prestige de cette bande de Ligurie occidentale, s’arrêter devant un mur peint à fresque, observer les détails d’une fenêtre, lever le regard pour s’attarder sur la décoration d’une voûte. À un moment donné, vous rencontrerez une salle dont le plafond est décoré par l’un des artistes ligures les plus importants de la seconde moitié du XVIIe siècle, Bartolomeo Guidobono, un autre illustre fils de la ville. Un artiste au tempérament “modeste, timide, méditatif, introverti”, comme l’a écrit Gian Vittorio Castelnovi, un tempérament qui a permis à Guidobono de réfréner “toute extravagance fantastique” et l’a incité à “observer volontiers”: et il est certainement loin d’être bizarre que sa fresque soit claire, équilibrée, animée, peut-être pas si innovante, mais certainement de grand effet, rappelant les solutions que Pellegrino Tibaldi avait adoptées à Bologne, au Palais Poggi, peut-être avec la médiation de ceux qui, parmi les Liguriens, connaissaient bien l’art émilien. Il existe cependant une particularité que l’on ne peut observer qu’ici, qu’au musée de la céramique de Savone: dans les vitrines disposées sous la voûte de Guidobono, on trouve des plaques de céramique peintes par lui. Ou plutôt: qui lui sont attribuées, car aucun objet en céramique ne porte sa signature. Mais nous sommes sûrs que l’artiste a fourni ses dessins aux ateliers qui ont réalisé les assiettes que l’on peut voir aujourd’hui au Museo della Ceramica, nous savons que Bartolomeo était issu d’une famille de céramistes, nous reconnaissons son style dans certaines assiettes. Il n’est donc pas exclu qu’il ait lui-même peint quelque chose que nous pouvons admirer aujourd’hui dans ces vitrines.
Il n’est pas fréquent qu’un artiste ayant réussi dans l’art de la fresque ait pu se consacrer à des productions plus quotidiennes. Et encore moins de voir ses objets quotidiens exposés sous un plafond décoré de sa propre main. Dans la salle, le panneau porte l’inscription “istoriato barocco”: c’est le nom sous lequel est connu le type de décoration en vogue au XVIIe siècle. Le répertoire était tiré de la mythologie, des histoires anciennes: les amours des dieux de l’Olympe, les scènes épiques de batailles entre chevaliers, les cortèges d’angelots et de cupidons, les rencontres entre dames et gentilshommes. L’un des plus grands poètes du XVIIe siècle, Gabriello Chiabrera, originaire de Savone, regardait peut-être l’une des coupes qu’il avait chez lui, peinte avec des scènes similaires à celles que le visiteur observe dans les salles du Museo della Ceramica, lorsqu’il a composé “Invitation à boire”, peut-être son texte le plus connu: “Auras sereines et claires / soufflant doucement, / et l’aube à l’est / riche de lys et de violettes apparaît. / Sur la rive romantique / le long du beau ruisseau de ce rivage herbeux, / o Filli, pour boire / l’huître vivante de la fraise parfumée / Parmi mes coupes les plus chères / porte la plus aimée, / celle où / Amor tonne / sur un dauphin les dieux de la mer”. Les voici, les dieux de la mer, qui apparaissent également parmi les assiettes de la salle réservée à la gravure baroque: le char de Neptune avance dans les vagues sur une assiette attribuée à Bartolomeo Guidobono. Et si l’on pensait que cette production était pour l’artiste une sorte de repli, on se tromperait. Les habitants de Savone n’ont eu aucun mal à reconnaître la qualité de ses céramiques, à les considérer comme des objets de valeur. Dès 1738, la guilde des “pignattari” (potiers) pouvait affirmer que “soit la sculpture et la peinture que l’on voit dans ces vases sont l’œuvre d’un maître du ciseau et du pinceau [...], soit [comme] beaucoup [qui] sont encore conservés aujourd’hui par des citoyens peints par Guidobono, peintre savonien accrédité, et dans ce cas l’appréciation de ces vases vient du pinceau de celui qui les a peints et non de celui qui les a faits”.
Pour un Savonais du XVIIIe siècle, il était tout à fait normal qu’un grand artiste très estimé collabore avec les fabricants de casseroles pour décorer des assiettes, de la vaisselle, des tasses, des rafraîchissoirs. Et ce, pendant des siècles: la poterie n’a jamais été un art secondaire. Puis, au fil du temps, les ateliers se sont déplacés et la céramique, après s’être éteinte à Savone, a repris vie à Albissola Marina, mais la considération que cette terre porte à son art ne s’est jamais démentie. La céramique, ici, se voit, se mange, se respire et se vit. La céramique constitue un univers fait de fours, de petites usines gérées par les mêmes familles qui transmettent le métier de génération en génération, de minuscules ateliers artisanaux, d’ateliers où les artistes viennent du monde entier pour apprendre à façonner la terre, de boutiques où l’on peut acheter des produits authentiques, parce que dans cette région, l’art de la céramique est un véritable art. Des boutiques où l’on peut acheter des produits authentiques, parce qu’à Savone et à Albissola, il n’y a jamais eu cette prolifération incontrôlée de boutiques vendant des objets d’intérêt et d’origine douteux, qui a transformé de nombreux centres historiques en souks chaotiques à l’usage des touristes. Ici, c’est le contraire. À Savone, trouver un magasin de céramique est loin d’être évident. Albissola Marina, en revanche, offre plus, tout en gardant son authenticité intacte: souvent, ceux qui vendent sont aussi ceux qui produisent. En entrant dans une boutique, vous vous rendrez compte à quel point la céramique est transversale dans cette région: ceux qui ont la capacité de dépenser de l’argent opteront pour de grands vases, des pièces uniques, des sculptures émaillées élaborées ou des services à café fantaisistes conçus par d’importants artistes, mais pour quelques euros, vous pourrez ramener chez vous une petite assiette, un bol vide peint à la main ou une figurine pour la crèche.
C’est bien cela: les statuettes de la nativité. À Albissola Marina, il existe également une tradition de céramiques pauvres et populaires. Celle de la crèche en est un excellent exemple, car à côté de la haute tradition qui répondait aux exigences des riches (pensez aux extraordinaires statues en bois d’Anton Maria Maragliano), se sont développées au fil des siècles des formes d’expression beaucoup plus humbles, comme les statuettes de la nativité. Des formes d’expression beaucoup plus humbles se sont développées au fil des siècles, comme celle des “macaques” d’Albissola, ces statuettes de crèche appelées ainsi en raison de leur aspect maladroit et disgracieux, qui ont connu leur heure de gloire au début du 20e siècle. “Horribles”, les aurait définies Giuseppe Cava, le “Beppin da Ca’” qui fut le plus grand poète dialectal de Savone: lors d’une promenade à la foire de Santa Lucia, il ne comprenait pas comment, à son avis, l’art de la crèche était tombé dans un tel délabrement. La plupart des bergers proposés à la vente proviennent des artisans d’Albissola et sont horribles", peut-on lire dans l’un de ses récits publiés dans le recueil Vecchia Savona. Des monstres qui, comme les anciennes figurines artistiques, n’ont que l’apparence. Deux points noirs pour marquer les yeux et une ligne rouge pour tracer la bouche, sur des balles gibbeuses qui veulent être des têtes. Les corps des statuettes et les cadeaux à offrir à l’Enfant Jésus, portés sur les épaules ou dans des corbeilles d’un beau jaune chrome, sont une colère de Dieu. [...] Je crains que la ruine de notre industrie ne soit désormais irrémédiable. Il faudrait qu’un groupe de mécènes et d’artistes s’y consacre avec amour et constance. Mais où trouver des personnes disposées à perdre du temps, des efforts et de l’argent ? Entre-temps, la production étrangère va s’imposer et nous verrons s’envoler une source de revenus non négligeable pour nos artisans de l’argile. Qu’il en soit ainsi ! Cava ne pouvait pas imaginer qu’un siècle plus tard, les macaques deviendraient des objets recherchés, et même valorisés par une association, Macachi Lab, qui promeut la culture de la crèche populaire d’Albissola.
Avec ces statuettes étranges et grossières, un genre artistique décliné sous des formes magniloquentes par les plus grands artistes revenait ainsi à l’élément le plus simple: la terre. Ou plutôt: la “tærra bōnn-a” comme on dit ici, la “bonne terre”, l’argile qui s’accumule en masses équarries à l’intérieur des ateliers et qui attend d’être manipulée, pliée, touchée, caressée, massée par ceux qui lui donneront une forme, au terme d’un travail attentif et passionné. Guido Piovene, en introduction d’un livre de 1963 consacré aux protagonistes de la céramique moderne, écrivait que la céramique est “l’art le plus universel et le plus ancien, le résultat d’un instinct humain qui s’est reproduit partout depuis l’aube de la civilisation, en même temps que celui de cultiver la terre, et faire de la céramique est aussi une façon de cultiver la terre qui surgit en même temps que l’autre, comme si la labourer et la façonner avec les mains étaient deux impulsions complémentaires”. Ainsi, chaque poterie, si elle participe au goût du siècle qui l’a produite, est aussi plus ancienne qu’elle-même". L’art primitif, qui vient de la terre et est vivifié par l’intervention décisive du feu, qui lie l’être humain à l’élément primordial par des nœuds inséparables, l’art qui combine les caractéristiques de la sculpture, de la peinture et même de l’architecture, l’art qui exige du temps, des connaissances approfondies, de l’habileté manuelle, de la patience, de la détermination, l’art qui exige aussi d’être prêt à s’engager dans des duels avec la matière sourde.
Et à Albissola, il peut arriver qu’en se promenant dans les ruelles, on entre dans un atelier (ils se trouvent presque tous dans le centre historique) et qu’on voie un artisan à l’œuvre, occupé à façonner la terre près de laquelle les objets finis sont vendus. On peut entrer dans l’un de ces ateliers, bien alignés face à la mer, ou cachés dans l’enchevêtrement des rues du centre, à côté du Pozzo Garitta (où se trouvait l’atelier de Fontana), ne serait-ce que pour profiter du spectacle. Ou pour écouter les histoires de ceux qui sont nés dans le milieu de la céramique, de ceux qui perpétuent une tradition familiale, de ceux qui ont travaillé au coude à coude avec les plus grands artistes. Au centre, on trouve Ceramiche Pierluca, fondée en 1989 et spécialisée dans les styles traditionnels: un coup d’œil sur les étagères bien rangées suffit pour se faire une idée de quatre siècles d’histoire de la céramique de Savone et d’Albissola. Non loin de là se trouve Ceramiche Viglietti, qui a également créé une section de sculpture céramique contemporaine et décline la tradition sous les formes les plus diverses. Si vous vous promenez le long de l’Aurelia, vous vous trouverez devant le bâtiment futuriste, conçu en 1938 par Nicolaj Diulgheroff, de la Ceramiche Mazzotti, tandis qu’à quelques pas de là, vous visiterez le siège de la presque homonyme Ceramiche Giuseppe Mazzotti 1903, où le style futuriste (conçu en 1938 par Nicolaj Diulgheroff) a été instauré. Le siège de la Ceramiche Giuseppe Mazzotti 1903, où le style futuriste (conçu en 1938 par Nicolaj Diulgheroff) a été établi (le plus grand céramiste futuriste, Tullio d’Albisola, s’appelait Tullio Mazzotti et c’est lui et son frère Torido qui ont fondé l’usine), et où il y a également un petit musée avec des œuvres d’artistes qui sont passés par là: De la rue, dans le jardin, on peut apercevoir l’œuvre la plus célèbre, le Crocodile de Lucio Fontana, le grand reptile grandeur nature modelé en 1936 par un Fontana qui commençait à peine à explorer les potentialités de la céramique. Il est donc impossible de ne pas s’arrêter à Ceramiche San Giorgio: quand on franchit le seuil, on respire immédiatement l’odeur de la terre mêlée à celle de l’eau saumâtre, et on se sent presque submergé par l’atmosphère chaotique de l’atelier fondé en 1958 par Eliseo Salino avec Giovanni Poggi et Mario Pastorino, et aujourd’hui dirigé avec une passion inébranlable par un Poggi âgé de plus de 90 ans, mais toujours prêt à raconter soixante ans d’histoires à tous ceux qui passent par là et qui ont la chance de le rencontrer. Les photos accrochées aux murs le montrent en compagnie de certains des artistes qui ont travaillé dans son atelier, en particulier Wifredo Lam et Asger Jorn, presque deux divinités tutélaires de l’atelier. Autant de lieux où la frontière entre vente et production est floue. Il suffit parfois de descendre un escalier pour voir deux environnements totalement différents: en haut, des vitrines d’exposition. En bas, un four avec des personnes occupées à modeler, peindre, préparer la cuisson. Il arrive même qu’un artisan malpropre se retrouve au milieu des touristes qui décident de leurs achats. Un voyage dantesque en quelques mètres carrés. Quels sont les autres lieux où l’on peut vivre des expériences similaires ? Où le rapport entre la production, la transformation, la vente, le bas et le haut de gamme est aussi étroit, indissoluble ?
La terre, après tout, est un élément humble. Et elle oblige même les grands artistes à rester humbles. Tous les guides sur la céramique d’Albissola ne manquent pas de répéter les noms des grands de l’histoire de l’art récente qui sont passés par là. La liste est longue: Lucio Fontana, Pinot Gallizio, Arturo Martini, Sergio Dangelo, Aligi Sassu, Piero Manzoni, Giacomo Manzù, Agenore Fabbri, Wifredo Lam, Karel Appel, et j’en passe. Presque tous sont représentés au centre d’exposition MuDA, au Museo Diffuso Albisola, où l’on est enchanté par la lumière qui émane des panneaux de céramique que Fontana a créés pour le Conte Grande, et où l’on se promène parmi les petites et grandes céramiques de Lam, Jorn, Fabbri et bien d’autres qui sont exposées en rotation. D’autres pièces peuvent être admirées dans les autres musées de la région: toujours au musée de la céramique de Savone, ou au musée de la céramique Manlio Trucco d’Albisola Superiore, qui raconte lui aussi l’histoire de la céramique jusqu’au futurisme, avec des pièces d’Arturo Martini, de Francesco Messina et de Lele Luzzati. Il y a aussi les mosaïques qui enrichissent le Lungomare degli Artisti (Promenade des artistes), une fascinante promenade d’un kilomètre à Albissola Marina, inaugurée le 10 août 1963 et parsemée d’œuvres d’art spécialement créées par vingt artistes qui ne savaient peut-être même pas qu’ils participaient à un projet d’art public qui n’avait pas de précédent, même dans le reste du monde. Fontana l’a peut-être compris, qui a installé trois de ses Spatial Concepts le long du parcours après l’inauguration. Asger Jorn, en revanche, n’a pas participé à cette entreprise (bien qu’en 1999 une mosaïque tirée d’une de ses œuvres ait été placée sur le Lungomare degli Artisti), mais sa figure a un charme qui lui est propre: le Danois qui vivait sous une tente, le Viking qui célébrait la laideur comme une sorte d’antidote à l’indifférence, l’artiste qui fondait sa recherche sur la liberté totale, la spontanéité, la fantaisie et le rejet de toutes les conventions. "Notre but, écrivait l’artiste en 1949 dans son Discours aux pingouins, est de nous libérer du contrôle de la raison, qui a été et est encore ce que la bourgeoisie a idéalisé pour s’emparer de la vie". Jorn fut le seul à s’enraciner ici, à vouloir construire une maison qui ne soit pas seulement une habitation, mais un hymne à sa conception de l’art, un temple de la créativité, et aujourd’hui la visite de ce qui est devenu le musée de la maison Jorn, avec le centre d’études attenant, est un passage obligé pour un voyage dans la céramique ligure.
Un autre nom qui revient souvent est celui d’Arturo Martini. Au musée de la céramique de Savone se trouve le portrait de sa fille Nena, exposé pour la première fois à la Promotrice de Turin en 1930 et qui connut immédiatement un grand succès, à tel point qu’il fut souvent répété. C’est un portrait qui surprend par sa vivacité: la petite fille est prise dans une pose naturelle, la bouche légèrement ouverte, se tenant la tête d’une main, l’air apathique, presque endormi. Le souffle de vie qui anime cette image passionnante ressort également d’une lettre dans laquelle Camillo Sbarbaro, écrivant à Oscar Saccorotti, évoque sa visite à l’atelier de Martini à Albissola: Sbarbaro y surprend l’artiste en train de travailler sur une œuvre qui ne doit pas être si différente de celle qui est aujourd’hui exposée au musée. Il y a [...] un art qui ne me touche pas immédiatement comme le vôtre et pourtant, je sens qu’il existe“, écrit Sbarbaro à Saccorotti. Un art qui est ”plus rusé, moins appréciable si l’on ne perçoit pas les rappels et les résonances dont il est riche ; si l’on ne se place pas du point de vue d’où seul il est en vue. Mais je ne m’en méfie pas pour autant, et je ne l’applaudis pas tant que je n’ai pas la certitude qu’il s’agit d’un art subi comme nécessaire. J’ai eu de la chance, par exemple, un été avec ce sculpteur autoritaire qu’était Arturo Martini. Je l’ai trouvé dans une cabane d’Albisola qui était, pour ainsi dire, en train d’accoucher d’une de ses terres cuites: le buste d’une jeune fille avec des tresses bouclées, un petit béret et une timidité rêveuse dans son visage déjà sérieux. L’image est encore aveugle. Maintenant, je vais la réveiller“, dit Martini. Pour lui, ce tesson était vivant, non pas à cause de la phrase et de sa voix, mais à cause de la façon dont il le manipulait: vivant et ayant besoin de soins. Et quand il a ouvert les yeux de la jeune fille, la regardant de loin: ”Elle s’appelle Andreina. Elle a douze ans. Elle quitte maintenant les religieuses...“. Chaque détail devenait vrai dès qu’il était énoncé ; il illuminait l’œuvre, la mettait dans son air”.
Il arrive encore, en se promenant dans la Marina d’Albissola, d’entendre des anecdotes comme celle de Sbarbaro. Inutile de chercher dans les archives ou les bibliothèques: pour beaucoup de ceux qui ont vécu cette saison, les souvenirs sont encore vivants. Parfois, la flamme est allumée par une photographie collée au mur d’un restaurant ou d’un magasin, d’autres fois il suffit de marcher dans la rue, ou de regarder cette plage qui n’était pas “une plage comme les autres” pour Milena Milani, une autre figure extraordinaire qui a lié son nom à cette terre (l’un de ses romans se déroule également à Albissola Marina, et les œuvres qui ont appartenu à sa collection et à celle de son compagnon Carlo Cardazzo sont exposées à la galerie d’art de Savone). “Il y a des intellectuels, des peintres, des poètes, des romanciers, des essayistes, des philosophes, des sculpteurs, des critiques, des marchands d’art, des céramistes, toute une élite qui fait d’Albisola un lieu unique parmi les plages italiennes”, écrivait-il en 1960. Ne croyez pas qu’avec toutes ces personnalités hautement qualifiées, Albisola soit un endroit ennuyeux, où les gens ne savent pas s’amuser. Ici aussi, on danse, il y a des orchestres, il y a du bruit, les miss sont élues ; mais l’atmosphère est différente, car même les gens normaux, les soi-disant vacanciers, sont intoxiqués par le bacille de l’art, ils assistent à des expositions, à des conférences, ils écoutent des lectures de poèmes. [...Les habitants d’Albisola ne sont généralement pas effrayés par l’art le plus avancé, ou plutôt, ils ne bronchent même plus, ils ont un goût exceptionnel, ils acceptent des peintures unicolores, ou des bandes de papier de vingt ou trente mètres de long, comme celles de Piero Manzoni, un descendant de l’écrivain ; les trous et les coupures de Fontana sont désormais une évidence, comme ses dernières sculptures, d’énormes boules d’ argile, sur lesquelles l’artiste extraordinaire donnait des coups de poing (rébellion ? Les habitants d’Albisola acceptent les peintures et les céramiques de l’artiste danois Jorn, l’un des artistes les plus cités au niveau international, à qui le maire Ciarlo, qui est également collectionneur, a accordé la citoyenneté d’honneur (Fabbri, Fontana et Sassu l’ont eue avec lui)".
Il est encore naturel pour les habitants d’Albissola Marina de parler de Fontana, de Jorn, de Sassu et de tous les autres comme s’il s’agissait de vieux amis. À Albissola, il n’y a pas de barrières, on ne perçoit pas ce mélange de crainte révérencielle et de distance que, à quelques exceptions près, on ressent partout ailleurs en Italie lorsque quelqu’un explique l’œuvre d’un artiste, peut-être même lié au territoire. La tærra bōnn-a unissait tout le monde, il n’y avait pas de distance, les habitants étaient habitués aux artistes, à leurs extravagances et aux galeries (Milena Milani a écrit qu’à Albissola Marina, proportionnellement, il y en avait plus qu’à Milan), notamment parce qu’ils fréquentaient les mêmes lieux que les habitants. Aujourd’hui encore, on respire un air similaire, car d’importants artistes fréquentent encore les ateliers d’Albissola Marina: Ugo Nespolo, Giorgio Laveri, Vincenzo Marsiglia, pour ne citer que trois noms au hasard. Ou encore Sandro Lorenzini, originaire de Savone, qui a récemment eu l’honneur d’une grande exposition personnelle au Museo della Ceramica, rempli de ses œuvres, offrant au public le récit de cinquante ans d’une carrière impétueuse et pleine de vie. Et puis ici, la céramique, avec la mer et les plages, le grand art, les soirées dans les clubs du bord de mer ou du centre, fait encore partie d’un style de vie qui ne peut être reproduit ailleurs. Mais il n’y a plus cette communauté impossible à reproduire, plus ce conglomérat varié et dense qui animait les étés d’Albissola dans les années 1950 et 1960. C’était peut-être un miracle. À tel point qu’aujourd’hui encore, on se demande comment il a été possible que, dans un contexte aussi périphérique, aussi petit, aussi caché, une communauté ait germé et grandi, produisant des événements fondamentaux pour les arts du XXe siècle. Aucun autre centre de céramique au monde n’a connu une telle saison, pas même dans les villes où la céramique structure un système économique et éducatif. Comment cela a-t-il été possible ? Martina Corgnati, dans sa contribution sur Ceramiche Giuseppe Mazzotti, a tenté de donner une réponse: “Singulière alchimie de provincialisme et de cosmopolitisme, de simplicité et d’ouverture d’esprit, de capacité productive et de sensibilité au renouvellement des formes. Les catalyseurs de ce processus extraordinaire, que des institutions beaucoup plus soutenues et des situations apparemment plus favorables n’ont pas réussi à activer, se trouvent avant tout dans l’usine”.
Bref, un mélange d’é léments qu’il est impossible de trouver ailleurs. Les artistes qui arrivaient ici trouvaient un tissu productif vivant avec des siècles d’histoire derrière lui, ils trouvaient des habitants bien disposés à leur égard et indifférents à leurs excentricités, ils étaient séduits par un style de vie que seules les stations balnéaires de la côte italienne peuvent offrir. C’était alors la saison des vacances au bord de la mer: pensez aux communautés d’artistes et d’hommes de lettres qui se réunissaient chaque été, en pensant à des lieux peu éloignés de la marina d’Albissola, dans les Cinque Terre, sur le Golfo dei Poeti, à Bocca di Magra, à Forte dei Marmi, à Viareggio. C’est une période de l’histoire qui ne reviendra pas, un chapitre récent d’une tradition qui a tant produit au cours des siècles. Et pour comprendre pourquoi la céramique est ici un élément fondamental du mode de vie, il ne suffit pas de se laisser porter par les souvenirs, les écrits, les histoires, les images. Il faut y aller. Il faut voir par soi-même. Respirer l’air marin de ces villes. Se laisser caresser par le vent un soir de front de mer. Rencontrer les habitants, leur parler, sortir avec eux pour déjeuner ou dîner, discuter de tout et de rien. Ou aller dans n’importe quel bar et les écouter. Voir les œuvres dans les musées et les boutiques. Toucher une vieille photographie. Regarder le ciel d’Albissola, le ciel qui change à chaque instant, comme l’a écrit Milena Milani, “les nuages passent et repassent, et quand le ciel est clair, c’est un beau bleu, plein, accueillant”. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut essayer de comprendre pourquoi la céramique est ici comme l’air. Et pourquoi, chaque fois qu’un habitant raconte une histoire, même la plus insignifiante et la plus banale, qui a trait à la céramique, ses yeux s’illuminent.
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