L’aménagement des salles des Offices consacrées au XVIe siècle vénitien et toscan, inauguré au printemps 2019, permet d’embrasser d’un seul regard deux œuvres extraordinaires situées dans deux salles différentes mais communicantes, de deux peintres qui ont vécu dans les mêmes années (en fait, ils avaient le même âge), qui ont travaillé dans la même ville, à savoir Venise, et qui ont partagé l’hédonisme qui caractérisait la peinture vénitienne au début du XVIe siècle: ils avaient le même âge), qui ont travaillé dans la même ville, à savoir Venise, et qui ont partagé l’hédonisme qui caractérisait la peinture vénitienne au début du XVIe siècle: il s’agit de la Vénus d’Urbino de Titien Vecellio (Pieve di Cadore, vers 1490 - Venise, 1576) et du Nu de Bernardino Licinio (Venise, vers 1485 - après 1549). Les deux œuvres ont été réalisées à la même époque (la Vénus d’Urbino date de 1538, tandis que le Nu date d’environ 1540). Elles partagent les mêmes atmosphères et font partie de la même mode, et partagent plusieurs éléments, bien que d’autres les séparent. Le dénominateur commun le plus évident de cette œuvre et des œuvres similaires est cependant un genre très en vogue à Venise à l’époque, dont la Vénus de Titien n’est que l’épisode le plus célèbre et le plus connu: les jeunes femmes nues et allongées qui abondent dans la production de leurs peintres contemporains.
Il faut cependant faire un pas en arrière et revenir à l’œuvre qui a donné naissance à ce genre heureux: la Vénus endormie, chef-d’œuvre de Giorgione (Giorgio Barbarelli? ; Castelfranco Veneto, 1478 - Venise, 1510), achevé par Titien lui-même, qui a repeint le paysage (alors que selon certains spécialistes, il aurait en fait repeint l’œuvre entière). La première mention de ce tableau, aujourd’hui conservé à la Gemäldegalerie de Dresde, remonte à quelques années après sa réalisation: il a été vu par l’homme de lettres Marcantonio Michiel (Venise, 1484 - 1552) en 1525 dans la maison du patricien vénitien Girolamo Marcello, qui a très probablement commandé le tableau. L’œuvre se trouve cependant aujourd’hui en Allemagne car, alors qu’en 1660 elle était encore attestée dans la maison Marcello, en 1697 elle se retrouve sur le marché et l’antiquaire français Le Roy l’achète pour Auguste de Saxe: ainsi, en 1707, l’œuvre apparaît pour la première fois dans les inventaires de la galerie allemande, citée comme Eine Venus mit einem Amorett von Giorgione (le Cupidon accompagnait Vénus dans l’Antiquité avant d’être repeint, comme l’ont montré les rayons X). Dans sa Notizia d’opere di disegno, traité publié à Bassano en 1530, Michiel décrit l’œuvre comme “la toile de la Vénus nuda che dorme in un paese cum cupidine fo de mano de Zorzo da Castelfranco, ma lo paese e la Cupidine forono da Titiano” (Michiel a donc été le premier à diffuser la nouvelle fiable de l’intervention du peintre de Cadore dans le tableau). Il s’agit d’une œuvre résolument novatrice, dont la signification a longtemps été débattue. Pour l’explorer, on peut partir d’une hypothèse formulée par l’historien de l’art australien Jaynie Anderson, grand spécialiste de l’art de Giorgione: selon l’érudit, l’œuvre a été peinte à l’occasion du mariage entre Girolamo Marcello et Morosina Pisani célébré le 9 octobre 1507, et Vénus représenterait la beauté qui protège la famille Marcello, qui selon ses membres est issue de la lignée d’Énée (et d’ailleurs, comme on le sait, Énée lui-même était considéré comme le fils de Vénus par la mythologie).
La nouveauté de Giorgione est intéressante tant sur le plan iconographique que sur le plan iconologique. Avant la Vénus de Dresde, aucun peintre n’avait peint une divinité en ces termes: nue, endormie, couchée sur un drap sur une pelouse, sensuelle jusqu’à l’érotisme (avec même une main caressant ses parties génitales: nous reviendrons sur ce geste). L’invention est remontée (Fritz Saxl a été le premier à la mentionner en 1935) à une gravure sur bois, attribuée à Benedetto Bordone, illustrant l’Hypnerotomachia Poliphili, le célèbre roman allégorique imprimé à Venise, dans l’imprimerie d’Aldo Manuzio, en décembre 1499: On retrouve ici un sujet classique, une nymphe découverte par un satyre, qui sera repris, dans toute sa charnalité (évidemment atténuée par Giorgione, qui s’en inspire pour des raisons purement iconographiques), par de nombreux artistes à partir du XVIe siècle. Cette particularité, qui rend la Vénus de Giorgione si physique et séduisante, a fait l’objet de diverses lectures. La sensualité aurait été voulue par Giorgione: pour l’expliquer, Maurizio Calvesi cite un passage des Dialogues de l’amour, un traité, également publié par Manuzio en 1535, du philosophe portugais Judá Abravanel (Lisbonne, v. 1460 - Naples, v. 1530), connu en Italie sous le nom de Leone Ebreo. Le traité indique que les peintres “peignent nue” la déesse Vénus “parce que l’amour ne peut être couvert, et encore parce qu’elle est charnelle, et parce que les amants doivent être trouvés nus”. La Vénus de Giorgione est donc parfaitement et pleinement immergée dans une dimension terrestre et sensorielle (et c’est pour cette raison, selon Calvesi, qu’elle touche son pubis avec sa main). La nouveauté réside donc dans la découverte par le peintre de la beauté physique de la femme: dans une étude de 1988, l’historien de l’art Davide Banzato, en accord avec ceux qui ont reconnu à Giorgione “l’invention unique d’une sexualité des images”, cite un passage d’une étude sur Giorgione réalisée par Eugenio Battisti et Mary Lou Krumrine, selon laquelle “le naturalisme est un instrument hautement fantastique par lequel [.... l’appréciation esthétique de la beauté féminine peut et peut-être doit conduire à la jouissance physique de celle-ci, avec des capacités à la fois stimulantes et libératrices”. La sensualité en relation avec le potentiel génératif de l’amour explique également pourquoi le tableau doit être placé dans un contexte conjugal.
La Vénus endormie de Giorgione et le Nu de Bernardino Licinio dans les salles des Offices |
Giorgione (terminé par Titien), Vénus endormie (1507-1510 ; huile sur toile, 108,5 x 175 cm ; Dresde, Gemäldegalerie) |
Benedetto Bordone (attribué), Scène avec nymphe et satyre, tirée de l’Hypnerotomachia Poliphili (1499, publiée par Aldo Manuzio à Venise ; gravure, feuille 29,5 x 22 cm) |
L’intention précise de Giorgione était donc, comme l’avait déjà souligné Pietro Zampetti dans les années 1450, de peindre un nu à contempler, immergé dans un paysage idyllique, familier au commanditaire qui pouvait facilement reconnaître la campagne autour d’Asolo, lieu où les aristocrates vénitiens avaient l’habitude de passer leurs loisirs. Après Giorgione, ce genre connut une fortune immense et durable: le plus célèbre des artistes qui reprit le flambeau fut Titien lui-même, avec sa Vénus d’Urbino peinte quelque trente ans après la Vénus endormie. Et par rapport à son mentor, Titien introduit d’autres éléments qui accentuent certains traits de la révolution giorgionesque. Encore une fois, il s’agit d’une œuvre qui a probablement été peinte dans le cadre de l’union d’un couple: En effet, nous savons que l’œuvre a été exécutée en 1538 pour le compte de Guidobaldo II della Rovere (Urbino, 1514 - Pesaro, 1574), duc d’Urbino, qui avait épousé Giulia da Varano en 1534 et qui, en mars 1538, avait écrit à son agent à Venise, Girolamo Fantini, pour qu’il ne quitte pas la cité lagunaire sans avoir réalisé deux tableaux, à savoir un portrait du duc et une “femme nue”, unanimement identifiée comme la Vénus d’Urbino, qui était donc sur le point d’être achevée cette année-là et transportée dans la ville des Marches (qu’il quittera ensuite en 1631, en direction de Florence, avec la majeure partie des collections d’Urbino): elles constituaient la dot de Vittoria della Rovere, qui avait épousé Ferdinand II de Médicis, grand-duc de Toscane). Le premier à la décrire fut Giorgio Vasari qui, dans l’édition de 1568 des Vies, l’illustra comme “une jeune Vénus couchée, avec des fleurs et certaines étoffes fines autour d’elle, très belle et bien finie”.
La Vénus apparaît au spectateur éveillé (John Shearman, dans son célèbre essai Art and Spectator in the Italian Renaissance, écrit clairement que Titien avait prévu un spectateur dans la structure de l’œuvre, et que ce spectateur n’était autre que Guidobaldo della Rovere lui-même), contrairement à la Vénus endormie de Giorgione, et est dotée de certains attributs qui font clairement référence à l’amour nuptial: les roses que la déesse tient dans sa main droite (symbole de la constance de l’amour et fleur sacrée de Vénus: avec le vase de myrte sur le rebord de la fenêtre, elles sont le seul attribut du tableau qui permette d’identifier la déesse, puisque Titien a supprimé toute autre référence à la mythologie), le petit chien (symbole de fidélité), la boucle d’oreille en perle (symbole de pureté). En outre, le coffre dans lequel fouillent les deux servantes évoque lui aussi une chambre à coucher à deux lits (puisque, à la Renaissance, il s’agissait d’un meuble typique des chambres à coucher), tandis que le décor (un intérieur somptueux avec des rideaux de velours, avec une fenêtre à meneaux à l’arrière-plan, avec des tapisseries précieuses) rappelle une demeure de la noblesse de l’époque. Il s’agit d’une autre différence importante par rapport à la Vénus endormie, qui se trouvait plutôt dans un contexte bucolique: il est probable que le changement de décor soit dû à la nécessité de continuer à assurer une facilité d’identification pour le commanditaire (la cour d’Urbino n’allait pas en vacances dans la campagne vénitienne, et c’est peut-être pour cela que Titien a opté pour un intérieur). Tous ces éléments conduisent donc à penser que le sens n’est pas si différent de celui de la Vénus endormie, et que la Vénus d’Urbino ne représente pas, comme certains l’ont suggéré, la célébration de l’amour érotique, mais plutôt de l’amour conjugal, et que la sensualité doit être comprise comme celle de l’épouse qui ne se donne qu’à son mari. Il est cependant vrai, comme on peut facilement le constater, que Titien accentue l’érotisme de la Vénus endormie, qui là était suggéré et qui ici est au contraire conscient, puisque la déesse de Titien invite ouvertement le spectateur: il est utile ici de faire écho à Shearman, selon qui le rôle du spectateur dans le tableau a changé par rapport à la peinture de Giorgione. La Vénus d’Urbino est un “portrait d’une figure horizontale nue dirigeant son regard vers son amant”, une invention iconographique de Titien qui adresse une invitation explicite à l’observateur: la déesse Vénus a donc une conscience que n’a pas celle de Giorgione et, par conséquent, le rôle de l’observateur est transformé. “Alors que la Vénus de Giorgione s’offre passivement à notre contemplation, écrit l’historien de l’art Daniel Arasse, elle s’offre ”consciemment“ à une contemplation qu’elle accepte elle-même. Mais pas seulement: ”Giorgione, poursuit Arasse, avait placé le corps nu dans un paysage et construit des échos médiatisés, de subtils effets de rimes entre les courbes du corps et celles de la nature. En revanche, la Vénus du Titien est vue dans l’intérieur d’un palais, d’où le monde de la nature est à peine entrevu à travers la fenêtre. Par un simple changement de lieu, Titien fait de son modèle une femme qui peut être réelle, alors que la femme de Giorgione ne pouvait être perçue que comme un personnage mythique".
En ce qui concerne la Nuda de Bernardino Licinio, il faut d’abord préciser que nous devons le titre d’aujourd’hui à l’historien de l’art Detlev von Hadeln, qui l’a publié en 1923 en l’attribuant pour la première fois au peintre vénitien, mais nous n’avons pas d’attestation ancienne: on peut émettre l’hypothèse qu’il s’agit d’un “nu” que Michiel aurait vu dans la chambre du marchand lombard Andrea Odoni, mais il n’y a pas de certitude à ce sujet. Il est fort probable que Licinio ait voulu représenter une allégorie de l’amour comme l’avaient fait Giorgione et Titien (les deux colombes qui apparaissent à côté de la femme nue pourraient être une référence à la déesse Vénus, puisqu’il s’agit d’animaux sacrés pour la déesse), mais on a également souligné que ce qui différencie Licinio des deux précédents est la tentative d’éliminer toute aura mythologique du sujet. Une femme, donc, au physique plein, terrestre et accueillant: on ne peut même pas exclure que la femme représentée soit une courtisane. Cette hypothèse a également été formulée par certains pour la Vénus d’Urbino, bien qu’il s’agisse d’une lecture qui semble peu fiable, étant donné les références conjugales évidentes: il est plus probable, en fait, que la courtisane soit celle peinte par Licinius, et qu’elle incarne donc un amour moins romantique que celui de la déesse du Titien. Une nouvelle déclinaison de l’amour dans la Venise du XVIe siècle.
Titien, Vénus d’Urbino (1538 ; huile sur toile, 119 x 165 cm ; Florence, Galerie des Offices) |
Bernardino Licinio, Le Nu (vers 1540 ; huile sur toile, 80,5 x 154 cm ; Florence, Galerie des Offices) |
L’écho de l’invention giorgionesque perdurera longtemps dans l’art vénitien. Il y eut, entre-temps, ceux qui la reprirent pour l’inclure dans des compositions plus vastes. C’est le cas de Giovanni Bellini qui, quelques années après l’exécution de la Vénus endormie (Venise, vers 1433 - 1516), s’inspire de son cadet de l’arrière-pays (une cinquantaine d’années les séparent) pour inclure une femme à moitié nue, allongée comme la Vénus endormie, dans son Festin des dieux, œuvre de 1514 conservée à la National Gallery de Washington: il s’agit d’une nymphe (probablement Lotide) poursuivie par le dieu Priape, qui l’aborde furtivement pendant son sommeil. Il faut cependant préciser que les deux personnages reproduisent aussi fidèlement la gravure de l’Hypnerotomachia Poliphili, une œuvre que Bellini connaissait certainement, et il est donc difficile de comprendre quelle a été sa source et l’ampleur de son recours à Giorgione, ou de quelle manière Giorgone a pu orienter ses intentions. Il en va de même pour Dosso Dossi (Giovanni Francesco di Niccolò Luteri ; San Giovanni del Dosso?, vers 1489 - Ferrare, 1542), qui adopte le même schéma dans son Pan et la Nymphe, vers 1524, allégorie mythologique aujourd’hui conservée au Getty Museum de Los Angeles: ici aussi, nous trouvons une nymphe endormie, entourée de deux figures féminines, tandis que Pan surgit derrière elles. Comme c’est le cas pour le peintre ferrarais d’adoption, il est extrêmement difficile de reconstituer l’intrigue du tableau, mais on peut dire que Dosso, qui connaissait bien les œuvres de Giorgione, a peut-être emprunté au peintre de Castelfranco le motif de la femme nue allongée dans le paysage (un paysage qui, dans l’œuvre de Dosso, est nettement giorgionesque).
Palma il Vecchio (Jacopo Negretti ; Serina, vers 1480 - Venise, 1528) a particulièrement apprécié l’idée de Giorgione: sa Nymphe dans un paysage, également conservée à la Gemäldegalerie de Dresde, est peut-être l’exemple le plus célèbre d’un groupe d’œuvres similaires, comme la Vénus dans un paysage de la Courtauld Gallery de Londres, qui diffère de celle de Dresde en ce que, contrairement à cette dernière, elle couvre son pubis, ou comme la Vénus et Cupidon dans un paysage du Norton Simon Museum de Pasadena, une copie de celle de Londres avec le simple ajout du petit dieu de l’amour, ou encore comme la Vénus et Cupidon du Fitzwilliam Museum, où la déesse sensuelle reçoit une flèche de son fils (bien que nous ne sachions pas qui la transmet à qui): il est probable que Palma l’Ancien ait voulu illustrer ici l’antécédent de l’histoire de Vénus et Adonis, la déesse se frappant par erreur avec une flèche de Cupidon et tombant amoureuse du beau jeune homme). La Nymphe, cependant, est conceptuellement plus proche de l’œuvre de Licinius (bien qu’antérieure: elle peut être datée d’environ 1518-1520) que de celle de Giorgione: bien que, par rapport aux femmes de Giorgione et de Licinius, celle de Palma soit droite et regarde le spectateur dans les yeux, ici toute référence à la déesse de l’amour disparaît (il est vrai que même chez Giorgione les liens étaient ténus): la pose, qui rappelle celle de la Vénus pudique couvrant son pubis, et le lien avec les origines de la famille), et la main est loin des parties génitales, signe que cette nymphe, compte tenu également de son attitude, semble n’attendre rien d’autre que de se donner. L’érudit Mauro Zanchi s’est longuement attardé sur la nymphe en la justifiant par des raisons littéraires, notamment en se référant aux Asolani de Pietro Bembo (Venise, 1470 - Rome, 1547), où, écrit Zanchi, “les femmes sont considérées comme les nymphes des bois, capables d’enchanter les hommes d’un seul regard et de les attirer par la beauté de leur corps nu, devenant parfois un obstacle sur le chemin tortueux qui mène à la réalisation de l’élévation morale”. On pourrait lire la Nymphe de cette manière, mais le même historien de l’art prévient que, dans la même production de Palma il Vecchio, on peut aussi saisir des messages opposés, comme dans le cas des Vénus, qui deviennent “une synthèse d’un idéal de beauté virginale”, d’autant plus que le peintre semble presque introduire une double identification, en ajoutant à Vénus certaines caractéristiques de la déesse Artémis, connue pour être vierge (on peut considérer “le geste de la main gauche en V inversé comme un attribut de Diane”, et on peut penser “que le dieu de l’amour décoche une flèche qui pourrait aussi être tirée du carquois de la déesse lunaire”: le geste des doigts en ciseaux apparaît souvent chez les nymphes de Palma). Diane est d’ailleurs la protagoniste, avec d’autres nymphes, d’un tableau conservé au Kunsthistorisches Museum de Vienne: des œuvres comme celles que nous venons de passer en revue, pour Zanchi, pourraient également contenir des “messages proto-féministes”, dans la mesure où les compositions sont peuplées de femmes “émancipées” (une lecture sans doute trop extrême: car s’il est vrai qu’au début du XVIe siècle, les femmes jouissaient d’un meilleur statut qu’aux époques précédentes, cela n’était vrai que pour certaines villes et, bien sûr, pour les échelons supérieurs de la société).
D’autres œuvres appartiennent au même climat, comme la soi-disant Vénus dans un paysage de Giovanni Cariani (Fuipiano al Brembo, vers 1485 - Venise, 1547), appelée “Vénus” bien qu’aucun détail ne permette de l’identifier avec certitude comme la déesse de l’amour, ou la splendide Vénus et Cupidon de Lorenzo Lotto (Venise, 1480 - Lorette, 1556/1557), conservée au Metropolitan Museum de New York et presque certainement peinte, elle aussi, à l’occasion d’un mariage (peut-être celui de deux nobles bergamasques, Girolamo Brembati et Caterina Suardi: à l’époque, Bergame faisait partie de la République de Venise). Parmi les tableaux vus jusqu’à présent, celui de Lorenzo Lotto est le plus riche en références symboliques: les roses, les boucles d’oreilles en perles, la corne d’abondance (symbole de fertilité et de prospérité), le myrte (allusion à l’amour), le diadème (typique des mariées), le brasero (autre référence au mariage, puisque c’était un objet qui meublait les chambres nuptiales de l’époque). L’attitude légère et goliardesque de Cupidon, qui effectue unemiction acrobatique à travers la guirlande, est incroyablement curieuse: ce geste a été lu comme un symbole de fertilité, puisque la mimique rappelle la pénétration et l’éjaculation qui s’ensuit. Enfin, il convient d’ajouter une dernière œuvre, qui donne matière à discussion: il s’agit de la Vénus de Giulio Campagnola (Padoue, 1482 - après 1515), la plus proche chronologiquement de la Vénus de Giorgione, puisqu’elle a été peinte vers 1510.
Giovanni Bellini, Festin des dieux (1514 ; huile sur toile, 170,2 x 188 cm ; Washington, National Gallery of Art) |
Dosso Dossi, Pan et la nymphe (vers 1524 ; huile sur toile, 163,8 x 145,4 cm ; Los Angeles, J. Paul Getty Museum) |
Palma l’Ancien, Nymphe dans un paysage (vers 1518-1520 ; huile sur toile, 113 x 186 cm ; Dresde, Gemäldegalerie) |
Palma l’Ancien, Vénus dans un paysage (vers 1520 ; huile sur toile, 77,5 x 152,7 cm ; Londres, Courtauld Gallery) |
Palma l’Ancien, Vénus et Cupidon dans un paysage (vers 1515 ; huile sur toile, 88,9 x 167 cm ; Pasadena, Norton Simon Museum) |
Palma l’Ancien, Vénus et Cupidon (vers 1520 ; huile sur toile, 118,1 x 208,9 cm ; Cambridge, Fitzwilliam Museum) |
Palma l’Ancien, Bain de nymphes (1519-1520 ; huile sur toile appliquée sur panneau, 77,5 x 124 cm ; Vienne, Kunsthistorisches Museum) |
Lorenzo Lotto, Vénus et Cupidon (vers 1525 ; huile sur toile, 92,4 x 111,4 cm ; New York, The Metropolitan Museum) |
Giovanni Cariani, Vénus dans un paysage (vers 1530-1535 ; huile sur toile, 80,5 x 138,5 cm ; Windsor, Royal Collection) |
Giulio Campagnola, Vénus dans un paysage (1510-1515 ; gravure, 121 x 182 mm ; Londres, British Museum) |
La gravure de Campagnola est intéressante car, contrairement à toutes les Vénus et nymphes vues jusqu’à présent, la protagoniste tourne le dos au sujet, ce qui ne l’empêche pas de tenir une main entre ses jambes. Ce geste a été interprété par l’historienne de l’art Maria Ruvoldt comme une allusion à la masturbation. Il faut dire que l’historienne a également interprété le geste de la Vénus de Giorgione de la même manière, et au moins pour Campagnola il n’y aurait pas beaucoup de place pour le doute, selon elle: le fait est que les jambes de la déesse ne sont pas croisées, mais plutôt légèrement écartées, un signe que la Vénus de l’artiste padouan est probablement en train d’introduire une main pour se procurer du plaisir. Nous ne savons pas si elle se repose ou si elle a les yeux fermés parce qu’elle profite pleinement du moment qu’elle s’est accordé: en tout cas, il est encore plus intéressant d’essayer de comprendre pourquoi elle tourne le dos à l’observateur. C’est probablement comme si Campagnola voulait établir une sorte de barrière entre la femme et le spectateur: sa gravure n’est pas une célébration de l’amour conjugal, mais plutôt un nouvel hymne à la sensualité, et cette distance par rapport à l’homme qui la désire (et qui pourrait renvoyer à Pétrarque) la rend séduisante mais distante. C’est dans cette ambiguïté que réside probablement le sens de la représentation. Ruvoldt écrit que “en stimulant le désir du sujet tout en forçant son annulation, la femme semble pousser l’observateur au-delà du tangible, au-delà des aspects physiques du désir, afin d’atteindre cette transcendance spirituelle qui rend l’amour possible”.
La masturbation, a-t-on dit, a également été remise en question pour la Vénus endormie (ainsi que, pourrait-on ajouter, pour la Vénus d’Urbino): le geste des déesses, en effet, laisse place à de telles possibilités d’interprétation. Les deux poètes Katharine Harris Bradley et Edith Emma Cooper, qui écrivaient sous le pseudonyme masculin de Michael Field à la fin du XIXe siècle, ont dédié un poème à la Vénus de Giorgione, intitulé La Vénus endormie, dans lequel elles parlent ouvertement du plaisir auto-provoqué: “Sa main laisse la surface tendue de la cuisse, / Tomber à l’intérieur. Même le sommeil / N’invalide pas le plaisir profond, / Universel, que le sexe / Se doit d’annexer / Même le sommeil le plus calme ; en paix, / Plus profonde avec l’augmentation du repos, / Elle jouit du bien / D’une délicieuse féminité”. Il est bien connu que les traités médicaux de l’Antiquité (à partir de Galien), ainsi que ceux du Moyen-Âge, associaient l’orgasme de la femme à la fertilité et que, par conséquent, la masturbation féminine était acceptée et recommandée par les médecins comme étant fonctionnelle à la procréation. Nous ne savons pas si cette lecture peut correspondre à la réalité, mais il faut dire que la haute société vénitienne du début du XVIe siècle était très ouverte et tolérante, et que de telles références ne sont pas si étranges dans une peinture produite par un contexte aussi cultivé et sensible.
Bibliographie de référence
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