Pourquoi Nanni? Parce que sans lui l’aurore de la Renaissance manquerait d’une lumière splendide. Parce qu’il est nécessaire de rééquilibrer la connaissance des véritables racines de la Renaissance elle-même. Parce que l’année prochaine sera le sixième centenaire de sa mort et que Florence devra lui consacrer toute l’année, et qu’il faut dès maintenant une préparation intense, avec une véritable ampleur populaire, pour que chaque Italien et chaque visiteur puissent être imprégnés de la joie fermentée et indélébile de le connaître. Une exposition ne sera pas nécessaire puisque toutes ses œuvres, sculpturales, se trouvent dans un rayon de deux cents mètres dans la ville, mais des études approfondies sont indispensables. En outre, nous vivons actuellement un moment historique au cours duquel (suite aux appels sincères des dernières décennies) presque toutes les œuvres de Nanni ont bénéficié d’une restauration adéquate et lumineuse, à commencer par la restauration véritablement triomphale de la Porta della Mandorla de la cathédrale de Florence. Rappelons qu’Ilaria Baratta et Federico Giannini avaient déjà consacré une attention particulière à ce père de la Renaissance. Nous plaçons ici une contribution qui est une petite histoire, mais aussi une méditation que nous espérons utile.
Nanni avait épousé sa Nanna, et les deux jeunes gens s’aimaient, mais une mystérieuse maladie enleva l’artiste éclairé en février 1421, alors qu’il venait de fêter ses trente ans. Il fut tristement enterré à Santa Croce, où reposent les hommes aimés et méritants de la Cité des Fleurs. Dans une petite pierre tombale, il parle brièvement de lui-même: “Sculptor eram excellens claris natalibus ortus - me prohibet de me dicere plura pudor” (“J’étais un excellent sculpteur, né d’une famille claire, la retenue m’interdit de dire beaucoup de choses sur moi-même”).
De son grand-père, qui portait le nom audacieux de Banco Falco, nous savons peu de choses, mais il était peut-être déjà un citoyen distingué. De son père Antonio, nous savons qu’il était avant tout un entrepreneur de marbreries et probablement lui-même un travailleur de la pierre: il fut plusieurs fois consul de l’Arte dei Maestri di Pietra e Legname (Guilde des maîtres de la pierre et du bois) et, le 11 avril 1414, il fut élu maître d’œuvre de l’Opera del Duomo. Nanni est donc venu au monde au milieu des maillets retentissants et des marteaux de cuivre, des ciseaux et des éclats de marbre, probablement en 1390 ou peu avant, et à l’âge de six ans il est entré dans l’atelier selon la coutume de l’époque (“bottega come iscuola” disait-on en Toscane): là, il a aspiré le métier avec ses yeux et ses mains (“tu ’à da rubar con gli occhi”, était la maxime des garzoncelli). Il se retrouve parmi les perches et les tréteaux, parmi les sixtes et les croceras, parmi les archers et les mannequins, parmi les bocciarde et les violons d’exercice ; il apprend à battre la terre, à dresser les figures, à monter sur les balchi pour peser les “poids” des figures libres ; puis à dresser les cuivres pour les moulages et à couler le plâtre ; enfin, mouiller les blocs de marbre de tous côtés pour saisir les veines et le grain, et en même temps comprendre la profondeur des creux des pointes et des grains ; scapucciare les arêtes et placer l’épaisse fente de la subbie selon le tracé enveloppant du modelage. Il est devenu adepte de la trempe des fers à la forge pour des coupes plus douces et plus nettes ; il a saisi tous les grains des finitions de surface, entre les polissoirs et les râpes. Il a fait de la callosité omniprésente à la racine de l’auriculaire de sa main gauche, un sceau de maîtrise.
En février 1405, il est inscrit dans l’art de son père, avec un serment, et cela nous confronte à une maturité précoce, certes extraordinaire en soi, mais pas unique et hautement significative. Deux choses que les sources documentaires ne nous disent pas, mais qui nous sont révélées par les œuvres: sa vocation exceptionnelle de “ statuaire ” et sa formation culturelle, qui a dû être élevée, de même niveau. En ce qui concerne cette dernière, nous devons penser à une profonde capacité de jugement sur les œuvres de l’antiquité classique et sur les œuvres plus récentes de la magnifique école préhumaniste de Pise, ainsi que de Jacopo della Quercia. Une éducation qui comprenait une forte méditation biblico-religieuse, une étude anatomique d’une nouveauté et d’un naturel authentiques, des voyages de connaissance et une faculté sélective aiguë dans le jeu observateur des comparaisons formelles continues.
Si les Pères de la Renaissance sont considérés à juste titre comme des “génies de l’art”, Nanni en fait partie à juste titre. Rappelons donc les noms des trois compagnons qu’il a eus sur la route de sa jeunesse: Filippo Brunelleschi (Florence, 1377 - 1446), Lorenzo Ghiberti (Pelago, 1378 - Florence, 1455), Donatello dei Bardi (Florence, 1386 - 1466). Nous sommes devant quatre Pères, quatre sculpteurs, chacun avec une personnalité spécifique mais tous dotés de cette sur-voix inséparable pour concevoir les complexes inhérents à la sculpture (les façades, les portes, les autels, les chapelles, les tabernacles, les chaires, etc.) Un groupe formidable qui se tournait vers l’ancien et choisissait en même temps, avec un esprit très moderne, la “représentation du naturel”. Filippo préférait ruminer les formes des bâtiments et les perceptions oculaires ; Lorenzo se plongeait dans une extrême douceur, d’une extraordinaire capacité de communication ; Donato était secoué par une agitation qui lui permit de faire des percées et de réaliser des chefs-d’œuvre. Nanni (le plus jeune, doté d’une force admirable) se concentre surtout sur la figure solitaire et le marbre, sur le corps plein de vie: Homme !
Il faut donner une rapide image existentielle et de travail de Nanni. Il aurait pu être inscrit à l’âge de quinze ans, ce que les documents permettent de reconnaître ; il continua à travailler avec son père et les nombreux collaborateurs de l’entreprise, toujours nécessaire pour s’attaquer aux blocs de marbre. Sa main et son travail se distinguent rapidement. Nous avons peu de notes sur ses commandes et cela a donné lieu à des datations parfois trop différentes sur les mêmes figures par les chercheurs: nous dirions presque un signe de reconnaissance, au moins, sur la cohérence du style dans la continuité de Nanni. L’ensemble de son œuvre se situe dans les quinze années entre 1406 et 1421. Très actif socialement, il fut plusieurs fois Consul de la Guilde des Maîtres de la Pierre. Il exerça des fonctions civiques de grande importance: il fut élu à plusieurs reprises podestat dans certains des centres extérieurs de la République florentine ; il exerça la fonction d’“officier de nuit” dans la ville et fut également parmi les “seize” qui étaient les Gonfalonieri di Compagnia (de grande autorité, disent les anciens Statuts). Il reçut l’estime du public et put donner des garanties financières à Donatello, son ami. Sa collaboration avec Brunelleschi pour le modèle de la coupole du Dôme est documentée, avec sa récompense relative ; cette nouvelle lui assure le plus grand accueil dans la “renovatio” que Florence était en train d’élaborer à la vue du monde. Sa mort prématurée l’empêcha de développer son œuvre et sa renommée: il ne reste de lui que quelques chefs-d’œuvre en marbre.
Il travailla en deux phases sur la solennelle Porta della Mandorla, une longue œuvre structurelle de son père sur le flanc gauche du Duomo, face à l’arrivée de la route des pèlerins la plus typique: dans sa toute première jeunesse, puis dans les années de sa pleine activité. Tandis que son père développait les sguinci, ou montants saillants de l’œuvre monumentale, Nanni s’occupait des sculptures décoratives (décoratives, certes, mais significatives dans un sens créatif et historique) si vives et tactiles, et il osait y insérer, avec un naturel piquant, parmi les autres figures, la présence mnémonique de l’héroïsme hellénique (Héraclès à plusieurs reprises) comme témoignage du “temps de l’attente” dans l’histoire haute et classique des peuples “gentils”.
Avec les figures suivantes, nous nous trouvons dans la première phase (années 1406 - 1407). Nous voyons tout d’abord la vue générale de la porte, puis les détails de la frise, et enfin le célèbre Profetino, auquel correspond une figure similaire, plus recueillie, de Donatello (aujourd’hui toutes deux au musée du Dôme).
Florence, Porta della Mandorla (Porte de l’Amande) sur le flanc gauche du Dôme, ancienne entrée populaire de Santa Maria del Fiore devant l’actuelle Via Ricasoli, ancien chemin de pèlerinage. Illustre travail de marbre réalisé par Antonio di Banco et son fils Nanni (1391 - 1423). La vue montre la restauration récente, principalement effectuée par Mgr Timothy Verdon. Sur les piliers à côté de la ghimberga se trouvent deux prophètes manquants, aujourd’hui conservés au Museo dell’Opera del Duomo. |
Ces deux figures d’Hercule, aujourd’hui conservées au musée, témoignent de la plénitude de l’hypothèse classique dans la formation et l’âme de Nanni. Elles sont la première magnifique bannière ancienne à éclairer l’âpreté volitive de la Renaissance italienne. |
Nanni, Nudo di spalle dans les frises de la Porta della Mandorla. Une version surprenante et presque incroyable de la douceur du corps masculin (peut-être un Asclépios, dieu des guérisons, avec son serpent) qui, à la limite de l’occasionnel médiéval, nous restitue la douceur sensuelle d’un hellénisme serein. |
Le Christ de Pitié (ou Homme de Douleur) au sommet de la frise de la Porte des Amandiers. Une figure stupéfiante qui marque l’aboutissement harmonieux et immédiat de l’anatomie en relief. C’est ici que Nanni ouvre véritablement la Renaissance. Ces œuvres nous permettent de comprendre comment Brunelleschi a voulu se lier à son ami pour ses recherches idéales et structurelles. |
Les Profetini della Porta della Mandorla (1404 - 1407). Il s’agit des célèbres ouvre-portes de la Renaissance à Florence, aujourd’hui conservés au musée du Dôme. Première réalisation émouvante des deux jeunes amis. Celle de gauche est attribuée à Donatello, celle de droite à l’unanimité à Nanni: toutes deux révèlent la vocation à la “sculpture complète”, c’est-à-dire à la statue. En effet, la figure de marbre seule et debout est, pour les nouveaux hommes de la Renaissance, la concentration compendieuse de toutes les vertus exprimables et, en même temps, la domination de l’espace environnant, sa qualification conceptuelle. Le prophète de Nanni adhère avec une majesté intime au pilier élevé, signe de la possession non méritée de la voix de Dieu. Sa composition est parfaite: elle commence innervée comme un jeune arbre en croissance, se propulse du pied gauche et virevolte avec une fermeté mesurée, pour s’achever dans une axialité dynamique et sublime. L’ensemble est équilibré par les membres et le drapé. Voilà l’envoyé de Dieu, l’inspiré, le prophète serein ! Son ami Donatello, quelques années plus tard, choisira la posture précise de ce prototype absolu pour son célèbre Saint Georges d’Orsanmichele. |
Voyons maintenant les trois grandes figures statuaires qui ont été demandées à Nanni immédiatement après son premier engagement à la Mandorla. Il est important et significatif de voir comment, le 24 janvier 1408, Nanni est désigné par les ouvriers du Dôme comme l’auteur de l’Isaïe à placer sur les éperons de la tribune nord, donc en plein air, au sommet, et comment, un mois plus tard, Donatello est sollicité “dans les mêmes conditions que le Maestro Nanni” pour le David peu convaincant qui se trouve aujourd’hui au Bargello. Même l’Isaïe, achevé en décembre de la même année, n’atteindra pas les sproni mais sera placé dans le Duomo.
Le 19 décembre 1408, les mêmes ouvriers décidèrent d’exécuter trois évangélistes pour la façade du Dôme, confiés à Nanni, Donatello et Nicolò di Pietro Lamberti: le quatrième serait réservé comme prix pour le meilleur des trois. Il n’en fut pas ainsi, et nous éviterons de suivre les méandres de l’affaire. Nanni achève son San Luca à la fin de l’année 1412 tandis que Donatello, plus apathique et maintes fois sollicité, livre le San Giovanni deux ans et demi plus tard. Il s’agit d’une deuxième confrontation entre les deux amis, après celle des prophètes de la Mandorle.
L’image de saint Philippe, insérée à la demande de la guilde des cordonniers, fut l’occasion pour Nanni de s’identifier à l’esprit de cet apôtre qui, dans un ravissement mystique, demanda à Jésus de pouvoir voir le Père. Vasari lui-même, bien que sujet à des digressions chronologiques, note “la bonne grâce et la vivacité de la tête”. Il s’agissait pour le sculpteur de donner un mouvement d’esprit intense à une figure destinée à des fins monumentales: la première à apparaître pour lui dans un tabernacle officiel à l’extérieur d’Orsanmichele. Et ce ne fut pas une preuve oubliable, du délicieux chérubin de la frise de la base du Tabernacle à l’extraordinaire Créateur de la ghimberga: deux images précoces, très claires, de nature à remplir le cœur à l’aube de la Renaissance italienne.
Nanni di Banco, Saint Isaïe, détail de la tête (1408 ; Florence, Dôme, nef droite). Une tâche difficile qui devait tenir compte de la hauteur considérable au-dessus du vide à laquelle la statue était destinée: une figure massive et puissante, donc, mais aussi déplacée pour jouer avec la forte lumière. Il semble en effet qu’elle ait été placée sur les éperons de la tribune, mais qu’elle se soit ensuite retirée au sol. La confrontation idéale que Nanni a eue avec le plus grand prophète de l’histoire divine, et comment la faire sortir du marbre ; le sculpteur s’est surtout concentré sur l’intensité du visage, que nous montrons ici, et il l’a voulu tendu dans la prémonition du message de Dieu à proclamer, et avec l’œil fixé sur les déconcertations du monde. Voici son impressionnant profil. |
Michel-Ange, David, détail de la tête de profil (1501-1504 ; Florence, Galleria dell’Accademia). Le jeune Buonarroti, qui connaissait par cœur toute la Divine Comédie, s’était également doté d’une étonnante culture figurative, incisive et sélective au plus haut point. C’est avec certitude qu’il avait considéré Nanni comme un maître idéal. Et voici le profil de David, qui n’est pas sans rappeler la pose absolue de l’ancien Isaïe. |
Nanni, Saint Luc (1409-1412). C’est le premier grand monument de la Renaissance italienne. Une figure solennelle, ample, parfaite, un symbole total de la nouvelle conception de la personne terrestre telle qu’elle s’est formée dans le groupe précurseur de l’humanisme. Nanni en fut l’interprète rayonnant. L’évangéliste, scribe mansuetudinis Dei, est pleinement conscient de sa mission, serein dans son visage inoubliable. Il n’a rien d’autre que l’imposant attirail gothique, barbes et boucles. Il est essentiellement pensée ! |
Saint Luc par Nanni et Saint Jean l’Évangéliste par Donatello. La prise de vue photographique est antérieure à la disposition actuelle et en définit certains aspects. Chaque sculpteur disposait d’un bloc de marbre de 205 cm de haut mais de 52 cm d’épaisseur seulement. Une difficulté considérable dans cette relation, d’autant plus que les prophètes devaient apparaître en pied et assis. Nanni définit pleinement chaque partie, tandis que Donatello coupe les épaules de son saint Jean, le penche en avant et l’incruste dans ses figures apocalyptiques ; il doit ainsi tenir sa barbe en diagonale, ce qui n’est pas naturel. Ici, Nanni fait preuve d’une grande maîtrise ! |
La tête et le visage de saint Luc. Un chef-d’œuvre tenu haut et isolé, stupéfiante reprise du cànone de Lysippe. Ici, l’homme de Dieu est aussi le cólto rètore latino et le protagoniste florentin du nouvel âge civil radieux. |
Nanni, Saint Philippe (1409 - 1411 ; Florence, Orsanmichele Tabernacle). Entre 1408 et 1409, Nanni reçoit la double commande du Tabernacle des Saints couronnés et du Saint Philippe: il termine ce dernier pour l’Arte dei Calzaioli d’abord, et dans cette image nous pouvons voir l’œuvre de l’artiste dans sa totalité: de l’indicible et tendre chérubin de la frise de base à la splendide figure éternelle de la ghimberga. Le saint correspond étonnamment à ce que Jean écrit dans son évangile (14, 8), lorsque Philippe, poussé par le désir, demande à Jésus: “Montre-nous le Père”. Léonard, dans ses dessins et dans la Cène, rendra parfaitement compte de ce ravissement de l’âme, que Nanni exprime ici de façon sublime. |
Nous devons au Tabernacle des quatre saints couronnés une considération particulière: il s’agit d’une commande exceptionnelle par les dimensions de l’œuvre (le plus grand tabernacle d’Orsanmichele, abritant pas moins de quatre personnages en pied) et par le choix significatif de Nanni comme auteur par sa propre guilde, celle de l’Art des maîtres de la pierre et du bois, qui souhaitait y faire figurer ses saints patrons, les martyrs. Mais au-dessus des autres œuvres très nobles, toutes religieuses, Nanni fait preuve ici d’une pensée puissante qui dépasse la simple célébration des saints patrons ; il conçoit en effet la valeur suprême de la solidarité spirituelle et s’engage au sens figuré dans l’affirmation du concept d’unité de l’église et de la société humaine.
Nanni, Tabernacle des maîtres de la pierre et du bois (1408 - 1413 ; Florence, Orsanmichele). Le tabernacle devient presque une chapelle, un édicule spacieux de caractère courtois, orné sur les montants et tous les murs de draperies impériales: un signe de l’honneur le plus élevé. La mentalité vétéro-classique de ce père de la Renaissance s’étend ici, qui s’impose de plus en plus dans la majesté sans tache des saints sculptés qui ont refusé par la foi de servir les idoles païennes. |
Les quatre saints couronnés après restauration (Florence, Museo di Orsanmichele). La firmitas romaine des témoins de l’Évangile ressort complètement de la conversation qui soude leurs esprits en une unité indéfectible. Voici un cénacle d’esprits ! C’est la merveille monumentale de la nouvelle saison artistique ineunte. À l’orée de la première décennie du XVe siècle, la puissance du manifeste statuaire de Nanni se déverse avec force dans le groupe des novi homines qui l’accompagnent. |
La coupole de Santa Maria del Fiore, Florence (1420-1436). Nous la voyons comme sinus Virginis, comme une déclaration de l’unité de l’Église. Il est fascinant de penser que Nanni a contribué à la conception de cette coupole dès le début. |
Masaccio, Scène d’hommage, détail (1424-1427 ; Florence, chapelle Brancacci au Carmine). Ici, les apôtres, qui représentent l’Église, entourent le Christ, comme le font idéalement les quatre saints couronnés. L’influence de Masaccio sur Nanni est évidente et emblématique, avec un élan historique égal. |
Détail des visages des protecteurs des maîtres de la pierre. Le pouvoir éthique de Nanni se réalise dans les formes monumentales de la pleine vertu spirituelle, où les saints convenerunt in unum! Une réalisation qui constitue un pivot dans la présence artistique de tous les temps. |
Frise de base du Tabernacle des Maîtres de la Pierre et du Bois à Orsanmichele. Presque un cadeau affectueux de Nanni et un document sur les coutumes de travail. Voici l’atelier des marbriers. |
Le Saint Eligius de Nanni est le paradigme de toute figure statuaire, seule et debout. Un absolu dans l’œuvre d’un sculpteur, que le jeune artiste a réalisé à un moment encore précoce de l’humanisme de la Renaissance. De l’avis de Paolo Vaccarino (auquel nous renvoyons pour la suite de la lecture le volume fondamental “Nanni”, 1950), ce tabernacle est le dernier des trois exécutés pour Orsanmichele, probablement déjà commencé en 1414, avant le San Giorgio de Donatello, et réalisé alors que le projet de la coupole de Santa Maria del Fiore était en pleine gestation. Une statue, un homme, un saint patron des travailleurs du métal: maréchaux-ferrants et orfèvres. Parler des orfèvres de Florence, c’est toucher à la source de toute maîtrise artistique, de tout raffinement et de toute beauté. Ceux-ci ont choisi Nanni pour leur Sant’Eligio qui devait les représenter aux yeux de tous les visiteurs, de tous les marchands, de toutes les personnalités qui viendraient à Florence ! Nous sommes à l’apogée de l’engagement de représentation, avec tout ce que cela implique. Et Saint Eligius dominera avec une suprême dignitas l’esprit de chaque parent.
Le tabernacle de Sant’Eligio à Orsanmichele. Clairement inséré dans le bord concave de la niche, le saint évêque adhère avec une vitalité de mouvement et de présence qui naît de l’appui précis et calibré du pied droit, de la légère avancée de l’autre genou et se rassemble dans la double torsion du corps vivant. La rotation pivotante limpide, accompagnée du rassemblement correct des plis de la ceinture, et la cambrure majestueuse du torse d’où s’épanouit la tête en onglet, sont soutenues par le mouvement équilibré des bras et enfin éclairées par le regard qui couvre une distance idéale. Dans sa ponderatio ascendante, c’est la statue parfaite du début de la Renaissance italienne. |
Le Saint Eligius vu de près. Où tout est essentiel et où les rythmes planent en chiasmes musicaux. |
Le visage du saint (avant restauration). De cette intensité mentale de domination de l’espace naît toute la complexité sémantique de la sculpture honorifique italienne. |
Le grand fronton triangulaire (ghimberga), somptueux et richement sculpté, qui couronne l’architecture de la Porta della Mandorla est la dernière œuvre de Nanni, réalisée de 1414 à 1420 avec les interruptions nécessaires pour achever d’autres travaux et pour les absences dues à ses devoirs civiques. Entreprise très noble et “extrêmement rare”, comme le dit Vasari, elle résume dans sa vision mirifique tout le magistère créatif de l’artiste, toute sa culture théologique et factuelle, et certainement toute l’émotion de son cœur. Les ouvriers de Santa Maria del Fiore ont évalué cette œuvre à un montant extrêmement élevé, complétant ainsi le paiement à Nanna, l’unique héritière. La scène représente l’Assomption de Marie, c’est-à-dire la plus grande gloire et le plus grand honneur de la Mère de Dieu. La mandorle, doux héritage de la symbolique antique, est un signe de la célérité de la figure enfermée et de l’éclat de la lumière qui en émane. La montée au ciel de Marie, portée par les anges, se fait donc entre terre et ciel par une foule d’anges joyeux et musicaux, dans un concert de bonheur, au milieu du vent qui agite les robes et les membres, et qui contribue à l’appel d’un triomphe spirituel qui est aussi un triomphe de l’art. La restauration récente a redonné toute sa splendeur à cette merveille chorale du début du XVe siècle.
La partie terrestre est représentée par saint Thomas enchanté, figure spontanée et complexe, qui reçoit la ceinture de la Vierge, et par l’ours sans méfiance (avertissement aux mortels) qui se perd dans la douceur du rayon de miel. Mais la merveille totale de l’opus magnum est l’énergie surhumaine des anges, l’incroyable fraîcheur de chaque corps, de chaque mouvement, et la lumière qui anime tout. Nanni célèbre ici sa chère sculpture en atteignant véritablement la transcendance temporelle des formes, c’est-à-dire un art pleinement intemporel.
Le fronton sommital (ghimberga) de la Porta della Mandorla (1414 - 1420). Cet hymne suprême à la vicissitude humaine de Marie, qui monte et certifie la vicissitude de chacun de nous armé de charitas, naît de manière créative d’une divination que Nanni a obtenue de sa propre foi et de sa propre culture: une rencontre qui transfigure l’imaginatio médiévale en une pleine renaissance qui dépasse toutes les frontières temporelles. |
Nanni, Le visage de Marie dans l’Assomption de la Porte des Amandiers. Une création mystique et royale d’une humanité vivante et consacrée. Une nouvelle cogitatio pour un visage humain d’une pureté sublime, de Celle qui “ad aethéreum thálamum” est élevée. |
Michel-Ange. Le visage de Marie dans la Pietà du Vatican (1497-1499). Le regard fulgurant du jeune Michel-Ange n’a pas manqué d’arracher le modèle à son grand prédécesseur. Le XVe siècle s’ouvre et se ferme ainsi sur le langage élevé des deux maîtres. |
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