Les visions ancestrales et intemporelles de Simone Pellegrini


Simone Pellegrini propose un art intemporel fait de visions ancestrales peuplées de corps humains entrelacés, d'êtres phytomorphes, d'organismes primordiaux et de codes étranges. Un profil de son art.

Nombreux sont ceux qui ont écrit sur Simone Pellegrini (Ancône, 1972) et qui n’ont pu s’empêcher de citer Aby Warburg. De même que le grand historien de l’art allemand avait créé son atlas Mnémosyne pour construire ses cartes de la mémoire figurative, l’artiste des Marches donne vie à des cartes de symboles qui semblent perpétuer dans le monde contemporain des énigmes de symboles ancestraux qui composent des visions bizarres peuplées d’étranges créatures phytomorphes, d’organismes unicellulaires, d’hommes et de femmes qui fusionnent leurs corps dans des amplexes féconds, d’objets qui se transforment et acquièrent une nouvelle nature. Et ce, sans références précises à des époques ou à des lieux. Les cartes de Simone Pellegrini pourraient provenir d’une antiquité indéfinie: le voyage part des peintures rupestres de la préhistoire (pensons à celles d’Altamira) et se poursuit dans l’histoire de l’art médiéval, des reliefs entrelacés des anciennes cathédrales romanes aux alphabets fantaisistes de Giovannino de’ Grassi, mais va plus loin, à la découverte de civilisations lointaines, traversant l’Est de Siyah Qalem et atteignant l’extrême Ouest de la sculpture maya.

Le processus de création des œuvres de Pellegrini a également des origines anciennes: ses cartes utilisent une technique proche du monotype, dont l’invention remonte au grand Giovanni Benedetto Castiglione, connu sous le nom de Grechetto, l’un des artistes les plus importants de la Gênes du XVIIe siècle. L’artiste créait des images individuelles fragmentées, ses monotypes spéciaux, et après les avoir huilées puis séchées, il les imprimait sur du papier, puis détruisait les matrices, les originaux. Il s’agit presque d’une transposition technique de la tendance évidente à dépasser l’individualité pour tenter de retracer une histoire de la culture et une histoire du monde. Pour la même raison, c’est-à-dire pour transcender l’individu, les corps n’apparaissent presque jamais dans leur intégralité: ils sont décomposés et démembrés, presque comme s’ils étaient les vétérans de rituels dionysiaques où l’individu était sacrifié au nom du dieu. Et le tout apparaît enveloppé dans un langage que Simone Pellegrini définit lui-même comme baroque: “parce qu’il oxymore sans cesse, il se refuse au pli”, soulignait-il dans l’un de ses écrits.



Des tensions similaires ont toujours été présentes dans l’œuvre de Simone Pellegrini. Un exemple est une œuvre de 2005, L’ordo degli incomparabili, où la composition, tracée sur du papier jauni, brûlé et déchiré (le support typique des œuvres de l’artiste, presque un parchemin non épargné par l’action du temps) nous transporte dans une forêt dense où l’on observe une femme dans laquelle un fluide s’écoule de ses parties génitales, une lymphe, qui gonfle au fur et à mesure qu’elle avance dans la forêt, attire quelques hommes qui s’allongent pour s’en abreuver, puis se perd dans l’entrée sombre d’une caverne qui met fin à son périple. Il s’agit presque d’une métaphore du cycle de la vie, qui pourrait toutefois être lue dans le sens inverse, le fluide émanant d’une divinité habitant la caverne et s’écoulant pour féconder la femme. Cette poétique de l’ambiguïté est typique de la production de Simone Pellegrini. Tout aussi typiques sont certains symboles récurrents: cellules flottantes, jambes entrelacées, symboles phalliques, organes génitaux féminins, graines et membranes. Dans Conversazione azimutale (Conversation azimutale), par exemple, deux personnages aux traits insaisissables (l’un d’eux n’a même pas de haut du corps: là encore, des personnages sans connotation individuelle) discutent à l’orée d’une forêt dont les arbres sont disposés en cercle. Des arbres qui rappellent presque les miniatures du XIIIe siècle d’Hildegard de Bingen, où les plantes jaillissant d’un cercle symbolisaient le passage du temps et des saisons, mais l’ambiguïté sous-jacente de la figuration de Pellegrini fait que ces étranges pins nous apparaissent presque comme des fluides convergeant vers l’anneau central... ou vice-versa. Au milieu de ces éléments, un énorme phallus se détache, vers lequel hommes et femmes tendent et qui célèbre le caractère sacré de l’union. Tout le décor, souligne Simone Pellegrini à propos des symboles récurrents dans ses œuvres, est prêt à accueillir l’événement [...]. Dans la représentation sont déterminés les éléments destinés à induire le représentant lui-même à la révélation - souvenir de ce qui, loin de l’exproprier, le relocalise. Ici l’apotropaïque. Ici la représentation anticipée, la représentation comme délimitation du lieu épiphanique où la disposition des éléments devient une formule prétexte à l’apparition de l’acteur. Circonscrire l’espace de la précipitation temporelle, où l’émergence signique est immédiatement donnée comme un texte apòcryphe. Regarder donc, comme on regarde ce qui ne nous appartient pas. Avec désir".

Simone Pellegrini, L'ordre des incomparables
Simone Pellegrini, L’ordo degli incomparabili (2005 ; technique mixte sur papier, 200 x 310 cm)


Simone Pellegrini, L'ordre des incomparables, dettaglio
Simone Pellegrini, L’ordo degli incomparabili, détail


Simone Pellegrini, L'ordre des incomparables, dettaglio
Simone Pellegrini, L’ordo degli incomparabili, détail


Simone Pellegrini, L'ordre des incomparables, dettaglio
Simone Pellegrini, L’ordo degli incomparabili, détail


Simone Pellegrini, L'ordre des incomparables, dettaglio
Simone Pellegrini, L’ordre des incomparables, détail


Simone Pellegrini, conversation azimutée
Simone Pellegrini, Azimuth Conversation (2010 ; techniques mixtes sur papier, 55 x 108 cm)

Cette théorie convulsive des symboles se retrouve également dans des œuvres plus récentes, comme Andante causato, où l’on voit des amandes qui semblent tirées de miniatures médiévales (mais qui, au lieu de la divinité, contiennent des parties du corps humain, des bras entrelacés, des cuisses de femmes écartées). ), des organismes primordiaux flottant au milieu des flammes, de la végétation et des germinations diverses, des éléments qui se répliquent, des petites foules de femmes et d’hommes qui se multiplient. L’œuvre, datant de 2017, est présentée lors de la dernière exposition personnelle de Simone Pellegrini, Ostrakon, qui s’est tenue du 24 mars au 5 mai 2018 dans les espaces de la galerie Cardelli et Fontana à Sarzana, avec laquelle l’artiste collabore depuis plusieurs années et qui a accueilli plusieurs de ses expositions. Ostrakon était le fragment de faïence sur lequel, dans la Grèce antique, on inscrivait les noms des citoyens qui devaient être exilés. De la même manière, les fragments qui composent les scènes de Simone Pellegrini transmettent des messages, des contenus. Pietrò Gagliano précise que “comme en présence de tout code, la question se pose de savoir à quelles sphères il permet d’accéder, quels mondes il relie et de quelle manière ce code, rendu pénétrable, décodé, peut être utilisé”. Une réponse possible, parmi d’autres, peut donc être trouvée “dans la construction de la forme, c’est-à-dire dans ce que nous pouvons définir comme la dissolution continue de l’idée de l’artiste dans la figuration: un horizon qui contient l’icône, dans son sens originel d’image, et la place dans le réseau de liens culturels et émotionnels présents chez l’auteur et introduits intentionnellement par lui dans l’œuvre (ou parfois, comme nous le verrons, émergé de manière presque autonome, en vertu d’une vitalité propre et secrètement ramifiée dont les images sont dotées)”. Ostrakon, donc, aussi comme “exil” de l’idée sur le support matériel.

L’exposition présente également les livres sur lesquels Simone Pellegrini trace ses dessins. Dessiner sur les pages des livres est une pratique que l’artiste a toujours pratiquée et qui lui permet de fixer sur le papier les premières idées de ses grandes compositions. Les livres (Simone Pellegrini montre une prédilection particulière pour le mysticisme, la religion, la poésie, la philosophie) génèrent des idées, et les idées sont immédiatement fixées sur leurs pages, même sans qu’il y ait une référence directe à ce qui a émergé de la lecture: l’art de Simone Pellegrini, comme l’a souligné Viviana Scarinci, n’a pas de dette de gratitude envers les livres, puisque l’artiste “défend la pureté de sa vision” même à partir de ces pages qui constituent souvent l’origine de son univers figuratif. Cependant, on ne saurait comprendre pleinement l’art de Simone Pellegrini sans connaître ces dessins qui nous paraissent presque instinctifs, mais qui sont en réalité le résultat d’élaborations méditées: car l’imagination de l’artiste est souvent stimulée par les mots. Ceux-ci ne sont rien d’autre que des signes (un langage en tout point semblable à celui que l’artiste tente de créer à l’aide de figures). Ce sont d’ailleurs des produits profondément différents des œuvres destinées à être accrochées aux murs. Car dans ces livres, l’artiste est en contact direct avec le support. Ce n’est pas le cas dans les œuvres plus grandes, puisque ces dernières accueillent des impressions qui proviennent de matrices, dont Simone Pellegrini, comme prévu, se débarrassera par la suite. Et il est intéressant de noter comment la matrice, l’objet sur lequel Simone Pellegrini intervient directement, est en même temps la partie de l’œuvre destinée à la destruction, au sacrifice.

Le sacrifice fait partie intégrante de l’œuvre car, comme l’artiste le rappelle souvent, sa recherche porte sur l’homme, ses involutions et ses évolutions, qui impliquent nécessairement des bouleversements, des luttes, des destructions et des renaissances. Ce que nous voyons dans les cartes de Simone Pellegrini est un univers qui se rencontre et s’entrechoque, et où le corps humain, comme dans les traités médiévaux, s’identifie presque au cosmos lui-même, mais l’approche de l’artiste des Marches est contemporaine: “les expressions de l’art contemporain”, explique Pietro Gaglianò, “ont emprunté la réciprocité entre le céleste et le terrestre dans d’innombrables variations”, “en la dépouillant chaque fois de la transcendance et en la ramenant à l’expérience de la vie”. Il s’agit d’une recherche qui sonde les domaines primordiaux de l’homme, en s’enveloppant de symboles qui semblent appartenir à la sphère du sacré, mais en maintenant une perspective toujours “anthropocentrique cohérente” et qui “ne cherche pas un public”, n’entend pas communiquer avec “une communauté précise qui partage son langage”, parce que, poursuit Gaglianò, elle a l’intention de dilater son propre temps historique.

Simone Pellegrini, Andante causé
Simone Pellegrini, Andante causato (2017 ; techniques mixtes sur papier, 108 x 210 cm)


Simone Pellegrini, Andante causé, dettaglio
Simone Pellegrini, Andante causato, détail


Simone Pellegrini, Andante causé, dettaglio
Simone Pellegrini, Andante causato, détail


Simone Pellegrini, Andante causé, dettaglio
Simone Pellegrini, Andante causato, détail


Exposition Ostrakon de Simone Pellegrini. Ph. Crédit Cardelli et galerie Fontana, Sarzana
L’exposition Ostrakon de Simone Pellegrini. Ph. Crédit Galleria Cardelli e Fontana, Sarzana


Exposition Ostrakon de Simone Pellegrini. Ph. Crédit Cardelli et galerie Fontana, Sarzana
L’exposition Ostrakon de Simone Pellegrini. Ph. Crédit Galleria Cardelli e Fontana, Sarzana


Dessins sur des livres de Simone Pellegrini
Dessins sur livres de Simone Pellegrini


Dessins sur des livres de Simone Pellegrini
Dessins sur livres de Simone Pellegrini


Simone Pellegrini, Conditions générales
Simone Pellegrini, Conditions de fond (2017 ; techniques mixtes sur papier, 127 x 230 cm).


Simone Pellegrini, Conditions générales, dettaglio
Simone Pellegrini, Conditions de base, détail


Simone Pellegrini, Vario diaphanous
Simone Pellegrini, Vario diaphanous (2017 ; technique mixte sur papier, 95 x 165 cm).


Simone Pellegrini, Vario diaphanous, dettaglio
Simone Pellegrini, Vario diaphane, détail

L’œuvre de Simone Pellegrini, par essence, se situe en dehors du temps. Et c’est aussi dans ce sens qu’il faut lire le primitivisme fondamental de ses compositions: un primitivisme qui, cependant, dans sa dimension de recherche sur l’homme et non de recherche sur l’art, l’assimile plus à un Piero di Cosimo qu’à un avant-gardiste du début du XXe siècle. Pour ces raisons, son investigation ne cherche même pas le beau, et utilise peu d’outils. Son art cryptique semble lui-même fondé sur des procédures qui nous paraissent rituelles. Des signes peu nombreux, répétitifs, qui reproduisent toujours la même gamme chromatique dépouillée (rouge, noir, sépia: après tout, les plus anciennes couleurs utilisées par l’homme pour produire de l’art) et qui prennent une valeur universelle. Des dessins qui sont “comme des sinopies brûlées, des traces d’un epos autrement gracieux, entre une saveur de fraîcheur populaire et des filigranes de mythe naissant” (Flaminio Gualdoni). Des dessins denses et vigoureux qui, même dans le trait, suggèrent cette charnalité qui imprègne chaque composition de Simone Pellegrini.

Un art essentiellement visionnaire, plein de mythes lointains, de traces de civilisations perdues, de couleurs préhistoriques, d’enchevêtrements de membres fertiles qui expriment une sexualité épanouie, de constructions qui conservent la mémoire d’anciennes cosmologies. Des œuvres dans lesquelles toute intention narrative est perdue. Des œuvres qui ne sont pas du tout immédiates, mais qui exigent une jouissance lente, réfléchie, en phase avec leur genèse. Des œuvres où tout est en constante métamorphose.

Simone Pellegrini est né à Ancône en 1972 et vit et travaille actuellement à Bologne. Diplômé de l’Académie des beaux-arts d’Urbino en 2000, il expose ses œuvres depuis 1996. Depuis 2003, il travaille avec les galeries Cardelli et Fontana à Sarzana et, depuis 2006, avec la galerie Hachmeister à Münster, en Allemagne. Il a participé à diverses expositions dans des contextes internationaux (notamment trois éditions de la Biennale de Venise, en 2015, 2013 et 2011, ainsi que des foires de classe mondiale et d’importantes expositions de groupe) et a organisé des expositions individuelles en Italie et à l’étranger. Ses œuvres se trouvent au MAMBo de Bologne, dans la collection permanente de la Bologna Fiere, dans la collection Volker Feierabend de Francfort-sur-le-Main, au Musei Civici de Monza, dans les collections du Palazzo Forti de Vérone et dans de nombreuses autres collections. Il enseigne également la peinture à l’Académie des beaux-arts de Bologne.


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