San Quirico d’Orcia, 1941: le jeune Federico Zeri (Rome, 1921 - Mentana, 1998) est appelé sous les drapeaux pendant la Seconde Guerre mondiale et envoyé à Florence, dans l’artillerie légère. Pour le futur historien de l’art, l’expérience de la guerre s’est révélée être un moment de grande difficulté et de souffrance intérieure: dans une interview, il déclarera plus tard qu’il ne partageait “aucun des objectifs ou ”idéaux“ censés justifier la guerre”, bien qu’il ait été obligé, comme tant d’autres jeunes hommes, de subir les conséquences de la folie qui détruisait l’Europe à l’époque. “Je suis entré dans une sorte de crise d’abattement, je suis devenu très maigre et je suis tombé malade d’une pleurésie qui a été mal soignée”. Zeri est d’abord soigné à l’hôpital de Florence, puis il est transféré dans le petit village du Val d’Orcia: il est notamment hébergé au Palazzo Chigi Zondadari. Les pièces du palais, raconte l’érudit, “étaient remplies de paille et à l’intérieur tout était encore intact, avec des vitres au plomb, des murs en cuir compressé de Cordoue. Je me souviens qu’il y avait aussi des peintures et des meubles. Et le plus curieux, c’est que personne n’a volé, personne n’a emporté la moindre épingle, alors que le palais était ouvert à tous”.
Le palais Chigi Zondadari se trouve juste à côté de la collégiale de San Quirico d’Orcia, dédiée aux saints Quirico et Giulitta: il s’agit d’une église romano-gothique bien conservée, malgré les reconstructions qu’elle a subies au cours des siècles et les dommages qu’elle a subis pendant la guerre mondiale. C’est précisément entre les murs de l’église que se produit la rencontre qui marquera Federico Zeri à jamais et sera décisive pour le choix des études qui le conduiront à devenir historien de l’art. C’est ici, dans ce village des collines toscanes, que le jeune homme, alors étudiant en botanique, rencontre l’œuvre qui déterminera l’abandon de la voie qu’il avait suivie jusqu’alors et le début d’un parcours qui fera de lui l’un des plus grands spécialistes de l’histoire de l’art de tous les temps. “À côté du palais où nous dormions sur la paille, à même le sol”, raconte le chercheur aux micros d’un documentaire de la RAI, "il y avait la collégiale de San Quirico d’Orcia. Et là, j’ai vu une œuvre d’art qui m’a choqué, et qui est encore là, heureusement. Il s’agit des incrustations du chœur réalisé par Barili pour la cathédrale de Sienne, qui a ensuite été démonté et dispersé, et il me semble que sept pièces se trouvent aujourd’hui à San Quirico d’Orcia".
Federico Zeri photographié par Gianni Berengo Gardin en 1988 |
San Quirico d’Orcia: la collégiale des Santi Quirico e Giulitta et, sur le côté, le Palazzo Chigi Zondadari |
Le maître-autel de la collégiale de San Quirico d’Orcia |
Antonio Barili, chœur en bois (1483-1504 ; San Quirico d’Orcia, collégiale des saints Quirico et Giulitta) |
L’œuvre qui a choqué Federico Zeri, les stalles en bois du chœur réalisées pour la cathédrale de Sienne par Antonio Barili (Sienne, 1453 - vers 1529), remonte à une période comprise entre 1483, année où les incrustations furent commandées au grand sculpteur par Monsieur Alberto Aringhieri (Recteur de l’Opera del Duomo) pour la chapelle de Saint Jean Baptiste, et 1504, année où l’on enregistre le dernier paiement. L’entreprise a duré vingt ans car, entre-temps, Barili était impliqué dans d’autres projets, mais il s’agissait néanmoins d’un travail compliqué, car il y avait à l’origine dix-neuf panneaux, tous finement décorés et insérés dans une structure qui traversait la majeure partie de la chapelle octogonale de Saint-Jean-Baptiste: les panneaux individuels, chacun décoré de différentes figures, étaient divisés par de petits pilastres cannelés surmontés de chapiteaux corinthiens. Une architrave courait ensuite au-dessus des panneaux, puis une frise, également décorée de motifs animaliers et végétaux, et le tout était fermé par une corniche. Dans les sept panneaux qui subsistent, nous pouvons encore observer cette structure, mais nous ne pouvons qu’imaginer à quel point elle était élaborée avant que le chœur ne soit démantelé et dispersé. Déjà dans l’Antiquité, l’œuvre de Barili était en mauvais état de conservation. C’est ainsi que l’érudit Alfonso Landi en parle en 1655 dans son Racconto di pitture, di statue e d’altre opere eccellenti che si trovano nel tempio della Cattedrale di Siena: “tale opera fu agguattata, e tolta alla vista delle persone, et al loro godimento, perché fu messo in luogo quasi del tutto oscuro [.... ou plutôt qu’il a souffert d’une autre mauvaise rencontre, parce que certaines de ses peintures sont décapées, et qu’il a souffert des vers à bois, puisqu’il a peut-être été placé de façon si délicate autour de murs construits à neuf, et pas encore suffisamment rasés”. Vers à bois, négligence et humidité ont donc été les causes de la détérioration du chœur d’Antonio Barili, qui a été démantelé dès 1663.
Le sort de onze des dix-neuf panneaux d’origine est inconnu. L’un d’entre eux est entré dans les collections du Museum für angewandte Kunst (musée des arts appliqués) de Vienne en 1869: il s’agit du panneau sur lequel, cas unique pour un sculpteur, Antonio Barili s’est représenté en train de tailler du bois, et qui a été détruit pendant la Seconde Guerre mondiale (on ne le connaît aujourd’hui qu’à travers des reproductions). Sur ce panneau, l’artiste a laissé sa signature avec l’inscription “Hoc ego Antonius Barilis opus coelo non penicillo exussi A.D. MDII” (“Moi, Antonio Barili, j’ai exécuté cette œuvre en 1502, non pas avec un pinceau, mais avec un ciseau”). Les sept autres sont ceux de San Quirico d’Orcia: ils ont été déplacés ici en 1749 grâce à l’intérêt de Flavio Chigi, qui a veillé à ce que l’œuvre ne subisse pas de dommages plus importants que ceux qu’elle avait déjà subis.
Pour examiner de plus près les panneaux qui se trouvent aujourd’hui dans la collégiale, disposés derrière le maître-autel, nous pouvons encore utiliser la description d’Alfonso Landi, bien qu’ils aient été remontés dans un ordre qui ne reflète pas l’ordre ancien, pour la reconstruction duquel l’œuvre de Landi est néanmoins une source précieuse. En partant de la gauche, dans la première apparaît “une porte majestueuse, d’où l’on peut voir un jardin, et à l’intérieur de celui-ci apparaissent divers arbustes avec des fruits suspendus, et en bas il y a une petite table, dans laquelle il y a un encrier avec une plume, et un petit temple, avec un dossier, qui sort du dit encrier avec ces mots: ”Alberto Aringheri Operaio fabre fatcum“”. La deuxième est celle où “est représentée Sainte Catherine avec des roues jusqu’aux hanches, avec des roues en dessous, en train de disputer avec le tyran”. Dans la troisième, nous trouvons “un homme jusqu’aux hanches, jouant du luth”, et “au-dessus de cet homme apparaît un jardin avec divers arbustes”. Le quatrième est un saint non spécifié, “le visage et les bras droits levés vers le ciel”. Le cinquième représente “un corps d’orgues avec un homme qui, le visage levé, jouit de la douceur du son, et sur le côté de l’orgue se trouvent les armoiries de l’Opéra, et en dessous les armoiries du recteur Aringhieri”. Dans le sixième, il y a “la figure d’un jeune homme avec, au-dessous, une chemise portant l’inscription ”Joannis Baptiste discipulus“”, c’est-à-dire “disciple de Jean Baptiste”. Enfin, le septième est celui que Landi décrit pour la première fois: “une armoire ouverte, à l’intérieur de laquelle on peut voir et sculpter de nombreux outils de menuisiers et d’architectes”.
Le panneau avec l’autoportrait d’Antonio Barili (anciennement à Vienne, Museum für angewandte Kunst ; détruit pendant la Seconde Guerre mondiale) et celui avec l’armoire à outils. |
Le panneau avec le saint et celui avec la “porte majestueuse”. |
Le panneau avec le disciple de Jean-Baptiste et le panneau avec l’homme au luth |
Le panneau avec Sainte Catherine d’Alexandrie et celui avec le “corps d’orgues”. |
Le chœur de Barili est une œuvre extraordinaire à plusieurs égards, à commencer par les aspects documentaires les plus marqués: deux des panneaux connus nous permettent de mieux connaître le métier du sculpteur, dont nous voyons les outils dans le panneau avec le cabinet. Ainsi, au niveau supérieur, on trouve une scie à archet, un petit rabot et une équerre, tandis qu’au niveau inférieur, on trouve un autre rabot, des pinces, une règle et un pot de colle. Le panneau perdu de Vienne, où l’on a pu voir Antonio Barili travailler avec un couteau d’épaule, présente un grand intérêt: il s’agit d’un outil que l’on manie avec les mains mais qui repose sur les épaules afin que l’instrument offre un meilleur contrôle et une plus grande puissance. Du point de vue stylistique, il s’agit d’une œuvre menée avec beaucoup d’habileté. La recherche de la troisième dimension, avec des fenêtres qui s’ouvrent sur les personnages, l’exceptionnel clair-obscur des drapés (regardez la manche du saint au bras droit levé) obtenu grâce à des combinaisons de petites portions de bois de différentes teintes, les subtiles gravures qui recréent des boucles et des mèches de cheveux sont autant de détails qui mettent en évidence le savoir-faire presque virtuose d’Antonio Barili.
Bien que cette œuvre soit peu connue du grand public, de nombreux érudits se sont penchés sur les espaliers conservés à San Quirico d’Orcia: la qualité artistique des incrustations est d’ailleurs exceptionnelle et reconnue depuis l’antiquité. Cette qualité a fait penser à la main d’un grand peintre derrière les cartons: selon Carlo Sisi, il est possible que ce soit Luca Signorelli (Cortona, c. 1450 - 1523) qui ait fourni le dessin à Antonio Barili, étant donné les affinités stylistiques évidentes du chœur de la cathédrale de Sienne avec la production de Signorelli. Barili avait donné à ses incrustations une connotation picturale, cherchant à évoquer, par l’utilisation du bois, l’effet de la couleur: une caractéristique qui devait rapprocher son travail de celui d’un peintre. De plus, Sisi avait trouvé plusieurs similitudes entre les figures du chœur de San Quirico d’Orcia et celles des œuvres de Luca Signorelli (en particulier, les types que l’artiste de Cortone a insérés dans ses tableaux entre 1497 et 1499, période à laquelle il était actif à Sienne, correspondent à ceux que Barili a utilisés pour les stalles en bois) et était convaincu que la main d’un artiste de premier plan se cachait derrière les incrustations. Avant Sisi, d’autres avaient tenté de démêler ce nœud: Enzo Carli, par exemple, pensait que le créateur était Antonio Barili lui-même. L’hypothèse paraissait toutefois peu plausible à ceux qui pensaient qu’un sculpteur ne pouvait pas atteindre des niveaux qualitatifs aussi élevés, d’autant plus que nous connaissons d’autres œuvres de Barili qui n’atteignent pas le niveau des incrustations présentes aujourd’hui dans le Val d’Orcia. Alessandro Angelini a émis l’hypothèse que l’auteur des cartons pourrait être Pietro Orioli (Sienne, 1458 - Sienne, 1496) en vertu du sens de la perspective que les stalles de San Quirico d’Orca partagent avec les œuvres d’Orioli. En effet, beaucoup se sont interrogés sur les perspectives exceptionnelles présentes dans le cycle (observez les figures des saints, mais aussi l’incroyable armoire, dotée d’un illusionnisme surprenant): il est probable que Barili ait eu connaissance des solutions de Piero della Francesca (Borgo Sansepolcro, c. 1412 - 1492). Plus récemment, Pier Paolo Donati a proposé le nom de Bartolomeo della Gatta (Florence, 1448 - Arezzo, 1502), l’un des plus grands artistes toscans de son temps, proche stylistiquement de Luca Signorelli (bien que cela ait déjà été suggéré dans le passé).
Mais qu’en pense Federico Zeri, le savant le plus proche de l’œuvre de Barili? Le grand historien de l’art romain s’est retrouvé à écrire sur les incrustations de San Quirico d’Orcia dans un essai de 1982, dans lequel il accueille favorablement l’hypothèse de Carlo Sisi, en ajoutant toutefois: “que l’hypothèse signorellesque soit vraie ou non, il n’en reste pas moins que les incrustations d’Antonio Barili, dans leur dépassement de la tradition artisanale spécifique, dans leurs allusions anti-classiques, dans leur rapport entre espace, figures et mouvement, ne constituent pas un texte de signification locale, mais impliquent toute la situation figurative italienne entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle”. Les incrustations d’Antonio Barili s’inscrivent d’ailleurs dans cette culture pierfrancesque qui avait commencé à se répandre d’Urbino vers le reste de l’Italie et qui poussait de nombreux artistes de l’époque à approfondir leurs recherches sur la perspective. Même les incrustateurs ne se sont pas soustraits à cette nécessité, et Antonio Barili le prouve avec un chœur qui se distingue par sa recherche de l’illusionnisme perspectif, dont l’effet devait être particulièrement saisissant dans la chapelle de San Giovanni. Et cette linéarité presque irréelle qui distingue les œuvres produites dans le contexte de la culture d’Urbino est la même que celle qui a imprégné l’œuvre de Giorgio De Chirico (Volos, 1888 - Rome, 1978), comme le suggère Zeri lui-même: “étrangement, j’ai trouvé dans ces incrustations de la fin du XVe siècle le même esprit qui plane dans certaines peintures métaphysiques de De Chirico. C’est précisément cette rencontre qui a changé ma vie”.
Bibliographie de référence
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