Dans ses Vies des peintres, sculpteurs et architectes, le peintre Giovanni Baglione, dans le chapitre consacré à l’artiste florentin Jacopo Zucchi (Florence, vers 1541 - Rome, 1596), évoque la collaboration entre ce dernier et le cardinal Ferdinand de Médicis (Florence, 1549 - 1609), initié très jeune à la carrière ecclésiastique (il reçut la pourpre à treize ans seulement) mais destiné à devenir grand-duc de Toscane en 1587, après la mort de son frère François Ier. Baglione écrit, à propos de Zucchi: “Il vint jeune à Rome sous le pontificat de Grégoire XIII et fut protégé par Ferdinand de Médicis, devenu cardinal ; il le garda chez lui et lui fit peindre beaucoup de choses, dont un studiolo, qui se trouve dans le palais du jardin des Médicis, représentant une pêche corail avec de nombreuses femmes nues mais de petite taille, parmi lesquelles de nombreux portraits de diverses dames romaines de l’époque, très belles et dignes, ainsi que belles, d’être vues”. L’œuvre à laquelle Baglione fait référence ornait autrefois le cabinet (“studiolo”) de Ferdinand de Médicis dans sa résidence romaine, Palazzo Firenze, aujourd’hui siège de la Société Dante Alighieri: quatre versions du tableau sont connues, mais celle de la plus haute qualité, et celle qui se trouvait très probablement à l’origine à Palazzo Firenze, est celle qui se trouve aujourd’hui à la Galleria Borghese à Rome. Les autres se trouvent à la Galerie nationale Borys Voznytsky de Lviv en Ukraine et dans deux collections privées, l’une à Milan et l’autre en Russie. Le tableau est connu sous le nom de La pêche au corail, comme l’a noté Baglione. En réalité, ce titre est insuffisant pour décrire le tableau, car la pêche au corail n’est pas la seule activité à laquelle se livrent les protagonistes de l’œuvre. D’autres titres ont donc été proposés: Les trésors de la mer, La découverte de l’Amérique et Le royaume d’Amphitrite, ce dernier, inventé par l’historien de l’art Philippe Morel, l’emportant sur les autres.
Le sujet est inhabituel et curieux. La scène se déroule sur une longue falaise sur laquelle sont assis plusieurs personnages (essentiellement des femmes, toutes nues) qui montrent au spectateur une série de trésors récupérés dans les fonds marins: coraux, coquillages, huîtres, perles, crustacés de toutes sortes. Au premier plan, sur la petite plage d’où part la falaise, cinq personnages sont disposés en demi-cercle: trois femmes nues ornées de perles, un vieil homme à la longue barbe blanche, également nu, et un chérubin au premier plan, à côté d’un singe assis sur le sable, portant ironiquement des perles, dans une pose presque vaine. À gauche, une autre femme élève un énorme murice épineux au-dessus de sa tête, derrière elle une compagne regarde vers nous en posant sa tête sur sa main, et tout près un homme noir, modelé sur l’exemple du Torse du Belvédère (les deux nymphes près de la figure centrale ont été rapprochées par l’érudite Ianthi Assimakopoulou des poses des personnages du sarcophage romain du Jugement de Pâris à la Villa Médicis à Rome), tient un arc dans une main et un perroquet dans l’autre. Plus loin, on aperçoit une nuée de personnages occupés à pêcher en mer ou à regagner les îlots à l’arrière-plan: une barque avec deux pêcheurs à droite s’approche du récif, une femme nage après avoir réussi à attraper un corail, etc. À l’horizon, le ciel se confond avec la mer. Les couleurs sont éclatantes, les carnations sont rendues dans des tons nacrés lumineux, l’éclat de la mer ondulante, les détails sont rendus avec le soin et le raffinement d’un miniaturiste et rehaussés par les propriétés du cuivre, le matériau sur lequel Zucchi a peint la scène: les valeurs formelles contribuent également à faire de cette œuvre l’une des peintures les plus intrigantes de la fin du XVIe siècle à Rome.
Il s’agit en effet d’une œuvre rare, bien qu’elle ait un illustre précédent, à savoir la Pesca delle perle qu’Alessandro Allori (Florence, 1535 - 1607) avait exécutée une quinzaine d’années plus tôt, entre 1570 et 1572, pour le Studiolo de François Ier au Palazzo Vecchio. “Sous l’eau”, écrit l’homme de lettres Vincenzo Borghini, dans une lettre adressée à Giorgio Vasari au cours de l’été 1570, “il doit y avoir une pêche de perles et de coraux faite par des nymphes marines, et des Tritons semblables à ceux que vous avez réalisés dans la Salle des éléments: et ce sera très agréable et vague”. L’atelier contenait des peintures faisant référence aux quatre éléments naturels (l’eau, l’air, la terre et le feu): la Pêche aux perles se référait évidemment à l’eau. Jacopo Zucchi connaissait très bien le précédent florentin, puisqu’il était l’un des artistes employés pour les décorations, tout comme le cardinal Ferdinand, qui se serait souvenu du tableau réalisé par son frère au moment de décider de la décoration de son studiolo au palais de Florence, et en particulier le cabinet réservé aux naturalia et artificialia, c’est-à-dire aux objets curieux du monde naturel et artificiel rassemblés dans une Wunderkammer (cabinet dont nous savons par ailleurs qu’il était en bois de noyer et qu’il comportait trente-trois tiroirs, vingt-quatre statuettes en bronze et neuf portes décorées de peintures sur cuivre). Le tableau de Zucchi est cependant beaucoup plus allusif et énigmatique que celui d’Allori.
L’intonation de la scène a conduit certains chercheurs à l’interpréter comme une allégorie de la découverte de l’Amérique, étant donné l’abondance de l’exotisme (les animaux, les figures mauresques, l’abondance de trésors qui était un topos commun associé au Nouveau Continent à l’époque) et étant donné que le thème est souvent attesté à la fin du XVIe siècle. Il s’agit toutefois d’une proposition peu convaincante: il est difficile d’imaginer qu’une peinture aussi associée à la mer puisse être comprise comme une allégorie de l’Amérique (à laquelle on associait généralement les fruits de la terre plutôt que ceux de la mer). D’un point de vue littéral, le tableau peut être lu comme une scène mythologique encombrée. La figure qui se détache au centre, la femme qui tient dans une main un corail et dans l’autre un coquillage avec des perles, a été interprétée comme Amphitrite, l’épouse de Poséidon, reine de la mer, en raison de la couronne qu’elle porte sur la tête (il y avait une sculpture d’Amphitrite par Stoldo Lorenzi dans le cabinet de travail de François Ier, qui s’y trouve encore aujourd’hui), tandis que les autres jeunes femmes nues qui l’accompagnent sont les Néréides, les nymphes de la mer. C’est donc Amphitrite elle-même qui présente les deux dons les plus précieux de la mer, les perles et le corail, comme pour souligner l’importance de ce qui était conservé dans le cabinet (vraisemblablement des objets liés à la mer ou à l’eau), et donc pour inviter son possesseur à en prendre soin. Elena Fasano Guarini, quant à elle, considère l’œuvre, dans la lignée des décorations du studiolo de Francesco I, comme une allégorie des industries des Médicis.
Il existe cependant un autre niveau d’interprétation, qui nécessite une prémisse: de tels tableaux étaient réservés à la contemplation privée de leur commanditaire, qui pouvait tout au plus décider d’élargir le public restreint des destinataires à quelques invités chanceux. On remarque que tant Amphitrite que les deux nymphes à ses côtés (mais on pourrait en dire autant des trois autres au premier plan, même si la ressemblance est moins marquée) ont toutes des traits similaires. Baglione écrivait déjà que l’on pouvait reconnaître dans ces femmes nues “de nombreux portraits de diverses très belles dames romaines de l’époque”, et le chercheur Edmond Pillsbury, auteur en 1980 d’une étude sur les “peintures de cabinet” de Jacopo Zucchi, a proposé d’identifier Amphitrite avec la noble romaine Clelia Farnese, qui avait épousé en 1570 Giovanni Giorgio Cesarini et était une amie proche du cardinal Ferdinando: Tout cela sur la base de la très forte ressemblance entre Amphitrite de la Pêche au corail et la dame représentée par Jacopo Zucchi dans un célèbre tableau de la Galleria Nazionale d’Arte Antica (qui est, en effet, Clelia Farnese). Fille illégitime du cardinal Alessandro Farnese (neveu du pape Paul III), elle avait été décrite par Michel de Montaigne, après son voyage en Italie en 1580-1581, comme “la plus belle femme de Rome, sans comparaison”. L’amitié entre Clélia Farnèse et Ferdinand de Médicis était peut-être plus qu’une simple amitié, et cela était connu même en dehors des salles des palais romains: l’érudite Jacqueline Marie Musacchio, dans le catalogue de l’exposition Art et Amour dans l’Italie de la Renaissance, qui se tient au Metropolitan Museum de New York, fait référence à la relation entre les deux avec une pasquinata qui, en termes non équivoques, disait: “Le docteur monte la mule Farnèse”. En effet, après la mort de Cesarini en 1585, les relations entre les deux hommes devinrent très étroites et le bruit courut que Clélia était devenue la maîtresse du cardinal. Cependant, nous ne savons pas avec certitude ce qui s’est passé entre les deux et quelle était la nature de leur relation.
Certes, ce n’est pas la première fois qu’un personnage contemporain est représenté sous les traits d’un dieu païen (l’exemple le plus célèbre est peut-être le Portrait d’Andrea Doria sous les traits de Neptune de Bronzino, une œuvre réalisée une trentaine d’années plus tôt et conservée à la Pinacothèque de Brera). Mais il aurait été excessif de voir une noble femme transfigurée en déesse, qui plus est nue, et qui plus est représentée à côté d’un cardinal sous les traits du dieu Poséidon, un élément absent de la version de la Galerie Borghèse, mais présent dans la version de Lviv, où l’on observe un personnage vêtu à l’antique et dont la physionomie peut être comparée, selon Pillsbury, à celle du portrait du cardinal par Scipione Pulzone. Pour cette raison, il n’est peut-être pas périlleux, du moins selon Pillsbury, de considérer le tableau de Lviv (qu’il a également publié) comme l’original (si ce n’est que celui de Rome est de meilleure qualité): le cardinal aurait pu garder pour lui le tableau dans lequel il était représenté avec Clélia, et faire circuler des répliques sans l’encart compromettant. Mais il aurait été tout aussi déshonorant pour la réputation d’un homme si soucieux de discrétion (même s’il ne parvenait pas toujours à la préserver: les commères l’avaient surnommé “Sardanapale”, du nom du légendaire roi assyrien connu pour ses mœurs dissolues), de faire circuler des œuvres où sa maîtresse était représentée sans voile: il est plus vraisemblable que les œuvres dérivées aient servi à décorer d’autres pièces. En outre, une règle non écrite en vigueur à l’époque voulait qu’une fille de cardinal (comme Clelia, fille d’Alessandro Farnese le jeune, le “Grand Cardinal”) ne puisse pas devenir la maîtresse d’un autre cardinal. Il était donc dans l’intérêt de Ferdinand de garder cette relation aussi cachée que possible.
En tout cas, Pillsbury cite une lettre de Pietro Usimbardi, secrétaire du cardinal, dans laquelle il parle des licences que le prélat aimait s’accorder: “Il ne manquait pas d’inclination à la lascivité, mais il la faisait toujours passer sans injure ni violence d’aucune sorte, et avec un grand respect pour la noblesse, qui n’avait jamais à s’en plaindre”. Certains éléments suggèrent également le sentiment d’une passion amoureuse démesurée: le perroquet, le singe, les perles et même les deux Maures sont autant de symboles de la luxure. Les Maures, d’ailleurs, pour une raison inconcevable selon notre morale: à la Renaissance, époque où les marchands florentins étaient très actifs dans la traite des esclaves, étant au centre du trafic commercial entre le Portugal et l’Italie, la morale chrétienne considérait le comportement des Africains et leur tendance à vivre peu vêtus, compte tenu des latitudes sous lesquelles ils vivaient, comme des signes de pulsions bestiales incontrôlables (le cardinal Ferdinand avait d’ailleurs des esclaves qui sont morts à Rome). Un symbolisme que le commanditaire du tableau aurait délibérément inclus pour faire allusion à des sentiments peu chastes à l’égard de Clélia Farnèse, d’autant plus que le tableau était son apanage exclusif? Il est difficile de le croire, mais la ressemblance est très forte et il y a une autre coïncidence: dans l’une des fresques du Palais de Florence, l’Allégorie de l’eau, une autre œuvre de Jacopo Zucchi, le visage de Clélia Farnèse réapparaît et elle tourne également son regard vers l’observateur. Et ce n’est pas tout: “pour confirmer discrètement qu’il s’agit bien d’elle”, écrit Elinor Myara Kelif, “elle fournit un emblème qui ne laisse guère de doute sur l’identité de la jeune femme: le lys de Farnèse renversé - et pourtant reconnaissable à l’œil d’un observateur attentif - reproduit sur les genoux de la figure”. Clélia Farnèse sous les traits d’Amphitrite, épouse de Poséidon, est ainsi associée au corail, matière à la nature complexe et prodigieuse, dotée de vertus propitiatoires et talismaniques, et en même temps rapprochée de Vénus, notamment à travers les perles, attributs de la déesse de l’amour".
En substance, indépendamment de la nature plus ou moins platonique de leur relation, il n’est pas improbable de penser que le cardinal ait voulu inclure le portrait de sa bien-aimée, nue, dans ce tableau, afin de pouvoir la contempler même en son absence (et, si l’on accorde foi à l’hypothèse selon laquelle les variantes ont été peintes pour d’autres de ses résidences, également pour l’avoir toujours auprès de lui). L’intérêt de Ferdinand de Médicis pour le corail n’est pas non plus scientifique. Pline, dans sa Naturalis Historia, avait déjà décrit plus de quarante remèdes naturels pouvant être extraits de cet animal (même si, encore à la Renaissance, on croyait qu’il s’agissait d’une plante dont les baies étaient molles sous l’eau mais capables de devenir aussi dures que la pierre lorsqu’elles étaient mises à sécher). Le studiolo de François Ier contient une célèbre peinture de Giorgio Vasari, Persée libérant Andromède, destinée à décorer un cabinet où était conservée une riche collection de coraux (la mythologie attribuait la naissance du corail au contact entre le sang de la tête de Méduse, tuée par Persée, et quelques brindilles trouvées sur l’eau au passage du héros: et Vasari avait traduit ce mythe en images dans sa peinture). La collection du studiolo comprenait, selon un inventaire, plus de quarante pièces de corail, dont des brindilles et des objets en corail travaillé: à l’époque, le corail, récolté directement dans les eaux de la côte toscane (au XVIe siècle, il y avait encore quelques petits récifs de corail devant la côte), était prisé non seulement pour sa beauté, mais aussi pour ses pouvoirs médicinaux et apotropaïques.
Ainsi, Ferdinand de Médicis, écrit Ianthi Assimakopoulou, "partageait avec son père Cosimo I de Médicis et son frère Francesco la même fascination pour la naturalia et l’artificialia. Rares dans la nature, objets d’un commerce lucratif, magistralement employés en joaillerie ainsi que dans la décoration des tables en pierre semi-précieuse produites dans les ateliers du palais romain du cardinal, les coraux ont fait l’objet d’une attention particulière de la part de Ferdinand. [...]. Tous ces facteurs, combinés au goût de Ferdinand pour l’antiquité, ont probablement motivé sa commande du Royaume d’Amphitrite ou de la Pêche aux coraux, ou plutôt d’un tableau qui mêle les deux thèmes, mythologique et historique". Sans négliger, bien sûr, le désir de célébrer son amante.
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