Le monde à l'envers de Yayoi Kusama


Alice des temps modernes, l'artiste japonaise Yayoi Kusama (Matsumoto, 1929) a eu une vie mouvementée, conditionnée par une enfance dans un environnement familial oppressant et empreint de tabous. Avec son art, elle a voulu trouver une issue en créant son propre monde à l'envers et en montrant la voie à suivre.

“Alice mourait d’ennui [...], elle avait jeté quelques coups d’œil au livre que lisait sa sœur, mais il n’y avait ni images ni dialogues”. Même Yayoi Kusama s’est ennuyée à mourir pendant son enfance, forcée de lire une vie qui n’était pas la sienne à travers des lentilles ternies par des enseignements et une éducation familiale oppressifs, imprégnés de lourds tabous socioculturels, de valeurs traditionnelles désuètes et d’héritages patriarcaux orientaux. Éducation, tabous, retard : une mèche explosive qui, le plus souvent, déflagre dans des existences “folles”, traversées d’épisodes d’hystérie, d’hallucinations et de troubles psychiques. De tels cas, surtout pour les femmes, harcelées depuis des millénaires par des conditions de vie exiguës, ont des issues sombres et inquiétantes ou, dans le meilleur des cas, anéantissantes. Mais l’inattendu est au coin de la rue et, comme dans les meilleurs contes de fées, il peut se transformer en quelque chose de réel. Car, parfois, l’imagination, l’art et la créativité prennent le dessus, agissant comme des échappatoires, ou plutôt, comme l’a dit Lewis Carroll, ils parviennent à nous catapulter dans le “terrier du lapin”, permettant à des choses extraordinaires de se produire. L’histoire de Yayoi Kusama en est un exemple.

Une petite fille qui a regardé le monde avec des yeux différents, bien à elle, où même les lois de la nature sont suspendues ; et ainsi, en se rapetissant ou en s’agrandissant, en forme de pois ou avec des citrouilles géantes et colorées, elle a recréé ce merveilleux pays intérieur à travers des œuvres hypnotiques, puissantes et magnétiques, incluant, oui, des figures, des symboles, des fleurs, des mots et des phallus, tous éléments que les tabous qu’elle avait subis avaient d’abord repoussés.

Née en 1929 au Japon, dessinant des pois, éléments vite arrachés au contrôle familial, elle a vite compris combien l’expression artistique était un outil cathartique capable de transformer sa vie, de l’étouffement à la libre expression. Dans sa ville natale, Matsumoto, où une place lui a été réservée dans la pépinière de la propriété familiale et où, alors qu’elle se promenait dans l’un des champs de fleurs, une lumière éblouissante a provoqué ses premières hallucinations, un “faux pas” fortuit, comme dans les meilleurs contes de fées, change sa perspective, bouleversant totalement sa situation : la lecture d’un livre de peintures de Georgia O’Keeffe, épouse du photographe Alfred Stieglitz. Tout s’enchaîne à la vitesse de l’éclair, Kusama la contacte et trouve une réponse.

Dès lors, elle “s’enfonce”, comme Alice, dans le pays des merveilles, tout en continuant à vivre dans un asile. C’est le début d’un monde parallèle fabuleux et d’une carrière fulgurante, jusqu’à l’opposition de sa famille qui détruit ses premières œuvres.

Yayoi Kusama. Photo : Jason Schmidt
Yayoi Kusama. Photo : Jason Schmidt
Yayoi Kusama, Fireflies on the Water (2022 ; miroirs, plexiglas, lumières et eau, 281,9 × 367 × 367 cm ; New York, Whitney Museum of American Art) © Yayoi Kusama. Photo : Sheldan C. Collins
Yayoi Kusama, Fireflies on the Water (2022 ; miroirs, plexiglas, lumières et eau, 281,9 × 367 × 367 cm ; New York, Whitney Museum of American Art) © Yayoi Kusama. Photo : Sheldan C. Collins
Yayoi Kusama, Infinity Nets (XSHTQ) (2017 ; acrylique sur toile, 130,5 x 194 cm).
Yayoi Kusama, Infinity Nets (XSHTQ) (2017 ; acrylique sur toile, 130,5 × 194 cm).
Yayoi Kusama, Infinity Nets (1951 ; encre sur papier, 39,4 x 25,7 cm ; New York, MoMA)
Yayoi Kusama, Infinity Nets (1951 ; encre sur papier, 39,4 x 25,7 cm ; New York, MoMA)
Yayoi Kusama avec Harry Shunk et János Kender, Anatomic Explosion (1968 ; New York)
Yayoi Kusama avec Harry Shunk et János Kender, Anatomic Explosion (1968 ; New York)

Première étape, Seattle, où elle expose en 1957 à la galerie de Zoe Dusanne, puis New York, destination recherchée, où, grâce aux références d’O’Keeffe, elle rencontre la marchande d’art Edith Halpert de la Downtown Gallery. Deux ans plus tard, en 1959, sa première exposition personnelle, Obsessional Monochrome, où sont également présentées ses grandes toiles monochromes, Infinity Nets, s’ouvre dans les salles de la Brata Gallery. Puis ce sont les murs de la célèbre galerie Leo Castelli et, en 1963, l’exposition de l’installation qui séduira Andy Warhol, Aggregation : One Thousand Boats Show. Et encore d’autres expositions personnelles : Driving Image Show de 1964, Infinity Mirror Room-Phallis Field de 1965, Love Forever de 1969, et ainsi de suite, jusqu’au happening Anatomic Explosion, les illustrations de la dernière édition (Fandango, 2013) d’Alice au pays des merveilles, pour arriver à l’exposition de l’année, Infinity Present ouverte à partir du 17 novembre 2023 au Palazzo della Ragione à Bergame : une exposition qui a déjà rendu le système de réservation “fou” et a forcé les organisateurs, The Blank, à étendre les heures d’ouverture, garantissant 10 000 entrées supplémentaires.

Alice moderne (“l’ancêtre des hippies”, comme elle le définit elle-même), Yayoi Kusama, après des années de grand succès aux Etats-Unis où elle expose aux côtés des plus grands de l’époque, minimalistes et conceptuels surtout, comme Claes Oldenburg, Robert Morris et l’Italien Piero Manzoni, rentre au Japon et va vivre, volontairement, dans un asile de Tokyo, depuis 1977. Elle y sera oubliée pour un temps, jusqu’à ce que les jeunes générations d’artistes reconnaissent son œuvre comme indispensable et s’y reconnaissent, notamment parce qu’elle est marquée par la “connexion entre le personnel et le formel, l’organique et le mécanique, le physique et l’intellectuel” (ainsi Graham W. J. Beal, directeur du Los Angeles County Museum of art).

C’est son retour. De nouveaux succès et expositions viendront couronner la renommée de l’artiste, avec même l’ouverture d’un musée qui lui est dédié. De nouvelles générations, mais pas seulement, de nouvelles tendances, études, interprétations et attentions pour le monde féminin contribuent également à ce retour. Effacement et semi effacement de l’objet, réduction au degré zéro du signe, exorcisation subversive du tabou du sexe, petits points colorés, c’est-à-dire un pointillisme qui devient “environnemental” et physique (je me réfère au Body Painting Happening, où des corps nus d’hommes et de femmes ont été peints de cette manière), des œuvres avec des couleurs, des couleurs, des couleurs, des couleurs, des couleurs, des couleurs, des couleurs, des couleurs, des couleurs, des couleurs, des couleurs, des couleurs. ), des œuvres avec un effet de toile d’araignée que l’on retrouve plus tard sous des formes plus monstrueuses et gigantesques chez l’artiste Louise Bourgeois, ou encore la performance contre le marché de l’art réalisée grâce à l’intervention de Lucio Fontana en tant que “off-show” à la Biennale de 1966 : lire correctement le monde à l’envers, “l’univers doux et sans forme” (Fabriano Fabbri) de Yayoi Kusama n’est ni un exercice de style ni une tâche facile. Et dans la critique moderne, son œuvre se déploie dans une double vision qui, d’une part, refléterait le processus de la Transavanguardia de Bonito Oliva, c’est-à-dire ce contexte artistique dans lequel “chaque œuvre suppose une dextérité expérimentale, la surprise de l’artiste devant une œuvre, n’est plus construite selon la certitude anticipée d’un projet et d’une idéologie, mais se forme sous ses yeux et sous le regard de l’artiste”. se forme sous ses yeux et sous l’impulsion d’une main qui s’enfonce dans la matière de l’art, dans un imaginaire fait d’une incarnation entre idée et sensibilité“, tandis que, d’autre part, il s’ouvre à la perspective esthétique formulée par Tosa Mitsuoki, selon laquelle ses ”principes se fondent sur la relation entre la réalité perceptible et la projection de celle-ci dans l’art. L’art a pour tâche d’“imiter la nature” mais, à un certain moment, l’artiste doit s’en éloigner et même la déformer".

Yayoi Kusama, Autoportrait (2015 ; acrylique sur toile, 145,5 x 112 cm ; collection de la Fondation Amoli).
Yayoi Kusama, Autoportrait (2015 ; acrylique sur toile, 145,5 x 112 cm ; collection de la Fondation Amoli).
Yayoi Kusama, Obliteration Room (2002 ; mobilier, peinture et autocollants à pois ; Brisbane, Queensland Art Gallery). Photo : QAGOMA Photography
Yayoi Kusama, Obliteration Room (2002 ; mobilier, peinture et autocollants à pois ; Brisbane, Queensland Art Gallery). Photo : QAGOMA Photography
Yayoi Kusama, All the Eternal Love I Have for the Pumpkins (2016 ; bois, miroirs, plastique, verre et LED)
Yayoi Kusama, All the Eternal Love I Have for the Pumpkins (2016 ; bois, miroirs, plastique, verre et LED).
Yayoi Kusama, Dot Obsession (2018 ; acrylique sur toile, 130,3 x 130,3 cm)
Yayoi Kusama, Dot Obsession (2018 ; acrylique sur toile, 130,3 x 130,3 cm)
Yayoi Kusama, Flower (1975 ; collage avec pastels, encre et tissu sur papier, 39,8 x 54,3 cm)
Yayoi Kusama, Flower (1975 ; collage avec pastels, encre et tissu sur papier, 39,8 x 54,3 cm).
Yayoi Kusama, Infinity Mirror Room. Phalli's Field (1965 ; tissu rembourré cousu, panneau de bois, miroir, 250 x 455 x 455 cm ; Paris, Fondation Louis Vuitton)
Yayoi Kusama, Infinity Mirror Room. Phalli’s Field (1965 ; tissu rembourré cousu, panneau de bois, miroir, 250 x 455 x 455 cm ; Paris, Fondation Louis Vuitton)

Le grand triomphe, avant tout public, des dernières expositions pose cependant au moins une autre question : sa production artistique est-elle vraiment bien comprise, absorbée, ou, comme souvent, est-ce sa biographie, extravagante, subversive, qui dicte sa loi, suscite la curiosité et fait des chiffres mirobolants jusque dans les ventes aux enchères ? Kusama a longtemps risqué (et risque encore) de s’empêtrer dans ce malentendu polémique, une querelle qui traverse toute l’histoire de l’art, ancien et contemporain.

Une certitude demeure. Entre aventure et méthode, créer comme le Chapelier fou avec sa propre vie, si complexe soit-elle, et avec sa propre œuvre, si multiforme, dystopique et incomprise soit-elle, un monde à part entière, n’est pas une opération courante, elle requiert au contraire une capacité d’invention féerique que peu savent s’approprier et rendre réelle.

D’autant plus si tout réécrire à partir de zéro signifie renverser les traditions, renverser les tabous, conditionner et affirmer, comme l’a fait obstinément Yayoi Kusama, avec courage, au-delà de sa maladie, sa propre liberté, surtout pour une femme, et surtout si elle est née dans un pays comme le Japon de ces années-là, encore imprégné d’une culture qui soutenait un système de valeurs et de traditions rétrograde et étouffant.

Tout comme l’histoire d’Alice Liddell, la petite fille qui a inspiré le roman de Carroll, nous parle d’un pays comme l’Angleterre qui, à l’époque, imposait une éducation enfantine basée sur une entrée “correcte” dans le monde des adultes, Yayay est une jeune fille qui n’a pas eu le temps d’apprendre à lire et à écrire. L’histoire de Yayoi Kusama nous dit aussi qu’il est possible de dépasser un ordre établi par des règles oppressives et une imposition de valeurs qui ne tient pas compte de l’essence la plus profonde du monde de l’enfant et, en général, de la nature de l’être humain. La fable d’Alice au pays des merveilles et celle de Yayoi Kusama, au-delà de toutes les distorsions, ont ce sens profond : inventer un monde à l’envers est possible, car un regard plus humain et plus rêveur est à portée de main. Il suffit de fermer les yeux.


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