Quiconque a visité un musée archéologique dont la section est consacrée à l’art romain a au moins une fois rencontré des objets en forme de phallus: il peut s’agir d’amulettes, de lampes à huile, de tintinnabula (une sorte de version romaine des scacciapensieri suspendus aux portes d’entrée d’une maison ou d’un magasin) ou d’autres objets d’usage courant, mais l’organe mâle est souvent le grand protagoniste des artefacts de l’ancienne Rome. Pour comprendre la raison de cette présence constante, il faut d’abord introduire le thème de la superstition chez les anciens Romains: La superstition était une relation constante et quotidienne pour les Romains, puisque même les plus petits incidents de la vie quotidienne impliquaient des gestes ou des rituels pour éviter toute aggravation, tandis que les situations plus graves (comme les maladies ou les accidents de toutes sortes) nécessitaient l’intervention de véritables magiciens, spécialistes de la formulation de sorts (qui, selon les croyances de l’époque, devaient être exécutés avec précision, sous peine d’être inefficaces), appelés à gagner les faveurs des divinités. Dans la Rome antique, la frontière entre superstition et religion était très floue: les dieux et demi-dieux de la religion officielle, écrit l’érudite Maria Grazia Maioli, “avaient des caractéristiques et des attributs spécifiques, des formules rigides requises pour les invocations et les prières, des animaux préférés à offrir et à sacrifier” ; l’observance précise du rituel conduit à la certitude du résultat, aussi bien lorsqu’il s’agit de la religion supérieure, des relations avec les dieux célestes et infernaux, que lorsqu’il s’agit de quelque chose de beaucoup plus bas, mais très important dans la vie quotidienne, comme la guérison, par exemple, d’un rhume ou d’un mal d’estomac ; la religion familiale romaine connaît une infinité de divinités, dont la fonction est de protéger chaque moment de la vie [....] ; pour avoir leur soutien, il suffisait de faire une petite offrande, comme une pincée de farine, ou de faire un geste rituel ou superstitieux précis, sans lequel tout irait mal, une religion de tous les jours, souvent inconnue ou à peine mentionnée dans les sources, mais qui remplissait chaque instant, entre superstition pratique et magie mesquine".
Quelle était la cause attribuée aux maux qui frappaient les Romains de l’Antiquité, en particulier ceux qui se produisaient soudainement? Pour les Romains, il s’agissait souvent d’un mauvais sort ou d’uneinfluence négative, qui servait également à expliquer des maladies dont les causes étaient inconnues à l’époque: l’un des grands croquemitaines de la Rome antique était le fascinus, le mauvais œil, une influence maléfique que l’on croyait transmise par des mots, des gestes particuliers ou simplement par un regard. Il s’agissait de ce que l’on appelait l’oculus malignus, le “mauvais œil”, qui est l’exacte correspondance antique du terme “mauvais œil”: on pensait qu’il existait des personnes dotées d’yeux déformés ou enchanteurs, capables de jeter un mauvais sort rien qu’en regardant une personne. Ce pouvoir était parfois attribué à des familles entières, comme nous l’apprend la lecture du septième livre de la Naturalis Historia de Pline l’Ancien, où l’auteur écrit qu’"en Afrique, il existe, selon Isigonus et Nymphodorus, des familles capables de jeter le fascinus et que, par leurs louanges, elles peuvent tuer les troupeaux, flétrir les arbres et faire mourir les enfants". Isigonus ajoute que des personnes de ce type existent aussi parmi les Tribus et les Illyriens, et qu’elles sont capables de lancer des fascinus, ne serait-ce que du regard, et de faire mourir ceux qu’elles fixent longuement, surtout si elles le font avec des yeux en colère". On ne sait pas exactement d’où vient le terme fascinus: certains l’ont rapproché du grec báskanos (“calomniateur”, “diffamateur”, “enchanteur”) et d’autres pensent qu’il a quelque chose à voir avec le nom latin fascia (“ceinture”, comme pour dire que le fascinus est un sort qui enserre et piège celui qui le reçoit). C’est d’ailleurs du terme fascinus que dérive l’italien fascination (pensons au sens négatif que le terme peut avoir, s’il est compris comme un sortilège capable de subjuguer celui qui le subit).
Le fascinus pouvait avoir de nombreux effets, même mortels (les morts subites étaient également attribuées au mauvais œil et, en plus d’expliquer l’apparition de maladies, il était également invoqué pour expliquer les mauvaises récoltes, la mort du bétail et les accidents domestiques), et pouvait toucher tout le monde, mais une catégorie particulièrement sensible aux influences négatives était considérée comme celle des enfants (ce qui était tout à fait naturel, les enfants étant plus enclins à tomber malades que les adultes): On leur faisait porter la bulla, une amulette qu’ils portaient pendant toute leur enfance et qui était censée éloigner le mauvais œil (“au cou des enfants”, écrit Varro dans De lingua latina, “une amulette représentant une figure obscène est accrochée contre le mauvais œil”). Plus généralement, les moyens d’échapper ou de conjurer le fascinus étaient nombreux. Outre les rituels déjà mentionnés, il existait des pratiques plus simples, telles que les gestes apotropaïques, superstitieux et d’évitement (certains gestes très anciens subsistent encore aujourd’hui: pensons au geste des cornes), mais la distraction du mauvais œil au moyen d’amulettes était particulièrement répandue: la plus répandue était l’amulette de forme phallique, considérée comme un moyen très puissant d’éloigner le fascinus (à tel point que les amulettes en forme de phallus étaient désignées par le même terme: l’amulette, donc, était également appelée fascinus). La représentation visuelle la plus puissante du symbolisme associé au phallus est peut-être un bas-relief du IIe siècle après J.-C. trouvé à Leptis Magna (dans l’actuelle Libye) représentant un organe mâle sur pattes pris en train d’éjaculer au-dessus d’un oculus malignus pour en neutraliser les effets maléfiques.
Bas-relief avec phallus éjaculant sur l’oculus malignus (IIe siècle apr. J.-C. ; Leptis Magna) |
Le phallus était directement lié au culte du dieu Priape, divinité tutélaire de la fertilité, représenté sous la forme d’un homme doté d’un énorme pénis: la représentation des organes génitaux masculins, précisément en raison de leur référence à la fertilité et à l’abondance (et donc à la force générative de la nature et à la capacité de donner la vie), se voyait attribuer un grand pouvoir superstitieux, et le port d’un fascinus était considéré comme un moyen efficace d’éloigner le mauvais œil. Le port d’un fascinus était considéré comme un moyen efficace d’éloigner le mauvais œil. Il était non seulement nécessaire de le porter, mais aussi de le porter à la vue de tous, car le fait de l’exhiber, comme nous l’avons mentionné, détournait le regard des charmeurs et éloignait ainsi leurs influences maléfiques. Les amulettes les plus simples étaient celles qui reproduisaient simplement les organes génitaux masculins: on en trouve plusieurs dans de nombreux musées archéologiques, et elles sont modelées de manière naturaliste, souvent avec des testicules et, bien sûr, un anneau de suspension pour passer le collier (il s’agissait en fait d’objets que l’on portait autour du cou). Souvent, l’anneau était positionné horizontalement par rapport à la tige du pénis, de sorte que, lorsqu’il était porté, l’extrémité de l’organe en érection était tournée de manière menaçante vers le spectateur. Il convient de préciser que l’exposition de ces objets n’avait, dans la plupart des cas, rien de fâcheux (et, il convient de le souligner, on pouvait voir des représentations de phallus dans les maisons, les magasins et le long des rues): tout simplement parce que Priape était considéré comme un dieu positif, capable de satisfaire, de dispenser du plaisir et de l’abondance.
L’imagination des artisans romains était souvent encline à s’envoler: dans la production d’amulettes, les objets représentant le phallus ailé ou le phallus avec des jambes se distinguent, et le fait que les organes sexuels masculins soient représentés avec des ailes ou des jambes fait symboliquement allusion à la puissance du phallus, à sa force, à sa grande vitalité. En outre, comme l’explique l’érudite Carla Corti, dans les cas où il était représenté avec des ailes, le phallus “pouvait également revêtir des connotations magiques plus évidentes”: dans ces cas-là, “la similitude iconographique avec la figure du cheval ailé était réalisée, en dotant le phallus de ses pattes arrière et de sa queue”. Une autre amulette très typique et fréquente est celle qui représente d’un côté un pénis en érection et de l’autre une main au poing fermé faisant le geste dit " de la chatte " (c’est-à-dire passer le pouce entre l’index et le majeur), qui fait allusion aux organes génitaux féminins et avait donc, dans ce type d’objets, la fonction d’unir la double force génératrice des organes masculins et féminins.
Art romain, amulette phallique (Ier-IIIe siècle après J.-C. ; alliage de cuivre, 4,3 x 1,5 x 1,4 cm ; Cambridge, Massachusetts, Harvard Art Museums) |
Art romain, amulette phallique (bronze ; Trente, Castello del Buonconsiglio). Ph. Crédit Francesco Bini |
Art romain, amulette phallique (Ier siècle après J.-C. ; bronze ; Venise, Musée archéologique national) |
Art romain, Amulette phallique (Ier-IVe siècle apr. J.-C. ; bronze ; León, Museo de León) |
Art romain, Amulette phallique avec main faisant le geste phallique (Ier siècle après J.-C. ; bronze ; Naples, Museo Archeologico Nazionale) Ph. Crédit Francesco Bini |
Art romain, Amulette phallique avec la main faisant un geste superstitieux (milieu-fin de l’époque impériale ; bronze ; Piacenza, Musées civiques du Palazzo Farnese) |
Art romain, Phallus ailé avec jambes (Ier-IIIe siècle apr. J.-C. ; bronze ; Prague, Palais Kinský) |
Art romain, Phallus à ailettes (milieu-fin de l’époque impériale ; bronze ; Piacenza, Musei Civici di Palazzo Farnese) |
Art romain, Phallus ailé avec jambes (1er siècle après J.-C. ; bronze ; Londres, British Museum) © The Trustees of the British Museum |
Art romain, phallus quadrupède-oiseau avec une queue de scorpion phallique et deux insectes sur le dos (Ier siècle après J.-C. ; bronze ; Naples, Musée archéologique national). Ph. Crédit Marie-Lan Nguyen |
Les compositions pouvaient également devenir beaucoup plus complexes. Les phallus pouvaient avoir des pattes et des queues de lion (les " phallus léonins") et pouvaient même être chevauchés par les personnages les plus divers (on en trouve des exemples intéressants au Musée archéologique national de Naples, dans le Cabinet secret, qui abrite une vaste collection d’objets à caractère érotique). Parfois, le phallus était également chevauché par une figure féminine: le médiéviste David Williams a écrit que ce symbolisme est à l’origine de l’image beaucoup plus connue de la sorcière chevauchant un balai. Dans certains cas, le phallus s’animait tellement qu’il attaquait son... possesseur, donnant lieu à des résultats grotesques: toujours à Naples, par exemple, on a conservé la figure d’un guerrier luttant contre son pénis, qui prenait la forme d’une panthère. Là encore, il arrivait que le fascinus avec lequel on s’armait contre le mauvais œil ne représente pas simplement un phallus, mais une divinité ityphallique (c’est-à-dire avec un pénis en érection), typiquement Priapus, mais aussi Mercure. Le symbolisme du phallus dans l’Antiquité était également lié au culte de Mercure: l’association entre le dieu grec et romain du commerce et les allégories phalliques provient de certains cultes dans l’espace grec, dans lesquels le dieu Hermès (devenu plus tard le Mercure des Romains) était identifié au dieu Kadmilos, vénéré à Samothrace dans l’Antiquité (c’était un dieu de la fertilité et il était également représenté dans une pose ityphallique). On conserve également à Naples un Mercure monté sur un bélier (animal lié au dieu, ainsi qu’à Kadmilos: c’était aussi, pour l’un comme pour l’autre, la bête que l’on préférait leur sacrifier lors des rituels), muni d’un phallus aux proportions gigantesques.
Nombre des figures mentionnées ci-dessus étaient placées dans des tintinnabula: il s’agit d’objets qui, comme nous l’avons mentionné au début, s’apparentaient aux plus célèbres “scacciapensieri”. Le tintinnabulum était un hochet, généralement en bronze, qui était accroché aux portes des maisons et des boutiques. Il était généralement composé d’une figure principale et d’une série de clochettes qui y étaient suspendues, de sorte que le vent ou l’ouverture d’une porte le faisait sonner. Le son du tintinnabulum était censé distraire les porte-malheur et ainsi éloigner le mauvais œil: un pouvoir qui augmentait si l’objet prenait des formes phalliques. Il existe de nombreux tintinnabules dans tout l’Empire romain, issus de fouilles archéologiques et conservés dans les musées du monde entier: il s’agissait en effet d’objets d’usage courant et relativement répandus (en d’autres termes, de nombreux Romains avaient des amulettes phalliques, mais tous n’en possédaient pas): après tout, si l’on considère qu’une grande partie du pouvoir de ces amulettes résidait dans leur capacité à surprendre les lanceurs de mauvais sorts, elles n’auraient eu aucun effet si les malfaiteurs avaient été habitués à les voir). Et plus les amulettes étaient étranges et bizarres, plus elles étaient considérées comme puissantes, car elles étaient considérées comme capables de distraire les jeteurs de sorts plus longtemps.
Art romain, Tintinnabulum en forme de phallus avec des clochettes (Ier-IIIe siècle après J.-C. ; bronze ; Berlin, Staatliche Museen, Antikensammlung). Ph. Crédit Francesco Bini |
Art romain, Tintinnabulum avec un jockey chevauchant et couronnant un grand phallus et sur le point d’être pénétré par la queue phallique (Ier siècle apr. J.-C. ; bronze ; Naples, Musée archéologique national) |
Art romain, Tintinnabulum avec un jockey chevauchant et couronnant un grand phallus ailé (Ier siècle apr. J.-C. ; bronze ; Naples, Musée archéologique national) |
Art romain, Tintinnabulum sous la forme d’un gladiateur luttant avec un poignard contre son propre phallus transformé en panthère agressive (Ier siècle av. J.-C. ; bronze ; Naples, Musée archéologique national) |
Art romain, Tintinnabulum avec Mercure polyphallique (Ier siècle après J.-C. ; bronze ; Naples, Musée archéologique national). Ph. Crédit Francesco Bini |
Art romain, Tintinnabulum avec Mercure chevauchant un bélier ityphallique (Ier siècle apr. J.-C. ; bronze ; Naples, Musée archéologique national). Ph. Crédit Francesco Bini |
Si les objets vus jusqu’à présent servaient à la protection personnelle contre la fascinatio(c’est-à-dire la pratique magique de lancer des fascinus: l’image la plus célèbre est peut-être celle du Carme VII de Catulle, où le poète demande tam te basia multa basiare / vesano satis et super Catullo est ;/ quae nec pernumerare curiosi / possint nec mala fascinare lingua, c’est-à-dire qu’il demande à sa bien-aimée “tant de baisers que les malins ne peuvent les compter et que les mauvaises langues ne peuvent jeter le mauvais œil sur toi”), Pour être complet, il faut souligner d’une part que cette superstition avait aussi un caractère public (les herms ithyphalliques de Dionysos et d’Hermès, déjà placés en Grèce antique au bord des champs ou sur les routes menant aux villes, étaient destinés à invoquer la protection des dieux pour de vastes communautés), et d’autre part que les rituels publics destinés à échapper au mauvais œil et à s’attirer les faveurs de Priape ne manquaient pas, qui restait, explique Maioli, "un dieu familier, symbole glorieux de gaieté et de bonne fortune, défenseur des frontières et des droits, sarcastiquement féroce avec ceux qui s’opposaient à lui ou violaient sa protection, comme on peut le déduire des Carmina Priapica conservés dans les sources: il est donc naturel que son principal attribut soit traité dans le même esprit". Pour les Romains, en somme, il n’était pas étrange de voir des phallus représentés un peu partout.
Bibliographie de référence
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