Le crépuscule d'une classe dirigeante: le "Trattenimento" génois d'Alessandro Magnasco


La "Retraite dans un jardin d'Albaro" d'Alessandro Magnasco (Gênes, 1667 - 1749) a souvent été considérée comme une peinture profanatrice, dépeignant la décadence de l'aristocratie génoise. Il s'agit peut-être d'une interprétation extrême, mais dans le tableau, on peut néanmoins ressentir les symptômes du déclin.

Ne vous fiez pas au titre. Ce Trattenimento in un giardino di Albaro , qui se trouve dans la salle 23 du Palazzo Tursi à Gênes, n’a pas grand-chose de léger et de charmant: même un tableau qui nous guide apparemment à travers les amusements et les plaisirs de la noblesse génoise du XVIIIe siècle reflète en réalité la nature ironique, mordante, ambiguë et anticonformiste de son auteur, cet Alessandro Magnasco qui était “un peintre d’un caractère particulier dans ses tableaux”, comme l’a défini Carlo Giuseppe Ratti. Peintre par autodéfinition et par vocation, “peintre de la dissidence dans la crise de la conscience européenne” selon l’expression efficace et récente de Fausta Franchini Guelfi, lucide et désabusé, capable d’oser ce que d’autres n’ont jamais osé peindre, précurseur de la civilisation des Lumières, intolérant à l’égard de la culture et de la religion, il a été le premier à s’intéresser à l’histoire de l’art. des Lumières, intolérant à l’autorité, Magnasco est un enquêteur minutieux, un observateur impitoyable et désenchanté de la réalité, loin des frivolités rassurantes et idylliques de ses contemporains qui dictent le goût dans les cours italiennes et européennes. Le monde de Magnasco est celui des gitans, des vagabonds qui mendient pour vivre, des soldats rustres qui campent à l’extérieur des villes, des malheureux torturés par l’Inquisition, des pauvres hères qui n’ont pas d’autre choix que d’aller à l’école pour se faire soigner, de ceux qui ne peuvent pas se faire soigner.Inquisition, des frères montagnards maigres, osseux et désespérés, des pauvres conteurs qui errent dans les villes en ruine, des picaros qui gagnent leur pain par des moyens plus ou moins licites.

Le regard aigu et pénétrant de Magnasco n’est cependant pas détaché: il est au contraire un artiste participatif et critique. À tel point que, selon un choix à la fois symbolique et idéologique, Gênes décida de lui consacrer la première exposition en 1949 dans le Palazzo Bianco, rouvert après les destructions que la guerre avait entraînées dans la ville, y compris dans les musées. Dans la seconde moitié du siècle dernier, il a presque été élevé au rang d’artiste contemporain, animé par des intentions de dénonciation sociale proches de celles du XXe siècle: mais même sous la couverture de l’exagération, on peut encore entrevoir la figure d’un artiste moderne, qui se place, écrit Franchini Guelfi qui est le plus grand expert de Magnasco, “ [...]dans une position isolée [...], avec un mécénat qui, tout en partageant ses accents fortement critiques, appréciait aussi son langage pictural éloigné de toute vision optimiste et rassurante de la réalité”.



Alessandro Magnasco, Retraite dans un jardin à Albaro (vers 1740 ; huile sur toile, 86,3 x 198 cm ; Gênes, musées de la Strada Nuova, Palazzo Bianco, salles du Palazzo Tursi, inv. PB 81)
Alessandro Magnasco, Retraite dans un jardin à Albaro (vers 1740 ; huile sur toile, 86,3 x 198 cm ; Gênes, musées de la Strada Nuova, Palazzo Bianco, salles du Palazzo Tursi, inv. PB 81)

Il a souvent été souligné que De Andrè regardait aussi, dans une certaine mesure, Magnasco, en raison de ce que l’on croit être une sorte de communauté d’intention. Dans une célèbre photo de Guido Harari le montrant en train de jouer dans sa maison, parmi les objets éparpillés sur son lit se trouve une monographie de Magnasco. Un Punchinello du peintre génois est allongé sur la couverture des Concerts 1991. De l’appartement familial de la Villa Saluzzo Bombrini, en regardant la vallée du Bisagno, le jeune De Andrè pouvait voir le même panorama que Magnasco a peint dans Trattenimento, puisque l’artiste a probablement exécuté l’œuvre en regardant les collines de Gênes depuis le jardin de la villa datant de la fin du XVIe siècle.

Dans son jardin, Magnasco dépeint le spectacle décadent d’une aristocratie qui court inexorablement à sa perte. Depuis la colline d’Albaro, le regard du peintre s’élargit vers la plaine du Bisagno, vers sa campagne, aujourd’hui fortement urbanisée: à l’arrière-plan, derrière les murs du XVIIe siècle, le quartier de Marassi, dernière ramification orientale de la ville, les collines qui l’encadrent. Au premier plan, de ce côté du mur qui sépare la villa de la campagne, c’est le “trattenimento” (banquet), comme le tableau a été intitulé en 1947, deux ans avant d’être exposé dans le cadre de l’exposition monographique du Palazzo Bianco, pour laquelle il a également été choisi comme image de couverture du catalogue: on y voit des dames et des messieurs, des prêtres et de jeunes dames, des enfants et des chiens, des serveurs, et même un artiste en train de dessiner, peut-être un autoportrait ironique (remarquez comme il se tient seul, détaché, traçant des images sur une feuille de papier). Ils sont tous en train de discuter, de jouer aux cartes, de plaisanter, tranquillement assis sur de confortables chaises longues.

Le pinceau de Magnasco, comme à son habitude, est à la fois rapide et doux, fulgurant et profanateur, impitoyable, et atteint ici l’un des sommets de sa liberté: nous sommes à un stade avancé de sa carrière, vers 1740, et l’artiste génois esquisse les acteurs de sa scène instable en quelques coups de pinceau nerveux et fragmentés, ces “touches rapides, méprisantes, artificielles” dont parlait Ratti, donnant vie à des figurines inexpressives, allongées, vacillantes, qui émergent d’amas denses de tons terreux. Elles ne ressemblent même pas à des êtres humains: elles ressemblent plutôt à des larves capturées un instant avant de se dissoudre pour ne plus jamais revenir. Il y a un fort sentiment de malaise, de précarité, d’angoisse et d’insécurité suprême, souligné également par le mur d’enceinte de la villa, qui semble corrodé, en ruine, destiné à s’effondrer à tout moment: il y a même un petit garçon, vêtu de haillons, qui l’enjambe. Un détail sarcastique, comme pour suggérer que les plaisirs dans lesquels la noblesse se délecte sereinement sont menacés de l’extérieur.

La vue est également étouffante, oppressante, inhabituelle: combien de peintres ont peint des vues de Gênes sans montrer la mer? À l’occasion de l’exposition consacrée à Magnasco et organisée à nouveau au Palazzo Bianco, mais en 2016, on a appris la découverte d’un tableau des frères Van Deynen, une réception génoise en l’honneur des archiducs Alberto et Isabella de Habsbourg, si semblable au Tratteniment. Le Trattenimento offre au spectateur à peu près la même vue, mais le regard des deux artistes flamands s’étend jusqu’à la mer, dessinant avec précision le profil du lazaretto, à l’embouchure du Bisagno, et le coude du golfe qui pénètre dans la ville. Il est vrai que la vue de Magnasco était probablement sous-tendue par une exigence précise du commanditaire, l’un des membres de la famille Saluzzo: celle d’inclure le sanctuaire de Nostra Signora del Monte, auquel la famille Saluzzo était attachée. Mais une vue de Gênes sans la mer donne toujours un sentiment d’étouffement.

La ville était alors en plein déclin: politique, économique, social. C’est comme si même cette mer sur laquelle Gênes avait bâti sa puissance au fil des siècles était devenue ici un accessoire désormais vidé de sa pertinence. Mais ce cortège élégant et immobile, ces messieurs et ces dames de la noblesse, presque abrutis par leurs plaisirs, semblent ne faire attention à rien, complètement détachés de la politique, de l’administration de la ville, des devoirs du gouvernement, pris dans l’inanité et la vanité de leurs divertissements, et presque écrasés par le poids de l’argent et de l’argent. de leurs divertissements, et presque écrasés par leurs villas disséminées dans la campagne, leurs parcs et leurs verziers, si l’on veut regarder le paysage selon la lecture icastique que l’historien Franco Venturi, auteur d’une description du tableau souvent citée dans les livres d’histoire de l’art, lui donnait en 1969.

Cette “merveilleuse peinture”, comme il l’appelait, était l’image la plus claire de la décadence d’une ville au poids politique de plus en plus faible, où l’économie stagnait et où la richesse privée elle-même peinait à se développer, où les familles qui l’avaient rendue illustre et prospère se tarissaient, où l’immobilisme régnait. “Ce sont les nobles, les patriciens qu’Alessandro Magnasco a peints dans ces années-là, dans son merveilleux tableau, aujourd’hui au Palazzo Bianco: petits et mesquins, enfermés dans leur vie minuscule de jeux, de conversations, de repos, accompagnés de leurs abbés et de leurs petits chiens [...]. Une décadence sèche et aride dans les hommes, ornée et riche dans les choses”. Ainsi s’exprimait Venturi. Or, nous ne savons pas jusqu’où le peintre aurait pu aller. Certes, si le commanditaire était un membre de la famille Saluzzo, il est assez difficile d’imaginer qu’il partageait une vision aussi féroce. Et pour voir le rideau de l’histoire tomber sur cette “civilisation de la conversation, du chocolat et du café”, comme l’a noté Clario Di Fabio en décrivant ce tableau, il aurait fallu attendre encore cinquante ans. Mais dans cette Retraite, au moins, on peut en sentir les premiers symptômes.


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