Si je devais citer deux ou trois des peintres les plus fascinants de l’histoire de l’art, je n’aurais aucun doute sur un nom, et j’attribuerais une place dans ce classement spécial à Giorgione. C’est de lui que je veux vous parler dans ce billet.... ou plutôt: je veux vous parler de ce qui est pour moi l’une de ses œuvres les plus évocatrices, le Coucher de soleil de la National Gallery de Londres. La première impression que j’ai eue en me retrouvant devant ce tableau a été un sentiment de calme, de sérénité et de détente, suggéré par ce qui est le véritable protagoniste de cette huile sur panneau: le paysage.
Un paysage rocheux, pour être précis. À droite, les derniers vestiges d’une grotte escarpée. À gauche, quelques rochers à la surface desquels quelqu’un, dans le passé, a voulu distinguer des visages monstrueux (mais c’est une exagération évidente), et auxquels une végétation luxuriante s’accroche fermement. Au fond, un étang tranquille. Les deux éléments naturels aux extrêmes, c’est-à-dire les arbres à gauche et la grotte à droite, sont disposés parallèlement, comme il est typique dans l’art de Giorgione, pour nous permettre d’admirer tout ce qui se trouve entre les deux: un paysage de campagne idyllique sur lequel se déroule l’histoire de quelques figures humaines. Au centre, un arbuste avec des feuilles qui viennent de pousser et à l’arrière-plan, au loin, un village de campagne, un élément typique de l’art de Giovanni Bellini, considéré par beaucoup comme le maître de Giorgione, bien qu’il n’y ait pas de preuve historique. La merveilleuse lumière rougeâtre du coucher de soleil illumine le village et ses maisons en bois, et assombrit presque les eaux du lac que nous observons immédiatement au-dessous des collines qui se perdent au-delà de l’horizon, et qui apparaissent bleues pour suggérer le sens de la distance qui nous sépare d’elles.
Giorgione, Le coucher de soleil (vers 1506-1508 ; Londres, National Gallery) |
La lumière, à la fois naturelle et innovante, caractérise le tableau au point d’inciter Roberto Longhi, en 1934, à suggérer le titre par lequel il est aujourd’hui universellement connu: Le Coucher de soleil. Longhi fut d’ailleurs l’un des premiers à attribuer l’œuvre à Giorgione au lendemain de sa découverte (sans tenir compte de l’hésitation initiale de l’historien de l’art piémontais, qui s’est toutefois dissipée presque immédiatement): une attribution pleinement acceptée (même si elle aurait donné lieu à des contestations ultérieures) lorsque le tableau fut exposé en 1955 à l’occasion de l’exposition sur Giorgione, qui fut la dernière exposition consacrée au peintre avant l’événement de 2010 à Castelfranco Veneto. L’œuvre est sortie en 1933 de la Villa Garzoni à Pontecasale, un village de campagne situé à mi-chemin entre Padoue et Rovigo. Au moment de sa découverte par Giulio Lorenzetti, alors directeur du musée Correr de Venise, la villa appartenait à la famille Donà dalle Rose, mais avait auparavant appartenu à la famille Michiel. Cette dernière était la famille de Marcantonio Michiel, le collectionneur et érudit qui, avec ses carnets et ses descriptions d’œuvres qu’il possédait ou qu’il avait vues dans des collections privées vénitiennes, a aidé les historiens de l’art moderne à reconstituer certaines étapes de la vie biographique et artistique de Giorgione. Il n’est donc pas déraisonnable de supposer, même en l’absence de preuves solides, que le Coucher de soleil provenait des collections de la famille. Le tableau a ensuite été acheté en 1934 par l’historien de l’art d’origine russe Vitale Bloch, qui l’a possédé jusqu’en 1957, année où il est entré dans les collections de la National Gallery à la suite d’une nouvelle vente: c’est l’histoire des transitions de l’œuvre.
Détail du coucher de soleil sur le village |
Nous avons dit que le principal protagoniste de l’œuvre est le paysage: cependant, nombreux sont ceux qui se sont efforcés de démêler le nœud de signification des quatre personnages que nous rencontrons dans le tableau. Il s’agit du vieil homme parmi les rochers de la grotte, du chevalier terrassant le dragon et des deux hommes assis au milieu: il semble que l’un des deux, le plus âgé, examine la jambe du plus jeune, probablement parce qu’il est blessé. Il n’y a pas si longtemps encore, l’interprétation la plus accréditée était celle qui mettait en cause la religion: le vieil ermite dans la grotte serait Saint Antoine Abbé, dont la présence s’expliquerait également par le cochon, un animal qui l’accompagne toujours et qui, dans le tableau, apparaît dans les eaux de l’étang sur le bord inférieur. Le jeune homme blessé au centre serait saint Roch (en raison de la blessure, son attribut iconographique typique), le vieillard qui l’assiste serait son ami saint Gothard, tandis que le chevalier terrassant le dragon serait, comme on peut facilement l’imaginer, saint Georges: ce sont tous des saints liés à la guérison des maladies, et c’est ainsi que l’on pourrait interpréter l’œuvre. L’hypothèse a été formulée pour la première fois en 1975 par Cecil Gould, conservateur de la National Gallery, et a ensuite été acceptée par d’autres historiens de l’art. Maurizio Calvesi, en 1970, avait proposé d’identifier le vieil homme au centre comme Saint Jacques guérissant un pèlerin, et plus tôt encore Maurizio Bonicatti, en 1964, avait émis l’hypothèse que le thème était les tentations de Saint Antoine, alors qu’auparavant d’autres comme Giorgio Sangiorgi (en 1933) et Lionello Venturi (en 1958) avaient pensé à Énée et Anchise dans les Enfers.
Détail du vieil homme parmi les rochers |
Détail des deux hommes au centre |
La dernière hypothèse, qui gagne également beaucoup de terrain parmi les chercheurs, est celle formulée par Enrico Dal Pozzolo en 2009: la scène raconterait le mythe de Philoctète, le héros grec qui, au cours du voyage vers Troie, se blessa au pied lors d’une escale et, devenu un fardeau pour ses compagnons, fut abandonné sur l’île de Lemno. Plus tard, les Grecs revinrent le chercher car un devin avait prédit que Troie ne tomberait que si Philoctète participait lui aussi aux combats. Par ailleurs, Philoctète était également le protagoniste d’une tragédie de Sophocle qui avait été imprimée en 1502 à Venise par Aldo Manuzio: il est donc probable que cette publication ait suscité un certain intérêt pour le personnage chez les artistes également. Le jeune homme blessé au centre serait donc, selon cette interprétation, Philoctète lui-même, tandis que l’homme qui l’aide et le vieillard parmi les rochers seraient deux compagnons: le premier est honnête sur l’état du jeune homme, et l’autre vérifie que tout va bien. Nous pouvons laisser de côté l’interprétation liée à la figure à cheval: il s’agit en effet, nous ne l’avons pas dit, d’unajout fallacieux. Les images accompagnant l’analyse technique du tableau sur le site de la National Gallery nous montrent comment, en 1933, il n’y avait aucune trace du cavalier: il a en fait été ajouté après une restauration en 1934, en juxtaposant des fragments d’anciennes toiles, pour couvrir une zone particulièrement abîmée du tableau. Il n’y a donc plus lieu de s’interroger sur la raison de sa présence.
Le Coucher de soleil avant et après la première restauration de 1933. Images de la National Gallery de Londres |
Rien n’empêche cependant de penser qu’il s’agit d’une simple scène pastorale dans un paysage idyllique de Vénétie, un de ces doux paysages de campagne qui caractérisent la région d’origine du peintre et qui sont un trait distinctif de son art. Un paysage où les hommes ne sont que de rares figurants. Un paysage à l’atmosphère feutrée, qui abandonne les descriptions détaillées, l’une des principales caractéristiques de la première production de Giorgione, au profit d’une utilisation plus étendue et capillaire du sfumato de Léonard, d’une part, et d’une inspiration plus subjective, d’autre part (raisons qui ont conduit les spécialistes à dater l’œuvre tardivement, entre 1506 et 1508 environ).
C’est précisément ce lyrisme qui distingue les paysages giorgionesques des paysages nordiques, surtout flamands (même l’oiseau qui apparaît dans les eaux du Lac du Couchant semble être un hommage clair à l’imagerie de Jérôme Bosch), qui circulaient dans la Venise de l’époque et qui avaient poussé les peintres à créer des œuvres qui, même dans un beau paysage, trouvaient leur raison d’être. Sans interprétations moralisantes, sans besoin d’inventer des allégories particulières pour justifier un décor, sans besoin de trouver un sujet défini. Giorgione l’a fait, ses contemporains comme Giulio Campagnola, Bartolomeo Montagna et Cima da Conegliano l’ont fait, d’autres le feront plus tard. C’est précisément parce que dans la Venise du tout début du XVIe siècle, poussée par l’arrivée de peintures provenant de la zone nordique, la demande avait augmenté pour des œuvres dans lesquelles le paysage jouait un rôle de premier plan, et parfois même où il était l’unique protagoniste, sans que le tableau n’ait d’histoire à raconter. Et parfois, n’est-il pas agréable de ne pas penser aux sujets possibles et de se laisser porter par le flair créatif du peintre et sa capacité à fasciner l’observateur avec un beau paysage au coucher du soleil?
Giulio Campagnola, Paysage avec deux hommes assis près d’un bois (vers 1510 ; Paris, Louvre) |
Bartolomeo Montagna, Paysage avec château (vers 1500-1510 ; Tokyo, Musée national d’art occidental) |
Cima da Conegliano, Paysage avec duel (1510-1515 environ ; Berlin, Gemäldegalerie) |
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