En 1401, l’Arte di Calimala, l’un des sept Arti Maggiori de Florence, c’est-à-dire les guildes qui protégeaient les intérêts des différentes catégories professionnelles (l’Arte di Calimala était l’association des marchands de textile), a lancé un concours pour choisir l’artiste qui décorerait la porte nord du baptistère de Florence, à la suite de la décoration déjà existante de la porte sud réalisée par Andrea Pisano (Andrea di Ugolino da Pontedera ; Pontedera, vers 1290 - Orvieto, 1348/1349) entre 1330 et 1336. Le thème sur lequel l’Arte di Calimala demande aux concurrents de concourir est le sacrifice d’Isaac, un thème qui bénéficie d’une iconographie bien codifiée: chacun d’entre eux devra développer le thème à l’intérieur de la forme quadrilobée, mesurant quarante-cinq sur trente-huit centimètres, des vingt-huit panneaux qui orneront la porte (la forme quadrilobée des panneaux est un carré disposé obliquement, comme un losange, avec un demi-cercle au centre de chaque côté). <(è>
Sept artistes participent au concours: Filippo Brunelleschi (Florence, 1377 - 1446), Lorenzo Ghiberti (Pelago, 1378 - Florence, 1455), Jacopo della Quercia (Sienne, vers 1374 - 1438), Francesco di Valdambrino (Sienne ?, 1363 - Sienne, 1435), Simone da Colle (Colle di val d’Elsa,? - XIVe siècle), Niccolò di Luca Spinelli (Arezzo,? - XIVe siècle) et Niccolò di Pietro Lamberti (Florence, vers 1370 - vers 1425). Le jury est composé de pas moins de trente-quatre juges. Ghiberti lui-même raconte le déroulement du concours dans ses Commentari, le traité écrit sous forme de mémoire entre 1452 et 1455: “Pour toutes les terres d’Italie, de nombreux maîtres érudits sont venus se soumettre à cette épreuve et à ce combat. [...] Nous nous sommes présentés devant les ouvriers du temple en question. On donna à chacun quatre plaques d’airain, la démonstration voulait que lesdits ouvriers et gouverneurs dudit temple fassent chacun une histoire de ladite porte, histoire qu’ils choisirent comme étant l’immolation d’Isaac, et que chacun des combattants fasse la même histoire. Ils devaient le faire en un an, et le vainqueur devait recevoir la victoire”. Ghiberti raconte ensuite que six artistes ont effectivement réalisé l’épreuve (nous ne savons pas quel sculpteur a choisi de se retirer du concours) et que “j’ai reçu la palme de la victoire de tous les experts et de tous ceux qui m’ont mis à l’épreuve. La gloire m’a été accordée par tous, sans exception. Il a semblé à tous que j’avais passé les autres à l’époque sans aucune exception avec de grands conseils et l’examen d’hommes savants”.
Ghiberti aurait donc été le seul vainqueur, selon son récit. En effet, Antonio Manetti (Florence, 1423 - 1497), humaniste et biographe de Brunelleschi, donne une version totalement différente des événements dans son récit de la vie de Brunelleschi. Selon Manetti, Brunelleschi a terminé l’œuvre avant Ghiberti, mais pas seulement: il semble que son jeune collègue était “plutôt que pas effrayé par la vertu de Filippo, parce qu’elle apparaissait tellement”, ce qui explique pourquoi Ghiberti demandait sans cesse des conseils à ses collègues (orfèvres, peintres et sculpteurs) et essayait constamment de s’informer sur l’avancement de la tuile de Brunelleschi. Finalement, selon le récit de Manetti, Ghiberti et Brunelleschi obtinrent la victoire ex aequo: les membres du jury estimèrent “que les deux modèles étaient beaux, que pour eux, après avoir tout comparé, ils ne pouvaient discerner aucun avantage, et que, comme l’œuvre était grande et exigeait beaucoup de temps et de dépenses, ils devaient l’attribuer également à chacun d’entre eux et qu’ils devaient être associés”. Mais c’est finalement à Ghiberti que revint la tâche car, toujours selon la biographie de Brunelleschi, l’architecte aurait voulu mener l’entreprise seul et, sachant qu’il devrait partager la tâche, il préférait la confier à son confrère. Nous ne savons pas comment les choses se sont réellement déroulées, car malheureusement seuls des récits partiaux nous sont parvenus: toujours est-il que le 23 novembre 1403, Ghiberti signa le contrat lui assignant l’exécution de la décoration de la porte nord du Baptistère de Florence.
Le baptistère de Florence. Photo de Lucarelli |
Andrea Pisano, Porte sud du baptistère de Florence (1330-1336 ; bronze doré, 490 x 280 cm ; Florence, Museo del Duomo) |
Les deux seuls panneaux du concours qui nous sont parvenus sont ceux de Ghiberti et de Brunelleschi: la comparaison entre les épreuves des deux artistes est mentionnée dans tous les manuels d’histoire de l’art, car c’est le moment du choc entre deux époques différentes, l’œuvre de Ghiberti étant encore liée au goût du gothique tardif et celle de Brunelleschi étant la sculpture qui, du moins selon les conventions scolastiques, sanctionne le début de la Renaissance. Le panneau de Ghiberti, plus ordonné et où le paysage joue un rôle plus central que celui de Brunelleschi, est conçu pour être lu de gauche à droite: à gauche, deux serviteurs discutent sur un âne, avec le bélier qui sera plus tard sacrifié à la place d’Isaac, tandis qu’à droite, la scène principale est clairement séparée de la scène secondaire par la paroi rocheuse qui agit également comme un dispositif narratif, en séparant les deux moments de l’histoire. Abraham, debout, tient le couteau dans ses mains et s’apprête à se jeter sur Isaac, agenouillé au-dessus de l’autel des sacrifices, prêt à accepter son sort. Dans l’angle supérieur, cependant, on remarque l’ange qui arrive pour arrêter Abraham, lui disant que sa foi en Dieu est maintenant prouvée. Le carreau de Brunelleschi, en revanche, est conçu de manière totalement différente, c’est-à-dire pour être saisi dans une vision unifiée: la scène du sacrifice est au centre, Isaac se contorsionne et semble presque vouloir se libérer, Abraham se jette sur lui de tout son corps, soulevant même sa tête de la main gauche, et l’ange doit intervenir par la force pour l’arrêter, en bloquant matériellement son bras de sa propre main. Les deux assistants, en revanche, sont placés au pied de la falaise, à côté de l’âne, et le bélier est devant Isaac, lui aussi plus dynamique que son homologue gibbertien, puisqu’on le surprend en train d’essayer de se libérer du buisson dans lequel ses cornes se sont enchevêtrées.
De nombreuses différences séparent les deux panneaux, celui de Brunelleschi étant nettement plus révolutionnaire que celui de Ghiberti, qui se distingue également par un plus grand raffinement exécutif et une plus grande habileté technique (le panneau de Ghiberti est le résultat d’une seule coulée, tandis que celui de Brunelleschi est coulé en trois morceaux: Ghiberti avait beaucoup plus d’expérience que son rival dans la coulée du bronze, et c’est peut-être aussi la raison pour laquelle il a remporté la victoire). Par ailleurs, les citations de l’art classique abondent chez Brunelleschi: le compagnon de gauche rappelle le Spinario, tandis que celui de droite semble être une citation presque littérale du soi-disant Arrotino qui se trouve aujourd’hui dans la Tribune des Offices, et pour l’Isaac, le modèle pourrait avoir été, selon l’historien de l’art Richard Krautheimer, un prisonnier agenouillé représenté dans l’Arc de Constantin à Rome. Chez Ghiberti, seule la figure d’Isaac semble dériver du Faun Torso des Offices (également connu sous le nom de Gaddi Torso), qui ne fait cependant pas partie du répertoire typique de Ghiberti, comme l’a fait remarquer l’historien de l’art Giancarlo Gentilini: il est possible que cet insert lui ait été suggéré par un collègue, suite aux comparaisons que Manetti rappelle dans la biographie de Brunelleschi (“en effet, écrit Gentilini, dans la Porte du Nord les citations de l’art classique seront très sporadiques, mais de toute évidence Ghiberti avait senti que le renouveau de l’antiquité et le goût archéologique étaient dans l’air et qu’ils pouvaient constituer quelque chose sur la base duquel le jugement s’exercerait”: à savoir que certains des artistes, des experts qui devaient estimer le carreau apprécieraient la présence de références à la sculpture antique, grecque ou romaine"). La façon dont Brunelleschi analyse l’espace est beaucoup plus innovante: alors que chez Ghiberti tout l’épisode biblique se déroule sur un seul plan, chez Brunelleschi il y a au moins deux plans, celui des serviteurs et de l’âne, les figures les plus saillantes (elles sortent même du cadre du quadrilobe, alors que Ghiberti, de façon plus ordonnée, reste à l’intérieur des limites), et celui de la scène principale: un ensemble qui, dans une certaine mesure, anticipe les propres recherches de Brunelleschi en matière de perspective.
Lorenzo Ghiberti, Sacrifice d’Isaac (1401 ; bronze, 45 x 38 cm ; Florence, Museo Nazionale del Bargello) |
Filippo Brunelleschi, Sacrifice d’Isaac (1401 ; bronze, 45 x 38 cm ; Florence, Museo Nazionale del Bargello) |
Les deux panneaux exposés au Musée national du Bargello |
Face à face, deux visions et deux cultures totalement différentes. Ghiberti élimine certes de son panneau les excès décoratifs du goût gothique tardif, en l’actualisant, comme nous l’avons vu, à l’intérêt croissant pour l’art classique, mais le mouvement sinueux et rythmé (on voit aussi les draperies des personnages), le raffinement compassé et l’équilibre général de la composition renvoient aux éléments stylistiques les plus populaires de l’époque, capables de rassurer les mécènes et le public. Brunelleschi, au contraire, propose une interprétation dramatique et émotionnelle de l’épisode biblique, qui se concentre principalement sur les gestes et l’action, plutôt que sur la narration. D’un côté un rituel, de l’autre un drame. D’un côté une histoire qui se déroule sur un temps beaucoup plus long, de l’autre la photographie d’un instant précis. Il s’agit de deux façons de lire l’épisode, également caractérisées par une vision moderne (plus proche des milieux humanistes, celle de Ghiberti, et plus proche du consensus populaire, celle de Brunelleschi, écrit l’érudit Alessandro Parronchi). D’une part, écrit Antonio Paolucci, Lorenzo Ghiberti s’est engagé dans la revitalisation, ou plutôt l’adaptation moderne de la tradition gothique. De l’autre, Filippo Brunelleschi avec sa proposition d’une vision unitaire et profonde grâce à laquelle, comme chez Giotto, le relief devient une “boîte spatiale... dans laquelle se déroule une action dramatique” (Giovanni Previtali)".
L’historien de l’art Giulio Carlo Argan, en comparant les deux reliefs comme l’ont fait tous les spécialistes, a voulu répondre à une série de questions que beaucoup se posent en observant les deux panneaux au musée national du Bargello, où ils sont conservés aujourd’hui. En effet, qui de Ghiberti ou de Brunelleschi est le plus naturel? Pour Argan, c’est Ghiberti, dans sa recherche des proportions et sa grande attention au paysage, des idées qui sont plutôt absentes chez Brunelleschi. Selon Argan, Ghiberti est également plus étudiant de l’Antiquité, car Brunelleschi se contenterait de citer, alors que Ghiberti “évoque les costumes antiques, insère des ornements classiques, retrouve [...] le goût pictural et même la cadence poétique des reliefs hellénistiques”. Il convient toutefois de souligner que, sur ce point, un autre grand savant, Franco Russoli, a adopté une position opposée: selon lui, les œuvres de Ghiberti n’étaient que des “citations culturelles insérées [...] dans le développement narratif naturaliste et le rythme formel du gothique ”tendre“ d’Andrea Pisano”, tandis que, dans le cas de Brunelleschi, il s’agissait “d’images revécues indépendamment dans leur processus de formation, de modèles pour la récupération d’une représentation directe d’actes réels”. Il est cependant difficile de dire lequel des deux est le plus moderne, car d’une part Ghiberti actualise le goût du gothique tardif, tandis que d’autre part la modernité de Brunelleschi se trouve dans son rejet de l’esthétique à laquelle son rival est encore lié. Mais Brunelleschi est certainement le plus révolutionnaire, surtout pour sa façon d’aborder le nouvel espace dont “il définira, quelques années plus tard, la structure, et ce sera la perspective ; mais la première intuition est déjà dans ce relief”.
Art romain, Arrotino (IIe siècle après J.-C. ; marbre d’Asie Mineure, 105 cm ; Florence, Offices) |
Art grec, Spinarius (1er siècle avant J.-C. ; marbre grec, 84 cm de haut ; Florence, Offices) |
Art grec, Gaddi Torse (1er siècle avant J.-C. ; marbre grec, hauteur 84 cm ; Florence, Offices) |
Il a été dit plus haut que la scolastique a tendance à faire coïncider ledébut de la Renaissance florentine avec le carreau de Filippo Brunelleschi, en raison de sa nouveauté formelle et de la rupture brutale qu’il opère par rapport à la tradition. Certes, il n’y a pas de rupture aussi nette entre l’avant et l’après, et la preuve en est le carreau de Ghiberti lui-même, qui est également moderne et capable d’interpréter les inclinaisons de l’humanisme florentin: il est cependant vrai que les événements liés au concours de 1401, comme l’a écrit l’érudit Francesco Negri Arnoldi, “constituent pour nous un témoignage précieux de l’orientation du goût et de la culture artistiques florentins à la veille du grand renouveau”. Un contexte, celui de Florence à la fin du XIVe siècle-début du XVe siècle, très différent du reste de l’Italie: ici, poursuit Negri Arnoldi, le gothique international n’a représenté qu’“une brève expérience, une phase de transition entre deux générations d’artistes”. En effet, tous les grands représentants du gothique tardif local montrent dans leur production mature les symptômes ou déjà les reflets de ce renouvellement du langage formel qui allait bientôt faire de Florence le centre artistique le plus avancé d’Europe ; de même que les premiers grands interprètes du nouvel art portent dans leurs œuvres de jeunesse des signes clairs du goût et de la culture gothiques assimilés au cours de leurs années de formation".
Pas de rupture nette, donc, même si les conventions fixent le début “officiel” de la Renaissance à 1401: en réalité, comme toujours, l’histoire ne connaît pas de barrières aussi drastiques et décisives. Le début du XVe siècle est en effet une période de transformations importantes où l’on ne distingue pas d’alternances précises entre une phase et une autre, mais où le concours de 1401 peut être lu comme un événement, sinon décisif, en tout cas extrêmement significatif dans le cheminement vers la naissance d’une nouvelle langue.
Référence Bibliographie
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