La Tempête de Pordenone, le peintre qui a troublé et consterné le Caravage


Giovanni Antonio de' Sacchis, dit Pordenone, fut l'un des artistes les plus révolutionnaires du XVIe siècle: sa "tempête" est retracée dans cet article de Vittorio Sgarbi.

Cet article, déjà publié dans Il Giornale, est reproduit ici, enrichi de l’appareil iconographique, avec la concession de l’auteur Vittorio Sgarbi, commissaire, avec Caterina Furlan, de l’exposition Il Rinascimento di Pordenone (à Pordenone, Museo Civico d’Arte, jusqu’au 2 février 2020).

Une tempête fait rage dans le ciel de la vallée du Pô, à l’arrivée de Pordenone (Giovanni Antonio de’ Sacchis ; Pordenone, 1484 - Ferrare, 1539), vainqueur d’un match avec le Titien dans la chapelle Malchiostro de la cathédrale de Trévise. Le Cadorino est dans les cordes et l’insidieux Pordenone s’abat sur lui avec une fureur implacable. Il ne lui laisse aucune place, dominant de ses fresques les murs de part et d’autre de l’Annonciation scolastique du Titien. Le Titien a l’instinct, il a montré qu’il sentait l’esprit du temps dans L’Assomption pour l’église des Frari, mais Pordenone a l’expérience nouvelle de la chapelle Sixtine, dont il a intériorisé le bruit et la peur, sans traumatisme, lorsqu’il a vu Raphaël en secret, grâce à Bramante qui lui a ouvert la porte de la chapelle Sixtine en l’absence de Michel-Ange. Un nouveau monde lui est révélé, juste avant que Lorenzo Lotto, Sebastiano del Piombo et Pordenone n’arrivent du nord pour lui rendre visite, lui qui est d’un tempérament doux. Nous ne savons rien de Titien. Le passage de Pordenone est attesté par la puissante fresque d’Alviano, avec la Madone entre les saints Sylvestre, Pape et Jérôme, le donateur démonstratif et trois anges musiciens furieux.



Le passage en Ombrie impose une autre rencontre fondamentale, celle avec le retable aérien de Foligno, œuvre de Raphaël lui-même, où la vaste Vierge à l’Enfant croise un paysage magique qui semble avoir été peint par Dosso Dossi, le grand artiste de Ferrare, frère de Pordenone. Le contrepoint au chef-d’œuvre de Raphaël, livré en 1512, se trouve dans la contorsion des mouvements de l’enfant, qui sera un code pour Pordenone déjà dans l’imposant retable de Susegana (1515-16), avec les ruines antiques qui semblent un souvenir direct de Rome, puis dans la Madone de la Loggia d’Udine (1516), dont les formes amples consonnent avec la fresque d’Alviano, et, plus tard, malgré l’archaïsme de la composition, dans le retable de la Torre di Pordenone (1520-21). Malgré les nombreuses perplexités des critiques, ces références suggèrent que le voyage à Rome, ainsi que la fresque d’Alviano, tombent vers 1515, peut-être dans l’enthousiasme immédiat de la vision du texte de référence de Raphaël pour le monde de la plaine du Pô: l’Extase de Sainte Cécile dans l’église de San Giovanni in Monte, qui arrive à Bologne, avec des effets traumatisants, précisément en 1515. Caterina Furlan, convertie à la précocité du voyage, suggère que ce fut l’itinéraire de Del Pordenone: "En parlant d’Alviano, comment arrivait-on à cette petite ville de l’époque, qui se trouve à environ quatre-vingts kilomètres de Rome à vol d’oiseau? Pour un sujet de la Sérénissime, le plus rapide était de partir de Venise et de rejoindre Ancône par la mer. De là, en empruntant la via Lauretana, en passant par Loreto, Macerata, Foligno et Spoleto, on arrivait à Terni, à une quarantaine de kilomètres d’Alviano’.

Giovanni Antonio de' Sacchis dit Pordenone, Adoration des Mages (1520 ; fresque ; Trévise, cathédrale, chapelle Malchiostro)
Giovanni Antonio de’ Sacchis dit Pordenone, Adoration des Mages (1520 ; fresque ; Trévise, cathédrale, chapelle Malchiostro)


Tiziano Vecellio, Annonciation (1520 ; huile sur panneau, 210 x 176 cm ; Trévise, cathédrale, chapelle Malchiostro)
Tiziano Vecellio, Annonciation (1520 ; huile sur panneau, 210 x 176 cm ; Trévise, cathédrale, chapelle Malchiostro)


Tiziano Vecellio, Assomption (1516-1518 ; huile sur panneau, 690 x 360 cm ; Venise, Basilique de Santa Maria Gloriosa dei Frari)
Tiziano Vecellio, Assomption (1516-1518 ; huile sur panneau, 690 x 360 cm ; Venise, Basilique de Santa Maria Gloriosa dei Frari)


Raphaël, Madone de Foligno (1511-1512 ; huile sur panneau transférée sur toile, 320 x 194 cm ; Cité du Vatican, Musées du Vatican, Pinacothèque Vaticane)
Raphaël, Madone de Foligno (1511-1512 ; huile sur panneau transférée sur toile, 320 x 194 cm ; Cité du Vatican, Musées du Vatican, Pinacothèque Vaticane)


Giovanni Antonio de' Sacchis dit Pordenone, Vierge à l'Enfant trônant entre les saints Jean-Baptiste, Catherine, Daniel et Pierre (1515-1516 ; huile sur panneau, 284,5 x 178 cm ; Susegana, église paroissiale de la Visitation de la Vierge Marie)
Giovanni Antonio de’ Sacchis dit Pordenone, Vierge à l’enfant trônant entre les saints Jean-Baptiste, Catherine, Daniel et Pierre (1515-1516 ; huile sur panneau, 284,5 x 178 cm ; Susegana, église paroissiale de la Visitation de la Bienheureuse Vierge Marie)


Giovanni Antonio de' Sacchis dit Pordenone, Vierge à l'Enfant entre les saints Sylvestre, Pape, Jérôme, le Donateur et les Anges musiciens (vers 1515 ; fresque ; Alviano, église paroissiale)
Giovanni Antonio de’ Sacchis dit Pordenone, Vierge à l’Enfant entre les saints Sylvestre, Jérôme, le Donateur et les Anges musiciens (vers 1515 ; fresque ; Alviano, église paroissiale)


Giovanni Antonio de' Sacchis dit Pordenone, Vierge à l'Enfant trônant entre les saints Hilaire d'Aquilée, Tatien, Antoine Abbé et Jean-Baptiste (1520-1521 ; huile sur toile, 296 x 243 cm ; Torre di Pordenone, église paroissiale des saints Hilaire et Tatien).
Giovanni Antonio de’ Sacchis dit Pordenone, Vierge à l’enfant trônant entre les saints Hilaire d’Aquilée, Tatien, Antoine Abbé et Jean-Baptiste (1520-1521 ; huile sur toile, 296 x 243 cm ; Torre di Pordenone, église paroissiale des saints Hilaire et Tatien).

Un voyage certes pour l’œuvre et les frises décoratives du château d’Alviano, mais pour moi prolongé jusqu’à Rome, à cause de la tentation irrésistible, chez un homme aussi volontaire, d’être au centre du monde. S’arrêter à Alviano aurait été comme, pour un peintre de 1910, aller en France et s’arrêter à Fontainebleau, sans arriver à Paris. Psychologiquement impossible. En revanche, ce même chemin avait été parcouru quelques années plus tôt par l’un des frères spirituels de Pordenone, déjà en fuite devant Titien, mais moins extraverti et prêt à relever le défi qui allait caractériser toute la vie artistique de Pordenone. Je me réfère à Lorenzo Lotto, contemporain et certainement ami de Pordenone, que j’ai rencontré dans la Marche de Trévise à l’apogée du retable de Santa Cristina al Tiverone, datable de 1505 ; et déjà en 1506 à Recanati pour quelques travaux exigeants ; et, avant tout, en 1509 appelé à Rome par le Pape Jules II pour peindre dans les salles du Vatican. Ce lien utile avec l’expérience d’un autre grand Vénitien nous ramène à Trévise, où Pordenone, chargé de l’expérience romaine, défie Titien dans la chapelle commandée par Brocardo Malchiostro, à qui Lorenzo Lotto avait fait un portrait mémorable: le jeune ecclésiastique, secrétaire de l’évêque Bernardo De Rossi, du tableau connu sous le nom de Jeune homme à la lampe au Kunsthistorisches de Vienne.

Tous ces croisements permettent de se rendre compte de l’étroite entente entre les plus grands et les plus jeunes peintres de l’époque, évoluant dans les mêmes espaces: Titien, Lorenzo Lotto, Pordenone et certainement le plus romantique et le plus mystérieux Giorgione. Mais, plus que les autres, Pordenone fait revivre, dans sa propre ville, Pordenone, à partir du retable de Susegana, puis dans la Madone de la Miséricorde (1516) pour sa cathédrale, pleine d’évidences juvéniles, comme les fresques avec les très mobiles Érasme et Rochus, et enfin dans la Madone de la Loggia à Udine (1516), l’élan de Michel-Ange et la grâce raphaëlesque, dont il est le témoin presque en temps réel. Le voici donc, face à un Titien presque sans défense, dans la chapelle Malchiostro, commencée au printemps 1519, avec une Adoration des Mages dans laquelle, au milieu des volumes aériens des draperies, il insère une figure athlétique de dos, aux formes puissantes, prémonitoire même du Caravage qui, certainement, dans ses voyages entre Lombardie, Émilie et Vénétie, s’est arrêté pour penser à Pordenone. Dans la coupole avec le Padreterno, dans un vent de nuages et d’anges, la Création d’Adam de Michel-Ange s’envole. Son rugissement laisse dans le silence l’Annonciation sobre du Titien. La réflexion attentive de Lanzi nous aide à faire la comparaison, étant donné que, par rapport au Titien, Pordenone était un grand peintre de fresques, se déplaçant dans de grands espaces avec un engagement scénographique et théâtral: “il avait alors ses propres gens qui le plaçaient avant le Titien: parce que... il n’y a rien qui surprenne la multitude autant que le grand effet et la magie du clair-obscur ; dans cet art, il a précédé Guercino...”. ".

Lorenzo Lotto, Jeune homme à la lampe à huile (vers 1506 ; huile sur panneau, 42,3 x 35,3 cm ; Vienne, Kunsthistorisches Museum)
Lorenzo Lotto, Jeune homme à la lampe à huile (vers 1506 ; huile sur panneau, 42,3 x 35,3 cm ; Vienne, Kunsthistorisches Museum)


Giovanni Antonio de' Sacchis dit Pordenone, Madone de la Miséricorde (1515-1516 ; huile sur toile, 291 x 146 cm ; Pordenone, co-cathédrale Cathédrale Saint-Marc)
Giovanni Antonio de’ Sacchis dit Pordenone, Madone de la Miséricorde (1515-1516 ; huile sur toile, 291 x 146 cm ; Pordenone, co-cathédrale Cathédrale Saint-Marc)


Giovanni Antonio de' Sacchis dit Pordenone, Madone de la Loggia (1516 ; fresque, 153 x 133 cm ; Udine, Civici Musei e Gallerie)
Giovanni Antonio de’ Sacchis dit Pordenone, Madone de la Loggia (1516 ; fresque, 153 x 133 cm ; Udine, Civici Musei e Gallerie)

Ainsi, appelé à Crémone l’année suivante, Pordenone arrive comme un tsunami et bouleverse le récit composé sur les murs de la nef, conçu entre 1506 et 1519, par des maîtres aussi grands que lui, et peut-être moins exaltés: Boccaccio Boccaccino, Giovanni Francesco Bembo, Altobello Melone, Romanino. Romanino a peint le Christ devant Caïphe, la Flagellation, l’Ecce homo, et aucun n’avait un tempérament et une passion plus proches de Pordenone que Romanino. Néanmoins, en 1520, les massari de la cathédrale retirèrent la commande de trois autres arcs et firent appel à Pordenone, lui confiant la Crucifixion, la Déposition et la Lamentation, où le peintre, fraîchement sorti du choc de Trévise, imprima une autre empreinte sur le mur le plus tempétueux. Le plus puissant avant la Passion de Mel Gibson. Pour arriver à cette impressionnante théâtralité, il faut imaginer une expérience en Lombardie, sur laquelle la critique ne s’est pas particulièrement attardée. En fait, je crois que la rencontre avec un autre maître où la Renaissance est amplifiée, jusqu’à écraser la mesure et l’espace par des effets spéciaux, a été décisive: je veux parler de Gaudenzio Ferrari dans la chapelle de la Crucifixion du Sacro Monte à Varallo. Giovanni Testori l’appelait “Gran teatro montano” (grand théâtre de montagne), et le grand théâtre est celui que Pordenone met en scène, avec de formidables trompe-l’œil, sur la contre-façade de la cathédrale de Crémone. C’est certainement là que Caravage est entré et s’est trouvé confronté à une telle puissance, et il sera important de retracer l’influence des peintres brescians ainsi que celle de Pordenone et du Tintoret. Dans la cathédrale de Crémone, il admire, troublé et consterné, l’irruption de Pordenone dans cette dimension que Marco Boschini rapporte mieux que tout autre: “excellent peintre, comme nous le savons, un peintre si généreux, et si prompt, qu’il a fait des excès d’étonnement dans les fresques”. Des “excès”, justement, que nous retrouverons à Cortemaggiore, et à Santa Maria di Campagna à Piacenza, non loin de Fontanellato où, peu de temps auparavant, Parmigianino avait exercé.

Aujourd’hui, outre la vallée du Pô de ses cycles de fresques, Pordenone est visible dans ses magistraux retables de la Galleria d’Arte Moderna: et au moins une œuvre, en dialogue avec Correggio, Moretto da Brescia, Lorenzo Lotto, Romanino, possède la puissance et la terrible vérité pour lesquelles Pordenone était partout, dans la vallée du Pô et enfin à Ferrare où il mourut, convoqué par Ercole d’Este en 1539: la Déposition pour l’église de l’Annonciade à Cortemaggiore. Le Christ est lamentablement déposé par les pleureuses dans son sarcophage. Les Marie rassemblées s’agitent comme dans la Lamentation de Nicolò dell’Arca, tandis que saint Jean se tient solitaire, dans sa douleur. Madeleine, comme un animal blessé, se jette aux pieds du Christ. Tout se passe sous une montagne, d’une puissance indicible, et c’est l’homme de théâtre qui l’emporte. En effet, Pordenone ne la peint pas mais la fait émerger, avec une légère montée d’ombre dans le contour, de la toile épaisse, avec la technique dite de la “toile épargnée” qui a de l’énergie, de la brutalité. La même chose, même matériellement, qu’un “sac Burri”. Personne avant Pordenone n’avait osé autant, et seul le Caravage avait osé autant dans sa grande toile avec l’Enterrement de Sainte Lucie pour Syracuse. Pordenone s’est mesuré, a rivalisé avec Titien, mais aujourd’hui sa grandeur n’est mesurée que par celle du Caravage.

Giovanni Antonio de' Sacchis dit Pordenone, Crucifixion (1520-1521 ; fresque, 920 x 1200 cm ; Crémone, cathédrale)
Giovanni Antonio de’ Sacchis dit Pordenone, Crucifixion (1520-1521 ; fresque, 920 x 1200 cm ; Crémone, cathédrale)


Giovanni Antonio de' Sacchis dit Pordenone, Déposition (1520-1521 ; fresque ; Crémone, cathédrale)
Giovanni Antonio de’ Sacchis dit Pordenone, Déposition (1520-1521 ; fresque ; Crémone, Cathédrale)


Giovanni Antonio de' Sacchis dit Pordenone, Déposition du Christ (vers 1524 ; tempera sur toile, 397 x 291 cm ; Cortemaggiore, église de l'Annunziata)
Giovanni Antonio de’ Sacchis dit Pordenone, Déposition du Christ (vers 1524 ; tempera sur toile, 397 x 291 cm ; Cortemaggiore, église de l’Annunziata)


Caravage, L'enterrement de sainte Lucie (1608 ; huile sur toile, 408 x 300 cm ; Syracuse, église Santa Lucia alla Badia)
Caravaggio, Seppellimento di santa Lucia (1608 ; huile sur toile, 408 x 300 cm ; Syracuse, église Santa Lucia alla Badia)


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