L’étonnement accompagne toujours ceux qui veulent se plonger dans les propositions que Correggio nous pose progressivement dans le jeune parcours de sa carrière, où les éléments de surprise fleurissent et imposent l’extraordinaire étendue de sa culture, qui révèle des capacités complexes et des choix inattendus. Si l’abbé Lanzi affirmait au début du XIXe siècle que “plus que tout autre peintre, on peut toujours réécrire sur lui”, l’intuition d’une réelle richesse non encore explorée se double aujourd’hui d’un adjectif qu’Édouard Pommier, dans une correspondance d’étude, a apposé à la stature artistique de l’Émilien: “immense” ! Considérons donc d’un œil neuf une œuvre habituellement peu commentée dans les monographies. Avec nos vifs remerciements à la Pinacothèque de Brera, Letizia Lodi, Cesare Maiocchi, Oscar Riccò et Umberto Lodesani.
Le sujet du tableau comporte un caractère que l’on pourrait qualifier d’imprécis par rapport à l’événement habituellement relaté, à savoir la Nativité selon les récits évangéliques, puisque lors de la nuit sainte, la parente Elisabeth n’aurait pas pu se trouver là, dans l’étable de Bethléem, avec son propre fils, si petit. Par extension, l’œuvre, dans son ensemble, se présente comme une assomption mystique de toute l’enfance de Jésus, préfigurant les événements et (plus largement) le lien qu’il aura avec sa cousine précurseur, jusqu’à la mission rédemptrice pour toute l’humanité. D’habitude, le Corrège est très précis dans le respect des événements et accorde une attention scrupuleuse à l’écriture sacrée. Ici, le peintre a exposé un tableau multiple et très rare sur le thème de l’Incarnation et de la Rédemption qui nous fait réfléchir sur son intense maturité théologique. Le protagoniste est le Christ qui, comme le dit saint Bonaventure, “debout au milieu de la terre, a opéré le salut”. Il faut souligner que, contrairement aux nombreuses représentations précédentes, toutes en pleine lumière, cette scène se déroule au cœur de la nuit: voilà la fidélité convaincue du Corrège aux événements certifiés, et voilà une preuve précoce (très proche expérimentalement de la petite Judith de Strasbourg) d’une vaste scène enregistrée dans l’oscillation de l’obscurité. Un choix qui a lancé la carrière du brillant peintre sur la dialectique efficace de l’ombre et de la lumière, atteignant l’apogée des possibilités naturalistes et des nouvelles merveilles dans sa maturité. Tout au long du tableau, on peut en effet faire des observations minutieuses sur des détails plongés dans la pénombre mais bien réels et soigneusement agencés.
Les Évangiles disent que l’Enfant divin, au moment de sa naissance, a été couché dans une mangeoire (Luc 2,6-19) ; celle-ci apparaît effectivement dans la scène peinte, sous le dais de droite qui abrite l’âne, mais dans cette version du Corrège, nous voyons Jésus à terre, véritable signe de la venue du Verbe dans le contexte humain et indication d’un choix précis de la pauvreté. Il est couché sur une épaisseur symbolique d’épis de blé et au milieu d’un grand drap blanc très recueilli, qui vient entourer sa tête, rayée trinitairement. Les épis de blé renvoient directement à l’Eucharistie, au don de son Corps, et le drap renvoie visiblement au linceul du tombeau. Tout le souffle évangélique de la Passion et de la Résurrection est ainsi rappelé ici.
La Madone au visage le plus doux contemple l’Enfant en tenant sa main droite enfermée dans son manteau, et cette dissimulation a suscité la perplexité de Cecil Gould à l’époque, mais Correggio suit avec une acuité pieuse et participative le texte limpide de saint Luc, qui écrit que Marie “gardait toutes ces choses dans son cœur”: ici, la main voilée sur son cœur confirme qu’il s’agit bien d’un événement plein de mystère. Saint Jean apparaît attentif et conscient, presque dans une attitude de dialogue avec son petit cousin ; sa présence dévoile certes le rôle biblique du Précurseur, mais il propose avec force le dernier acte de l’ancienne Alliance juive qui laissera désormais la direction à la nouvelle Alliance universelle: une palingénésie totale du temps opérée pour nous par la volonté divine. En effet, la figure de Sainte Elisabeth se dresse comme un bloc sculptural, recueilli et ombrageux, signifiant la pénombre des siècles anciens arrivant à leur terme. Ici, David Ekserdjian, avec une série de considérations intéressantes, a souligné à juste titre une réminiscence de Mantegna chez Allegri, qui est lié à son maître mantouan par une focalisation pas si lointaine sur le thème du senectus. Mais la rencontre entre les deux mères et leurs enfants est l’évidence du tableau, qui contient la réalité de la substance scripturale.
Il faut souligner comment, dans le visage et l’image de Marie (une belle vierge qui sort de son refuge rustique et se réfugie parmi les ruines coopératives d’une ancienne domus majestueuse ou d’un monimentum impérial romain), Corrège semble avoir saisi l’invocation de l’Esprit dans le Cantique des Cantiques, qui invite l’être désiré avec une intimité frémissante: "... columba mea, in foraminibus petrae, in caverna maceriae ostende faciem tuam...“ (Ct 2,13-14). ”(Ct 2,13-14). Voici l’admirable création du visage respirant de Marie tourné vers l’Enfant: une véritable méditation dans laquelle le jeune Allegri s’éloigne de tout modèle magistral qui l’a précédé et se concentre sur une forme d’amour. Toute la figure de Marie est un chef-d’œuvre d’équilibre linéaire et chromatique, précis et harmonieux, qui s’articule autour de l’humanité rouge de la robe de cette mère que la lumière d’en haut baigne sur son visage et sa main pressante.
Exactement dans l’espace entre les deux mères qui personnifient l’accouchement biblique, s’ouvre un deuxième plan plein de sens: à côté de la colonne éolienne (qui sera reprise plus tard par Allegri comme signe de la constance du classicisme dans l’histoire) se tiennent deux bergers seuls vers lesquels un jeune ange glisse harmonieusement pour montrer le chemin à Jésus. Ce choix rappelle le futur mandat que Jésus donnera à ses disciples et à ses témoins (Lc, 10). La figure de l’ange est singulière et douce, physique mais suspendue et inclinée. L’annotation nécessaire concerne le petit nombre de témoins appelés en premier par les messagers célestes: Corrège évite soigneusement les nombreuses présences que l’on trouve toujours dans les autres peintures traditionnelles, car il choisit une conversation intime et feutrée entre l’ange et les cœurs humains des deux bergers: dum medium silentium tenet omnia. De cette façon, nous pouvons nous aussi participer à l’enseignement de l’ange qui marque le passage, la porte ouverte d’un petit enclos, qui est spirituellement le chemin facile vers le Christ. L’inventio allegrienne de la porte (qu’aucun évangile ne mentionne) nous rappelle que dans le judaïsme ancien, l’approche de Dieu ne pouvait se faire qu’une fois par an et seulement pour le Grand Prêtre, qui devait traverser le voile du Temple à la Pâque et entrer dans le Saint des Saints à l’Arche de l’Alliance ; Correggio propose au contraire un passage en douceur qui permet aux humbles, aux humbles, une approche qui sera totale dans l’histoire du christianisme. La loquela digitorum de la créature céleste, à laquelle répond analogiquement le vieux berger, est d’une grande beauté, et ici Corrège est certainement meilleur que Léonard dans la Vierge des Rochers: l’ange marque le Sauveur avec l’index de sa main droite, et l’homme (qui dans la société juive était le rejeté) imite le geste avec son majeur, signe de vertu convaincue. Une invention figurative délibérée, pondérée, symbolique et nouvelle, due à une culture extrêmement profonde et certainement soucieuse de la prosodie spirituelle et symbolique de la fondation byzantine et médiévale, où chaque caractère et chaque geste est imprégné d’éternité.
Les deux anges aux ailes pointues qui s’élancent dansent au-dessus de Marie et de Joseph ; ils semblent nous assurer que la petite créature endormie sur le drap blanc vient bien du ciel et qu’elle est de nature divine, comme le confirment ces rayons dorés dans leur irréalité naturelle, mais précise et douce, que le Bernin a certainement observée. Cecil Gould affirme que les rayons descendent de l’étoile qui accompagne toujours la Nativité (ici à l’extérieur du tableau), d’où la douce lumière qui baigne Marie et les autres personnages à la tombée de cette nuit sainte. Il faut s’arrêter sur les deux petits anges ; ils sont parmi les premiers nus de la peinture de la Renaissance à apparaître suspendus dans l’espace comme de véritables corps plastiques, tournant librement dans un espace physique ouvert et variant dans leurs attitudes mimétiques d’authentiques enfants: une preuve précoce, étudiée et aimée, de mouvements libérés de la loi de la pesanteur. Une preuve précoce que Correggio délibère ici avec un art désinhibé mais riche en études aiguës d’enfants: des observations rapides et saisissantes, poursuivies et résolues avec bonheur dans les auras ombragées du lieu. C’est aussi dans cette résolution que cette peinture est cruciale et innovante.
Saint Joseph dort sur la selle, un instrument de voyage qui l’accompagnera une autre fois dans les tableaux d’Allegri ; à première vue, il semble étrange qu’il ne remarque pas la présence des deux invités et qu’il ne les reçoive pas comme il le devrait, d’autant plus que la naissance de l’Enfant s’est déroulée au milieu de difficultés malheureuses et que Marie a dû être aidée en toutes choses. Mais c’est précisément ce point qui ouvre toute la valeur du tableau à une signification mystique grandiose. L’attitude de Joseph revient surtout lorsqu’il s’agit d’indiquer qu’il rêve. Dans les Évangiles, c’est lui qui reçoit les ordres de Dieu en rêve: après l’Annonciation, “prends Marie pour femme ; celui qui doit naître est du Saint-Esprit” (Matthieu 1, 18-23) et après la visite des Mages, “vite, prenez avec vous l’enfant et sa mère, et fuyez en Égypte” (Matthieu 2, 13-14).
Dans ce panneau, qu’il est donc insuffisant d’appeler “Nativité”, Correggio présente toute la première partie du dessein divin de l’Incarnation. Le tableau montre que l’ordre d’Hérode de tuer les enfants a déjà été donné. Les deux soldats sur la proda sont placés pour garder le passage de la frontière, le ciel tourbillonne en lourds nuages au-delà de la montagne sombre qui rappelle la Pietra di Bismantova de Dante ; la mer s’étend là (la seule fois où Corrège peint la mer), et au-delà clignote le contour de la ville imaginaire de Pharaon. Voici la totalité de l’histoire brute de l’arrivée du fils de Dieu dans la demeure des hommes: la pauvreté, la rencontre avec les humbles, la transmission de la parole au Précurseur, le danger de mort, l’exil en terre étrangère. Une synthèse évangélo-théologique qui engageait volontiers le jeune peintre lombard, qui avait déjà visité Padoue et Venise, et appris à connaître le miroir limpide de la lagune. Dans sa conception figurative, Allegri va bien au-delà des schémas encore en vigueur dans la première décennie du XVIe siècle et donne à l’art pictural la liberté d’être très complet, de rassembler de vastes paraphrases explicatives.
Le Corrège évolue également en termes d’exécution: à partir du point d’appui de l’Enfant Jésus, il assigne au moins quatre directions radiales au regard du spectateur, pénétrant dans les différents espaces qui tournent autour du pivot de la colonne classique, qui arbore un élégant anthemion (son collier décoré) dans le corps du chapiteau. La disposition des éléments structuraux-architecturaux est très élaborée: à droite, le toit en bois, comme un abri pour animaux, heureusement adossé à la puissante muraille romaine ; puis le môle massif en briques, appartenant peut-être à un bâtiment curial, avec la niche vide à vocation statuaire, mais abandonnée et dans l’ombre ; puis la colonne bien modulée, indice d’une façade “d’ordres” aujourd’hui effondrée ; sur le côté, à gauche, un fornix collaborant entre des membres déconnectés. Enfin, la grandiose poésie naturaliste-luministe des arbres secoués par un vent courroucé, contre une lumière livide et lointaine, qui a fait vibrer l’œil sympathique d’Eugenio Riccòmini dans une comparaison vivante de Courbetti. Ici, les gardiens agités d’Hérode veillent. Voici la tablature picturale et mystique du Corrège ; voici la partition qui accompagne les phases de l’histoire: Jésus naît alors que le classicisme a déjà accompli sa tâche et que, de ses ruines, une nouvelle civilisation est sur le point de naître. Nous avons donc, avec le chant lyrico-pictural, ce “symbolisme visuel compact”, cette exégèse de la narration sacrée qui a jailli des conversations qu’Allegri a toujours tenues et cultivées avec les moines, les sages religieux, dans ses fréquentations depuis sa jeunesse.
Derrière le dos de Sainte Elisabeth se répète la diagonale d’une pente très raide, caractérisée par des arbres et deux masses buissonnantes, dont la plus basse, à l’intérieur de l’enceinte, est une véritable anthologie d’herbes des champs, soigneusement définie avec l’amour naturaliste qui a toujours jailli des tableaux de Corrège. On y trouve du plantain, un géranium sauvage, des ombellifères et quelques graminées: la botanique habituelle de l’humus de la plaine du Pô. La trame complexe de l’événement divin est ainsi accueillie avec la dense simplicité sémantique qui accompagnera toujours le Corrège dans son voyage serein et lumineux, dirigé de la terre vers le ciel, comme un véritable itinerarium mentis in Deo.
Cecil Gould, dans sa monographie de 1976, observe que le centre de la composition de cette Nativité n’est pas clair. Ajoutons donc ces notes.
“A” - Les diagonales de tout le panneau se rejoignent exactement sur la main de l’Ange invitant les bergers, geste essentiel pour l’incarnation du Verbe: c’est l’appel de l’humanité à accueillir le Christ.
“B” - Toutes les figures sont placées dans un carré sur le côté droit qui a pour côté la hauteur du tableau (la plus petite mesure): l’usage de contenir les figures dans une telle dimension se poursuivra souvent chez Corrège. Les deux diagonales du “carré des personnes” se rejoignent à la bouche de Marie, d’où sortent le “fiat” et le “Magnificat”: une autre signification évangélique éminente.
"C - Dans l’angle inférieur gauche de ce tétragone, la diagonale réunit saint Jean et l’Enfant Jésus, tandis que la ligne médiane horizontale du panneau marque la hauteur des têtes de saint Joseph et de sainte Élisabeth.
Tout au long de la composition, on retrouve donc des rythmes harmoniques soigneusement étudiés que Correggio a savamment agencés et contenus, comme il ne l’oubliera pas au cours de sa carrière.
Avertissement : la traduction en français de l'article original italien a été réalisée à l'aide d'outils automatiques. Nous nous engageons à réviser tous les articles, mais nous ne garantissons pas l'absence totale d'inexactitudes dans la traduction dues au programme. Vous pouvez trouver l'original en cliquant sur le bouton ITA. Si vous trouvez une erreur,veuillez nous contacter.