L’inondation qui a dévasté Florence et ses environs le 4 novembre 1966 n’a pas seulement recouvert de boue des œuvres d’art, à commencer par le Crucifix de Santa Croce de Cimabue, qui a subi des dommages irréparables, devenant, malgré lui, une sorte de symbole de l’événement tragique qui a entraîné la perte de 35 vies et des dommages considérables au patrimoine historique et artistique de la ville. Le patrimoine livresque de la ville a également été gravement touché, et parmi les volumes qui se sont retrouvés sous l’eau et la boue se trouvait un précieux manuscrit, qui figure aujourd’hui parmi les objets les plus rares et les plus significatifs de la Biblioteca Nazionale Centrale di Roma, où il est actuellement conservé: le Vittorio Emanuele 1631. Pourquoi ce nom ? Comment est-il arrivé en Italie ? Et pourquoi le codex se trouvait-il dans la chambre forte d’ une banque florentine lorsque l’Arno a débordé ? Ce ne sont là que quelques étapes de l’histoire fascinante et aventureuse de ce manuscrit.
Le codex, connu dans le passé sous le nom de Codex Aesinas car il a été découvert dans la ville de Jesi(Aesis en latin) en 1902, contient l’une des plus anciennes attestations du Bellum Troianum de Ditti, de l’Agricola de Tacite (œuvre dont le codex de la Biblioteca Nazionale Centrale di Roma est le seul témoin médiéval) et de la Germania du même auteur. Le manuscrit, divisé en neuf fascicules, se compose d’un grand fragment du IXe siècle dans lequel ont été insérés des feuillets et des fascicules copiés au XVe siècle pour compléter le texte manquant. La partie du IXe siècle a été rédigée en écriture carolingienne (une date comprise entre 840 et 850 a été retenue). Au moins deux copistes ont participé à ce travail: l’un s’est occupé du Bellum Troianum, l’autre des œuvres de Tacite. Les ajouts, en revanche, datent de la seconde moitié du XVe siècle et sont rédigés dans une écriture humaniste, la plupart du temps par une seule personne. Il s’agit d’une œuvre sobre: il n’y a pas de décorations, il y a des incipits et des explicitations en capitales épigraphiques et en lignes alternées (rouge et vert), avec des titres en onciale rouge et or. Le seul dessin se trouve à la fin du quatrième livre du Bellum Troianum, où l’on peut voir un arbre exécuté à l’encre rouge. Il s’agit d’une œuvre singulière non pas tant par son contenu, bien qu’à l’époque de sa découverte au XVe siècle, elle ait constitué une sorte de révélation pour le monde humaniste, car jusqu’alors l’Agricola et la Germania de Tacite étaient inconnues. Le Victor Emmanuel 1631 est unique en raison de l’histoire unique et troublée, longue de plus de onze siècles, qui se cache derrière ses pages.
Le fragment du IXe siècle coïnciderait avec le Codex Hersfeld: c’est le nom donné à un manuscrit divers, datant également du IXe siècle, dont l’existence a été signalée par un moine de l’abbaye d’Hersfeld au grand humaniste Poggio Bracciolini. Le moine, identifié selon l’érudit Ludwig Pralle en la personne de Heinrich von Grebenstein, a en effet écrit une lettre à Bracciolini l’informant qu’il avait trouvé ce codex contenant “aliqua opera Cornelii Taciti nobis ignota” (“quelques œuvres de Cornelius Tacitus qui m’étaient inconnues”). On ne sait pas où il a été copié à l’époque où il a été réalisé, mais on a trouvé une similitude avec l’écriture de l’abbé franc Loup de Ferrières, et cette circonstance, associée à d’autres indices, a conduit à l’hypothèse que le codex a été réalisé dans le scriptorium de Fulda, en Allemagne, où Loup a été actif entre 829 et 836. D’autres, en revanche, ont émis l’hypothèse d’une origine française du codex.
L’universitaire Francesca Niutta écrit que "Guarino Veronese et les Panormita parlent du codex de Hersfeld dans leurs lettres des années suivantes ; Niccoli [Niccolò Niccoli, éd.] l’inclut en 1431 dans son Commentarium in peregrinatione Germanie, une liste de livres donnée au cardinal Cesarini, qui devait les chercher en Allemagne, à laquelle il était tenu ; le codex de Tacite, en particulier, se trouvait au monastère de Hersfeld". La coïncidence entre le Victor Emmanuel 1631 et le codex de Hersfeld est largement acceptée par les chercheurs: les quelques personnes qui ont réfuté cette coïncidence ont indiqué comme sujets possibles les mêmes textes qui apparaissent dans le codex, puisque le Commentarium de Niccoli se réfère non seulement à Germania etAgricola, mais aussi au Dialogus de oratoribus et au De grammaticis et rhetoribus de Svetonius, qui manquent dans le codex Exinate. En revanche, le codex de la Biblioteca Nazionale Centrale de Rome contient le Bellum Troianum de Ditti Cretese, qui n’est pas mentionné dans les sources humanistes. Les chercheurs Charles E. Murgia et R.H. Rodgers ont toutefois observé que l’œuvre de Ditti Cretese ne représentait pas une découverte à l’époque au même titre que les deux œuvres de Tacite, et qu’elle pouvait donc être incluse parmi les “multi alii” (“beaucoup d’autres”) textes non mentionnés individuellement par Grebenstein. Victor Emmanuel 1631 se trouvait de toute façon déjà à Rome en 1455, où il avait peut-être été apporté par l’humaniste Enoch d’Ascoli, qui avait reçu un mandat spécifique du pape Nicolas V, né Tomaso Parentucelli, pour parcourir l’Europe à la recherche de manuscrits destinés à la bibliothèque que le pontife était en train de créer, la future bibliothèque vaticane.
En 1455, le codex fut vu et décrit par l’humaniste Pier Candido Decembrio, et dut probablement être démembré peu après, raison plausible pour laquelle les œuvres de Suétone n’apparaissent pas dans le manuscrit aujourd’hui. Nous savons qu’après un voyage en Allemagne en 1451, Enoch d’Ascoli avait apporté avec lui plusieurs codex, originaux et copiés, pour la bibliothèque, à laquelle le fragment de Hersfeld n’arriverait jamais en raison de l’hostilité du nouveau pape, Callistus III, à l’égard du milieu humaniste. L’érudit Paolo Viti émet l’hypothèse d’une “opération maladroite effectuée par Enoch - à supposer qu’il en soit réellement l’auteur - sur l’ancien codex apporté par Hersfeld remonte à cette époque: le manuscrit aurait été démembré pour augmenter sa valeur à la vente, puisqu’il ne pouvait plus être acheté pour la bibliothèque vaticane par le biais de Decembrio”. Cependant, le manuscrit serait resté chez Enoch, qui l’aurait emmené avec lui à Ascoli Piceno: ceci pourrait expliquer la raison de sa présence dans la région des Marches. Nous savons cependant avec certitude que le codex se trouvait déjà dans la bibliothèque des frères Stefano et Francesco Guarnieri, humanistes d’Osimo, dans la seconde moitié du XVe siècle. C’est probablement Stefano Guarnieri, chancelier de Pérouse à partir de 1465, nommé par le pape, et surtout connu pour être un habile copiste, qui a fait les ajouts du XVe siècle au texte.
Le codex ne quittera pas les Marches pendant plusieurs siècles: en 1793, il se trouvait encore dans la bibliothèque familiale lorsque la dernière descendante, Sperandia Guarnieri, transféra la collection chez son mari, le comte Nicola Balleani. La bibliothèque passa ensuite à la famille Balleani (plus tard Baldeschi-Balleani) de Jesi, et le manuscrit resta enfoui parmi les autres volumes de la collection sans que personne n’y prête attention. Du moins jusqu’au 29 septembre 1902, date à laquelle Marco Vattasso, préfet de la bibliothèque vaticane, remarqua l’ouvrage dans la bibliothèque du comte Aurelio Guglielmi-Balleani et le reconnut comme ce qu’il considérait comme le plus ancien témoin de l’Agricola de Tacite. En 1907, un autre érudit, Cesare Annibaldi, qui enseignait le latin et le grec au lycée classique Vittorio Emanuele II de Jesi, fut le premier à étudier le Codex Aesinas, proposa d’identifier ce qui serait désormais appelé Codex Aesinas avec le Codex Hersfeld, et attribua les ajouts à Stefano Guarnieri.
L’attention portée au codex augmenta de manière disproportionnée, il reçut la cote Latinus 8 et devint un objet de grand intérêt, à tel point qu’en 1929, la famille Balleani envisagea de le vendre aux enchères chez Sotheby’ s à Londres, mais n’y parvint pas: la raison en est inconnue, peut-être est-il resté invendu, ou plus vraisemblablement a-t-il été retiré de la vente. La Surintendance bibliographique de Bologne s’était également rendu compte de la valeur du codex: elle décida donc de notifier le codex le 18 mars 1933, afin d’éviter que des tentatives comme celle qui avait eu lieu quatre ans plus tôt ne se répètent et que le codex ne quitte le pays. Même au-delà des Alpes, le Codex Aesinas avait suscité des attentions, celles de l’Allemagne nazie: en 1938, en effet, Heinrich Himmler, lors de la visite d’Adolf Hitler à Rome, demanda à l’acheter pour son Ahnenerbe Stiftung, la fondation qu’il avait créée en 1935 comme centre de recherche sur l’histoire de la race aryenne. Himmler s’intéressait en effet à la Germanie de Tacite, en raison des remarques de l’auteur sur les tribus germaniques, décrites comme des peuples forts, austères et indomptables, par opposition aux vicieux Romains (le pamphlet de Tacite devait surtout être compris comme une sorte de pamphlet qui, d’une part, condamnait la décadence de la politique impériale et, d’autre part, mettait en garde l’empire contre les dangers qui pouvaient venir du nord).Pour les nazis, la Germanie, naturellement amendée des parties où Tacite énumère également les vices des peuples germaniques, était devenue un puissant outil de propagande, et Himmler voulait mettre la main sur le plus ancien témoin du texte de Tacite.
On dit que l’importance du Codex Hesinate pour les nazis était telle qu’Hitler lui-même l’avait demandé à Mussolini, qui le lui avait promis. Cependant, les érudits italiens ont protesté avec véhémence dès que la nouvelle d’une vente possible à Himmler a été divulguée, et le gouvernement a fini par refuser l’autorisation d’exporter le manuscrit: l’érudit allemand Rudolf Till n’a été autorisé à l’étudier à Rome que pour le compte de l’Ahnenerbe Stiftung en 1939 (l’étude a donné lieu à la publication d’une importante monographie sur le manuscrit en 1943). Les nazis n’abandonnèrent pas pour autant: pendant l’occupation, en 1944, un commando de la SS en retraite, manifestement convaincu de pouvoir trouver le codex dans la région des Marches, tenta de le dérober de manière audacieuse. Le commando fouilla et saccagea d’abord le palais du comte Balleani à Fontedamo, près d’Ancône, puis la maison des Balleani à Osimo et enfin le palais familial à Jesi. Ils n’ont pas réussi à le trouver: il avait été bien caché par les propriétaires, qui ont réussi à le sauver des griffes des nazis.
Il fut cependant perdu jusqu’aux années 1960, lorsque la famille Balleani le prêta à la Biblioteca Nazionale Centrale de Florence: conservé dans un coffre-fort, il fut gravement endommagé par l’inondation, comme nous l’avons mentionné au début. L’eau a endommagé “surtout les papiers extérieurs”, écrit Francesca Niutta, “provoquant de grandes taches de naphte et de boue, compromettant la lisibilité en plusieurs endroits et altérant la couleur de l’encre ; les pages initiales et finales sont maintenant en grande partie illisibles à l’œil nu et à peine déchiffrables à l’aide d’une lampe UV”. Pour certains documents, il existe cependant une reproduction photographique réalisée à Rome et publiée par Rudolf Till en 1943. Le codex a ensuite été restauré dans le laboratoire de l’abbaye de Grottaferrata, puis renvoyé à Jesi, où il a également été exposé au lycée Vittorio Emanuele en 1988. Enfin, en 1994, après une nouvelle tentative de vente, il a été acheté par le ministère de la Culture sur proposition de l’érudit Antonio Maria Adorisio, avec deux autres codex appartenant à la famille Baldeschi-Balleani, et destiné à la Biblioteca Nazionale Centrale de Rome, sous le nouveau nom de “Vittorio Emanuele 1631”. Le fait que le manuscrit porte le nom du lycée où son découvreur “moderne” a enseigné est en réalité une pure coïncidence: le manuscrit a en effet été affecté, après son achat, au fonds Vittorio Emanuele de la Biblioteca Nazionale Centrale di Roma (qui a elle-même été nommée d’après le roi d’Italie lors de sa fondation en 1876), avec le numéro de catalogue 1631. Il s’agit du fonds ouvert de la bibliothèque, où aboutissent les manuscrits anciens et modernes. À l’heure actuelle, plus de 1 700 manuscrits sont inclus dans le fonds. Bref, après onze siècles, le codex Esinate, aujourd’hui “Vittorio Emanuele 1631”, a trouvé une nouvelle maison, une version informatique (il a en effet été entièrement numérisé et peut être consulté librement dans son intégralité) et, surtout, il a enfin trouvé... la tranquillité.
La Bibliothèque nationale centrale de Rome a été inaugurée le 14 mars 1876 dans une aile du Collegio Romano, site de l’ancienne Bibliotheca Secreta ou Major des Jésuites et aujourd’hui siège du ministère de la Culture. La bibliothèque qui a trouvé sa place dans le Collegio Romano a été le noyau originel de la nouvelle institution, à laquelle ont été ajoutées les collections de manuscrits et d’imprimés de soixante-neuf bibliothèques de couvent dévolues au Royaume d’Italie après la suppression des congrégations religieuses à la suite de l’unification. Dès les années 1920, les anciens locaux sont perçus comme inadaptés à une bibliothèque toujours plus nombreuse, mais il faudra attendre 1975 pour que le déménagement ait lieu. 100 ans après sa fondation, la Bibliothèque nationale centrale de Rome est en effet transférée dans sa nouvelle demeure du quartier de Castro Pretorio, le grand bâtiment conçu par les architectes Massimo Castellazzi, Tullio Dell’Anese et Annibale Vitellozzi, adeptes du courant du Mouvement Moderne. Inauguré le 31 janvier 1975, le nouveau complexe architectural (en béton armé, verre et aluminium, d’une superficie de plus de 50 000 mètres carrés), est divisé en quatre corps: le dépôt de livres (qui s’étend sur dix étages), les bureaux, l’atrium et les espaces d’exposition (qui occupent un bâtiment de cinq étages), la salle de conférence et les salles de lecture.
Les espaces intérieurs destinés au public ont été récemment rénovés, avec la suppression des barrières architecturales, selon un projet qui privilégie les éléments courbes et les matériaux de pointe, la multiplication des points de distribution des livres, l’agrandissement et l’organisation des salles de lecture en espaces thématiques, la création de nouvelles salles de réunion et de séminaire, d’une librairie et d’une cafétéria. En outre, les jardins intérieurs ont été réaménagés et l’espace d’exposition a également été repensé. Aujourd’hui, la Bibliothèque nationale centrale de Rome conserve environ 6 millions de volumes, 8 000 manuscrits, 120 000 autographes, 2 000 incunables, plus de 25 000 cinquecentins et 20 000 cartes, 10 000 estampes et dessins, en plus des volumes, plus de 50 000 périodiques et 34 000 thèses de doctorat. Les rayonnages du dépôt de livres couvrent actuellement 112 kilomètres linéaires. En outre, depuis 1989, le Centre national pour l’étude des manuscrits est établi à la Biblioteca Nazionale Centrale de Rome, où sont rassemblés les microfilms des manuscrits des bibliothèques italiennes en un seul lieu. Depuis le début de l’année 2018, le Centre est installé dans la Salle des manuscrits.
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