Le 7 septembre 1965, un débat s’est tenu à Brescia sur Romanino (Girolamo Romani ; Brescia, 1484/1487 - 1566), à l’occasion de la grande exposition monographique que la ville a consacrée au peintre. L’exposition a représenté la première occasion importante d’examiner en profondeur l’artiste, et des noms illustres de la culture de l’époque ont participé à l’intense débat: Ernesto Balducci, Gian Alberto Dell’Acqua, Renato Guttuso, Guido Piovene et Franco Russoli, auxquels s’est joint Pier Paolo Pasolini. Nous proposons ci-dessous un large extrait du discours de Pasolini sur le Romanino, publié pour la première fois en 1976, un an après la mort du grand écrivain, réalisateur et critique qui a marqué la culture italienne du XXe siècle.
Ne me demandez pas ce que je fais ici. Je suis ici au milieu d’initiés comme Guttuso ou Russoli et d’érudits compétents comme Piovene et le père Balducci, sans parler de Dell’Acqua. J’ai vraiment quelques ambitions anciennes en matière de critique d’art, mais pas de véritable expertise, et je me sens donc un peu comme l’un d’entre vous qui a récemment visité cette exposition Romanino, que je connaissais très mal, je la connaissais par quelques reproductions, par une vieille lecture de Longhi que j’ai faite il y a vingt ans, et j’ai donc été profondément surpris, Surpris, en somme, c’était une nouveauté pour moi, et c’est un peu de mon étonnement, de ma surprise devant Romanino dont je voudrais vous parler, un peintre que je croyais être un petit maître, un de ceux qu’on appelle petit maître, une affaire faite, parfaite, typiquement provinciale, et au contraire ce n’est absolument pas le cas.
[...] Je suis entré dans l’exposition Romanino et j’ai demandé à mon compagnon: où est Romanino, qu’est-ce qu’il est? Tous les deux ou trois tableaux, l’idée que je me faisais de Romanino devait changer. À la fin de ma visite de l’exposition, puis aujourd’hui à Val Camonica à la fin de mes recherches, je devais encore savoir où était Romanino et ce qu’il était. Selon une idée préconçue et erronée que nous avons de ce que doit être un artiste (par exemple, en voyant Lotto on sait très bien ce qu’est Lotto, même s’il a des moments qui ne sont pas tout à fait comme Lotto et il en est de même pour Titien et ainsi de suite) de Romanino, d’un vrai Romanino qui nous satisfasse tous, sur lequel nous sommes tous d’accord, une image, une idée plastique et même un peu lyrique de Romanino nous ne l’avons pas. C’est sur ce crime que j’ai mené mes investigations, et j’ai suivi quelques pistes dont je me suis rendu compte dès le premier instant qu’elles étaient erronées. La première piste est celle qui consiste à considérer Romanino comme un peintre éclectique: il n’est pas du tout un peintre éclectique, il n’est pas un peintre éclectique dans le tableau ; dit ainsi extérieurement, la chose pourrait même faire soupçonner chez lui un certain éclectisme, mais l’intérieur d’un tableau, l’examen stylistique de l’intérieur d’un tableau, nous montre que nous n’avons pas du tout affaire à un peintre éclectique, les qualités de l’éclectisme lui font défaut. L’éclectisme n’est jamais dramatique, il n’est jamais profondément contradictoire, alors que Romanino est continuellement dramatique, souffre continuellement de la contradiction et est continuellement conscient de l’abandon et de la reprise de différents motifs stylistiques. De plus, l’éclectisme s’inscrit toujours dans une sphère culturelle précise et est l’imitation de ce que Barthes appelle les différentes écritures d’un contexte culturel, alors que l’éclectisme de Romanino est infiniment plus complexe, c’est-à-dire qu’il ne s’inscrit pas dans une sphère culturelle, mais se situe avant ou après cette sphère culturelle, c’est-à-dire qu’il retarde ou anticipe, comme Piovene et Guttuso l’ont déjà dit, c’est-à-dire que son éclectisme se situe dans le temps jusqu’aux moments gothiques archaïques, dans le futur jusqu’à prévoir et préfigurer le Caravage.
Autre fausse piste: celle d’un grand professionnel. Il n’était même pas un grand professionnel, car même un grand professionnel n’a pas les qualités nécessaires pour peindre. En d’autres termes, il n’a jamais été simplement habile, comme le prouve le fait qu’à côté de moments d’extraordinaire habileté artisanale, il possédait manifestement cette habileté (je me souviens, par exemple, d’un manteau d’argent de la Vierge réalisé avec une telle perfection anonyme, comme celui qui n’est qu’extraordinairement habile à faire des manteaux avec tous leurs plis, leurs reflets, etc.)Quand un peintre habile peint rapidement - peut-être Guttuso peut-il le confirmer ou non - il dessine toujours avec élégance et habileté, il n’est jamais maladroit, alors que quand Romanino peint rapidement, il frôle même une certaine laideur, qu’il incorpore ensuite à son style comme un élément expressionniste, mais cela ne veut pas dire que ce n’est pas maladroit et désagréable, presque laid à regarder. Je crois que beaucoup de spectateurs conformistes, face à certaines mains de ces sorcières que sont les prophétesses, sont choqués et les trouvent laides: ce sont des mains horriblement peintes, un artisan n’aurait jamais fait de telles mains. Il n’est pas non plus, la troisième fausse piste, un peintre facile, car aucun de ses tableaux n’inspire l’élégance, la grâce, l’agrément de l’œil, alors que chez beaucoup de peintres moins importants, les soi-disant petits maîtres, on a envie de prendre un tableau, de l’emporter chez soi et de le garder sous les yeux comme un élément agréable de son ameublement. Cette idée ne vient jamais devant Romanino, devant lui on est toujours dans une attitude d’attention extrême, presque religieuse et toujours dans un état critique, jamais dans un état de plaisir.
Comme je n’admire pas les moments de grande habileté, et que je ne suis même pas un défenseur de la grandeur de Romanino dans la phase vénitienne, où l’on pourrait même penser à une certaine grâce absolue, je n’ai jamais eu cette impression que j’ai devant les petits maîtres. Le fond à l’intérieur du tableau, le fond de Romanino est toujours angoissé, il semble avoir une qualité de grande sévérité, mais pas dans le sens peut-être même du formalisme, comme on le trouve souvent dans la peinture italienne: souvent le peintre italien est formellement sévère, c’est-à-dire qu’il est classiciste ; Romanino ne l’est jamais, il y a toujours une profonde angoisse à l’intérieur de ses tableaux. Ce sont les résultats finaux de mes investigations, mais comme toute investigation qui se respecte, je voudrais vous apporter quelques preuves. La première preuve que j’aimerais vous apporter est la conscience stylistique que Romanino avait dans ses expérimentations stylistiques. Un éclectique n’a pas cette conscience, pas plus qu’un peintre facile, un peintre de métier. Romanino l’avait, parce qu’il partait, abandonnait des expériences stylistiques, puis les reprenait telles quelles quelques années plus tard. Je reviens à l’exemple des peintures d’Asola. Il a peint, je ne sais plus en quelle année, les Cantorie di Asola et a repris ce même type de peinture dix ans plus tard. Pendant ces dix années, il a fait les expériences les plus diverses dans sa quête orageuse d’artiste sévère et angoissé. Lorsqu’il reprend l’expérience stylistique d’Asola dix ans plus tard, il la reprend à la perfection, il la reprend au point exact où il l’avait terminée avec une conscience absolue de son propre stylisme, au point de refaire ces mains laides dont j’ai parlé au début.
L’orgue de la cathédrale d’Asola décoré par Romanino |
Romanino, Sybils, orgue de la cathédrale d’Asola (1524-1536 ; huile sur panneau ; Asola, cathédrale). Ph. Crédit Francesco Bini |
Romanino, Sibille, orgue de la cathédrale d’Asola (1524-1536 ; huile sur panneau ; Asola, cathédrale). Ph. Crédit Francesco Bini |
Romanino, Saint Paul, orgue de la cathédrale d’Asola (1524-1536 ; huile sur panneau ; Asola, cathédrale). Ph. Crédit Francesco Bini |
Romanino, Saint Pierre, orgue de la cathédrale d’Asola (1524-1536 ; huile sur panneau ; Asola, cathédrale). Ph. Crédit Francesco Bini |
Panneaux de Romanino pour la chaire de la cathédrale d’Asola. Ph. Crédit Francesco Bini |
Romanino, Apôtres, panneau pour la chaire de la cathédrale d’Asola (1524-1536 ; huile sur panneau, 75 x 75 cm ; Asola, cathédrale). Crédit Francesco Bini Romanino Crédit Francesco Bini |
Romanino, Apôtres, panneau pour la chaire de la cathédrale d’Asola (1524-1536 ; huile sur panneau, 75 x 75 cm ; Asola, cathédrale). Crédit Francesco Bini Romanino Crédit Francesco Bini |
Romanino, Résurrection (vers 1526 ; huile sur panneau, 236,4 x 125,6 cm ; Capriolo, San Giorgio) |
Romanino, Fresques de la Grande Loggia du Palais Magno (1531-1532 ; fresques ; Trento, Castello del Buonconsiglio). Ph. Crédit D. Lira |
Romanino, Fresques dans la Loggia Grande du Magno Palazzo (1531-1532 ; fresques ; Trento, Castello del Buonconsiglio). Ph. Crédit D. Lira |
Romanino, Cène (vers 1540 ; huile sur toile, 293 x 190 cm ; Montichiari, cathédrale Santa Maria Assunta) |
Romanino, Nativité (vers 1545 ; huile sur toile, 241 x 180 cm ; Brescia, Pinacothèque Tosio Martinengo) |
Un autre cas qui démontre, disons, l’extrême sensibilité de ce peintre, une sensibilité qui a probablement quelque chose de pathologique et de morbide: son angoisse. Ce que j’ai appelé son angoisse est donné par un fait très caractéristique, que je voudrais que vous considériez comme le point central de mon rapport. Il s’agit d’un retable, La Vierge à l’enfant et les saints de San Felice del Benaco, peint vers 40-41-42 (quelqu’un me corrigera peut-être si je me trompe dans les dates). Cette période a été marquée à Brescia par une répression religieuse, moraliste et idéologique. En quoi consiste la laideur de ce tableau de Romanino? Elle consiste à avoir préfiguré, ce qu’il faisait souvent (sa peinture est toujours pleine, comme le montrent les discours de ceux qui m’ont précédé, de préfigurations d’un futur, même très lointain), cette peinture préfigure le XVIIe siècle laid, le XVIIe siècle, disons le style non caravagesque, le XVIIe siècle onctueux, dévot, des retables insincères, c’est-à-dire le XVIIe siècle typiquement Contre-Réforme. C’est-à-dire qu’il a suffi de quelques années d’absence de liberté, de répression idéologique religieuse pour qu’il subisse un traumatisme profond et tombe même dans ces travers atroces qu’auront certains peintres du XVIIe siècle pendant la Contre-Réforme.
Il ne s’agit donc pas d’une expérimentation légère, élégante et éclectique de différentes langues, mais d’une véritable et pure série d’expérimentations de langues et d’écoles ou, comme on dit ces derniers temps, d’un expérimentalisme obsessionnel, qui le fait passer par les expériences les plus variées et jamais selon une évolution, soyons clairs, car dans ce cas il s’agirait précisément d’une évolution. Quand Piovene disait que la période vénitienne était la plus belle mais qu’elle ne le satisfaisait plus, je ne pense pas qu’il voulait dire que l’influence des Vénitiens avait soudainement cessé dans Romanino, passant de la splendeur titienne à une expérience giorgionesque encore plus pure et presque décadente, comme le dit Longhi. L’influence vénitienne continua à le tenter, à le tirer en arrière, à réapparaître dans son œuvre même à l’avenir. Cependant, même si la carrière de Romanino est une série de sauts stylistiques violents et angoissés, de l’adoption d’une langue à une autre, à l’examen structurel de sa peinture (qui est extrêmement difficile), précisément parce que son caractère mimétique et angoissé était si fort, il semble qu’il y ait certains éléments structurels constants dans son œuvre. Si je parlais de littérature, je serais un peu plus précis ; si je parle de peinture, dont la terminologie ne m’est pas familière, excusez-moi si je suis un peu général. Ces deux constantes structurelles de la peinture de Romanino qui surmontent les diverses et différentes expériences stylistiques contradictoires sont deux constantes déjà mentionnées par ceux qui m’ont précédé, à savoir une référence continue au gothique, mais non pas au gothique entendu uniquement comme archaïque, comme un retour au XVe ou même au XIVe siècle, mais au gothique, disons, comme catégorie mentale ou stylistique nordique, voire danubienne. L’autre constante structurelle que l’on retrouve dans tous les tableaux de Romanino est la galerie de portraits psychophysiques des personnages. Dans le moment vénitien, dans le moment giorgionesco, dans le moment ferrarais, la physionomie et la caractérisation socio-psychologique des personnages restent constantes.
Ce sont les deux structures constantes de toute l’œuvre de Romanino qui, n’étant pas formelles, mais plutôt de contenu et de culture, peuvent échapper à un premier regard purement visuel ou formaliste. En fait, il ne s’agit pas de deux structures formelles, mais de deux moments culturels, et c’est sur ce point que je voudrais insister, même si je ne suis pas en mesure de fournir des preuves très convaincantes, c’est-à-dire que la référence au gothique est effectivement formelle, et découle probablement de la raison qui a toujours été dite, à savoir la connaissance que l’on avait en Italie au cours des premières décennies du XVIe siècle des célèbres estampes allemandes, mais ce n’est qu’un symptôme, ce n’est que l’apparence d’une expérience culturelle plus profonde ; c’est-à-dire que ces modèles qui descendaient du Rhin à travers les vallées alpines, dont parle Longhi, n’étaient probablement pas seulement formels ou stylistiques, mais incluaient aussi une idéologie différente, une façon différente de voir la vie, c’est-à-dire une culture différente. Ainsi, cette structure continue de l’ensemble de l’œuvre de Romanino implique une culture de type nordique-allemand plutôt qu’italien. Ainsi, sa sympathie pour certains personnages psychophysiques et sociologiques populaires n’est probablement pas non plus le résultat d’une humeur de notre peintre, ce n’est pas un fait formaliste et occasionnel, une sympathie immédiate, mais aussi un fait culturel, en d’autres termes, c’est comme si le bandeau lui était tombé des yeux, enlevant la possibilité d’une vision réaliste immédiate et sympathique, de la part des peintres, du monde pauvre, qui n’est pas celui des chiffonniers de Ceruti, dont parlait Piovene, mais qui est précisément ce peuple proche de la bourgeoisie qu’est la classe ouvrière.
Lorsque Piovene a dit que les prophétesses de la Cantoria di Asola lui rappelaient certaines sorcières réalistes, je me suis souvenu qu’en voyant cette même Cantoria, j’avais pensé que ces femmes peintes étaient les fileuses de la filature où, dans quelques décennies, Renzo Tramaglino irait travailler. Donc: une vision de l’expérimentalisme stylistique, le plus varié, le plus disparate et le plus dramatique, mais en même temps les deux constantes structurelles que nous venons de mentionner. Le fait qu’il y ait ces constantes structurelles qui impliquent deux manières culturelles de voir la réalité fait que son expérimentation stylistique se présente précisément non pas comme éclectique ou comme simplement laborieuse, mais comme prétextuelle. Ses différentes recherches de langages picturaux étaient prétextes, comme pour lui donner un moyen de s’exprimer malgré l’impossibilité de s’exprimer, pour ainsi dire ; c’est-à-dire que si nous observons toutes ses expériences stylistiques, nous verrons combien les deux langages, les deux écritures les plus typiques de l’époque sont fondamentalement absents de ces expériences stylistiques: il manque à sa recherche stylistique le classicisme, je dis le classicisme pour ne pas dire le classicisme, bien qu’il serait plus exact de dire le classicisme, mais je veux dire le classicisme pour ne pas faire de jugement de valeur, et il manque le maniérisme. Je ne veux pas dire qu’ils sont complètement absents, car des éléments de classicisme et des éléments de maniérisme sont présents dans ses peintures, et combien, il y a une tête de la Vierge avec un bandage blanc autour, dont un bord tombe parallèlement au nez, rappelant quelque chose de similaire de Pontormo, et il y a beaucoup de choses de ce genre: il y a beaucoup d’éléments maniéristes et il y a beaucoup d’approche classique, en particulier dans les toiles plus fermes et plus harmonieuses. Cependant, il n’y a jamais de distribution complète dans une expérience stylistique entièrement classique ou dans une expérience stylistique entièrement maniériste, il n’y a jamais de peinture de Romanino dans laquelle la dominante est classiciste ou la dominante est maniériste.
Romanino, Vierge à l’enfant avec les saints (1536-1537 ; huile sur toile ; San Felice sul Benaco, église paroissiale) |
Romanino, Présentation de Jésus au temple (1529 ; huile sur panneau, 188 x 144 cm ; Milan, Pinacothèque de Brera) |
Romanino, Souper dans la maison du pharisien (vers 1545 ; huile sur toile ; Brescia, San Giovanni Evangelista) |
Romanino, La récolte de la manne (vers 1555 ; technique mixte sur toile ; Brescia, Duomo Vecchio) |
Pourquoi cela? Parce que Romanino ne voulait pas être un classique ou un classiciste, mais il ne voulait pas non plus être un maniériste, et je crois que le professeur Dell’Acqua a dit quelques mots à ce sujet en passant, rapidement, à savoir que le classicisme était dépassé en lui en tant que vision intégrale, totale, harmonieuse du monde, et que le maniérisme était rejeté par lui parce que cette vision intégrale, totale, harmonieuse du monde, le maniérisme la dissolvait, la désintégrait, la dégénérait consciemment. Le maniérisme était incroyant: Pontormo, Rosso Fiorentino ont peint la crucifixion, mais il est évident que dans leur fond, ils étaient diaboliques, ils étaient incrédules. Romanino ne l’était pas, il ne pouvait donc pas accepter la critique maniériste du classicisme parce qu’il était encore croyant et que le fait que sa peinture religieuse soit entièrement non-conformiste prouve qu’il était croyant. J’aurais même des doutes sur la foi de Moretto, qui est si dévote et, comme l’a très bien dit Piovene, d’une certaine manière encore classiciste, mais je n’ai aucun doute sur la foi de Romanino, même si elle est dramatique et même si elle est perturbée par des épisodes étranges comme celui du retable datant d’avant le XVIIe siècle que j’ai mentionné plus tôt. Romanino était donc quelque chose que sa culture ne lui permettait pas d’être, et c’est là le point critique, le centre de mon article qui, je l’espère, arrive rapidement à une conclusion: Romanino était quelque chose en dehors de son temps, dans le temps et dans l’histoire, il était quelque chose que sa culture ne lui permettait pas d’avoir la conscience d’être, de sorte que la recherche stylistique est prétextuelle dans deux sens: d’abord pour éviter le classicisme et le maniérisme, qui sont deux moments culturels qu’il rejette, et ensuite pour échapper à un moi qu’il n’a pas les outils culturels critiques pour exprimer. En bref, alors que chez les grands peintres contemporains de lui et parfaitement Renaissance et XVIe siècle, se produit ce que Goldmann appelle la loi de l’homologie, c’est-à-dire que les structures d’un monde social sont projetées et reproduites dans les structures stylistiques des peintres, il n’en va pas de même pour Romanino.
Tout l’univers stylistique de Titien est profondément homologue à la société vénitienne de son temps, c’est-à-dire à un moment de la civilisation de la Renaissance. Même certains peintres mineurs contemporains de Romanino, précisément les autres Brescians, Moretto, Savoldo, sont profondément homologues à un type de société italienne de la Renaissance, ils le reproduisent dans leur style ; Romanino, en revanche, ne l’est pas. C’est pourquoi ses tableaux sont si contradictoires, si complexes et si méconnaissables. Étant donné sa position morale par rapport à la culture de son époque, étant donné les deux éléments culturels fondamentaux que j’ai mentionnés au début (c’est-à-dire un type de culture réformiste centre-européenne-danubienne-allemande et une tendance propre, qui est bourgeoise, qui est de la grande bourgeoisie et qui produit ensuite cette révolution réformiste au centre de l’Europe), Romanino ne peut pas être considéré comme un peintre, (tendance bourgeoise à regarder le peuple avec réalisme) ces deux moments culturels, profondément immatures en Italie à son époque, à son moment, il ne pouvait pas les reproduire directement, ils échappaient aux structures de sa société et le soumettaient ainsi à une crise perpétuelle, à une angoisse qu’il ne pouvait pas résoudre. Il est donc plus moderne que ce que la société et la culture italiennes de son temps lui permettaient d’être et il échappe à ce carcan culturel historique d’une manière parfois décousue, qui préfigure aussi les futurs types picturaux et les conventions des structures picturales. Par exemple, les célèbres fresques de Pisogne, qui sont extraordinaires, ou les belles fresques de Breno avec l’histoire de Saint Daniel (l’un de ces épisodes est peut-être son chef-d’œuvre) révèlent en lui un possible, je vous dis une boutade, ne la prenez pas au pied de la lettre, un possible illustrateur de Don Quichotte.
Il y a certains joueurs de dés qui pourraient illustrer une œuvre écrite un siècle plus tard, et certaines de ses figures qui ne sont pas grotesques, comme l’a dit Guttuso et comme on l’a dit généralement, ne sont pas grotesques du tout, mais sont faites d’un réalisme tel qu’un homme du XVIe siècle aurait pu le voir, c’est-à-dire sous les espèces du style dit comique: c’est un réalisme comique qui s’oppose au style tragique. Ce réalisme comique que nous qualifions de grotesque, c’était au contraire la manière d’être réaliste à l’époque. Certes, le style comique réaliste (il y a des moments où, par exemple, on voit le Christ en tablier lavant les pieds de Pierre et d’autres figures de ce genre) anticipe même non pas les tableaux impressionnistes, mais, je le répète comme une boutade, fait prévoir la caricature d’un Daumier, et la caricature est un moment typiquement bourgeois et moderne, et je crois que c’est le seul peintre de toute la Renaissance qui a cette possibilité d’être un caricaturiste, un peintre de caricatures, quelqu’un qui représente un moment social réaliste de son époque à travers le signe de la caricature (quand cette caricature est sérieuse, sévère et puissante, bien sûr, comme chez Daumier). Chez Romanino, il n’y a jamais le grotesque glacial du gothique, et donc ses sibylles ne sont pas préfigurées par les sibylles de Civerchio ou des peintres brescians avant lui, ni le grotesque de la Renaissance, qui est purement métaphysique, absurde.
Bref, en conclusion, Romanino a lutté toute sa vie sur deux fronts: l’un contre le classicisme en tant qu’expression de la civilisation italienne qu’il avait dépassée grâce à une culture probablement non classique, c’est-à-dire la culture réformiste protestante d’Europe centrale, de Germanie du Nord et de Danubie, et l’autre contre le maniérisme, qui était une manière critique de résoudre le classicisme auquel il ne pouvait pas adhérer parce qu’il était croyant, parce qu’il était un homme sévère, moralement fort, strictement établi, et qui ne pouvait donc pas adhérer au maniérisme, même si les tentations étaient continuelles. C’est ainsi que son extrême violence de vie s’est continuellement effilochée dans une série continue de contradictions et de luttes.
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