L'Apothéose des Pisans de Giambattista Tiepolo, chef-d'œuvre de la fiction du XVIIIe siècle


L'Apothéose de la famille Pisani, chef-d'œuvre de Giambattista Tiepolo décorant la salle de bal de la somptueuse Villa Pisani à Stra, est sa plus grande fresque peinte pour une résidence privée. C'est aussi un grand chef-d'œuvre de la fiction du XVIIIe siècle.

Sur les rives du canal Naviglio del Brenta, à quelques pas du centre de Stra, se trouve la “reine des villas de Vénétie”, la Villa Pisani, majestueux exemple de résidence patricienne du XVIIIe siècle, construite à partir de 1721 par les Pisani di Santo Stefano, une branche de l’une des plus puissantes familles vénitiennes de l’époque, qui souhaitaient y créer une grande résidence de vacances: Gerolamo Frigimelica et Francesco Maria Preti sont responsables de la conception de la villa néo-palladienne, achevée en 1756, et si somptueuse qu’elle fut achetée par Napoléon Bonaparte lorsque, au début du XIXe siècle, la famille Pisani, accablée de dettes, décida de la mettre en vente. Il fut ensuite le siège du royaume lombard-vénitien et, après l’unification de l’Italie, devint un musée, bien qu’il ait connu une période d’abandon au début du XXe siècle. La visite commence par les plus belles des cent salles du piano nobile (114 à l’origine, en hommage à Alvise Pisani, doge numéro 114 de la Sérénissime, puis plus de cent soixante avec les modifications successives) et se termine par la salle la plus prestigieuse, la grande salle de bal, dont le plafond est orné d’une fresque représentant l’un des plus grands chefs-d’œuvre de la peinture aérée et lumineuse du XVIIIe siècle: l’Apothéose de la famille Pisani, sommet de la peinture de Giambattista Tiepolo (Venise, 1696 - Madrid, 1770).

Pour Tiepolo, la commande de la décoration de la plus grande pièce de la Villa Pisani, dans un espace de plus de douze mètres sur sept, fut sa dernière entreprise en Italie avant son départ définitif pour l’Espagne: L’œuvre date de 1761-1762, lorsque le grand artiste vénitien revenait tout juste de travaux extraordinairement réussis (comme la décoration de la Villa Valmarana à Vicence en 1757 et, plus tôt encore, en 1753, la décoration de la Résidence du prince-évêque de Würzburg en Allemagne) qui avaient fait de lui l’un des peintres les plus recherchés de son temps. Sa capacité à peindre de grandes voûtes à fresque selon le goût dominant de l’époque, avec des représentations oniriques éloignées de la réalité, des ciels vastes et lumineux, des couleurs aux tons sourds, irréalistes et presque abstraits, une spatialité délibérément fictive, avait fait de lui l’un des peintres les plus recherchés de son temps. Cette spatialité, délibérément fictive, avait manifestement convaincu Almorò (ou Ermolao) III Alvise Pisani (fils de l’Alvise Pisani qui, avec son frère Almorò, avait commandé la villa de Frigimelica) de lui confier la tâche de décorer la salle de bal en 1760. En mai de cette année-là, Tiepolo présente à la famille un modèle, aujourd’hui conservé au musée des Beaux-Arts d’Angers, en France, auquel le peintre se conformera ensuite fidèlement, à quelques variations mineures près, en reproduisant la composition sur la voûte.



Le thème est, comme nous l’avons déjà mentionné, la glorification de la famille Pisani, protagoniste des événements politiques de la Sérénissime depuis au moins quatre siècles: un sujet iconographique traditionnel, puisque de nombreuses familles nobles, pour les cycles décoratifs de leurs résidences, optaient pour des scènes représentant l’apothéose de quelque ancêtre, ou les exploits auxquels leurs ancêtres avaient participé. Le choix inhabituel est que, dans cette fresque, les Pisans n’ont pas choisi d’inclure les figures des ancêtres, mais ont fait représenter par Tiepolo plusieurs membres vivants de la famille. Le ciel bleu, sillonné de larges nuages blancs, qui occupe tout l’espace enfermé dans un cadre mixtiligne conçu par un spécialiste, l’architecte milanais Pietro Visconti, est cependant le véritable protagoniste de la fresque, occupant environ les deux tiers de la surface peinte: les personnages principaux occupent les registres inférieur et supérieur. Par conséquent, il n’y a pas non plus de quadratures, ni de fausses architectures illusionnistes, comme c’était le cas dans l’art baroque: dans la fiction de Tiepolo, les personnages sont librement disposés dans le ciel, sans participer à aucun illusionnisme autre que celui d’un espace infini, sans l’idée de vouloir être vraisemblable, comme c’était le cas dans l’art du XVIIe et du début du XVIIIe siècle. Un seul élément est chargé d’équilibrer la scène: la lumière qui, avec le ciel, peut être considérée comme le co-protagoniste du tableau et qui, avec différentes variations d’intensité, de tonalité et d’effets qui tantôt frôlent la transparence, tantôt créent des ombres lugubres, fusionne presque les personnages avec la grande étendue céleste que le visiteur de la Villa Pisani in Stra a sous les yeux lorsqu’il lève les yeux vers la salle de bal. Par conséquent, comme il n’y a pas de structure architecturale et que les personnages sont disposés librement dans l’espace, la régularité de la narration, qui est beaucoup plus lâche et indépendante que dans les séquences des fresques baroques, fait également défaut.

Giambattista Tiepolo, Apothéose de la famille Pisani (1761-1762 ; fresque, 12,7 x 7,7 m ; Stra, Villa Pisani)
Giambattista Tiepolo, Apothéose de la famille Pisani (1761-1762 ; fresque, 12,7 x 7,7 m ; Stra, Villa Pisani)
La salle de bal de la Villa Pisani avec la fresque de Tiepolo
La salle de bal de la Villa Pisani avec la fresque de Tiepolo. Photo: Finestre Sull’Arte
La salle de bal de la Villa Pisani avec la fresque de Tiepolo
La salle de bal de la Villa Pisani avec la fresque de Tiepolo.
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La salle de bal de la Villa Pisani avec la fresque de Tiepolo
La salle de bal de la Villa Pisani avec la fresque de Tiepolo.
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La salle de bal de la Villa Pisani avec la fresque de Tiepolo
La salle de bal de la Villa Pisani avec la fresque de Tiepolo. Photo: Ministère de la Culture
Giambattista Tiepolo, Apothéose de la famille Pisani, modèle (1760 ; toile, 140 x 96 cm ; Angers, musée des Beaux-Arts)
Giambattista Tiepolo, Apothéose de la famille Pisani, modèle (1760 ; toile, 140 x 96 cm ; Angers, musée des Beaux-Arts)

Plusieurs groupes de personnages se distinguent dans la fresque: en bas à gauche, on reconnaît quelques membres de la famille Pisani, tandis qu’à côté d’eux, en bas à gauche, à cheval sur le cadre et sous le bosquet qui occupe la partie inférieure de la scène, se trouvent des musiciens (chantant ainsi les hauts faits de la famille et sanctionnant leur gloire, mais ils pourraient aussi faire allusion au peuple vénitien jouissant de la prospérité sous la domination des Pisani), tandis qu’au-dessus un ange jouant de la trompette décrie la renommée de la famille Pisani. Au centre de la fresque, évanescente, diaphane et presque transparente, on remarque la Vierge, floue dans les nuages, prise en train de bénir la famille entourée d’une vaste théorie de figures féminines, personnifications des vertus des Pisans. Enfin, en haut à gauche, les allégories des quatre continents, allusion aux activités commerciales de la famille ou aux terres touchées par leur renommée.

Une étude récente (2016) de l’historienne de l’art Francesca Marcellan a mis en relation les figures de la fresque de Tiepolo avec les statues sculptées par Francesco Bertos (Dolo, 1768 - 1741) pour le couronnement des deux façades de la villa Pisani, l’une donnant sur la Brenta et l’autre sur le grand parc de la villa. La fresque serait une synthèse du riche programme iconographique de l’extérieur de la villa, visant à faire apparaître l’aristocratie comme le meilleur des gouvernements. “Pour ce faire”, explique Marcellan, “de nombreuses allégories sont utilisées, mais la parataxe des façades, marquée dans un rythme ternaire dicté par les tympans, est remplacée dans la fresque par une syntaxe qui procède par groupes compacts de figures. Mais, comme dans les façades, la partie sud de la composition développe le thème du bon gouvernement, tandis que la partie nord est réservée au thème de la guerre”. Les figures allégoriques disposées tout au long de la fresque sont donc responsables de ce programme: la Vierge est entourée des vertus théologales et cardinales, considérées comme indispensables au bon gouvernement. À ses pieds se trouvent la Foi (voilée, tenant le texte sacré), la Justice (face à elle et tenant la balance), la Charité (tenant l’enfant dans ses mains), l’Espérance (avec l’un de ses attributs, l’ancre) et enfin la Force d’âme, cachée à l’arrière-plan derrière un nuage (on ne voit que sa tête). Plus bas, la représentation de l’Italie, coiffée d’une tourelle, pointe vers la Paix, figure raccourcie tenant deux rameaux d’olivier dans ses mains. Et comme ce n’est qu’en temps de paix que les arts et les sciences sont possibles, nous voyons en dessous d’elle la Peinture (avec un petit pinceau dans sa main gauche), la Sculpture (tenant un portrait en marbre), la Musique (plus loin, presque cachée, avec un instrument de musique) et l’Astronomie (avec une sphère armillaire et un télescope). De l’autre côté, nous voyons le Printemps, représenté par une jeune femme nue aux ailes de papillon, la tête couronnée de fleurs et tenant dans ses mains une guirlande et un vase orné d’une tête de lion. Sous le Printemps, symbole de l’abondance et de la prospérité qui caractérisent tout bon gouvernement, apparaissent les acteurs mentionnés ci-dessus. À côté de la Primavera, vêtue d’une riche robe de brocart, se trouve l’allégorie de Venise, qui tient sur ses jambes le très jeune Alvise Almoro Pisani, fils d’Almorò Alvise III, tandis qu’à ses côtés apparaît la figure de Vénus protégeant le cousin d’Alvise Almoro, Almorò II, et qui, explique Marcellan, “se justifie dans la fresque précisément comme un alter ego de Venise”: en fait, l’idée est que les descendants d’Alvise Pisani ont le pouvoir politique, tandis que ceux de son frère Almorò ont le pouvoir culturel. Selon l’érudit Adriano Mariuz, à qui l’on doit l’une des lectures les plus importantes de cette fresque, la présence du très jeune Pisani pourrait faire allusion non seulement à la gloire de la famille, mais aussi à la promesse d’une nouvelle génération d’excellents souverains: une fresque qui serait donc tournée vers l’avenir.

Sur la face opposée, en revanche, on remarque les personnifications des quatre continents. Sur un nuage, avec un taureau et un temple, nous voyons l’Europe, vers laquelle l’Italie tourne son regard, ce qui implique l’une des significations politiques de la fresque: les Pisans proposent Venise comme médiatrice entre l’Italie et l’Europe. Les continents n’ont jamais été identifiés avec certitude (à l’exception de l’Europe en raison de ses attributs iconographiques facilement reconnaissables). La figure à la trompe et aux grandes oreilles d’éléphant a été diversement interprétée comme étant l’Afrique ou l’Asie, bien que l’on voie à côté d’elle un étrange crocodile, qui était habituellement un attribut iconographique de l’Amérique, en raison de la présence d’alligators. L’Amérique, en revanche, est personnifiée par les deux personnages coiffés de plumes, l’un portant un carquois de flèches, l’autre une corne d’abondance. Toutefois, si l’on identifie l’Amérique aux deux figures, il manque l’Asie: selon la lecture la plus traditionnelle, celle de Filippo Pedrocco, ce serait la figure avec les attributs de l’éléphant, de sorte que la figure avec la corne d’abondance deviendrait une allégorie de l’Afrique, et celle avec le carquois serait l’Amérique. Selon Adriano Mariuz, l’Asie est également identifiable à la femme aux oreilles d’éléphant, et ce pour une raison supplémentaire: elle est la seule à ne pas se tourner vers la gloire, et l’érudit explique ce geste par le fait que les Turcs, ennemis de Venise, dominaient l’Asie à l’époque, ajoutant ainsi une autre motivation politique. Marcellan, quant à lui, soutient la thèse du couple de personnages portant des coiffures à plumes comme allégorie de l’Amérique, tandis que l’Asie se retrouve dans les deux personnages agenouillés devant les soldats apparaissant du côté opposé et symbolisant la force militaire de Venise. “Ici, à Stra, le geste qui identifie l’Asie est celui de la soumission à la force vénitienne, rempart de la chrétienté grâce à sa flotte, dont la présence est suggérée par métonymie par les mâts de navire (également présents à Würzburg) derrière les soldats”. Les mêmes figures génufiées se retrouvent dans les fresques de Würzburg. Cependant, d’autres les ont interprétées comme des allégories de la reddition des Turcs (en raison de leurs vêtements) aux forces chrétiennes. Le message serait donc renforcé par les femmes nues qui apparaissent plutôt au centre, à côté d’un grand dragon ailé, et qui symbolisent peut-être la Discorde ou l’Hérésie. De l’autre côté, des personnages décharnés apparaissent à côté de trois jeunes hommes éplorés: ils pourraient signifier les effets néfastes de la guerre et de la discorde. Cependant, la lecture de cette merveilleuse fresque ne fait pas encore l’unanimité.

La Vierge et les vertus
La Vierge et les vertus
Le printemps, les joueurs, Vénus et les membres de la famille Pisani Le
printemps, les musiciens, Vénus et les membres de la famille Pisani
L'Italie et les allégories de la peinture, de la sculpture, de la musique et de l'astronomie L’
Italie et les allégories de la peinture, de la sculpture, de la musique et de l’astronomie
Les personnifications des continents
Personnifications des continents
Soldats et personnages agenouillés
Soldats et personnages agenouillés

La grande voûte de la salle de bal de la Villa Pisani s’impose comme la dernière grande image glorifiante d’une famille, la dernière expression d’une civilisation qui s’éteint et qui voit en Tiepolo son dernier grand artiste, héritier d’une tradition qui, en Vénétie, commence au moins dès le XVIe siècle, lorsque Paolo Veronese peint à fresque les salles de la Villa Barbaro à Maser, mais qui connaît d’autres étapes significatives tout au long de l’histoire de l’art. C’est Roberto Longhi, dans son dialogue imaginaire entre Caravaggio et Tiepolo, qui, non sans une pointe d’ironie, aurait résumé cette histoire en imaginant que c’était Tiepolo lui-même qui la racontait: “Ce grand Barberini que vous avez connu, Monseigneur, a construit une salle plus grande que ce Campo, où un peintre qui était Cortona, a fait grouiller des abeilles plus grandes que des hommes à partir des armoiries papales. Le père Pozzo a multiplié au plafond la fabrique de Saint-Ignace, la voûte des Jésuites l’a étendue par Baciccio ; Giordano, celle des Riccardi à Florence. Voilà, les grands de la peinture moderne, apportés par les grands de la terre, pontifes, rois de France et d’Espagne, cardinaux, princes et princes-évêques d’Autriche et d’Allemagne. Grandes choses, ”grand goût“ (dit-on) dont la noblesse et l’Eglise ont tenu le sceptre sans autre pensée que de se glorifier dans la voûte de leurs propres salles, prétendu avant-goût de la voûte céleste. Un réseau dense d’emblèmes et d’allégories, où la fantaisie et l’acuité tiennent lieu d’invention ; tandis qu’après avoir encadré les blasons d’entreprises jamais accomplies, de généalogies souvent présumées, on extrait les ”histoires“. De ces grands, j’ai peut-être été le dernier. Voulez-vous quelques titres de mes œuvres les plus célèbres ? Allégorie de la Magnanimité”, “Allégorie de la Noblesse et de la Vertu”, “Allégorie de la Noblesse et du Courage” ; autant de sentiments qui ne s’échangent qu’entre grands personnages ; ou des faits historiques, insignifiants peut-être, mais qui contribuent à rehausser l’éclat des grandes familles: La réception d’Henri III, roi de France, par les Contarini, au Mira (quel honneur pour la maison !).) ; “Apollon conduisant sa fiancée Béatrice de Bourgogne” dans le salon du Greiffenklau à Würzburg ; les Gloires de la Maison Pisani ; ou, s’il n’y avait rien à faire, l’histoire romaine y suppléait, comme ce fut le cas avec les “Faits d’Antoine et de Cléopâtre pour les Comtes Labia”".

Tels sont, en résumé, les illustres précédents de l’Apothéose de la famille Pisani, qui reste la plus grande des fresques peintes par Giambattista Tiepolo dans une résidence privée. La fresque de Tiepolo à la Villa Pisani reste également l’œuvre qui raconte une époque au crépuscule de sa vie. Elle oppose la confiance illusoire des Pisani dans l’avenir à une réalité qui n’est pas rose: lorsque le grand artiste vénitien achève son chef-d’œuvre, la puissance de Venise est en déclin. Après avoir perdu son prestige économique, sa puissance militaire et sa suprématie culturelle, il ne lui restait plus que son indépendance, qui était elle aussi destinée à disparaître en l’espace de trente ans. Tiepolo, qui a soixante-quatre ans lorsqu’il entreprend la réalisation du Palazzo Pisani, ne connaîtra pas la fin de la Sérénissime, puisqu’il disparaîtra quelques années après avoir achevé son chef-d’œuvre.

Giovanni Battista Gaulli, Triomphe du nom de Jésus (1672-1685 ; fresque ; Rome, église du Gesù)
Giovanni Battista Gaulli, Triomphe du nom de Jésus (1672-1685 ; fresque ; Rome, Chiesa del Gesù)
La Galleria Riccardiana avec l'Apothéose des Médicis (1683-1685) de Luca Giordano au Palazzo Medici Riccardi, Florence La
Galleria Riccardiana avec
l’
Apothéose des Médicis (1683-1685) de Luca Giordano au Palazzo Medici Riccardi, Florence
Andrea Pozzo, Gloire de saint Ignace (1688-1694 ; fresque ; Rome, Sant'Ignazio)
Andrea Pozzo, Gloire de saint Ignace (1688-1694 ; fresque ; Rome, Sant’Ignazio)
Giambattista Tiepolo, Apollon et les continents (1753 ; fresque ; Würzburg, Residenz)
Giambattista Tiepolo, Apollon et les continents (1753 ; fresque ; Würzburg, Residenz)

Et pour un monde qui s’achevait, mais qui gardait encore quelque espoir en l’avenir, le langage de Tiepolo, fondé sur le caractère illusoire de ses fictions, ne pouvait pas être plus approprié. C’est aussi l’une des propositions les plus novatrices de l’Italie de l’époque: Venise est certes une ville décadente, mais elle reste une ville culturellement vivante, ouverte sur le monde, capable d’attirer artistes et hommes de lettres, mécènes et collectionneurs, marchands et acheteurs, toujours capables d’imposer des goûts, des modes, des tendances. Dans cette ville vivante, Tiepolo récupère la grande tradition des XVIe et XVIIe siècles (peut-être, comme l’imaginait Longhi, en ayant aussi la pleine conscience d’en être le grand héritier), pour créer un langage emphatique, splendidement rhétorique, fondé sur un usage sans scrupules de la lumière, utilisée pour donner vie aux illusions les plus évidentes. Tiepolo, écrit Nicola Spinosa, “a su inventer [...] un monde, une réalité imaginaire et fictive, un espace anormal et incommensurable que le spectateur [...] perçoit toujours comme une entité ”autre“ que son propre univers physique et psychique, en dehors de sa réalité concrète, naturelle et existentielle, au-delà de toute limite imposée à sa dimension spatiale purement infinie”. Chez Tiepolo, la conception baroque de la continuité spatiale infinie entre rêve et réalité, art et nature, mythe et histoire semble s’être définitivement épuisée pour ramener l’artiste à une condition qui n’est pas sans rappeler celle des années de la manière, à la conscience amère d’une identité impossible et désormais aussi d’une continuité impossible entre le monde de l’art et le monde de la vie. Et Tiepolo saisit lucidement la valeur et la signification de cette impossibilité et de cette diversité: en effet, en se différenciant des grands maîtres du XVIIe siècle baroque, il perçoit clairement qu’avec sa peinture aux grands effets théâtraux, à la luminosité et à la spatialité infinies, il va bien au-delà de la même conception théâtrale et spectaculaire de la nature et de la vie qui avait mûri au début du siècle précédent, pour se placer dans une dimension totalement abstraite et irréelle.

La Villa Pisani représente peut-être le plus grand résultat de ce débridement de l’intérieur du langage baroque des différents Luca Giordano, Andrea Pozzo et Pietro da Cortona. En d’autres termes, Tiepolo représente “le chapitre extrême de la conception baroque de la continuité spatiale infinie”, comme l’a écrit Carlo Bertelli. La civilisation qui avait produit le plus haut degré d’illusion, dans le but, toutefois, d’être considérée comme acquise, d’agrandir l’espace, est portée par Tiepolo aux conséquences extrêmes de ce que ses artistes avaient élaboré, à une peinture qui utilise des moyens similaires pour étendre l’espace à l’infini et pour créer un espace qui n’est pas le sien. à l’infini et à créer un espace qui ne veut plus tromper l’observateur, mais lui révéler clairement que ce à quoi il assiste n’est rien d’autre qu’une fiction, comme on dit. Une fiction qui compte parmi les plus magniloquentes, les plus absurdement belles de toute l’histoire de l’art et qui, dans la salle de bal de Villa Pisani, vit sa saison la plus intense.


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