D’une part, les grands immeubles de San Giuliano Milanese, résultats de l’expansionnismedes années 60, la ligne droite de la voie ferrée, la succession de banques, de grillades, d’auto-écoles, de kebabs turcs, de coiffeurs, de magasins de meubles, de compagnies d’assurances, de supérettes sur les derniers kilomètres de la Via Emilia, autrefois route consulaire qui facilitait la circulation et les mouvements des légions le long de la Cispadana, aujourd’hui route alternative lente et gratuite qui commence à un rond-point près de la foire de Rimini et se termine sous les panneaux de Metanopoli et le terminus de la ligne jaune. De l’autre côté, la zone industrielle de Sesto Ulteriano-Civesio, l’extrême banlieue sud de Milan, l’embouteillage d’entrepôts sous les totems IKEA-Obi-Famila-Burger King-Fashion City-Mondo Convenienza-Pianeta Casa, les files d’attente qui encombrent les têtes de ligne de l’A1 les vendredis après-midi. Entre les deux, un bout de campagne. L’abbaye de Viboldone se dresse ici, contrainte, serrée, enfermée entre la route nationale d’un côté et l’autoroute de l’autre, gardant ce qui fut jadis ses dépendances, ses terres, ses champs. Une survivance sévère et isolée, avec les sœurs voisines de Chiaravalle, Mirasole et Morimondo, de ce système d’établissements monastiques né peu après l’an 1000 pour surveiller la plaine milanaise, un système fondamental pour contrôler le territoire, améliorer les rendements agricoles, apporter des innovations technologiques, rendre fertiles les bois à la périphérie de la ville.
Il ne semble même pas être à quelques minutes de voiture du péage milanais de San Giuliano, de la circulation, des entrepôts où les familles étouffent le samedi et le dimanche, des bases des entreprises de logistique, des essaims de camions qui entrent et sortent de cette citadelle de la consommation, de cette forteresse du commerce, de cet enchevêtrement de goudron et de ciment. Il suffit de ne pas se pencher hors du village agricole pour ne pas rompre le charme : passé le dernier bâtiment de briques de Viboldone, on aperçoit déjà, au-delà de la campagne, à l’horizon, la silhouette des banlieues. Il faut s’arrêter pour avoir l’illusion de ne pas être à l’intérieur d’un morceau de passé qui, pour une raison ou une autre, n’a pas été englouti par le développement urbain. Peut-être enroulé sur lui-même, oui, mais le faubourg d’aujourd’hui ne doit pas être si différent de ce qu’il devait être il y a plus de cent ans, quand ces cottages étaient encore habités par des travailleurs des champs. La ville a peut-être englouti les paysans, mais pas leurs habitations latéritiques, ni l’abbaye, qui existe depuis plus de huit siècles.
Elle avait été fondée en 1176 par les Humiliati qui, quelques décennies plus tard, s’installeront également à Mirasole. Le paysage lombard de l’époque était parsemé d’abbayes. En effet, les abbayes ont modelé le paysage lombard, elles l’ont rendu fertile, elles ont assaini ce qui, vers l’an 1000, était une zone de marais inhospitaliers, elles ont mis en place les cultures, ouvert les canaux et contribué à faire de la Bassa l’une des zones agricoles les plus luxuriantes de toute l’Europe. Viboldone est l’abbaye qui a peut-être le mieux conservé son aspect et son intégrité, a déclaré Sandrina Bandera, longtemps surintendante de Milan, “ce n’est pas seulement son architecture : L’abbaye de Viboldone est peut-être le témoignage le plus complet de cette vision unifiée entre la culture et la nature, entre l’intellect et l’harmonie des couleurs, de la lumière et de l’eau”.
Les Humiliati y demeurèrent jusqu’en 1571, date à laquelle le pape Pie V supprima l’ordre : Charles Borromée voulut le réformer, mais les humiliati s’y opposèrent fermement, au point que l’un d’entre eux alla jusqu’à tirer une arquebuse sur Borromée, qui parvint à échapper à l’attaque et pensa probablement que la seule façon de ramener les humiliati à de doux conseils était d’utiliser la manière forte. Le frère qui l’avait abattu finit sur l’échafaud et, moins de six mois plus tard, cet ordre aux origines anciennes, qui prêchait le travail et la sobriété, qui avait dû faire face à des accusations d’hérésie et qui avait été le premier de l’histoire à reconnaître même des laïcs parmi ses membres, mourut à son tour. C’est alors qu’arrivèrent les Olivétains les plus disciplinés, qui ne manquèrent pas de rendre hommage à celui qui avait été leur bienfaiteur, puisque nous voyons Charles Borromée, déjà saint, représenté en train de dispenser des miracles sur une toile décorant l’un des autels du XVIIe siècle de l’église abbatiale. Les Olivétains restèrent ici jusqu’à ce que Milan passe sous la domination autrichienne, puis les Autrichiens commencèrent également leurs suppressions, et l’abbaye de Viboldone fut abandonnée. Ce n’est qu’en 1940 que les cellules des moines ont repris vie : le cardinal Ildefonso Schuster a offert l’abbaye à une communauté de moniales bénédictines, qui ne l’ont pas quittée depuis. Et elles continuent à vivre ici, dans le silence de l’abbaye, alors qu’à moins de cinq cents mètres de leur retraite s’écoule le trafic rugissant de la métropole.
La journée des moniales commence alors que la majeure partie de la ville est encore endormie. L’office du matin a lieu peu après cinq heures. À sept heures, louange. À huit heures, l’eucharistie. À midi, la prière du sixième. À six heures, les vêpres. Tous les jours, avec de légers changements d’heure les dimanches et les jours de fête. Des rythmes anciens alors que le chaos monte tout autour, des prières et du travail au milieu du fracas des trains Frecciarossa, au milieu des haut-parleurs des centres commerciaux, au milieu de l’agitation des banlieusards dans la file d’attente entre la route nationale et l’autoroute, entre le centre et la banlieue, entre la banlieue et le centre, sur les bretelles et les rues secondaires, vers le périphérique, vers le premier cercle d’avenues, vers on ne sait où et on ne sait quoi. Mais la paix est ici, à Viboldone, devant sa façade tripartite de briques rouges conçue pour s’élever vers le ciel, dans les cours devant le monastère, entre les nefs de l’église abbatiale dédiée aux saints Pierre et Paul. On voit souvent les moniales dans l’église, seule partie du monastère à laquelle les visiteurs ont librement accès. C’est aussi la raison pour laquelle on visite habituellement le complexe de Viboldone : ici, cependant, il n’y a pas le siège ordonné qui est fait à l’abbaye de Chiaravalle chaque week-end, ni l’air de convivialité que l’on respire à Mirasole. À Viboldone, le calme règne, on est seul la plupart du temps, on n’entend rien d’autre que le bruit de ses propres talons sur le sol en terre cuite.
On entre dans l’église par une porte en bois qui n’a pas changé depuis la construction de la simple façade à pignon, ce qui est très rare. Avant d’entrer, on s’arrête pour regarder les fenêtres à meneaux ouvertes sur le ciel, qui éclairent et font planer les trois secteurs en lesquels les deux demi-colonnes divisent la façade. On s’attarde sur le portail de marbre blanc, sur la lunette de l’architrave où est représentée une Vierge à l’Enfant entre les saints Ambroise et Giovanni da Meda, œuvres dont l’auteur n’a pas encore trouvé de nom, et que l’on appelle encore le “Maître des sculptures de Viboldone”. Un artiste encore inconnu qui devait pourtant avoir certaines origines lombardes, un sculpteur vigoureux, robuste, ferme, mais qui savait capter des moments d’intense délicatesse, comme peuvent le voir tous ceux qui ont une bonne vue et qui parviennent à capter le mouvement de douceur de la main de la Vierge caressant l’Enfant, ou ceux qui, avec un bon zoom sur leur téléphone, captent l’expression sincère de cette Madone solennelle et paysanne regardant ceux qui pénètrent dans l’église.
À l’intérieur de l’église, on retrouve les mêmes briques que sur la façade, utilisées pour les colonnes trapues qui divisent les trois nefs du plan basilical et qui soutiennent les voûtes d’arêtes. Lors de la construction de l’église, les briques des colonnes et des arcs ont été colorées en rouge, même si elles étaient déjà rouges : l’intention était d’éviter toute sorte d’inégalité chromatique qui aurait pu se produire dans la coloration naturelle des briques. On remarque immédiatement les fresques qui décorent l’intérieur : elles ont été peintes sur une période d’au moins trente ans, mais cela ne semble pas être le cas. La décoration a su maintenir une harmonie, un équilibre, elle sait donner une impression d’unité. Et dire que, jusqu’en 1938, celui qui entrait ici ne voyait rien : les Olivétains avaient blanchi tous les décors, un coup de blanc pour effacer tout l’héritage des humiliés. Puis, trois siècles et demi plus tard, une première restauration a eu le mérite de ramener à la surface les peintures anciennes.
On est accueilli par une cascade de petites fleurs colorées qui se détachent sur les murs blancs, mêlées à des étoiles composées de huit palmettes rouges alternant avec autant de bourgeons sombres et d’où partent huit rayons noirs ondulés : C’est une décoration que l’on retrouve également dans d’autres édifices lombards de l’époque (la basilique de San Bassiano à Lodi Vecchio, par exemple), et c’est la manière dont les frères nous disent que nous sommes arrivés au paradis, c’est la “tapisserie céleste”, comme l’a appelée Hans Peter Autenrieth, qui signale notre entrée dans le royaume des cieux. Les iris segmentés qui ornent le centre des voûtes ont probablement aussi une fonction similaire, donnant à l’observateur une douce sensation de légèreté. Giuseppina Suardi, la restauratrice qui a travaillé sur les fresques de Viboldone entre 2014 et 2015, a noté l’extraordinaire unité de la peinture et de l’architecture : une décoration de fleurs et d’étoiles, qui pourrait sembler triviale, devient ici fonctionnelle pour donner une unité esthétique aux salles, en suivant un parcours circulaire pour accompagner l’architecture. Il ne s’agit donc pas seulement d’une fonction symbolique, mais d’une fonction fondamentale qui conduit le visiteur vers les chapelles où se trouvent les scènes peintes.
Le prévôt qui commanda les fresques, Guglielmo da Villa, appela à Viboldone des artistes toscans, ou du moins tournés vers la Toscane, qui travaillèrent aux décorations pendant trente ans : on remarque, à l’arrière-plan, une fresque votive, à savoir une Vierge à l’Enfant trônant entourée des saints Michel, Jean-Baptiste, Ambroise et Bernard et honorée par un donateur, qui est datée de 1349 et a probablement été la première scène à être achevée, ou du moins remonte à la première phase des décorations. Nous ne savons pas qui l’a peinte : l’œuvre est prudemment référée à un “Maître de 1349” non défini. Après avoir abandonné certaines propositions antérieures, comme l’identification avec un disciple de Maso di Banco ou avec d’autres Toscans, il n’est pas exclu qu’il s’agisse d’un jeune peintre local, ouvert aux innovations que Giotto avait également introduites en Lombardie, et qui séjourna à Milan entre 1335 et 1336. Longhi, en revanche, pensait exactement le contraire, à savoir que cet artiste était un Toscan appelé en Lombardie et fasciné par certaines douceurs chromatiques, certaines luminosités typiques de la peinture milanaise : il n’en reste pas moins que la figure ferme et plastique de la Vierge assise sur ce magnifique trône gothique qui semble être en ivoire est aussi proche de Giotto que celle que l’on peut admirer ici à Viboldone.
En revanche, il n’y a guère de doute sur la scène qui fait face à la fresque votive, le chef-d’œuvre de tout le cycle des fresques, à savoir le Jugement dernier , que les critiques ont presque unanimement attribué à Giusto de’ Menabuoi, ici occupé à peindre l’une des images les plus visionnaires de l’art médiéval, avec le Christ juge images visionnaires de l’art médiéval, avec le Christ juge qui, de sa mandorle aux couleurs des vertus théologales, accompagné d’une foule d’anges, sépare les bienheureux des damnés tandis que les morts ouvrent les couvercles de leurs tombes. Les bienheureux sont face à lui, ils sont agenouillés, comme le frère dans lequel on a reconnu l’effigie du commissaire, ou ils le prient les mains jointes, une foule dense et ordonnée opposée à la foule chaotique des damnés, dont certains sont déjà dans la bouche d’un Lucifer vorace. dans la bouche d’un Lucifer vorace, qui est représenté comme une sorte d’ours cornu du corps duquel sortent des serpents occupés à mordre les pécheurs qui ne sont pas battus par les diables, dont l’un porte curieusement une tiare, presque une dénonciation de la corruption de l’Église. Au-dessus se trouve le curieux et savoureux détail des anges enroulant le ciel, sanctionnant la fin du temps et le début de l’éternité, qui commence derrière les murs piqués de gemmes et de pierres précieuses de la Jérusalem céleste. On peut reconnaître les éléments typiques de la peinture de Giusto de’ Menabuoi devant l’entreprise du baptistère de Padoue : la fermeté des formes, la légèreté des couleurs, le hiératisme du Christ et des anges, l’expressivité des figures. On peut lire ici l’une des plus belles pages de l’art italien du XIVe siècle.
En revanche, le reste de la décoration est moins lisible, développée dans la voûte de l’arc triomphal, sur laquelle on voit une Crucifixion peinte par une main encore différente, une main qui reflète la diffusion du giottisme en Italie du Nord, mais qui reste difficile à déchiffrer, comme celle qui a peint les histoires du Christ sur la voûte (l’Annonciation, l’Adoration des Mages, la Présentation au Temple et le Baptême) et sur les murs latéraux : à droite, des scènes de la Passion (en haut, la Cène, le baiser de Judas et l’oraison au jardin côte à côte, puis, en bas, la montée au Calvaire et le drapeau).), tandis qu’à gauche, dans le prolongement idéal de la Crucifixion, tout ce qui se passe après (la Déposition, plus bas l’Ascension et l’Incrédulité de saint Thomas, et dans le registre inférieur la Pentecôte). Le tout réalisé à l’intérieur de panneaux, comme si nous assistions à un récit en images, à l’illustration d’un codex enluminé. Un récit qui cherche encore son auteur, un récit qui attend encore de donner un nom à la main qui a peint ces figures fines et élégantes, ces couleurs si douces et irréelles, ces scènes qui “s’ouvrent comme des soufflets” sur les voûtes, comme l’a observé Longhi, des scènes qui échappent à la loi de la gravité et suivent plutôt le cours des cloisons. Les scènes qui s’ouvrent comme des soufflets sur les voûtes, comme l’observait Longhi, les scènes qui échappent à la loi de la gravité et suivent le cours des cloisons, mais qui suivent le cours des partitions triangulaires, ce qu’un Toscan aurait difficilement fait, alors qu’il s’agit plutôt de l’œuvre d’un de ces Lombards habitués à “isoler et abstraire maintenant l’un ou l’autre des modes figuratifs [...] et à le pousser à la capacité expressive la plus grande et la plus complexe”.
C’est dans des lieux comme ceux-ci, sous des fresques comme celles-ci, que l’on apprend à connaître une Église qui est loin de l’Église officielle. Paolo Rumiz, dans Il filo infinito (Le fil infini), son voyage parmi les monastères bénédictins entrepris pour en retracer l’histoire, pour essayer de comprendre l’Europe d’aujourd’hui à travers l’Europe du passé, écrit qu’ici, à Viboldone, on sent “mieux qu’ailleurs que l’Église n’est pas la structure, qu’elle n’est pas les cardinaux, le pouvoir, et peut-être même pas le pape. L’Église, ce sont ces fresques, c’est ce paysage. C’est la prière solitaire d’une créature perdue devant l’inexprimable, une prière qui devient chant, d’abord solitaire puis choral”. Bien sûr, peut-être que même sous ces fresques, il est difficile d’oublier ce qu’est l’Église au-delà de ces murs. Mais que l’on ait la perception d’être “à bord d’un canot de sauvetage”, d’être arrivé dans un port après avoir navigué au milieu d’une mer où le sacré est devenu superflu, cela oui. Nous nous en rendons compte. Nous le vivons. Et peut-être est-ce le cas de tous, même de ceux qui ne croient pas au Dieu des chrétiens. La ville qui monte est derrière nous, prête à vous saisir, elle est pressante, elle se profile, peut-être même menaçante, elle est proche. Mais elle ne pourrait être plus éloignée.
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