" Dieu est mort", pensait-on en parcourant l’œuvre imposante que Roberto Cuoghi (Modène, 1973) présentait à l’édition 2017 de la Biennale de Venise, qui s’est achevée il y a quelques jours. Morts et allongés sur une table de morgue, défigurés, dans un état de décomposition avancé, attaqués par des moisissures et des bactéries jusqu’à la désintégration physique totale, pour ensuite ressusciter et à nouveau mourir et à nouveau se désintégrer dans un cycle continu de naissance et de mort, inquiétant, sombre et oppressant. Voilà, en quelques mots, l’Imitation du Christ de Roberto Cuoghi.
Plus en détail: en entrant dans la première salle du pavillon italien, on se retrouve catapulté dans l’obscurité d’une forge, avec ses forgerons et ses ouvriers, qui produisent continuellement des images du Christ, toutes en matériau périssable. Les images, démoulées, étaient ensuite étalées sur des tables que le visiteur trouvait à l’intérieur d’un long tunnel en nylon (à mi-chemin entre les igloos de Merz et le Y de Höller) et laissées à la merci d’agents extérieurs (bactéries, spores, moisissures) qui provoquaient leur dissolution naturelle: ce qui restait était finalement mis à sécher dans un four puis accroché au mur du fond. Le cycle reprenait ainsi, et pendant toute la durée de la Biennale, l’usine aliénante de Cuoghi continuait à produire ces corps élancés, vieillis, jamais identiques, voués à la ruine. L’idée de base a été inspirée, comme le titre l’indique clairement, par le traité du XVe siècle De Imitatione Christi, dont la lecture devait suggérer aux fidèles comment mener une bonne vie chrétienne en suivant l’exemple de Jésus-Christ. Dans le vingt-troisième chapitre, nous lisons ces phrases: “Bientôt la mort vous atteindra: considérez donc votre état. Aujourd’hui tu es un homme, mais demain tu disparaîtras. Et quand tu seras enlevé aux yeux, tu disparaîtras aussi de l’esprit”. C’est probablement de cette prémisse qu’est parti le travail de Roberto Cuoghi, pour ensuite perdre tout point de contact avec le texte ancien.
Une œuvre qui n’a pas manqué de rappeler au visiteur de larges passages de l’histoire de l’art, avec un effet obtenu de manière plus ou moins consciente: une sorte de Nachleben, de survivance warburgienne évoquée par des gestes, des symboles, des postures, des regards. Car les Christs décomposés de Cuoghi conservent les traces de nombreuses œuvres du passé, à commencer par le début du parcours, avec ces icônes vides qui introduisent le visiteur dans le sombre atelier vénitien, semblables aux images négatives du Christ de Livourne de Beato Angelico: une œuvre tout aussi puissante (la plus dramatique de l’artiste toscan), tout aussi sérieuse, tout aussi souffrante, mais qui vise à renforcer la foi de l’observateur. Un objectif que, tout au long de l’histoire de l’art, d’autres images tout aussi fortes ont tenté d’atteindre et qui peuvent être considérées comme des antécédents des corps du Christ de Cuoghi abandonnés sur les tables de la morgue. Plus précisément, les corps de Cuoghi rappellent certainement le Christ mort de Hans Holbein, une œuvre sans précédent dans l’histoire de l’art occidental qui, bien que conceptuellement éloignée, partage avec l’installation de l’artiste modénais la volonté de montrer, sans filtre d’aucune sorte, la corruptibilité du Christ, mais plus encore ils rappellent certaines pleureuses en terre cuite de la région émilienne (par exemple celle d’Alfonso Lombardi dans la cathédrale Saint-Pierre de Bologne), plus que celle, célèbre, de Niccolò dell’Arca à Santa Maria della Vita), dont le processus créatif n’était pas si différent de celui de Cuoghi, et qui s’inscrivent dans cette tradition anti-classique et naturaliste de l’art émilien à laquelle Arcangeli a consacré une grande partie de ses études et qui semble renaître dans l’art de Cuoghi, tout aussi anti-classique, cru, réaliste au point de déranger l’observateur. Avec la différence que ces œuvres étaient destinées à rester: celles de Cuoghi, en revanche, sont vouées à la destruction. Et dans tout cela, à moins de s’attarder sur la ritualité du processus ou sur l’aura de spiritualité qui entoure l’Imitation du Christ de Cuoghi, il semble y avoir très peu de magie, malgré le titre Le monde magique que la commissaire Cecilia Alemani avait imaginé pour le pavillon italien, en référence au livre du même nom d’Ernesto De Martino. Bien sûr, on peut s’amuser avec le stéréotype (éculé) de l’artiste chaman qui met en scène un rituel collectif auquel nous participons tous, ou avec le mythe de l’artiste alchimiste qui décide de la vie et de la mort dans son atelier, et ainsi de suite. Le travail de Cuoghi est cependant plus raffiné.
Roberto Cuoghi, Imitation of Christ (2017). Début du parcours avec les icônes en négatif. Ph. Crédit Finestre Sull’Arte. |
Roberto Cuoghi, Imitation du Christ (2017). L’œuvre vue depuis le début du parcours. Ph. Crédit Roberto Marossi. Avec l’aimable autorisation de Roberto Cuoghi |
Roberto Cuoghi, Imitation du Christ (2017). À l’intérieur du tunnel. Ph. Crédit Finestre Sull’Arte. |
Roberto Cuoghi, Imitation du Christ (2017). Corps en décomposition dans des igloos. Ph. Crédit Roberto Marossi. Avec l’aimable autorisation de Roberto Cuoghi |
Roberto Cuoghi, Imitation du Christ (2017). Ouvriers au travail. Ph. Crédit Roberto Marossi. Avec l’aimable autorisation de Roberto Cuoghi |
Roberto Cuoghi, Imitation du Christ (2017). Marche à travers le tunnel. Ph. Crédit Roberto Marossi. Avec l’aimable autorisation de Roberto Cuoghi |
Roberto Cuoghi, Imitation du Christ (2017). Le résultat final: les christs accrochés sur le mur du fond. Ph. Crédit Finestre Sull’Arte. |
Roberto Cuoghi, Imitation du Christ (2017). L’œuvre vue du dessus. Ph. Crédit Roberto Marossi. Courtesy Roberto Cuoghi |
Cecilia Alemani souligne à juste titre combien le magique est en réalité un point de départ pour une nouvelle lecture de la réalité: et c’est dans cette" reconstruction de la réalité" que se trouve probablement le sens de l’œuvre. Le parcours conçu pour le Pavillon italien semblait presque mêler mysticisme et scepticisme, sacralité de l’image du Seigneur et mondanité d’un cirque décadent, ascétisme et concret poussés à l’extrême le plus brutal (d’une manière d’ailleurs tout à fait cohérente avec le parcours artistique de Roberto Cuoghi, l’un des artistes les plus provocateurs et les plus choquants de la scène contemporaine): à la fin du parcours aliénant qui a conduit le visiteur à l’intérieur des lieux où la destruction du corps du Christ a eu lieu physiquement, on se retrouve devant ce qu’il en reste. Et ce qui reste, c’est une série d’icônes déchirées, de crucifix hurlants qui renvoient à nouveau à l’histoire de l’art: de certaines crucifixions médiévales bouleversantes (pensez aux terribles crucifix du Maître de Sainte-Anastasie) aux masques dramatiques de Wildt, ou encore au crucifix le plus violent du XXe siècle, celui que Ludwig Gies a exécuté pour la cathédrale de Lübeck, rétréci, tordu et ravagé comme les Christs suspendus de Cuoghi, et si choquant que la folie nazie l’a détaché de son siège et, dans un épisode célèbre de l’iconoclasme moderne, l’a mis en pièces en jetant sa tête dans la Trave, la rivière qui baigne Lübeck. Des icônes déchirées qui incitent le visiteur à réfléchir sur l’inéluctabilité du temps (et dans sa réflexion sur le temps, un thème qui a toujours fasciné les artistes de toutes les époques, Cuoghi se place hors du temps), sur la foi, sur le sens de l’identité, sur la persistance et la régénération des symboles, sur les contradictions de la religion, mais aussi, si l’on veut, sur celles de notre société.
Le fait le plus intéressant concernant l’Imitation du Christ de Cuoghi est qu’il s’agit d’une œuvre qui n’apporte aucune réponse: Les certitudes sont écrasées sous le poids des fausses reliques qui peuplent le Pavillon italien et, contrairement au croyant qui, en lisant De Imitatione Christi, aurait subi une sorte de transformation intérieure qui l’aurait conduit vers une vie sous le signe de la constance de la foi, l’observateur de l’œuvre de Roberto Cuoghi ne pouvait que quitter le Pavillon italien assailli par l’incertitude, ne serait-ce que celle de comprendre ce que l’artiste avait réellement voulu lui communiquer. Et, à cet égard, rien n’interdit non plus de penser que l’œuvre pourrait aussi prendre l’allure d’une liturgie vide et répétitive visant à mortifier le rôle d’un artiste destiné à subir le même processus que celui auquel sont soumis les corps du Christ en ruines, ses alter ego et, comme lui, les icônes muettes. Ce qui est sûr, c’est que si ce que Braque a dit est vrai, que l’art doit déranger, alors Cuoghi a très bien réussi dans cette intention.
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