Des seins gonflés de charcuterie, des mamelons proéminents, une peau saine comme du beurre: voilà quelques-unes des images qu’Arbasino, dans Fratelli d’Italia, associe aux femmes provocantes, séduisantes et plantureuses qui peuplent en grand nombre les tableaux de Guido Cagnacci, protagoniste extraordinaire, dissipé et sous-estimé, de l’un des événements les plus singuliers du XVIIe siècle, voire de l’histoire de l’art italien dans son ensemble. Arbasino avait à l’esprit l’un des derniers chefs-d’œuvre du peintre romagnol, La mort de Cléopâtre, peint alors que l’artiste avait déjà quitté l’Italie pour finir ses jours en Autriche, et déjà mentionné en 1659 dans la pinacothèque de l’archiduc Léopold Guillaume de Habsbourg. C’est l’une des images les plus connues associées à Cagnacci, avec l’autre tableau du même sujet exécuté à la même époque, Cléopâtre, aujourd’hui à la Pinacothèque de Brera, peint avec une gamme chromatique essentielle qui laisse à une lumière diffuse et limpide le soin d’exalter le corps langoureux et doux de la reine d’Égypte qui commence à perdre la raison. C’est la première fois qu’un peintre imagine d’interpréter la mort de Cléopâtre en ces termes: ni le moment où elle s’apprête à porter l’aspic à son sein pour qu’il la morde (ou l’instant qui suit immédiatement, avec quelques gouttes de sang qui commencent à suinter de sa peau d’ivoire), ni même la scène théâtrale du XVIIe siècle, celle qui est conservée à Gênes, au Palazzo Rosso, avec les rideaux du baldaquin qui s’ouvrent, comme un improbable rideau, pour révéler l’héroïne qui vient de faire le geste et s’apprête à se répandre sur l’oreiller, puisque son bras gauche ne peut supporter son poids et qu’il faut donc l’imaginer glissant vers le bas (bien que l’évidence solide de ce membre le fasse apparaître robuste comme une colonne). Rien de tout cela: dans le tableau de Cagnacci, la dimension héroïque du geste de Cléopâtre est réduite pour laisser place à une femme réelle, saisie dans sa tangibilité épidermique, que l’on peut presque imaginer toucher et caresser, tant sa charnalité est éclatante, dans l’une des peintures les plus puissantes physiquement de tout le siècle.
Le drame solitaire du tableau milanais devient choral dans celui du Kunsthistorisches Museum de Vienne, mais le niveau de réalité reste totalement inchangé: la reine égyptienne est assise sur une imposante et anachronique chaise haute (“une fausse garniture de notaire du XVIe siècle qui abolit la passementerie”, limitée à “des clous sur du cuir rouge fraîchement tiré par le tapissier”, avait judicieusement noté Arbasino), tombe déjà dans le sommeil fatal provoqué par l’aspic encore accroché à son bras sous la forme d’un bijou, tandis qu’autour d’elle se précipitent, confuses, une poignée de servantes à moitié nues, dont l’une émerge de derrière l’estrade en exhibant un sein en parfaite diagonale avec les seins de Cléopâtre. Les femmes grimacent à la vue du serpent, s’affligent, l’une d’entre elles pleure déjà et s’essuie les yeux avec un mouchoir. Mais on conviendra que ce n’est pas tant la restitution de l’épisode historique qui nous attire que la nudité parfumée, palpitante et presque ostentatoire de la belle reine et de sa ribambelle de servantes, dans une variété de poses délibérément étudiées pour offrir au spectateur une"galerie des femmes qui semble résumer l’expérience de toute une carrière dans le nu féminin mais aussi composer un rébus d’allusions disparates" (comme le dit Alessandro Brogi).
Un enchevêtrement de sentiments (effroi, douleur, angoisse, attention) qui se déploie sur une partition unique construite à partir du corps nu. Aucun autre peintre du XVIIe siècle n’aurait osé une telle chose. La peinture de Guido Cagnacci aurait connu plusieurs saisons, mais la sensualité du corps féminin est restée une constante qui l’accompagnera sans interruption, de ses années de jeunesse à ses phases les plus extrêmes. Ceux qui ont visité les salles de peinture du XVIIe siècle de la Galleria Nazionale d’Arte Antica au Palazzo Barberini n’auront pas manqué de remarquer l’impressionnante Madeleine pénitente, qu’un Cagnacci d’environ 25 ans avait peinte près de 40 ans avant La mort de Cléopâtre. La datation du milieu des années 1920, proposée par Gianni Papi et jamais remise en question, nous amène à une période où il n’existe aucune preuve documentaire de l’activité de Cagnacci, mais il s’agit des années qui suivent le séjour bien documenté de l’artiste à Rome: Dans la capitale de l’État pontifical, Guido, à l’âge de vingt ans, avait pris une maison dans l’actuelle Via del Babuino (“Strada Paolina”, comme on l’appelait à l’époque), qu’il partageait avec un autre grand artiste de l’époque, Guercino (qui avait exactement dix ans de plus que Guido), avec le peintre Cento Lorenzo Gennari et avec un certain Giovanni Battista Croce, dont nous ne savons rien, peut-être un serviteur. La Madeleine du Palais Barberini est un produit incontestable de cette période: les fonds uniformes et contrastés révèlent des dettes de Guercino, le ton bleu du ciel et le traitement des drapés renvoient à la peinture d’Orazio Borgianni, le réalisme cru de la sainte pénitente ne peut manquer d’évoquer, vu sa précocité, la peinture qui se pratiquait à Rome dans ces années-là, dans le sillage de la leçon dérangeante du Caravage (et il n’est pas interdit de penser à un Cagnacci que Rome admire...), qui admirait, appréciait et étudiait avec ferveur les tableaux du Caravage et surtout ceux de ses disciples, à commencer par Orazio Borgianni et Giovanni Francesco Guerrieri, étant donné le caravagisme évident que lui attribuait déjà Cesare Gnudi, l’un des premiers à initier la redécouverte de Cagnacci au XXe siècle). Le résultat est l’un des nus les plus provocants de l’histoire de l’art, avec cette poitrine pleine et vraie qui agit presque comme le pivot de toute la composition: son caractère concret est même renforcé par la torsion non naturelle du cou qui fait disparaître le visage vers l’arrière (nous ne pouvons pas saisir les détails) et par la cascade de cheveux blonds qui encadre presque la peau d’ivoire. Un nu si impudique que même les critiques ont été surpris par ce tableau, ne trouvant aucune raison philosophique ou religieuse pour l’expliquer: ici, il n’y a qu’une femme souffrant des douleurs qu’elle s’inflige avec le fouet qu’elle tient dans sa main droite et méditant sur la vanité de la vie, avec son crâne posé sur ses genoux.
Il serait facile d’expliquer cette insistance continue sur le corps féminin nu par l’amour de Guido Cagnacci pour les femmes, un amour qui a alimenté le mythe du peintre qui s’entourait de modèles qui devenaient invariablement ses maîtresses, né sur la base des rumeurs “que dans nos quartiers passent quand même des bouches vulgaires”, expliquait au milieu du XVIIIe siècle le peintre riminais Giovanni Battista Costa, dont la correspondance avec Nicolò Gaburri et Giampietro Zanotti est l’une des principales sources d’information sur Cagnacci. Mais Zanotti lui-même a raconté l’anecdote de la “jeune fille habillée en homme” qui accompagnait toujours le peintre lorsqu’il vivait à Bologne, au début des années 1640, avant que son existence errante ne le conduise à Forlì, suivi par les calomniateurs qui l’amèneront à changer plusieurs fois de résidence, jusqu’à ce qu’il se réfugie à Venise en 1649 (dans la cité lagunaire, il prendra une nouvelle identité): Guido Ubaldo Canlassi da Bologna") avant de s’installer à Vienne en 1660, où il mourra trois ans plus tard. Et l’on pourrait peut-être dire que cette fuite continuelle est due à son amour, réciproque, pour une femme, une noble de Rimini de deux ans son aînée, la comtesse Teodora Stivivi, avec laquelle Guido avait échangé une promesse de mariage en 1628: Les deux amants étaient sur le point de s’enfuir (leur fugue devait convaincre les parents de la comtesse d’accorder la main de leur fille à l’humble peintre, qui ne pouvait se targuer d’une lignée comparable à celle de sa fiancée), mais leur rêve fut brisé par les flics papaux qui arrêtèrent la jeune fille avant que leur intention ne puisse se réaliser. L’informateur était Matteo Cagnacci, le père de Guido, qui, en apprenant les intentions de son fils, résolut de le dénoncer. Theodora, en raison du déshonneur causé à sa famille, fut enfermée dans un couvent où elle resta pendant deux ans, et n’en sortit que sur la promesse d’épouser un parent éloigné, de statut égal, qui sauverait l’honneur et surtout la dot ostentatoire et avide de la jeune femme. Guido, quant à lui, est banni de Rimini.
Le scandale de la “negotio” de Guido et Theodora est tel qu’il provoque l’échec du peintre (qui tentera pendant des années de faire valoir ses droits devant les tribunaux): en effet, son père finit par le déshériter et par laisser tous ses biens aux sœurs du peintre, Virginia et Lucia) des problèmes continus tout au long de sa vie, puisque la notoriété de sa tentative d’amour continuait à le suivre partout où il allait, lui aliénant les sympathies de ses mécènes, et qu’il est plausible d’imaginer qu’il reçut également des menaces, car il aurait été facile pour la mentalité de l’époque de présenter Guido comme un corrupteur invétéré de la jeunesse. Une mauvaise réputation qui le hantera même après sa mort, provoquant la damnatio memoriae qui l’expurgera de l’histoire de l’art pendant quelques siècles, jusqu’à sa réhabilitation complète au milieu du XXe siècle. D’autres femmes auraient cependant suivi l’artiste à différents moments de sa vie: un document de 1636 atteste qu’une certaine Giovanna, fille d’un maçon de Serravalle, a fait don de tous ses biens au peintre, sans que l’on sache pourquoi, peut-être pour légitimer une relation irrégulière. En outre, une de ses maîtresses, Maddalena Fontanafredda, vivait avec lui à Venise et l’aurait accompagné à Vienne.
La familiarité évidente de Guido Cagnacci avec le sexe féminin peut en partie fournir une raison empirique à son intérêt continu pour les nus féminins. Et le voyage, la base de la déclinaison de cet intérêt sous de nouvelles formes. La rencontre avec Guido Reni à Bologne aurait produit, entre autres, la dramatique Lucrezia déjà présente dans la collection Ruffo di Calabria, datable de la seconde moitié des années 1930, et qui introduit une nouvelle composante classiciste dans la peinture cagnaccesque, sans que le peintre ne renonce à son substrat naturaliste. Le geste violent de l’héroïne romaine qui déchire sa robe pour se poignarder les seins, exposant ceux-ci à la vue du spectateur, est amplifié par le rideau qui le prolonge, créant une diagonale qui traverse toute la toile et donne un sens hautement théâtral à l’ensemble du tableau. Le fait que Guido Cagnacci ait été en contact avec Reni à l’époque (comme en témoignent les traits du visage de Lucrezia, même déformés par la grimace de colère de l’héroïne, et encore la coloration des carnations, les volumes de la femme, la coloration délicate, la plus grande idéalisation) ne l’a pas empêché d’éviter de renoncer aux bases réalistes de sa peinture pour revêtir ses figures du physique sensuel qui les distingue. Et cela se passe aussi sur le plan sentimental: si les Lucrezie de Guido Reni sont toujours empreintes de résignation et de regret, celle de Cagnacci, en revanche, ne perd pas sa force, toute rendue par l’élan furieux de son geste. Elle ne perd pas non plus sa sensualité.
Au cours de ce même tournant du siècle, le peintre de Santarcangelo fera ce que Daniele Benati, commissaire avec Antonio Paolucci de la plus grande exposition jamais consacrée à Guido Cagnacci, l’exposition monographique qui s’est tenue en 2008 au Musei San Domenico de Forlì, appelle “un énorme saut”, celui qui l’amènera à peindre Marie Madeleine emmenée au ciel (connue en deux versions: l’une, plus ancienne, conservée à Munich, et l’autre au Palazzo Pitti), et qui s’explique sur la base des recherches contemporaines de Guido Reni, qui à cette époque s’orientait, écrit Benati, “vers des solutions d’une puissance et d’une force communicative extraordinaires”. Le médiateur sur le plan formel est le jeune Simone Cantarini qui, vers 1640 ou peu avant, avait tiré un innovant Saint Jacques le Majeur dans la Gloire, avec le saint debout sur deux nuages sombres et escorté vers un ciel d’or tourbillonnant de chérubins par un couple d’anges embrassant les nuages et l’élevant vers la gloire céleste. Pour Francesco Arcangeli, il s’agit d’un “essai du point culminant du reniisme touché par Cantarini, peut-être vers 1940: une page brillante, mince avec une clarté froide et dorée, avec de beaux anges croisés sur le ciel, dans une semi-obscurité, et avec le saint qui, comparé à la manière idéale de Reni, ressemble à un mousquetaire blond”. L’artiste turbulent et excentrique de Pesaro n’a pas voulu s’éloigner de la leçon de son maître, mais il a en même temps cultivé le désir de trouver sa propre voie, faite de vigueur et de naturalisme, greffée sur la partition de Reni et ici évidente surtout dans les figures des deux anges et, dans une certaine mesure, aussi dans le visage du protagoniste principal. Il est difficile d’imaginer que Guido Cagnacci, en composant sa superbe Madeleine, n’ait pas regardé les réalisations picturales de son jeune collègue, et en particulier ce chef-d’œuvre. Le tableau de l’Alte Pinakothek de Munich et le tableau florentin, ce dernier étant légèrement plus récent que l’exemple allemand qui, plus proche (surtout chromatiquement) du Saint Jacques de Cantarini et nettement plus cristallin que la version toscane (et donc idéalement plus proche du tableau de Guido Reni), devrait être considéré comme le prototype, comptent parmi les inventions les plus heureuses et les plus chanceuses de Guido Cagnacci. Costa, déjà cité, écrivait à propos du tableau de Munich, exposé dans la maison de la famille Angelelli à Bologne, que “Cagnacci, s’il n’était pas célèbre pour tant d’autres de ses œuvres remarquables, le serait pour celle-ci seulement, tant cette peinture est belle dans de nombreux types de perfection ; et de nombreux écrivains en ont fait à juste titre une mention honorable”.
D’autres, au contraire, n’auraient pas été aussi agréables: la Madeleine avait aussi de bruyants détracteurs. Un académicien de la Crusca, Giovanni Masselli, écrit sur le tableau en 1838 et, tout en reconnaissant le mérite de Cagnacci pour avoir représenté les figures “avec des empâtements admirables et des teintes qui ressemblent beaucoup à la réalité” et pour avoir donné “un beau relief aux parties avec la mise en place très intense de quelques lumières sur les parties les plus proéminentes, et avec une distribution non moins judicieuse des demi-teintes et des ombres”, il reproche quelques “libertés capricieuses” au Romagnolo, allant jusqu’à dire que “cet ange soutenant Marie-Madeleine ne sera pas loué par quiconque aime l’élégance et la bienséance de la peinture”. Certains critiques n’ont pas pardonné à Guido l’audace inhabituelle de son invention: la sainte pénitente, complètement nue et avec seulement ses longs cheveux blonds couvrant sa peau nacrée (mais notez que le peintre n’a pas caché les tétons roses de Madeleine à notre vue: ses cheveux s’ouvrent sur ses seins), elle est enlevée au ciel avec l’aide d’un ange qui la soutient en la tenant par les jambes et en tournant son regard vers sa terga, dans un enchevêtrement de chair à la saveur voluptueuse piquante et âcre, sans aucun précédent qui s’en rapproche. Ce qui rend encore plus réel cet exemple unique d’érotisme appliqué à la peinture d’un sujet sacré, c’est la position des jambes molles de la sainte, la rougeur de ses joues, de ses doigts et de ses orteils (un élément qui revient dans de nombreuses femmes de Guido Cagnacci), et son réalisme marqué, qui la fait apparaître comme une femme plus réelle que celles que Guido avait peintes jusqu’à cette époque. Il convient de noter que dans l’œuvre de Cagnacci, la rencontre (et en même temps l’affrontement) entre les pulsions charnelles et les tensions spirituelles est rarement aussi évidente (“le corps et l’âme”: c’est ainsi que Benati a titré son essai dans le catalogue de l’exposition de 2008 à Forlì).
Nous revenons ici à la question fondamentale: qu’est-ce qui a poussé Guido Cagnacci à concevoir des figures aussi terrestres, aussi charnelles, aussi sensuelles, aussi réelles ? Outre son expérience personnelle, déjà évoquée, l’examen de ses sources figuratives permet de dissiper en partie certains doutes: à la liste des noms cités jusqu’à présent, il faut en ajouter au moins deux autres, celui d’Orazio Gentileschi et surtout celui de l’artiste français Simon Vouet, un autre artiste que Guido a connu à Rome (probablement aussi en personne, comme Mina Gregori en a émis l’hypothèse). Vouet représente une clé privilégiée, mais pas la seule, pour expliquer la sensualité de Guido Cagnacci: la peinture du Parisien inaugure un nouveau type de femme, une femme consciente, féminine, audacieuse, dominatrice, comme la courtisane que nous voyons dans la troublante Tentation de saint François, l’un des chefs-d’œuvre les plus singuliers des églises de Rome (on peut l’admirer dans la chapelle des Alaleoni à San Lorenzo in Lucina).
Mais, sans aller jusqu’aux provocantes meretrici du tableau de San Lorenzo in Lucina (une “tentatrice sérieuse”, écrit Goffredo Silvestri avec une ironie aiguë), le même raisonnement pourrait s’appliquer à beaucoup d’autres femmes qui abondent dans la production de Vouet et que Cagnacci avait certainement appris à connaître. Il y a ensuite la centralité du corps humain dans l’art du XVIIe siècle, qui devient fondamentale car la fonction psychagogique des images de l’art religieux envers les fidèles exige que les actions des saints soient saisies dans toute leur évidence physique et corporelle. Une centralité que Cagnacci perçoit et filtre selon sa sensibilité intime: le peintre, écrit Paolucci, “est un peintre érotique”. Et il est érotique au sens propre et profond du terme, car, affirme Paolucci, “il sent et exprime avec une intensité commune à peu d’autres peintres du siècle la pulsion de l’éros qui bat, incessante et profonde, dans le sang des hommes et des femmes”, des héros et des héroïnes qui “connaissent et subissent l’inéluctable domination du sexe qui nous opprime et nous console tous”. Le genre du nu, qui, grâce à l’étude de l’art antique, était revenu dans l’art contemporain vers la fin de la deuxième décennie du XVIIe siècle, a trouvé en Cagnacci l’interprète le plus cru et le plus résolu de la première moitié du siècle. Pour trouver une nudité exposée de la même manière, il faut se tourner vers le Florentin Francesco Furini, mais les intentions sont opposées: autant le nu du Romagnol était terrestre et charnel, autant celui du Toscan était formel et classique. Il serait également intéressant d’examiner sa clientèle, en particulier celle de la période vénitienne, lorsque Guido Cagnacci travaillait dans une ville libre aux coutumes plus détendues qu’ailleurs, où il était courant de trouver des mécènes désireux de faire entrer chez eux des nus féminins sensuels enveloppés dans une rhétorique historique, Il s’agit d’une rhétorique religieuse, mythologique ou allégorique (les allégories de la vie humaine sont assez fréquentes dans les années vénitiennes) afin de trouver une forme de justification qui donne une pleine légitimité à des sujets qui, sans la dimension narrative qui fait partie des typologies autorisées, auraient signifié des ennuis certains pour le propriétaire du tableau.
Mais Guido Cagnacci savait bien dissimuler et l’a prouvé tout au long de sa vie, en marchant souvent sur la corde raide de l’ambiguïté, à la frontière entre ce qui était toléré et ce qui était condamné. C’est la sensation que l’on éprouve en observant un chef-d’œuvre conservé à Rimini, dans l’église San Giovanni Battista, pour laquelle il a été peint par un Cagnacci alors âgé de trente ans et qu’il n’a jamais quittée, sauf pour des expositions temporaires. Le retable, haut de plus de trois mètres, représente trois saints carmélites, Andrea Corsini, Teresa d’Ávila et Maria Maddalena de’ Pazzi, aux pieds de la Vierge et de l’Enfant, qui se trouvent sur un nuage, défilés à gauche, alors qu’ils s’adressent à Andrea Corsini. En plus d’être une œuvre où le désaccord entre le corps et l’esprit atteint des sommets, c’est la peinture la plus caravagesque de la première partie de l’activité de Guido Cagnacci, formidable dans sa représentation de trois moments distincts de rencontre avec la divinité de la part des trois saints: À la vision d’Andrea Corsini s’ajoutent la souffrance de Marie Madeleine de Pazzi, qui reçoit la couronne d’épines d’un ange aux longues ailes, et la transverbération de Thérèse d’Avila, frappée par le dard enflammé de la créature céleste que le peintre place à ses côtés. La figure de la mystique espagnole tombant en pâmoison est certainement celle qui attire et frappe le plus le spectateur, étant donné son abandon quasi orgasmique, dans cette grimace ambiguë, dans un évanouissement qui ressemble à un paroxysme de plaisir érotique.
On a noté que la Teresa de Guido pouvait avoir des précédents chez Vouet, mais ici le peintre de Santarcangelo réussit à aller encore plus loin que son modèle: observez l’expression de la sainte, la façon dont elle ferme à demi les yeux et ouvre légèrement la bouche, la torsion de son cou que l’on imagine sous les plis de son voile, le mouvement de ses joues. On pensera immédiatement à l’image la plus célèbre de Sainte Thérèse de Gian Lorenzo Bernini, sommet de la sculpture baroque qui orne la chapelle Cornaro de Santa Maria della Vittoria à Rome, quelque vingt ans plus tard que la Thérèse de Cagnacci: la sainte de Cagnacci n’est pas secouée par le tremblement qui fait vibrer le corps de la Thérèse du Bernin, mais l’expression ne peut s’empêcher de le rappeler. Lacan avait expressément souligné la jouissance de la Teresa du Bernin(jou ir est le verbe utilisé dans sa lecture): après tout, de nombreux contemporains du Bernin avaient également remarqué une certaine charge sensuelle chez sa sainte (un commentateur anonyme, contemporain du Bernin, la qualifiait de “Vénus non seulement prosternée, mais prostituée”). Aujourd’hui, nous avons tendance à minimiser ces lectures du groupe de Santa Maria della Vittoria, principalement en raison de la parfaite adhésion du Bernin à sa source, l’autobiographie de sainte Thérèse, et de sa fervente dévotion. Mais si nous pensons plutôt à Guido Cagnacci, peut-être cela ne semblerait-il pas si étrange ou déplacé. Et le Romagnolo redeviendrait un artiste en avance sur son temps.
Cette contribution a été publiée dans le numéro 7 de notre revueimprimée Finestre sull’Arte Magazine. Cliquez ici pour vous abonner.
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