Entre Venise et l'Europe du Nord: la Crucifixion d'Andrea Previtali à la Gallerie dell'Accademia


La Crucifixion d'Andrea Previtali (Berbenno ?, 1470/1480 - Bergame, 1528) est peut-être l'un des tableaux les plus sous-évalués de la Gallerie dell'Accademia à Venise, mais l'admirer, c'est entrer dans un monde extraordinaire, celui de la Venise du début du XVIe siècle.

“Pays vallonné avec un ciel qui s’estompe”: c’est la phrase qui conclut la fiche laconique réservée à la Crucifixion d’Andrea Previtali dans le catalogue de la Gallerie dell’Accademia de Venise compilé par Luigi Serra en 1914. Le paysage, dans cette fiche, est laissé pour la fin, mais c’est peut-être la première raison pour laquelle on se perd généralement devant ce tableau de l’artiste lombard. Il s’agit peut-être d’une crucifixion plutôt inhabituelle, bien que la scène qui se déroule au premier plan n’ait rien d’extraordinaire. Le Christ, comme c’était la coutume iconographique entre le XVe et le XVIe siècle, est au centre de la composition et, cette fois, il est en outre solitaire, n’étant même pas accablé par les deux voleurs à ses côtés, de sorte que la scène est entièrement pour lui, comme c’est également le cas dans d’autres crucifixions contemporaines de la région de Vénétie. Madeleine embrasse le bois de la croix et fond en larmes tristes, saint Jean est visiblement désespéré, la Vierge écarte les bras d’un air inconsolable, les femmes pieuses s’agenouillent, exprimant leur chagrin d’une manière un peu plus compatissante. Jusque-là, rien d’étrange. Et pourtant, il suffit de tourner le regard au-delà de la colline du Golgotha, au-delà de ces chênes verts qui séparent l’épisode sacré de tout ce qui se passe autour, pour entrer dans un autre monde, un monde profondément différent et complètement changé, pour voyager à travers les siècles et les lieux, pour quitter la Jérusalem du premier siècle et entrer dans l’Italie de mille cinq cents ans plus tard.

Les grands arbres mus par le vent accompagnent presque le spectateur vers ce qui se passe derrière les protagonistes: un ciel plombé, traversé de cumulus menaçants, promesses d’orages. La référence allégorique des nuages n’est pas mystérieuse: c’est le ciel qui participe à la tragédie du Christ. La campagne luxuriante laisse place, sur la gauche, à un village à tourelles, avec en point d’orgue le solide donjon d’un château que l’on entrevoit dans le feuillage des arbres. Plus loin, sur les routes menant à la ville, des scènes presque indéchiffrables: des chevaliers sur leurs élégants destriers, des personnages étranges rassemblés autour d’un long escalier, des bannières apparaissant çà et là.



L’insertion d’épisodes sacrés dans des paysages fleuris et verdoyants est un élément typique de l’art d’Andrea Previtali, qui caractérise sa production depuis ses débuts: Il suffit de penser à ce qui est considéré comme sa première œuvre, la Vierge à l’Enfant dans un paysage , aujourd’hui conservée au Detroit Institute of Arts, ou au paysage de l’Annonciation de Ceneda, dans lequel Crowe et Cavalcaselle avaient identifié “[u]ne teinte verte fraîche, proche de la couleur de l’eau”.une teinte verte fraîche proche de Giorgione“, une ”teinte verte fraîche proche de Giorgione", ce dernier peintre dont Previtali, selon les deux grands historiens de l’art de la fin du XIXe siècle, se rapprochait par sa clarté, l’uniformité de ses fonds, ses patines vernissées. Giulio Cantalamessa, en 1897, une vingtaine d’années après la redécouverte de la Crucifixion (elle avait été signalée par Crowe et Cavalcaselle eux-mêmes en 1871, dans la sacristie de l’église du Rédempteur à Venise, sans que l’on connaisse sa provenance, puisque cette église n’a été construite qu’en 1577), s’attarde sur “ le groupe d’arbres touffus, noirâtres à la surface de la terre ”.groupe d’arbres touffus, noirâtres au milieu“, sur le ”village agréable, parsemé, à gauche, de soldats à cheval qui s’éloignent par un sentier sinueux, parmi les bouquets d’arbres et d’arbustes ; à droite, de juifs couverts de turbans et de zimarra, d’ouvriers et d’autres soldats à demi couverts par la ligne de la butte, au-dessus de laquelle leurs drapeaux émergent avec éclat".

Andrea Previtali, Crucifixion (vers 1515-1520 ; huile sur toile, 132 x 215 cm ; Venise, Galerie de l'Accademia)
Andrea Previtali, Crucifixion (vers 1515-1520 ; huile sur toile, 132 x 215 cm ; Venise, Gallerie dell’Accademia)

Les éléments de l’arrière-plan, même s’ils risquent d’apparaître comme une insertion qui s’oppose à la scène principale, ne sont en fait pas une invention de Previtali, bien qu’on lui attribue l’idée de donner plus d’ampleur à la composition en la développant horizontalement et en donnant au paysage une pertinence sans précédent. On retrouve des vues similaires dans des œuvres d’autres artistes de Vénétie (dans celles du premier Giovanni Bellini, par exemple): elles servent à donner un cadre à l’épisode de la crucifixion. La ville, dans la fiction, est donc Jérusalem elle-même, les cavaliers sont des soldats romains (sur les bannières, on remarque l’inscription “S.P.Q.R.”), l’escalier est celui de l’armée romaine.), l’escalier fait clairement référence au martyre du Christ, et les personnages vêtus d’habits orientaux, les “Juifs” dont parle Cantalamessa, servent à donner à la scène l’exotisme qui convient à un épisode qui s’est déroulé dans un pays lointain. Les Vénitiens, dont Andrea Previtali, qui a longtemps étudié à Venise, ont dû déduire cette façon de représenter la crucifixion des œuvres des artistes nordiques: Par exemple, à la Ca’ d’Oro même, il y a une Crucifixion de Jan van Eyck, peinte avec l’aide de son atelier, où la Jérusalem qui forme la toile de fond de l’histoire nous apparaît presque comme une métropole de l’antiquité, avec des tours et des gratte-ciel avant la lettre. Tout aussi nordique est ce pagne qui flotte en autant de spirales irréalistes, poussé par le même vent qui fait légèrement plier les arbres: nous le retrouvons, identique mais en miroir, dans la Crucifixion de Previtali dans l’église Sant’Alessandro de Bergame, un tableau avec lequel celui de Venise a des liens tout à fait évidents, tout comme sont évidents les rapports avec la Trinité chez saint Augustin et le bienheureux Georges de Crémone. Augustin et le bienheureux Georges de Crémone dans l’église de San Nicola in Almenno San Salvatore, qui présente le même type de Christ, lui-même dérivé, dans une série de renvois continus de filiations successives, de ceux de Cima da Conegliano et de Giovanni Bellini.

D’autres suggestions apparaissent ensuite dans le tableau de Previtali: l’artiste bergamasque avait en effet connu avec certitude les gravures d’Albrecht Dürer, qui avait séjourné à Venise pendant un an, de janvier 1506 à janvier 1507. Ville cosmopolite, Venise entretenait d’étroites relations commerciales (et culturelles) avec la Nuremberg de Dürer, et il ne devait pas être difficile pour l’Allemand de s’acclimater dans la ville ouverte sur la lagune, qui devint un terrain fertile pour ses idées, accueillies par un grand nombre d’artistes, à commencer par Giorgione lui-même, qui fut l’un des principaux points de référence de Previtali à Venise. L’élément dürerien est récurrent dans l’art de la maturité de Previtali, et la Crucifixion ne fait pas exception: le paysage a une certaine ressemblance avec celui qui apparaît sur la troisième feuille de l’Apocalypse de Dürer, celle avec saint Jean emmené au ciel, où l’on peut apprécier le même motif de la ville perchée sur une colline inclinée en diagonale vers le bas. Cependant, la ville de Dürer est fermement accrochée à une falaise, tandis que Previtali résout sa vue plus doucement, en disposant ses bâtiments le long d’une pente beaucoup moins raide et escarpée, et en diluant la vision rude de Dürer dans un paysage qui a presque une qualité pastorale.

Il convient de souligner que chez Previtali, le paysage n’est pas un simple outil narratif: il est l’un des protagonistes de ses scènes, en particulier dans ses tableaux qui s’inspirent de la peinture du nord de l’Europe. C’est un paysage qui a pour fonction d’accentuer le caractère expressionniste de ses œuvres, caractérisées, surtout dans les dernières étapes de sa carrière, par une veine dramatique forte, presque émouvante, qui est ici chargée par la nature qui entoure la crucifixion et qui semble presque participer au drame du Christ.

C’est l’œuvre d’un peintre “épris de la tache de Lotto”, affirme Cantalamessa: “on y retrouve la tache facile et résolue de Lotto”, même si elle n’est pas résolue avec la même spontanéité et la même confiance que le modèle. Cependant, Previtali est si proche de Lotto qu’avant 1886, lorsque Giovanni Morelli a rétabli avec autorité la paternité correcte du tableau, la Crucifixion était attribuée à Lorenzo Lotto lui-même. Au firmament de Previtali, cependant, c’est peut-être l’étoile de Giorgione qui brille le plus. Regardez, par exemple, le ciel nuageux: vous remarquerez une lueur à gauche, comme celle d’un éclair. Qui sait si Andrea Previtali ne s’est pas inspiré d’un tableau que les visiteurs de la Gallerie peuvent aujourd’hui admirer quelques salles plus loin: La Tempête.


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