Edoardo Persico et le pays des malentendus


Nous anticipons l'essai de Maurizio Cecchetti qui paraît dans le catalogue de l'exposition "Art et fascisme" qui se tient actuellement au Mart de Rovereto, sous la direction de Beatrice Avanzi et Daniela Ferrari, jusqu'au 1er septembre. Le volume est publié par L'Erma di Bretschneider.

Nous anticipons l’essai de Maurizio Cecchetti qui paraît dans le catalogue de l’exposition conçue par Vittorio Sgarbi Art et Fascisme qui se tient actuellement au Mart de Rovereto, sous la direction de Beatrice Avanzi et Daniela Ferrari, jusqu’au 1er septembre. Le volume est publié par L’Erma di Bretschneider, que nous remercions pour son aimable autorisation.

Francesco Di Terlizzi, Portrait d'Edoardo Persico (1932 ; huile sur contreplaqué, 42 x 32 cm)
Francesco Di Terlizzi, Portrait d’Edoardo Persico (1932 ; huile sur contreplaqué, 42 x 32 cm)

Ce que l’on peut dire immédiatement d’Edoardo Persico, presque quatre-vingt-dix ans après sa mort, c’est que son approche du problème historico-critique de l’art et de l’architecture n’a pas trouvé d’héritiers ou d’interprètes qui aient appliqué sa méthode. Pas même chez ceux qui en ont saisi la nouveauté et en ont souligné la force de persuasion. Personne, au fond, n’a poursuivi la voie tracée par Persico pour une approche métalinguistique de l’œuvre d’art. Peut-être que son esprit religieux convaincu l’en a empêché ? Ou bien le fait d’être un outsider parti de la littérature et de la philosophie a-t-il provoqué chez de nombreux architectes professionnels une réaction de rejet de sa rigueur et de sa polémique même à l’égard du rationalisme ? Quoi qu’il en soit, on ne peut nier qu’il a été le plus brillant critique militant de l’architecture moderne en Europe dans l’entre-deux-guerres. Son travail a été dirigé par une myriade d’essais dans lesquels il a donné le ton aux rationalistes italiens et a été le premier à comprendre les développements de la nouvelle architecture : Il loue très tôt le génie de Wright et de Mies van der Rohe, pose la question morale de l’architecture dans l’Europe des régimes dictatoriaux, écrit des textes capitaux tels que Punto ed a capo per l’architettura et Profezia dell’architettura qui, dans les années difficiles du fascisme, esquissent un horizon supra-historique, la tâche de l’architecte au-delà de son propre art. Comme l’a écrit Bruno Zevi, lorsqu’il parlait d’architecture, Persico pensait à autre chose, il voyait au-delà.



Si nous considérons aujourd’hui la condition historique dans laquelle Persico et le milieu artistique se trouvaient sous le fascisme, nous ne pouvons pas oublier que le Ventennio fut aussi la période dans laquelle la philosophie de crise exprima ses plus hautes méditations sur l’avenir de l’homme européen après les immenses destructions de la Grande Guerre et alors qu’un autre conflit se préparait à exploser. Il y a près d’un demi-siècle, l’historien de la philosophie Giuseppe Goisis avait inclus le critique napolitain parmi "les non-conformistes italiens des années 1930"1, lecteurs de Jacques Maritain. Le contexte était celui décrit par Croce dans Storia d’Europa, où précisément le philosophe napolitain “chante le chant du cygne du libéralisme”. Il ne fut pas le seul à suivre cette dérive : Entre les années 1920 et 1930, Huizinga avec La crise de la civilisation, Husserl avec La crise des sciences européennes, Ortega avec La rébellion des masses, et une succession de “petits-enfants” de Spengler y ont participé parmi lesquels Berl, Drieu La Rochelle, Guénon, Scheler, Eliot, Chesterton, Malaparte, Toynbee, Mounier, Berdjaev, Heidegger, et d’autres pourraient être rappelés, qui "font écho au terrible coup de la crise“. La catégorie du ”modernisme réactionnaire" en fait également partie, à sa manière. Goisis - après avoir rappelé l’étude la plus spécifique sur le débat de ces années-là, l’essai de J.L. Loubert Del Bayle sur le large éventail des non-conformistes desannées 19302 - souligne à juste titre que “pour tous ces écrivains, la grande crise est le point d’imputabilité de toute une civilisation, de toute une culture”. Les “non-conformistes” ont combattu le libéralisme et le capitalisme autant que le communisme, le fascisme et la démocratie elle-même telle qu’elle était créditée à l’étranger ; presque toutes les formes de régimes modernes étaient rejetées parce qu’elles étaient des négateurs, en tant qu’expressions des grands systèmes, de la liberté humaine et du citoyen. Persico était certainement de ceux-là3, et Goisis observe que pour tous il s’agissait d’une “révolution nécessaire”, au sens éthique, celle dont témoigne Charles Péguy pour qui “la révolution sera morale ou ne sera pas”. Dissipant les malentendus, l’universitaire italien a précisé que pour parler de l’influence de Maritain sur l’antifascisme, "il faut surtout se garder d’une vision mystique de l’antifascisme. Un antifascisme né par parthénogenèse, absolument opposé (parce que déjà constitué et compact) au fascisme, compris à son tour à la manière démoniaque d’un mal radical et, qui plus est, dépourvu de nuances et de contradictions en son sein“. Persico cite également Péguy et Maritain à plusieurs reprises. Et si les jeunes des années 30 ont soif de transcendance, ils sont des ”esprits religieux“, ce qui ressort également de certaines ”confessions“ de Persico, qui parle pour lui-même de ”catholicisme obstiné". Mais la médaille a son revers : la nouvelle aspiration au religieux favorise aussi, par exemple, l’école mystique fasciste soutenue par Arnaldo Mussolini.

La grande question historique est de faire du fascisme et de l’antifascisme un couple dialectique, comme ce fut le cas pour l’adhésion des catholiques et des laïcs (et encore plus après le Concordat). Persico, au cours de ces années, se déclara à plusieurs reprises homme de foi et de façon souvent tourmentée (comme lorsqu’en 1934 il s’avoua à lui-même : “Je sens la fin du catholicisme, le catholicisme est fini ! Pourtant, il doit vivre parce que Dieu existe”). Le fascisme n’est pas une question d’idéologie, il surgit avant même sur la boue de la Grande Guerre mêlée au sang de tant de jeunes hommes tombés au front, donc pour une question de génération, sur la conscience immature d’un peuple que Gobetti lit comme l’“autobiographie de la nation”. Cette “insuffisance” qui s’enracine dans la “servitude volontaire” remet au premier plan la question du XIXe siècle, c’est-à-dire l’occasion perdue des soulèvements du Risorgimento ; l’“enfance décisive”, où - écrit à son tour Raffaello Girolamo - “l’on s’est battu pour les droits de l’homme, pour les droits de l’homme, pour les droits de l’homme”. écrit à son tour Raffaello Giolli dans un livre impitoyable mais honnête, publié à titre posthume en 1961 chez Einaudi, La disfatta dell’Ottocento4 - le vieux monde, après les révolutions de 1848, “était sorti du XIXe siècle formidablement organisé, pour pouvoir résister, dans sa déraison, à plus d’une secousse encore. Au milieu de tant de défaites, seul ce monde de chiffons restait obstinément debout, avec la résistance passive de marionnettes de foire (...) Six ou sept trônes étaient tombés ici ; mais le cérémonial avait été sauvé”, “maintenant, dans le royaume d’Italie, les Italiens sont toujours ceux d’avant : cependant, les indisciplinés et les fantaisistes en ont été exclus”. Et Giolli de conclure : après avoir fait l’Italie, “ce ne sont pas les Italiens qu’il faut faire, mais les hommes”.5

Edoardo Persico au début des années 1930
Edoardo Persico au début des années 1930
Carte d'identité d'Edoardo Persico, 25 mai 1934
Carte d’identité d’Edoardo Persico, 25 mai 1934

C’est aussi le fil conducteur de la polémique de Persico sur les arts en Italie par rapport à l’Europe, visant les architectes et les accusant de manquer de style, une querelle dirigée, à un moment donné, contre les rationalistes du Groupe 7 et la revue “Quadrante” avec des excès d’intransigeance qui s’étendent à Terragni et à Luciano Baldessari, après que ce dernier a placé cinq cylindres de verre dans la salle d’exposition de l’immeuble.intransigeance qui s’étendit à Terragni et à Luciano Baldessari, après que ce dernier eut placé devant son Padiglione della Stampa cinq colonnes-cylindres évoquant les nouveaux propylées industriels, comme des cheminées, avec un aspect abstrait-rationnel (s’il avait vu le projet de l’architecte de Côme pour le Danteum, qu’aurait pu dire Persico de cette forêt de colonnes qui occupe la plus grande partie de l’espace ?). Claudio Pavone - historien de gauche, accusé de révisionnisme en 1991 pour avoir publié Una Guerra civile. Saggio storico sulla moralità nella resistenza -, est aussi l’universitaire qui a baptisé l’œuvre de Giolli trente ans plus tôt. Dans l’introduction, Pavone place Giolli à côté de Persico : “Dans le groupe milanais qui constituait l’un des centres non-conformistes les plus vivants de ces années-là, engagé dans la lutte contre la rhétorique du romanisme, il représentait, avec Edoardo Persico, le pôle de l’adhésion non avouée au fascisme, par opposition à l’autre groupe, formé par Giuseppe Gianfranco, qui, lui, était le premier à avoir été formé par le fascisme et le premier à l’avoir été par la suite.l’autre, formé par Giuseppe Pagano et Giuseppe Terragni, de la confiance, d’abord, et même longtemps, accordée aux éléments novateurs dont le régime se proclamait le champion” ; et Pavone de conclure en citant une pensée emphatique de Zevi sur Persico : “Il est venu à l’architecture en cherchant désespérément une civilisation”.6

Malgré la documentation dont nous disposons, depuis les premières reconstitutions de la vie et de la pensée d’Edoardo Persico tentées après sa mort dans la nuit du 10 au 11 janvier 1936, personne n’a encore été en mesure d’expliquer non seulement les zones d’ombre qui accompagnent encore sa biographie, mais aussi le tissu, ou la texture, de sa pensée, souvent considérée comme trop fragmentaire ou, pour ainsi dire, non systématique. L’historien Manfredo Tafuri a été l’un des rares interprètes à saisir le cœur d’une méthodologie “in fieri”, définissant celle de Persico comme une “critique opératoire” : “Comme les circonstances de l’action changent constamment, Persico ne prend pas soin de sauvegarder la cohérence de ses jugements dans le temps”.7

En ce qui concerne la biographie de Persico et les secrets qu’elle recèle, une grande partie de ce qui peut être dit est probablement aussi limitée par le retrait, il y a quarante ans, d’une partie des documents qui figuraient dans les dossiers des archives de Giuseppe Pagano, autrefois déposés à la Fondation Feltrinelli à Milan. Il y a quelques décennies, un appel a été lancé par Giovanna et Lorenza Pogatschnig, les filles de Pagano, et signé par des dizaines d’intellectuels, pour demander leur restitution au profit de tous ceux qui voudraient les étudier. Le coupable fut identifié comme étant l’historien de l’architecture Riccardo Mariani, qui avait demandé à la Fondation Feltrinelli de lui remettre les dossiers concernant Pagano et Persico afin d’effectuer les recherches d’où serait issue l’anthologie Persico publiée en 1977 ; cependant, en 1978, dans un entretien avec Maurizio di Puolo, il déclara que l’ensemble du dossier se trouvait encore chez Feltrinelli.8 Mystère. Après la publication par Andrea Camilleri de Dentro il labirinto (2012), sa reconstruction du “cas Persico”, en grande partie fantaisiste et basée sur le schéma littéraire du “roman policier”, ma très longue recension dans laquelle je rappelais la disparition des documents (Mariani était entre-temps décédé à Genève, où il avait vécu et enseigné pendant des années) a été suivie par un message sibyllin d’un inconnu, l’architecte Paolo Baldeschi, qui me disait d’être tranquille parce que les dossiers étaient déposés au Gabinetto Vieusseux de Florence. Si c’était vrai, cela aurait été un progrès considérable, mais mes vérifications n’ont rien donné, et les affirmations de Baldeschi ont été démenties par la réponse que j’ai reçue de la directrice de l’Institut, Gloria Manghetti.9 Un point c’est tout ?

Les moments de plus grande concentration des études consacrées à Persico remontent à l’après-guerre et se prolongent jusqu’en 1964, lorsque Giulia Veronesi édite les deux volumes qui réunissent Tutte le opere (1923-1935), publiés par les Edizioni di Comunità10; quatre ans plus tard, Veronesi elle-même édite également un volume des Scritti di architettura de Persico (Florence 1968) ; puis c’est au tour de Mariani, en 1977, de publier l’anthologie Oltre l’architettura pour Feltrinelli. Selected Writings andLetters11, un volume qui a suscité beaucoup de controverses parce que l’éditeur a remis en question certaines vérités officielles sur Persico, en particulier celle de son antifascisme. Mariani exprime sa pensée plus explicitement l’année suivante dans l’interview avec Di Puolo déjà mentionnée, où, entre autres, il réitère sa conviction que Persico doit être interprété à la lumière de son esprit religieux, “au-delà de l’architecture” précisément, et, avec une boutade journalistique, va jusqu’à faire du critique napolitain une partie d’un excellent triangle : le libéral Gobetti, le communiste Gramsci et le catholique Persico".

Les plus grands désaccords surviennent lorsque Mariani confirme son hypothèse selon laquelle la mort de Persico s’est produite dans le cercle antifasciste qui gravite autour de la “Casabella”, où Persico est désormais un leader mais doit en même temps faire face à une opposition tant externe, de la part des architectes qui n’apprécient pas sa rigueur lorsqu’il accepte de réaliser des œuvres créées sur ordre du régime, qu’interne, de la part des architectes italiens qui n’apprécient pas sa rigueur lorsqu’il accepte de réaliser des œuvres créées sur ordre du régime. Le critique a été victime d’une attaque en règle de la part des architectes italiens qui n’ont pas apprécié sa rigueur lorsqu’il a accepté de réaliser des œuvres créées sur ordre du régime ; autant qu’à l’intérieur, de la part de ceux qui, Pagano lui-même, ont dû ensuite recoller les morceaux par rapport à la critique de Persico envers les représentants de l’architecture du régime (à son épouse Sira, le 14 novembre 1933, comme preuve d’un lourd climat en cours à son égard, le critique a avoué : “Sachez cependant que ma position à ”Casabella“ est très menacée : je ne resterai pas longtemps parce que la revue ne va pas...”).

Deux couvertures du magazine Casabella
Deux couvertures de la revue Casabella
Graphisme intérieur pour le magazine Casabella
Graphisme intérieur du magazine Casabella
Résumé de Casabella, février 1934
Résumé de Casabella, février 1934
Edoardo Persico, Couverture et deux pages du volume Arte romana (1935)
Edoardo Persico, Couverture et deux pages du volume Arte romana (1935)
Rédaction de Casabella, bureau de Persico, sur les murs des photos d'Arte Romana
Rédaction de Casabella, bureau de Persico, sur les murs photos d’Arte Romana

Alors que la parabole de Persico s’achève, en éditant le supplément Arte Romana de “Domus” en décembre 1935, c’est-à-dire quelques semaines avant sa mort, Persico est très mal à l’aise et avoue à Giulia Veronesi qu’il s’est trompé de voie, qu’il craint pour son image et sa moralité : “Ce travail restera comme une tache sur ma vie. Je n’aurais pas dû m’en occuper”.12 En réalité, il s’agit d’un chef-d’œuvre éditorial et d’un exemple très élégant de contre-culture critique et visuelle ; et pourtant, Persico a été macéré. Et pourtant, Persico a été macéré. Pourquoi ? Le thème“, écrit Veronesi, ”avait été choisi dans l’esprit “romain” de l’époque, par la maison d’édition Domus“ et Persico ”en avait fait une œuvre subtile d’opposition à la rhétorique actuelle“. L’historienne de l’art Anna Maria Brizio le confirmait déjà en 1936 : ”C’est une autre bataille menée en faveur de la nécessité de restaurer des critères unitaires pour le jugement de l’art, contre l’inadéquation des méthodes archéologiques actuelles. C’est aussi une affirmation de la modernité (...) aiguisant les armes pour défendre des formes particulièrement chères à notre sensibilité".13 En réalité, ce volume fait suite à l’extraordinaire architecture “éphémère” de la Sala delle Medaglie d’oro de l’Exposition de l’“Aeronautica italiana” (1919) et à la publication d’un livre sur l’histoire de l’art.Aeronautica italiana (1934) et de la construction métallique publicitaire pour le Plebiscito de la Galleria Vittorio Emanuele de Milan (1934), où Persico, en collaboration avec Nizzoli, avait atteint des sommets absolus de modernité et de poésie, tout en “célébrant” les institutions du Régime, ce qui avait suscité le mécontentement de certains antifascistes. Persico, peut-être, était considéré comme un agent double par ces opposants. Tout dans ses propos semble pourtant témoigner du contraire. Après ces œuvres, même le Salone d’Onore de la VIe Triennale en 1936, apothéose rationaliste, aurait suffi à dissiper les soupçons qui auraient pu naître (mais il mourut avant de la voir réalisée). Gino Severini, en commémorant la mort de Persico, l’avait placé du côté de ceux qui choisissent des positions inconfortables, “exposées à tous les vents, à tous les assauts des courants contraires”.14 Il est difficile de nier que l’attitude même de Persico ait pu susciter quelques doutes, dans une conduite ambiguë qui traînait depuis sa jeunesse à Naples : Persico, homme de mystères ? Sa propre mort est ironiquement qualifiée de “mystérieuse” dans le rapport de police.

On peut donc supposer qu’un volume comme celui sur la sculpture romaine a pu faire déborder le vase de la patience de ceux qui ne toléraient pas cette manière sophistiquée de critiquer, y voyant une véritable trahison de l’antifascisme. Il suffit de rappeler, dans ce sens, la position intransigeante d’Attilio Rossi, qui refusa de publier les affiches du Plébiscite étudiées par Persico et Nizzoli dans la revue “Campo Grafico” et qui, en 1983, dans le livre célébrant l’anniversaire de la revue (1933-1939), en donna la raison suivante : “Nous étions opposés au fait que les affiches du Plébiscite, étudiées par Persico et Nizzoli, aient été publiées dans la revue ”Campo Grafico“ : ”Nous étions opposés au fait que le graphisme moderne, moyen de communication très efficace, serve à répandre des mensonges".15 C’était certainement un choix cohérent à l’époque, mais Veronesi, dans l’essai Difficultés politiques de l’architecture en Italie (1920-1940), brisa une lance pour Persico en observant qu’il “croyait, comme peu de gens, à l’influence que le goût ambiant exerce sur les coutumes ; il croyait à la force persuasive, ainsi que symbolique, de la ”forme“ qui implique un contenu moral”.16 C’est sur cette base que Persico a fondé sa maïeutique : le style, c’est l’homme lui-même, pas une idéologie formelle.

Cependant, les nouveautés qui apparaissent après plus d’un demi-siècle d’études sur le “cas Persico” sont minimes par rapport à ce que l’on savait - ou aurait pu savoir - immédiatement après sa mort : Mariani, avec une certaine nonchalance, déclarait en 1978 dans un entretien avec Di Puolo qu’un climat d’omertà prévalait, laissant entendre que le fait de s’être intéressé à la mort de Persico lui avait aussi causé quelques difficultés en tant qu’universitaire ; et parlant d’un “giallo”, il le comparait à un nouveau “cas Majorana”. Mais pourquoi Persico serait-il encore si gênant aujourd’hui ? Selon Mariani, ce sont les circonstances floues de la mort du critique qui ont fait tomber le rideau du silence parmi ceux qui l’ont connu, en dehors des messages de condoléances : peut-être y avait-il des responsabilités qui, près d’un siècle après l’événement, jetaient encore une ombre sur la réputation de quelqu’un ? Ce n’est pas un secret que Persico voyait d’un mauvais œil les faiblesses de l’antifascisme. Pour Mariani, le problème était “l’ordre qu’il opposait au désordre, et le désordre aussi des antifascistes qui faisaient de l’antifascisme sans se souvenir d’un ordre spécifique”. Gramsci se réfère à un ordre qu’il présuppose, qu’il invente, qu’il conçoit. Les autres ne se référaient à rien, ils étaient contre quelque chose, mais ils n’ont pas eu le temps ni la capacité intellectuelle de créer un système alternatif au fascisme“. C’est ce même reproche que Persico, en tant que critique d’architecture, adressait le plus souvent aux ”rationalistes“ italiens, incapables, à la manière de Gobet, de ”croire en des idéologies précises“, c’est-à-dire ”l’épineux problème de la vie italienne“. Un thème que Giolli, qui entretenait des relations dialectiques étroites avec Persico, a également abordé. Dans l’immédiat après-guerre, ce fut l’un des thèmes les plus récurrents, avec les changements soudains de barricade de ceux qui avaient été fascistes, et que l’on appelait pour cette raison les ”renégats" ; pour de nombreuses raisons, il s’agit toujours d’un passé qui ne disparaît pas, même aujourd’hui.

Edoardo Persico, Marcello Nizzoli, Sala delle Medaglie d'Oro, Exposition italienne d'aéronautique (1934, Milan, Triennale)
Edoardo Persico, Marcello Nizzoli, Sala delle Medaglie d’Oro, Exposition aéronautique italienne (1934, Milan, Triennale)
Edoardo Persico, Marcello Nizzoli, Construction publicitaire pour le plébiscite du 25 mars 1934 (1934, Milan, Galleria Vittorio Emanuele)
Edoardo Persico, Marcello Nizzoli, Construction publicitaire pour le plébiscite du 25 mars 1934 (1934, Milan, Galleria Vittorio Emanuele)
Edoardo Persico, Marcello Nizzoli, magasin Parker à Milan (1934)
Edoardo Persico, Marcello Nizzoli, Magasin Parker à Milan (1934)
Edoardo Persico, Marcello Nizzoli et Giancarlo Palanti, Projet pour la salle d'honneur (1936, Milan, Triennale)
Edoardo Persico, Marcello Nizzoli et Giancarlo Palanti, Projet pour la salle d’honneur (1936, Milan, Triennale)

Notes

1. Aa.Vv., Jacques Maritain e la società contemporanea, édité par R. Papini, Milan 1978 (= Actes du colloque organisé par l’Institut international J. Maritain et la Fondation Giorgio Cini, Venise 18-20 octobre 1976, G. Goisis, Maritain et les “non-conformistes” italiens des années 30, pp. 181-203).

2. J.L. Loubert Del Bayle, I non conformisti degli anni 30ta, Roma 1972.

3. Bien qu’il faille noter son statut de dandy napolitain, ou plutôt - comme l’a écrit Francesco Tentori dans ce qui doit être considéré comme l’un des plus désenchantés et en même temps capable de mettre en valeur le génie du critique, Edoardo Persico. Grafico e architetto (Clean, Naples 2006), où il note son “snobisme aristocratique de la haute bourgeoisie”, p. 7, il ne faut pas cacher qu’en plus de ses énormes mérites, Persico était aussi “un formidable, incroyable, imaginatif conteur de balles en service permanent (assisté très efficacement, après sa mort, aussi par sa femme Cesira/Sira Oreste)”, p.17. Le sujet le plus débattu reste celui des voyages imaginaires dans différentes capitales, jusqu’à Moscou, dont les preuves sont encore peu nombreuses et improbables.

4. R. Giolli, La disfatta dell’Ottocento, Turin 1961 (édité par R. Giolli) ; introduction C. Pavone.

5. Ibid, pp. 322-323 ; 326.

6. C. Pavone, in R. Giolli, op. cit, introduction, p. XIV.

7. M. Tafuri, Teorie e storia dell’architettura, Bari-Roma 1968, n° 26, p. 184.

8. Edoardo Persico 1900-1936 : autographes, écrits et dessins de 1926 à 1936, catalogue d’exposition (Rome, Galleria A.A.M., Architettura Arte Moderna, janvier 1978, édité par M. di Puolo, Arti grafiche Privitera, p. 79.

9. A. Camilleri, Dentro il labirinto, Skira, Milan 2012. En réponse à ma demande de clarification, Mme Gloria Manghetti m’a écrit : “Cher Docteur, Riccardo Mariani a contacté l’Institut il y a plusieurs années pour voir s’il y avait des conditions pour un legs de l’ensemble de ses archives à prendre en considération. Cependant, l’accord nécessaire n’a pas été trouvé avec le directeur de l’Institut de l’époque et, par conséquent, les papiers Mariani, qui comprenaient également les dossiers Persico, n’ont pas été reçus”. Le même directeur m’a rappelé par la suite qu’"en 1980, une rencontre et une exposition [Palazzo Strozzi, 22 mars-12 avril] intitulée Persico-Pagano : utopie et pratique de l’architecture dans les années 30 a été organisée par la GV". Le dépliant accompagnant l’exposition, 8 pages imprimées par Arti Grafiche C. Mori, édité par R. Mariani, comportait un index comme suit : "Persico : oltre l’architettura; Dal diario di Giuseppe Pagano ; Appunti per un programma edilizio nel dopoguerra".

10. E. Persico, Tutte le opere (1923-1935), édité par G. Veronesi, 2 volumes, Edizioni di Comunità, Milan 1964.

11. E. Persico, Oltre l’architettura. Sélection d’écrits et de lettres, édité par R. Mariani, Feltrinelli, Milan 1977.

12. G. Veronesi, Difficoltà politiche dell’architettura in Italia (1920-1940), Politecnica Tamburini, Milan 1953, p. 108.

13. Aa.Vv., Edoardo Persico. Testimonianze e memorie, édité par Achille Lucini, Milan 1936.

14. G. Severini, Umanismo di Persico, in “L’Orto”, Anno V, n. 6, Bologne, novembre-décembre 1935 - XIV. La revue est probablement parue en janvier 1936, à temps pour annoncer la mort de Persico ; en ce qui concerne la date de parution, il s’agirait d’une incohérence.

15. Voir P. Rossi, Attilio Rossi, Edoardo Persico. Un piccolo mistero editoriale del 1936, s.n., s.l. 1999. En revanche, le typographe Guido Modiano, qui assista Persico dans la création du nouveau graphisme pour “Casabella” et pour d’autres initiatives éditoriales, écrivit à propos du volume Arte Romana que pour “nous, les professionnels, [c’était] le testament esthétique du plus grand génie qui ait travaillé dans la typographie pendant des années” (F. Tentori, op.cit., p.74).

16. G. Veronesi, Difficultés politiques de l’architecture en Italie, op.cit. p. 112.


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