Visiter l’atelier d’un artiste, c’est avoir le privilège d’être invité dans un jardin secret, dans lequel il faut entrer sur la pointe des pieds pour ne pas perturber la germination souterraine des œuvres à venir, qui y planent à l’état de simple potentiel. Le sentiment d’attente que l’on ressent est l’écho de leur oscillation chuchotante entre le royaume éthéré des intuitions et les matériaux bruts qui donneront bientôt corps à leur manifestation à travers le geste par lequel l’artiste déclenchera la rencontre entre ces deux dimensions. Jamais, comme dans le cas de Davide Benati (Reggio Emilia, 1949), l’image du jardin n’est plus appropriée, son atelier étant un lieu d’incubation dans lequel les formes fleurissent littéralement, puis s’épanouissent, se déposant comme une empreinte chromatique sur un humus de papier et de toile avec lequel elles partagent une insaisissable ascendance végétale. Depuis plus de quarante ans, l’artiste, aujourd’hui protagoniste d’une grande exposition personnelle au Palazzo da Mosto de Reggio Emilia qui retrace son parcours depuis le début des années 1980, s’inspire des formes de la nature qu’il épure, synthétise et transfère dans un ailleurs chromatique et lyrique où le naturalisme n’est plus qu’une lointaine réminiscence. C’est précisément à l’occasion de cette exposition que Benati a ouvert les portes de l’atelier dans lequel il a transféré son travail en 2020, situé à Reggio Emilia dans la Via Emilia Santo Stefano, une déclinaison piétonne de l’artère romaine reliant Rimini à Piacenza.
L’artiste s’y rend tous les jours tôt le matin, au terme d’une promenade qui coïncide avec le trajet qu’il empruntait, enfant, lorsque, après un trajet en bus, il arrivait en ville depuis la campagne pour se rendre au collège. Son processus créatif commence par cette flânerie dans l’auscultation sensible des signes inscrits dans les choses que le destin ou le hasard offrent au regard, une aptitude ancestrale chez lui aiguisée surtout après ses voyages en Orient, d’où proviennent les principales agniptions qui sous-tendent sa poétique. Le véritable travail commence lorsqu’il ouvre la fenêtre de l’atelier pour laisser entrer l’air et la lumière qui donnent vie à ses visions dans l’espace. “Je travaille toujours avec la lumière naturelle, même quand elle n’est pas là”, dit Benati, et la lueur voilée d’un matin d’hiver inonde les deux tableaux que nous trouvons dans l’antichambre de l’atelier. La première est une gravure sur toile à l’huile et au papier népalais de la série Segreta (1998), dans laquelle les contours noirs de l’entrée mystérieuse d’une pièce obscure émergent comme une apparition d’un fond vaporeux rougeâtre, de la même couleur que les robes des moines bouddhistes. Le dessin provient d’une empreinte de frottage de l’entrée d’un autel sacré qu’il a trouvé dans une ruelle délabrée de Katmandou, lieu qui, plus que tout autre, a marqué le destin de son aventure créatrice.
Sa fascination pour le Népal remonte au voyage qu’il y a effectué en 1977 lorsque, enseignant à l’école supérieure d’art de Brera, il a décidé, dans un moment de désorientation, de regarder vers l’Est en réaction à son éloignement existentiel du climat tendu des années de plomb et de chercher une nouvelle orientation pour son art. Benati est le fils d’une génération omnivore qui, à l’époque, en Italie, se mesurait aux paupéristes conceptuels ou aux peintres analytiques, engagés dans une réflexion sur les outils de la peinture et dans la recherche de son degré zéro, tandis qu’outre-Atlantique arrivaient les puissants stimuli, de signe opposé, de l’Action Painting et du Pop Art. Comme ses collègues, l’artiste veut expérimenter le plus possible, soutenu en cela par la formation solide et polyvalente qu’il reçoit à l’institut d’art et qui l’initie aux secrets de toutes les techniques possibles, de l’aquarelle à l’huile en passant par la fresque et la détrempe murale. L’Académie qu’il fréquente à Brera ne le satisfait pas, il trouve son enseignement détaché des questions plus actuelles de l’art, et à Milan, où il s’est installé en 1968, il tente de s’approprier les techniques des nouveaux artistes qu’il côtoie. Mais le point de départ du tournant fut le souvenir du pont Langlois à Arles peint par Van Gogh, vu dans son enfance dans le catalogue acheté par son père de l’exposition du peintre hollandais tenue en 1952 au Palazzo Reale de Milan, où l’influence de l’art japonais, qui au XIXe siècle “a clarifié beaucoup d’idées pour les jeunes artistes occidentaux”, était forte.
Le concept qui le guide au Népal est celui, jamais abandonné dans toutes ses recherches ultérieures, de continuer à penser que le pont Est-Ouest est actif et d’en chercher les signes dans ce qu’il voit autour de lui. Et c’est précisément lors de ce premier voyage à Katmandou (qui sera suivi de ceux de 1984 et 1995), le long de la route, aux étals des vendeurs de souvenirs de rue, qu’il rencontre le papier qui va révolutionner sa production artistique, un matériau pauvre, utilisé pour les colis ou pour l’impression xylographique de modestes calendriers, mais fabriqué à la main selon une technique très ancienne à partir de bambou et de fibres de riz. Il nous en montre une feuille impalpable, d’une fabrication raffinée que l’on appelle aujourd’hui “papier de soie” et que l’artiste achète encore à ses vendeurs népalais de confiance. Elle est presque transparente, d’un blanc atmosphérique qui semble fait pour retenir la lumière, très légère, tissée d’une texture irrégulière qui présage à elle seule d’une multitude infinie d’images. Ce n’est pas un papier fait pour la peinture, ni même pour l’aquarelle, car il est très fragile lorsqu’il est humidifié et épuisé par la couleur. C’est pourquoi, dans un premier temps, l’artiste n’ose y apposer que des marques légères et circonscrites, laissant les feuilles flotter dans le vide “comme des feuilles dans le vent”. Au fil du temps, l’intention de faire ressortir les formes qu’il entrevoit en elles se précise en lui, et pour cela il a besoin d’un support capable d’accueillir plus de peinture. À partir d’un certain moment, le papier est donc collé en deux couches sur une toile préparée avec deux couches de blanc, se transformant ainsi en une sorte de glacis matériel, comme le “tonachino” de la fresque sur lequel il faut peindre sans arrière-pensée.
Dans l’atelier, effleurée par une lumière rasante qui en révèle la porosité et les veines, nous trouvons une grande toile prête à peindre appuyée verticalement contre le mur, que d’aucuns pourraient considérer comme une œuvre achevée. Afin d’explorer cette surface fertile en événements à venir, Benati imagine de peindre les formes inhérentes à la trame de cet herbier distillé et commence à travailler sur la répétition des silhouettes de la nature. Le renforcement du papier avec de la toile donne aux images texture et profondeur, sur cet épiderme il peut passer le pinceau des centaines de fois car le papier absorbe et se comporte comme une fresque. Cette préparation permet de superposer l’aquarelle en transparence jusqu’à ce qu’elle devienne un corps, transformant une technique rapide en un processus qui peut être prolongé pendant des mois et dont on peut voir toutes les étapes d’évanouissement. C’est comme si le regard pénétrait l’image dans ses voiles plus ou moins imbibés de couleurs et percevait “tactilement” ses différents degrés de saturation. Entre-temps, les formes de la surface jouent et dansent comme des notes de musique, laissant la référence à la matrice naturaliste s’estomper dans une tonalité chromatique très élégante, qui conserve encore idéalement le parfum de la nature. Les fleurs de nénuphar, les feuilles de nénuphar, les capsules dénoyautées contenant des graines de pavot et bien d’autres espèces botaniques à reconnaître deviennent alors le prétexte à la mise au monde de formes ambiguës, ouvertes à une pluralité de lectures. Si une fleur peut être considérée à la fois comme œil, sexe, méduse ou regard, elle est toujours un spécimen irremplaçable de beauté absolue dans ce qu’elle a d’instable et de tendu.
Le deuxième tableau accroché dans l’atelier est un triptyque de la série Encantadas, dans lequel une pente polycentrique de flashs de couleur dans différentes nuances de violet et de bleu, évoquant presque un environnement sous-marin, semble vivre grâce aux infiltrations capillaires d’une lumière qui est en réalité un délicat affleurement de matière. Cette esthétique incarne de manière exemplaire la rencontre de deux courants visuels, l’oriental avec ses équilibres de pleins et de vides, et l’occidental avec sa sagesse coloristique et l’évocation d’une spatialité qui dépasse le plan du support. Le titre est un hommage à la nouvelle éponyme d’Herman Melville, dans laquelle sont désignées sous ce nom les îles Galápagos, archipel trompeur où vivent des créatures monstrueuses, apparitions fatales dans le brouillard qui “remettent en question notre façon de voir les choses”.
La perfection de ce résultat est l’aboutissement d’un long processus de traitement de l’image, à partir du moment où une feuille ou une couleur aperçue par hasard résonne en lui comme une source de formes et de signaux à retravailler d’un point de vue idéationnel, en premier lieu à travers une foule de petits dessins (conservés dans des boîtes), parfois exécutés de manière automatique et réfléchie, qui deviendront les matrices de l’idée. La composition est ensuite structurée de manière plus concrète dans une série d’aquarelles sur papier Fabriano de plus grand format dans lesquelles se trouve déjà la définition de l’œuvre en termes de balayage des espaces, de choix des couleurs et de positionnement réciproque des formes.
Nous nous approchons de sa table de travail, une planche de bois soutenue par deux chevalets sur lesquels les actions picturales dépassant le format des papiers ont laissé une superposition harmonieuse de traces diluées dans le temps : chaque passage du pinceau est en effet horizontal pour éviter les coulures indésirables et permettre à l’artiste de maîtriser physiquement l’espace, qu’il interprète comme le théâtre d’infinies variations de gestes simples mais précis issus de l’étude des calligraphes. Nous feuilletons un album de ces aquarelles réalisées à l’étape de la conception, où l’œuvre est pleinement établie dans un format plus petit, avec une tonalité de couleur plus vive et plus superficielle en raison de la composition différente du papier. Benati explique qu’à ce stade “l’œuvre est faite, dans sa tête”, mais qu’avant de passer à la toile où il n’a pas le droit à l’erreur, il doit mémoriser le rythme et l’intensité des gestes nécessaires pour reproduire exactement son image mentale.
Il étale une feuille blanche sur la table, puis plonge un pinceau chinois large et plat dans un seau de peinture (posé avec beaucoup d’autres sur une étagère derrière lui). Quelques touches synthétiques, jouant toutes sur l’inclinaison du pinceau par rapport au plan et sur la libération contrôlée de l’eau dont les poils sont imprégnés, font surgir de la surface apparemment muette quelques-unes des formes les plus récurrentes de son vocabulaire expressif, déjà frémissantes d’humidité, s’épaississant et se voilant. En assistant à l’apparition de ces ectoplasmes imaginatifs, nous comprenons comment, dans son travail, même de légères différences de pression et de permanence de la couleur peuvent bouleverser le climat de l’image, en donnant naissance à des habitats visuels complètement différents, même si les mêmes formes sont utilisées. "Dans ce jeu, dit-il, tout est une chasse, le souci est toujours d’avoir un équilibre interne, des rythmes, de la clarté, parfois des incertitudes. Ce qui se passera finalement sur la toile n’est donc jamais le simple transfert d’une esquisse préétablie, mais un dialogue vivant avec la matière qui fera advenir quelque chose qui, dans les aquarelles sur papier, n’est pas encore définitif, en le menant à son terme.
C’est à contrecœur que nous nous préparons à quitter cet hortus conclusus, où les pensées semblent s’affiner tandis que les émotions se déversent avec légèreté dans le tableau. Avant de prendre congé, notre regard s’attarde sur le seuil des autres salles reliées au couloir d’entrée (où nous ne sommes pas admis) où nous apercevons de loin d’autres tables de travail et de nombreux tableaux, tous adossés au mur de manière à en montrer le dos, sur lequel on peut lire des annotations manuscrites concernant le titre et l’année de création. Certaines sont enveloppées dans un plastique protecteur, d’autres en sont dépourvues, signe, on s’en doute, de la relation constante que l’artiste entretient avec elles. Au sujet de la synchronicité constitutive de son œuvre, Benati nous dit : “De temps en temps, il arrive que l’on oublie des œuvres que l’on a réalisées en attendant que quelque chose se produise et elles semblent avoir vieilli, mais lorsqu’on les retrouve après un certain temps, elles semblent à nouveau actives : on les regarde à nouveau et l’on se rend compte qu’elles nous attendent. Pour moi, la peinture est un processus continu d’entrée, de sortie et de retour à l’œuvre. Parfois, je regarde mes peintures et il ne se passe rien, parfois j’entends un son qui m’alarme et je me demande : que peut-il se passer de nouveau ? C’est un grand jeu qui pousse à croire à des moments qui sont en quelque sorte barbares”.
Nous repartons en jetant un coup d’œil un peu voyeur aux rayons de la librairie, encombrés de textes littéraires et artistiques, ainsi que de cartes imprimées en guise d’invitations aux nombreuses expositions qu’il a organisées au fil des ans, signe tangible de la cohérence de sa recherche, à laquelle la maturité a conféré de la plénitude sans laisser de traces de fatigue. L’invitation est maintenant de se plonger dans son exposition personnelle à Reggio Emilia, une occasion précieuse offerte par la Fondazione Palazzo Magnani d’habiter du regard son univers visuel multiforme, en retraçant sa formation dans un voyage véritablement “ enchanté ”, résultat d’une recherche que le commissaire Walter Guadagnini définit à juste titre comme “ isolée mais parmi les plus significatives de l’art italien du début du siècle ”.
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