Le 29 janvier 1240, l’empereur et roi de Sicile Frédéric II de Souabe (Jesi, 1194 - Fiorentino di Puglia, 1250) écrit une lettre de Gubbio à Riccardo da Montefuscolo, Giustiziere della Capitanata (c’est-à-dire le fonctionnaire qui représentait le souverain à Capitanata une des subdivisions administratives du royaume de Sicile, correspondant à peu près à l’actuelle province de Foggia), dans laquelle il commandait l’actractus “pro castro quod apud Sanctam Mariam de Monte fieri volumus”, c’est-à-dire “pour le château que nous voulions construire près de Santa Maria del Monte”. On ne sait toujours pas à quoi se réfère le terme actractus (peut-être un plancher, ou une couverture, ou peut-être simplement un terme désignant un matériau de construction: en somme, on ne sait pas si les travaux commençaient ou étaient en voie d’achèvement), mais il n’en reste pas moins que cette missive de 1240 est le premier document connu concernant le château le plus intéressant de Frédéric, ainsi que l’un des monuments les plus célèbres des Pouilles et de toute l’Italie méridionale: le Castel del Monte. L’imposant édifice est ensuite cité dans un document rédigé entre 1241 et 1246, connu sous le nom de Statutum de reparatione castrorum, dans lequel sont énumérés les châteaux qui devaient être réparés par les communautés de référence: Castel del Monte, présenté comme un édifice déjà achevé, est à nouveau cité comme castrum, un terme utilisé dans les documents de l’époque pour désigner les forteresses militaires ayant des fonctions purement défensives.
Pourtant, depuis des décennies, les chercheurs s’interrogent (et continuent de s’interroger) sur la fonction de ce château octogonal très particulier. Certains ont contesté une éventuelle fonction défensive du Castel del Monte: ceux qui soutiennent cette thèse s’appuient sur le fait qu’il n’y a pas de mur autour du bâtiment, qu’il n’y a pas de fossé ou de pont-levis, qu’il n’y a pas de positions de défense appropriées (par exemple pour les archers), et ainsi de suite. Raffaele Licinio, l’un des plus grands médiévistes italiens et l’un des plus grands spécialistes de Frédéric II, a toutefois contesté cette théorie en soulignant qu’il existait au Moyen Âge des châteaux sans pont-levis ni mur d’enceinte, mais qui n’avaient pas pour autant perdu leur fonction défensive et militaire (Licinio a même souligné que...), en ce sens, Castel del Monte “paie un lourd tribut à l’image du château médiéval qui est en quelque sorte l’enfant de Walter Scott et des romans historiques du XIXe siècle, dont le décor a été repris, popularisé par le cinéma et finalement imposé comme une reconstitution historique vraisemblable, sinon authentique”). Le château possédait toutefois des structures de défense: certains documents anciens (l’un de 1289 et l’autre de 1349) mentionnent, par exemple, la présence d’un mur d’enceinte à l’extérieur de l’octogone, qui a été détruit par la suite. C’est pourquoi les hypothèses les plus diverses ont été proposées: certains l’ont considéré comme une résidence de plaisance ou un pavillon de chasse, d’autres comme une salle d’audience impériale, d’autres encore comme un labyrinthe ou un édifice purement esthétique sans véritable fonction, certains sont même allés jusqu’à le considérer comme un temple pour des rites ésotériques, un centre d’observations astronomiques ou une sorte de grand hammam médiéval, un lieu de cures thermales.
Récemment, l’historien Massimiliano Ambruoso, grâce à quelques-unes de ses études, a démenti toutes les hypothèses les plus fantaisistes, des plus ésotériques à celle qui voudrait que Castel del Monte soit une station thermale: Par souci de concision, on peut dire que ces hypothèses ne sont toujours étayées par aucun document, qu’elles sont le résultat d’élaborations fantaisistes souvent hors de propos, impossibles à prouver, parfois totalement indifférentes au contexte historique de référence et dépourvues de toute autre preuve (par exemple, il n’a jamais existé à l’époque de château faisant également office de station thermale, et la présence de conduites d’eau, que l’on trouve dans tous les châteaux médiévaux, n’est pas une raison suffisante pour faire de Castel del Monte une station thermale du XIIIe siècle). Bien entendu, toutes les théories liant Castel del Monte à d’improbables recherches de Graal ont également été écartées, ne serait-ce que parce que la présence des Templiers à Capitanata n’est pas attestée et que les relations entre les chevaliers et Frédéric II n’étaient pas au beau fixe. Quelle est donc la théorie la plus probable concernant l’utilisation et l’utilité de Castel del Monte? Cela va peut-être de soi, mais dans les documents médiévaux, l’édifice est toujours cité comme castrum, château, ce qui devrait dissiper tout doute sur des destinations alternatives telles que spa, temple, observatoire astronomique ou autre (si c’était le cas, les documents n’auraient pas utilisé le terme castrum): il est tout à fait probable, comme l’a suggéré Ambruoso, que Castel del Monte ait eu pour fonction de renforcer le système de châteaux de Frédéric, qui faisait plutôt défaut dans les environs de Santa Maria del Monte.
En effet, Frédéric II est également connu pour avoir promu un programme profond et exigeant de consolidation du réseau de châteaux de ses terres du sud de l’Italie, soit avec des fortifications construites ex novo, soit avec la modernisation d’anciennes forteresses normandes: l’objectif principal était de créer un contrôle fort sur le territoire. Ce qui est nouveau, cependant, c’est que les châteaux de Frédéric combinent le plus souvent fonctionnalité et réflexion sur leur apparence: ils doivent être très communicatifs. Et comme les châteaux de Frédéric n’avaient pas seulement des fonctions défensives, mais étaient le plus souvent aussi des résidences ou des sièges de représentation, la fonction de Castel del Monte était peut-être double. En outre, si Castel del Monte était une place bien défendue, nous pouvons également supposer que, peu après la mort de Frédéric II, il a également été utilisé comme prison: nous savons, grâce à des documents, que le fils de Frédéric II, Manfred de Hohenstaufen(Venosa, 1232 - Benevento, 1266) y a fait emprisonner l’un de ses seigneurs féodaux, Marino da Eboli (ainsi que son fils Richard), accusé de rébellion. Et il semble qu’après la bataille de Tagliacozzo, qui marqua la chute définitive des Souabes en Italie, les fils de Manfred y furent également emprisonnés. Il est donc évident qu’un château n’aurait pas pu servir de prison s’il n’était pas considéré comme suffisamment sûr. Sans compter qu’il a également servi de forteresse militaire par la suite. Si Castel del Monte nous paraît aujourd’hui isolé, il se trouvait à l’époque près de la route qui reliait Andria et Garagnone, une ancienne forteresse, aujourd’hui en ruines, près de Gravina dans les Pouilles: il s’agissait à l’époque d’une route très fréquentée pour le commerce et les communications (Andria et Gravina étaient d’ailleurs deux des principaux centres de la domination de Frédéric dans le sud de l’Italie: Gravina était la capitale du Giustizierato di Terra di Bari, et Andria l’une des principales villes de la Capitanata), et la position du Castel del Monte (au sommet d’une colline de plus de cinq cents mètres) était donc résolument stratégique à l’époque.
Castel del Monte. Ph. Crédit Francesco Bini |
Castel del Monte vu de loin au sommet de la colline |
Salle à l’intérieur du Castel del Monte. Ph. Crédit Francesco Bini |
Miniaturiste anonyme, Portraits de Frédéric II et Manfred, d’après le manuscrit de Frédéric II De Arte venandi cum avibus (vers 1260 ; manuscrit enluminé sur parchemin, ms. Pal. Lat. 1071, fol. 1r ; Cité du Vatican, Bibliothèque du Vatican) |
Emanuele Caggiano, Statue de Frédéric II, détail (1887 ; marbre ; Naples, Palazzo Reale) |
D’où viennent donc les hypothèses les plus farfelues sur le Castel del Monte? C’est évidemment la forme du château qui joue en faveur des interprétations les plus étranges. Construit en pierres de taille calcaires sur un monticule rocheux, Castel del Monte a une forme octogonale massive: une tour, également octogonale, se dresse à chaque angle, et nous retrouvons la même forme dans la cour intérieure, où les colonnes et les portails sont en brèche de corail, une pierre de couleur rougeâtre qui crée un contraste frappant avec les couleurs blanches du calcaire. Enfin, dans le passé, le château a dû avoir plusieurs décorations en marbre blanc, qui ne subsistent que partiellement aujourd’hui. Le château comprend deux étages, chacun composé de huit pièces (seize au total) de forme trapézoïdale, couvertes de voûtes d’ar êtes sur la place centrale, avec des colonnes également en brèche de corail, et de voûtes ogivales en berceau dans les espaces d’angle (il est intéressant de noter que les clefs de voûte sont toutes différentes). Pour monter d’un étage à l’autre, les concepteurs ont inséré des escaliers en colimaçon, également à marches trapézoïdales, dans trois des huit tours (les autres ont une fonction pratique: citernes pour l’eau de pluie, salles de bains et toilettes, plutôt inhabituelles pour l’époque mais que l’on retrouve également dans d’autres châteaux de Frédéric, et logements des soldats). L’étage supérieur se caractérise également par des fenêtres à meneaux à deux lumières (ainsi qu’une fenêtre à triple lancette) et des voûtes plus fines, ce qui rend les pièces de l’étage supérieur plus élégantes que celles de l’étage inférieur. L’entrée se compose d’un grand portail à pignon, précédé de deux volées d’escaliers symétriques.
Il n’est pas certain que le choix de l’octogone n’ait pas un caractère symbolique, mais s’il en avait un, il n’aurait rien à voir avec d’étranges rites ésotériques ou un obscur symbolisme astral: Certains ont rattaché la forme à un symbolisme solaire, d’autres ont vu dans l’octogone une référence à l’auréole symbolisant la sainteté, tandis que certains érudits ont rapproché la forme du château de celle de la couronne impériale, théorie qui semble actuellement la plus probable (la couronne du Saint-Empire romain germanique, aujourd’hui conservée à laHofburg de Vienne, est en effet de forme octogonale). Il faut toutefois préciser qu’il n’est pas possible d’établir avec certitude la signification de l’octogone: on ne peut même pas exclure que Castel del Monte ait voulu rompre avec la forme carrée plus traditionnelle typique des autres forteresses, ou qu’il s’agisse simplement d’une préférence personnelle de l’empereur. Un détail qui pourrait toutefois exclure les interprétations hâtives est le fait que Castel del Monte n’est pas le seul bâtiment octogonal de l’époque: il existe en effet d’autres précédents. Le plus illustre est la chapelle palatine d’Aix-la-Chapelle: construite à la fin du VIIIe siècle, elle fait écho à des édifices octogonaux antérieurs (comme la basilique de San Vitale à Ravenne ou celle de San Lorenzo à Milan), et Frédéric II la connaissait bien puisqu’il y fut couronné en 1215. Il existe également des tours octogonales d’origine islamique (comme la Torre dell’Alcázar à Jerez de la Frontera, construite par les Arabes au XIIe siècle, ou la Torre de Espantaperros à Badajoz, en Estrémadure), ainsi que des châteaux octogonaux construits dans les fiefs des Hohenstaufen, bien qu’aucun ne soit aussi bien conservé que Castel del Monte: Les exemples du château de Hugstein, près de Guebwiller, et de celui d’Eguisheim, tous deux en Alsace (et tous deux en ruines) méritent d’être mentionnés. Nous savons également que le palais impérial détruit de Frédéric II à Lucera possédait une cour intérieure octogonale. L’octogone était un polygone avec lequel les Souabes et Frédéric Ier ont montré une certaine confiance: Cependant, le fait que ce choix ait été adopté ailleurs doit conduire à écarter les significations qui ne correspondent qu’au contexte de Castel del Monte et, si l’on doit vraiment trouver un sens au choix de l’octogone, il faut au contraire le référer au culte de la personnalité de l’empereur (comme on le sait, de nombreux contemporains identifiaient Frédéric II à la cour intérieure de son palais), nombre de ses contemporains identifiaient Frédéric II, sur la base d’une tradition qui se référait aux empereurs romains, au sol invictus, le “soleil invaincu” dont le culte fut introduit à Rome à l’époque du Bas-Empire et dont la figure fut associée à plusieurs empereurs, Constantin en premier lieu).
Le portail d’entrée de Castel del Monte. Ph. Crédit Francesco Bini |
L’octogone de la cour d’en bas. Ph. Crédit Francesco Bini |
Orfèvre allemand, Couronne du Saint Empire romain germanique (2e moitié du 10e siècle, début de la croix du 11e siècle ; or, émail cloisonné, perles, pierres précieuses ; Vienne, Kunsthistorisches Museum). |
Castel del Monte. Ph. Crédit Berthold Werner |
La Torre de Espantaperros à Badajoz. Crédit photographique: Jose Mario Pires Crédit Jose Mario Pires |
Les vestiges du château d’Eguisheim. Crédit photo Crédit Office du tourisme d’Alsace |
François Walter, Le château d’Eguisheim, extrait de Les images d’Alsace (1785 ; Strasbourg, Bibliothèque Nationale et Universitaire) |
Il faut préciser qu’aujourd’hui Castel del Monte, bien qu’il soit le seul château frédéricien à nous être parvenu en un seul morceau et avec un aspect similaire à celui d’origine, a un aspect très différent de ce qu’il devait paraître aux yeux d’un observateur à l’époque de Frédéric II. Nous savons par exemple que, selon toute probabilité, le château devait avoir des créneaux. Mais ce n’est pas tout: il était certainement beaucoup plus décoré que ce que nous voyons aujourd’hui (les décorations étaient l’un des éléments les plus importants de Castel del Monte, signe qu’il devait être non seulement une forteresse militaire, mais aussi une résidence ou un siège de représentation). "Le but de cette gigantesque pierre moulée, écrit l’érudit Giosuè Musca, “n’était pas seulement de permettre à Frédéric d’avoir un court délai d’attente.n’était pas seulement de permettre à Frédéric des pauses plus ou moins courtes, égayées par la douceur et le confort d’une vie d’empereur romain ou de despote oriental, mais aussi de lui offrir, ainsi qu’à ses compagnons et invités assis dans les soupiraux de l’étage supérieur, la vision d’un vaste horizon, d’une tranche visible des terres impériales, mais aussi (et surtout) d’”être vu“ de loin: une construction à fort potentiel sémantique qui dégageait, plus que des charges esthétiques apaisantes, des charges émotionnelles efficaces et profondes”. Les “besoins fonctionnels” et les “valeurs symboliques”, à Castel del Monte, vont donc de pair, et l’édifice apparaît, “plus que toutes les autres constructions de Frédéric”, poursuit Musca, “comme le portrait de l’État laïque impérial, un portrait qui proclame la puissance et la sécurité, la ”pétrification“ d’une idéologie du pouvoir, un manifeste de la royauté confié au temps dans des matériaux moins périssables que le parchemin”. Un message particulièrement éloquent pour les “lecteurs” du XIIIe siècle, très sensibles au langage visuel, mais aussi un instrument d’ostentation et d’intimidation. À l’époque de Frédéric, le pouvoir se propage avec un langage mêlé de théâtralité, fait de processions, de cérémonies, de gestes rituels, d’insignes, d’étendards, de robes, de casques, mais aussi de constructions ayant un impact scénographique sur l’observateur". D’où non seulement le besoin de grandeur et de majesté que le château évoque encore aujourd’hui à ceux qui le voient (même de loin !), mais aussi la nécessité de le décorer de la manière la plus appropriée, avec du marbre à profusion et une décoration sculpturale généralisée.
De tout l’appareil sculptural qui ornait autrefois le château, il ne reste cependant que très peu de choses aujourd’hui. Dans la cour, il reste le fragment d’une figure équestre qui fait partie d’un programme iconographique qui utilisait des figures humaines assumées “dans une fonction architecturale (encore des corbeaux et des clés de voûte), pour obtenir la présentation de l’image dans son immédiateté et sa concrétude historique” (ainsi Maria Stella Calò Mariani), comme dans le cas du chevalier inséré dans une niche de la cour. De la statue, probablement un portrait équestre de Frédéric II lui-même (une confirmation viendrait du fait qu’elle est surmontée d’un dais à voûte cuspidée: un élément typique des statues de saints et d’empereurs dans les cathédrales gothiques de France et d’Allemagne, qui pourrait également soutenir l’hypothèse qu’elle a été réalisée par un maître d’origine nordique), il ne reste que très peu de choses: une partie du buste (le personnage porte une chlamyde), un bras, un soupçon de jambe, des fragments de la tête. Très peu, mais suffisant pour avoir l’impression classique. Il faut également signaler une sculpture de grande importance, qui est toutefois conservée à la galerie d’art “Corrado Giaquinto” de Bari: il s’agit d’une tête laurée trouvée en 1928 lors de fouilles à Castel del Monte et connue depuis lors sous le nom de “fragment de Molajoli” parce que la première personne à l’étudier fut l’historien de l’art Bruno Molajoli. Il ne reste plus rien de cette tête à partir des yeux, mais même dans ce cas, le peu que l’on peut voir (les mèches de cheveux, les branches de laurier, les rides sur le front, les orbites très creuses) justifie l’importance de la sculpture, qui a été apparentée par beaucoup à certains des chefs-d’œuvre de la sculpture de Frédéric, dont le portrait sans tête de l’empereur qui ornait la porte de Capoue. En outre, l’expressivité du personnage (perceptible dans les yeux) et le réalisme des traits du visage ont une fois de plus fait penser à une œuvre de la culture d’outre-Alpes. Nous ne connaissons pas l’identité du modèle, mais il doit s’agir d’un portrait officiel (même idéalisé), et nous savons que les têtes lauréates ont été adoptées dans la numismatique impériale à partir de 1231. Le musée de Bari conserve également un buste fragmentaire d’empereur trouvé à Castel del Monte en 1897, probablement attribuable lui aussi à un sculpteur de l’aire germanique. L’ascendance classique de ce buste est toutefois très atténuée: “le modèle classique”, écrit Luisa Derosa dans la description officielle de l’œuvre dans le catalogue de la Pinacothèque, “ne vit dans cette sculpture que dans ses valeurs iconographiques les plus évidentes. Le rendu stylistico-formel, comparé directement à la sculpture antique, est très éloigné de ces sources. En commençant par le nœud du manteau, noué sur l’épaule gauche pour former une boucle qui laisse à découvert une grande partie de la tunique du dessous, jusqu’au profil du décolleté net et tranchant. De tels éléments, contrairement à la tradition classique, comme l’ont affirmé à maintes reprises les critiques, trouvent plutôt des points de contact avec la sculpture paléochrétienne”.
S’il ne reste que peu de choses des sculptures, il en va autrement des décorations de la structure: nous pouvons encore admirer la richesse des chapiteaux et des clefs de voûte, qui nous permettent de comprendre la culture des sculpteurs qui ont travaillé sous Frédéric. "L’extraordinaire ensemble sculptural du Castel del Monte, écrit Calò Mariani, ouvre des perspectives d’envergure européenne. La plastique de Reims et la Sainte-Chapelle conduisent aux plantes inspirées de la nature qui ornent les clefs de voûte et les chapiteaux. La très haute leçon du gothique rhénan français se retrouve dans les sculptures figuratives, non seulement dans les clefs de voûte et les têtes de table, mais aussi dans le fragment d’une tête laurée aujourd’hui conservée à la Pinacothèque Provinciale de Bari. Le rapport de la sculpture plastique de Frédéric avec l’antiquité, qui répond à Capoue à une intention idéologique claire, s’infléchit à Castel del Monte et à Lagopesole dans un langage plus libre de sens gothique frais. Dans l’architecture de Castel del Monte, l’héritage de l’antiquité trouve un écho dans l’intonation solennelle que le tympan donne au portail, dans les fenêtres donnant sur la cour, entourées de couronnes de laurier et de colliers d’ovoli et de fusarole, dans l’opus reticulatum qui décore les murs de certaines salles de l’étage supérieur ; mais il est surtout évident dans les parties sculpturales: voir le buste sans tête et la tête fragmentaire couronnée de laurier". Les clés de voûte des salles sont ornées de feuilles de figuier ou de tournesol, de verticilles d’acanthe, de sarments de vigne ou de lierre, de fruits de mûrier (souvent, d’ailleurs, les feuilles sont au nombre de huit, conformément au numéro de clé du château) et contribuent presque à la création d’un manuel de botanique, et il ne manque pas non plus d’animaux fantastiques ou de masques anthropomorphes. Sur les chapiteaux, en revanche, les visages, les télamons et les feuilles d’acanthe abondent, selon une grande variété typique de la sculpture de l’époque. Sur les corbeaux du portail, comme dans de nombreux édifices romans et gothiques, on trouve des corbeaux avec des lions: dans le cas de Castel del Monte, les lions sont en brèche de corail.
Sculpteur inconnu, Figure équestre (1242-1246 ; calcaire ; Andria, Castel del Monte) |
Sculpteur inconnu, Tête graduée également connue sous le nom de Fragment de Molajoli (XIIIe siècle ; calcaire, 27 x 24 x 30 cm ; Bari, Pinacoteca Corrado Giaquinto) |
Sculpteur inconnu, Buste d’empereur (XIIIe siècle ; marbre, 40 x 48 x 16 cm ; Bari, Pinacothèque Corrado Giaquinto) |
Clé de voûte. Ph. Crédit Francesco Bini |
Clé de voûte. Ph. Crédit Francesco Bini |
Lion du portail. Ph. Crédit Francesco Bini |
Castel del Monte continua longtemps à être utilisé comme forteresse: il fut également le théâtre, en 1528, d’une bataille entre les forces françaises, dirigées par Odet de Foix, et l’armée impériale, dans le cadre de la guerre de la Ligue de Cognac. À cette occasion, le Castel del Monte, utilisé à des fins défensives pour empêcher l’avancée des Français vers Naples, fut bombardé et fortement endommagé. Le destin du château change encore en 1552, lorsque le duc d’Andria, Gonzalo II Fernández de Córdoba, qui en était le propriétaire, le cède à Fabrizio Carafa, comte de Ruvo, qui en fait sa résidence de plaisance. Le château resta longtemps la propriété de la famille Carafa et, en 1686, il conservait encore une grande partie de sa décoration: Une lettre de l’abbé Giovanni Battista Pacichelli date de cette année-là, dans laquelle il décrit Castel del Monte comme un bâtiment “très vague à l’intérieur”, doté “d’ornements à l’extérieur qui rendent ce corps majestueux”, avec un “atrium très noble et adapté à un palais magnifique, et un château bien équipé, avec des portes en métal pur et fin”: l’abbé décrit ensuite certaines sculptures qui ne sont pas conservées aujourd’hui. C’est au cours du XVIIIe siècle que Castel del Monte a connu une période d’abandon, pendant laquelle la plupart des spoliations ont eu lieu, entraînant la suppression de presque tous les éléments décoratifs de l’édifice, et pendant laquelle le château est devenu une destination et un refuge pour les paysans, les bergers et les brigands.
L’état de dégradation dans lequel se trouvait Castel del Monte au début du XIXe siècle est bien illustré par une gravure éloquente de Victor Baltard (Paris, 1805 - 1874), réalisée dans le cadre d’une vaste étude sur les châteaux souabes et normands de l’Italie méridionale, commandée pratiquement par pure passion, par Honoré-Théodoric-Paul-Joseph d’Albert, huitième duc de Luynes (Paris, 1802 - Rome, 1867), au tout jeune Jean-Luis Alphonse Huillard-Bréholles (Paris, 1817 - 1871), historien, qui se chargera des textes, et précisément à Baltard qui fera les dessins. Publiée à Paris en 1844 sous le titre Recherches sur le monuments et l’histoire des Normands et de la maison de Souabe dans l’Italie méridionale, l’étude compte 172 pages et est accompagnée de 35 illustrations (le nom de Baltard a été suggéré au duc de Luynes par Jean-Auguste-Dominique Ingres, alors directeur de l’Académie de France à Rome, où le jeune architecte étudiait à l’époque). Huillard-Bréholles écrit que “le marbre des murs et la pierre blanche des bancs sont réduits en fragments, et ces salles sont dans un état de délabrement déplorable, mais les colonnes et les fenêtres suffisent à témoigner de leur ancienne splendeur”. Sur le dessin, on voit bien l’état des lieux: le château est en partie ruiné, les tours en ruine, la végétation envahit l’édifice. Le tournant ne se produit qu’en 1876, lorsque la famille Carafa, toujours propriétaire du château, le vend à l’État italien pour 25 000 lires. Le contrat stipulé entre les parties indique que Castel del Monte est désormais une ruine (“puisque l’ancien château en question, bien que monument historique et artistique, est impropre et absolument incapable d’une quelconque utilisation, en raison de son état actuel et de la nature de ses bâtiments et du lieu solitaire et inhabité où il se trouve”). De plus, comme le montrent les photos de l’époque, les murs extérieurs étaient fortement éboulés et en ruine.
Une longue saison de travaux de restauration commença alors, qui débuta en 1879. Au cours de la première phase, dirigée par l’ingénieur Francesco Sarlo et poursuivie jusqu’en 1885, la structure a été consolidée pour éviter l’effondrement, les toits ont été imperméabilisés et les cadres des fenêtres (qui avaient été enlevés entre-temps) ont été ajoutés. L’intervention de Sarlo n’a pas été exempte de critiques ultérieures, car des ajouts ex novo ont également été effectués avec des pierres provenant d’une carrière voisine (que l’on croyait être celle d’où provenaient les matériaux d’origine). Les travaux ont été interrompus pendant quarante ans par manque de fonds et n’ont repris qu’en 1928, avec des travaux de restauration dirigés par Quintino Quagliati et Gino Chierici. L’objectif de l’intervention était de restaurer le Castel del Monte dans un état similaire à ce qu’il devait être au XIIIe siècle, et c’est pour cette raison que les restaurations des années 1920 ont également suscité des controverses, car les travaux se sont poursuivis avec de nouveaux matériaux, travaillés de manière similaire à l’original (bien que de manière équilibrée: le besoin était toujours de consolider la structure et l’insertion de nouveaux éléments était considérée comme urgente pour atteindre cet objectif). L’un des principaux critiques fut le restaurateur Carlo Ceschi (Alba, 1904 - Rome, 1973), qui critiqua sévèrement la première phase des travaux (selon lui, les restaurations de 1879-1885 furent “menées avec si peu de sensibilité artistique qu’aujourd’hui encore, près de soixante ans plus tard, elles suscitent un sentiment de malaise même chez le visiteur le moins habitué à juger en la matière”). L’aspect actuel de Castel del Monte est dû aux restaurations des années 1960, menées par Francesco Schettini, Renato Chiurazzi et Riccardo Mola: Castel del Monte a été considérablement “rajeuni”, et la manière dont les travaux ont été menés a suscité de nouvelles critiques. Cependant, même avec la “nouvelle” apparence, les problèmes n’ont pas cessé, à tel point qu’entre 1975 et 1981, une nouvelle restauration, dirigée par Giambattista Detommasi, s’est avérée nécessaire pour consolider les murs-rideaux, qui sont toujours soumis à un entretien constant car ils sont sujets à des détériorations soudaines.
Victor Baltard, Castel del Monte, d’après Jean-Luis Alphonse Huillard-Bréholles et Victor Baltard, Recherches sur le monuments et l’histoire des Normands et de la maison de Souabe dans l’Italie méridionale, Paris, Imprimerie De C.L.F. Panckoucke, 1844. |
Castel del Monte sur une carte postale des années 1920 |
Castel del Monte en 1959. Photo de Paolo Monti |
Castel del Monte en 1965. Photo de Paolo Monti |
Castel del Monte en 1970. Photo de Paolo Monti |
Depuis 1996, le Castel del Monte est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, avec cette motivation: “Lorsque l’empereur Frédéric II construisit ce château près de Bari au XIIIe siècle, il lui donna des significations symboliques qui se reflètent dans son emplacement, la précision mathématique et astronomique de sa structure et sa forme parfaitement régulière. Exemple unique d’architecture militaire médiévale, Castel del Monte est un mélange virtuose d’éléments de l’Antiquité classique, de l’Orient islamique et du gothique de l’Europe cistercienne”. Aujourd’hui, on peut affirmer sans trop de doute que Castel del Monte est l’une des principales icônes du patrimoine culturel national, à tel point qu’il a été choisi pour figurer sur l’une des pièces de monnaie italiennes en euros (la pièce d’un cent), qu’il a inspiré des livres et des films et qu’il alimente, comme nous l’avons vu, les fantasmes les plus vifs sur ce qui se passait à l’intérieur à l’époque de Frédéric II, même si, comme l’a écrit à juste titre l’historien Franco Cardini, “la seule hypothèse possible à propos de Castel del Monte est qu’il s’agit en fait d’un château”.
L’une des meilleures et des plus raffinées descriptions de Castel del Monte reste celle du Pellegrino di Puglia de Cesare Brandi, qui l’a vu avant les restaurations des années 1960 et en a parlé en ces termes: “l’édifice, peu soigné et mal entretenu à l’intérieur comme à l’extérieur, possède néanmoins une arrogance propre à laquelle il est difficile de résister”. Et oui, de tous les Pouilles, ce n’est pas le monument que je préfère, même s’il est le plus distingué, après San Nicola. Mais vraiment, comme dans son tracé d’une régularité géométrique qui fait penser plus à des cristaux de neige qu’à l’œuvre de l’homme, il y a une rencontre secrète de civilisations différentes, où chacun chante dans sa langue, mais où la polyphonie est parfaite. Ils voulaient du français, et ce n’est pas que la civilisation architecturale française ne soit pas là quelque part, mais le chemin était long, de la France aux Pouilles: beaucoup de choses changeaient en chemin, et tant de choses avaient déjà changé avec les Normands, qui étaient bien plus français que Federigo II. A la cour de Federigo, tout était mélangé, et à Castel del Monte aussi. À vrai dire, les châteaux omeyyades n’étaient pas près de rejoindre Castel del Monte. Les châteaux omeyyades étaient encore la ferme romaine dans le désert, élevée au rang de palais par les nouveaux riches, avec de l’eau là où il n’y en avait pas. Ici, à Castel del Monte, ce n’est pas qu’il n’y avait pas plus d’eau que dans le désert, mais les bons architectes d’origine arabe qui se sont occupés des systèmes d’eau ont fait un chef-d’œuvre. [...] Je jurerais que Federigo II n’a pas du tout aimé l’architecture gothique: ce qu’il y a de gothique à Castel del Monte, ce sont seulement les voûtes et les nervures ; mais pas les fenêtres, qui sont encore ces fenêtres arabes qui ornaient les édifices normands de Sicile. Et puis, les murs fermes, le goût des grandes surfaces, encore byzantines ou romanes, suffiraient, si l’on ne voulait vraiment pas dire arabes: et pourtant il faut le dire, car si quelque chose fait penser à Castel del Monte, c’est la porte fatimite du Caire, ce sont les hauts murs sans fenêtres qui enveloppent la mosquée d’Ibn Touloun. [...] Enfin, le correctif de l’antiquité classique: ce portail surmonté du tympan, où, bien sûr, les proportions classiques s’effacent, mais acquièrent un accent d’une exquise nouveauté, et, dans cet accent, conservent l’étymon classique. Ainsi, dans les augustes d’or, Federigo, vêtu d’une chlamyde et racheté par des lauriers, se donne l’air d’un empereur romain".
Bibliographie de référence
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