Parmi les quelques portraits peints par Le Caravage (Michelangelo Merisi ; Milan, 1571 - Porto Ercole, 1610), l’un des plus intéressants est une toile de près de deux mètres de haut conservée au Louvre, représentant Alof de Wignacourt (Flandres, 1547 - La Valette, 1622), Grand Maître de l’Ordre des Chevaliers de Malte de 1601 à 1622: Dans le tableau, Wignacourt est représenté en armure, debout, avec un page à ses côtés qui lui tend un casque. Il semble qu’il s’agisse de la première œuvre du peintre lombard pendant son bref séjour à Malte, et c’est probablement (bien que nous n’en soyons pas certains) le tableau que le peintre Giovanni Baglione (Rome, 1566/1568 - 1643), grand rival du Caravage, mentionne rapidement dans ses Vies des peintres, sculpteurs et architectes publiées à Rome en 1642, où l’artiste, parlant du Caravage, écrit que “ensuite il se rendit à Malte et, introduit pour présenter ses hommages au Grand Maître, il peignit son portrait ; sur quoi ce prince, en signe de mérite, lui donna l’habit de Saint-Jean et le créa chevalier de la Grâce”. Cependant, comme Giovan Pietro Bellori, dans ses Vies, mentionne deux portraits de Wignacourt par le Caravage, nous ne sommes pas certains qu’il s’agisse bien de celui-ci. En tout cas, il est certain que Michelangelo Merisi devait représenter Alof de Wignacourt “debout et armé”, comme l’écrit Bellori, ce qui confirme aussi la nouvelle selon laquelle le Grand Maître “lui donna la Croix comme prix”, c’est-à-dire l’habit de l’Ordre, faisant de lui un chevalier de Malte. Le portrait, dans lequel le Grand Maître apparaît dans une pose officielle, le bâton de commandement à la main, marque le début d’un des épisodes les plus intéressants de l’art du début du XVIIe siècle, car la relation entre Le Caravage et Alof de Wignacourt était très étroite, bien qu’éphémère. Cette collaboration se poursuivra à la fin du XVIIe siècle, lorsque Mattia Preti (Taverna, 1613 - La Valette, 1699) se verra confier la tâche d’embellir ce que Wignacourt avait construit plus de soixante-dix ans auparavant.
Alof de Wignacourt, né en Flandre mais d’origine française, était entré dans l’Ordre des Chevaliers de Malte en 1564 et, à dix-huit ans à peine, s’était distingué l’année suivante lors du Grand Siège de Malte, l’un des événements historiques les plus célèbres concernant l’île méditerranéenne, l’importante victoire que les chevaliers, aidés par plusieurs puissances européennes, avaient remportée sur l’île de Malte, et qui s’était soldée par un échec. aidés par plusieurs puissances européennes, sur les Ottomans qui assiégeaient l’île pour s’en emparer et en faire un avant-poste pour s’étendre en Méditerranée occidentale (le siège dura quatre mois, au terme desquels les chevaliers, qui se défendirent avec acharnement, parvinrent à chasser les Turcs, causant de lourdes pertes à l’armée ennemie). Wignacourt était devenu Grand Maître en 1601, selon le mécanisme électif complexe qui régit la plus haute fonction de l’Ordre: après la mort du précédent Grand Maître (la charge est viagère), les membres des huit Langues de l’Ordre (c’est-à-dire les huit entités territoriales qui le constituent, identifiées selon leurs langues: Italie, France, Provence, Auvergne, Aragon, Angleterre, Alemagne et Castille) choisissaient trois représentants, qui formaient une assemblée de vingt-quatre membres chargée de désigner le président du conclave d’où sortirait le nom du nouveau Grand Maître, et ce que l’on appelle le triumvirat, composé d’un “cavalier de l’élection”, d’un “capellan de l’élection” et d’un “serviteur d’armes de l’élection”. Le triumvirat avait pour tâche de former la composition du conclave: en désignant un quatrième électeur en plus d’eux-mêmes, les quatre chevaliers assemblés en désignaient un cinquième, puis les cinq ainsi réunis en choisissaient un sixième, et ainsi de suite jusqu’à ce que le nombre de seize électeurs soit atteint (deux par langue). Chacun des seize électeurs exprimait sa préférence, et le nom du chevalier qui avait obtenu la majorité était soumis à l’assemblée des chevaliers pour demander la ratification de la nomination: si les chevaliers étaient d’accord, le nouveau Grand Maître était proclamé. Chaque Langue est composée d’un certain nombre de prieurés: Wignacourt, depuis de nombreuses années, dirige le Prieuré de France (l’un des quatre qui composent la Langue de France: les autres sont le Prieuré d’Aquitaine, le Prieuré de Champagne et le Prieuré de Corbeil), et quelques mois avant son élection comme Grand Maître, il est devenu Grand Hospitalier, la plus haute fonction de la Langue de France. Le chevalier véronais Bartolomeo dal Pozzo (Vérone, 1637 - 1722) raconte dans son Historia della Sacra Religione militare di S. Giovanni Gerosolimitano, dit Malte, que c’est surtout Fra’Ippolito Malaspina (Fosdinovo, 1540 - Malte, 1625), Grand Amiral de la langue italienne, qui a orchestré l’élection de Wignacourt comme Grand Maître. Lors de ce conclave, Malaspina se voit confier le rôle de “cavalier dell’elettione”, et Bartolomeo dal Pozzo affirme que le chevalier apuanais a réussi à porter son confrère français à la plus haute fonction de l’Ordre.
Le magistère d’Alof de Wignacourt, qui dura plus de vingt ans, commença dans une période de grande transformation, que le pouvoir de l’Ordre connaissait au moins depuis la victoire sur les Ottomans lors du Grand Siège de 1565. Le magistère de Wignacourt comportait lui-même des éléments nouveaux par rapport à celui des maîtres qui l’avaient précédé, comme en témoigne le fait qu’aucun autre Grand Maître n’avait eu auparavant le même nombre élevé de portraits réalisés par Wignacourt: l’objectif était de faire du Grand Maître un personnage pouvant être traité comme un égal par les autres souverains européens et, en même temps, de limiter l’ingérence des autorités ecclésiastiques (surtout l’Inquisition) dans les affaires maltaises. Le Grand Maître des Chevaliers de Malte acquiert en effet une importance croissante dans les relations internationales: une importance définitivement sanctionnée par l’attribution, en 1607, du titre de Prince du Saint-Empire romain germanique que l’empereur Rodolphe II accorde à Wignacourt, qui peut ainsi recevoir l’appellation d’“altesse” (il est le premier Grand Maître à pouvoir s’enorgueillir de cet honneur). Sur le plan politique, Wignacourt ne se distingue pas seulement par l’image qu’il parvient à communiquer aux autres puissances: le nouveau Grand Maître devient un important porte-drapeau de la chrétienté, puisqu’il organise plusieurs campagnes contre les Turcs et parvient à reconquérir certaines îles tombées sous l’Empire ottoman (et son portrait en armure a été lu par plusieurs spécialistes comme sa volonté de se présenter comme un fier miles Christi). Les raids fréquents et victorieux contre les Turcs (sur les côtes africaines et en Grèce: les chroniques mentionnent la mise à sac, par les chevaliers, de villes telles que Lépante, Patras et Corinthe) ont permis à Wignacourt d’accumuler des ressources considérables, qui ont été réinvesties pour améliorer les finances et les infrastructures de Malte: Particulièrement célèbre est la construction, en 1610, de l’aqueduc (d’une quinzaine de kilomètres de long) pour alimenter en eau La Valette, à une époque où l’approvisionnement en eau potable était un problème majeur pour l’île. D’autres crédits ont servi à construire de nouvelles fortifications pour défendre l’île, afin de parer à toute nouvelle attaque turque (le symbole le plus évident de l’action du Grand Maître en ce sens est probablement la tour de Wignacourt qui se dresse encore aujourd’hui sur le front de mer de la baie de Saint-Paul). Un autre aspect curieux du magistère d’Alof de Wignacourt est son intuition du potentiel de ce que nous appellerions aujourd’hui le “tourisme religieux”. En effet, il existe à Malte une grotte, connue sous le nom de Grotte de Saint-Paul, qui aurait servi de refuge au saint pendant son séjour sur l’île. Wignacourt a fait en sorte que l’Ordre devienne l’organisme gestionnaire de la grotte dans le but d’en faire un important lieu de pèlerinage international, mais le projet n’a pas été couronné de succès car il n’y a jamais eu le mouvement de fidèles que le Grand Maître espérait amener à Malte.
Caravage, Portrait d’Alof de Wignacourt (1607-1608 ; huile sur toile, 195 x 134 cm ; Paris, Louvre) |
L’aqueduc d’Alof de Wignacourt à Birkirkara (Malte). Ph. Crédit |
La tour de Wignacourt dans la baie de Saint-Paul. Paul’s Bay. Crédit |
On connaît ensuite le rôle joué par Wignacourt dans la promotion des arts. Nous savons que dès 1606, le Grand Maître s’efforce de faire venir un peintre de Florence dans l’île (pour l’instant, le nom de l’artiste n’a pas pu être retrouvé). Ces informations proviennent des lettres que Wignacourt échangeait à l’époque avec l’un de ses correspondants à Naples, Fra’ Giovanni Andrea Capeci, qui occupait le poste de trésorier de l’Ordre à Naples. Ces lettres nous apprennent qu’au début, les négociations semblaient bien se dérouler, à tel point que Wignacourt avait déjà organisé le voyage du peintre à Malte, mais que pour des raisons que nous ignorons, le peintre inconnu n’atteindrait jamais l’île. C’est à ce moment-là que les bases de l’arrivée du Caravage à Malte sont posées: il est probable que c’est la marquise Costanza Colonna, qui correspondait avec Wignacourt et dont la famille avait déjà offert l’hospitalité au peintre, qui a orienté le Grand Maître vers le Caravage. Mais on peut aussi souligner l’importance des liens de parenté entre Fra’ Ippolito Malaspina, déjà cité, qui, comme nous l’avons vu, avait beaucoup œuvré pour l’élection de Wignacourt comme Grand Maître, et le banquier Ottavio Costa, l’un des premiers mécènes du Caravage à Rome. Quoi qu’il en soit, le fait est que dès l’été 1607, le Caravage, qui avait quitté Naples où il se trouvait à l’époque, avait débarqué à Malte, bien que coupable du crime de meurtre qui l’aurait empêché d’entrer dans l’Ordre: L’universitaire Rossella Vodret, s’appuyant également sur les études de Keith Sciberras (l’un des plus grands spécialistes de l’histoire de l’art maltais), souligne que “le fait que le peintre ait probablement atteint Malte à bord d’une galère de l’Ordre indique qu’il devait bénéficier d’une puissante protection au moment de son départ de Naples”. Parmi les commandants des galères maltaises se trouvait le fils de Costanza Colonna, Fabrizio Sforza-Colonna, qui connaissait certainement bien le Caravage: venant du nord, ses navires ne devaient s’arrêter à Naples que pour un court ravitaillement et donc, observe Sciberras, le voyage du Caravage ne pouvait pas être improvisé, mais tout devait être prêt quelques jours auparavant“. Même Wignacourt, souligne encore Vodret, a eu des difficultés à faire entrer le Caravage dans l’Ordre, puisqu’en décembre 1607, deux requêtes du Grand Maître ont été envoyées au pape: ”l’une pour obtenir l’investiture d’un homme qui avait commis un meurtre, l’autre pour l’investir comme chevalier“. Le souverain pontife, Paul V, finit par lui accorder son autorisation et Caravage, le 14 juillet 1608, un an après son arrivée à Malte, devient ”chevalier de l’Obédience magistrale" (le grade le plus bas: les plus élevés sont réservés aux nobles, et le peintre n’est pas issu d’une famille aristocratique).
Outre l’exécution du portrait de Wignacourt (dont les traits, d’après l’historien de l’art Maurizio Calvesi, sont à rechercher, bien que cette idée ne soit pas unanimement partagée, également dans le visage du scribe saint Jérôme que le peintre lombard exécute pendant son séjour pour Ippolito Malaspina: c’est ce tableau que Malaspina destina à sa mort à la Cappella della Lingua d’Italia, où il fut conservé jusqu’à son vol audacieux en 1984 et sa récupération ultérieure grâce aux carabiniers du Nucleo Tutela de Rome ; après la restauration de la Chapelle d’Italie, elle est maintenant remplacée par une copie au-dessus de la tombe d’un personnage qui, bien que peu étudié, a joué un rôle fondamental dans la vie de Merisi à Malte), le Caravage, comme nous le savons, a peint sa seule œuvre signée, la Décapitation de saint Jean-Baptiste, à Malte, et comme tous ceux qui ont lu sa biographie s’en souviennent, son expérience sur l’île s’est terminée malencontreusement, puisque l’artiste lombard a été arrêté pour son implication dans une rixe au cours de laquelle un chevalier, Giovanni Rodomonte Roero, de la noblesse d’Asti, a été blessé. Emprisonné au Fort Saint-Ange, le Caravage réussit à s’échapper (sans doute avec l’aide d’un chevalier) le 6 octobre, pour ne plus jamais revenir. Cependant, comme nous l’avons dit, le peintre, dans le court laps de temps qui coïncide avec son séjour à La Valette, réussit à exécuter la Décapitation du Baptiste à la demande expresse d’Alof de Wignacourt, qui était le commanditaire direct du tableau (les armoiries du Grand Maître se trouvent d’ailleurs sur le cadre original: ce détail a conduit de nombreux et importants spécialistes à le considérer comme un élément important pour lui attribuer le rôle de commanditaire de Michelangelo Merisi). Le tableau était destiné àdécorer l’Oratoire de Saint-Jean décapité, qui reste la plus importante entreprise artistique et religieuse construite sous le magistère de Wignacourt.
L’histoire de l’Oratoire a été reconstituée en détail dans une étude récente réalisée par Sante Guido et Giuseppe Mantella lors d’une conférence qui s’est tenue à La Valette en 2013. La fondation de la petite église construite à côté de la co-cathédrale de la capitale maltaise remonte à 1602. Le projet a été soumis à Wignacourt par un certain nombre de chevaliers qui, écrivent Guido et Mantella, “ont demandé qu’un oratoire soit érigé à l’extrémité inférieure de l’église, vers le cimetière, afin qu’en ce lieu et tous réunis, ils puissent mieux remplir tous leurs devoirs pieux et spirituels requis par les statuts et règlements de leur profession religieuse”. L’événement est également évoqué dans l’Historia de Bartolomeo Dal Pozzo (“le Grand Maître accorda la permission de construire un oratoire à côté de l’église et de la sacristie de Saint-Jean pour la commodité d’administrer les sacrements, d’instruire les novices et d’accomplir d’autres œuvres religieuses et pieuses, conformément aux statuts qui régissent la profession de l’Ordre”). La construction de l’oratoire, petite pièce au corps rectangulaire adossée au bas-côté droit de la Co-cathédrale, dura à peine un an (et entre-temps, Wignacourt en avait accordé la titularité à la Confrérie de la Miséricorde, ou du Rosaire, qui avait dû abandonner son siège au couvent de Porto Salvo: la cession n’empêcha cependant pas les chevaliers de s’y rendre): la consécration eut lieu le 21 décembre 1603, en la fête de saint Thomas Apôtre, au cours de laquelle, comme le rappelle Bartolomeo dal Pozzo, “la pieuse image du très saint Crucifix fut enlevée et, par les confrères de ladite Compagnie vêtus de leurs sacs, elle fut transférée dans le nouvel oratoire portant le nom de saint Jean décapité ; C’est à eux et à leur recteur, Fra’ Girolamo Agliata Ammiraglio, qu’a été donnée la possession de l’oratoire, et le prieur de l’église a chanté la messe solennelle, qui a été la première messe à y être célébrée”. L’Oratoire de San Giovanni Decollato n’était pas seulement un centre important de la vie religieuse des chevaliers, mais il remplissait également des fonctions civiles très importantes: on y tenait des assemblées publiques au cours desquelles on lisait des statuts ou on discutait de questions juridiques, et c’est là que se tenaient les procès du Tribunal du Sguardio, l’organe auquel était confiée la justice interne de l’Ordre (le tribunal jugeait les chevaliers qui s’étaient rendus coupables d’une faute quelconque), composé de représentants des huit langues de l’Ordre. Dans l’unique gravure du XVIIe siècle de l’Allemand Wolfgang Kilian (Augsbourg, 1581 - 1662), qui nous montre le travail de Caravage dans l’oratoire avant les changements que, comme nous le verrons plus loin, la salle a subis à la fin du XVIIe siècle, l’oratoire apparaît comme une salle nue, fermée par l’autel sur lequel est installée la Décapitation du Caravage (il faut cependant noter que, pour autant que nous le sachions, Kilian n’a jamais été à Malte et a probablement basé sa gravure sur un croquis qu’il avait reçu d’une personne résidant sur l’île, ainsi que sur des descriptions du lieu). Au-dessus de la toile caravagesque, on trouve en revanche une lunette avec un tableau qui ne se trouve plus dans l’oratoire, mais qui est conservé au couvent franciscain de Rabat à Malte: il s’agit de l’Intercession du Baptiste à la Vierge pour les chevaliers tombés lors du Grand Siège, du peintre grec Bartolomeo Garagona (Senglea, 1584 - 1641), qui enveloppe l’épisode historique du siège de 1565 d’une profonde religiosité. L’œuvre date d’environ 1625 et, soulignent Guido et Mantella, elle est le résultat d’un choix iconographique précis “qui avait caractérisé l’Oratoire dès les premières années de son institution, avec la claire intention d’accompagner, par la suggestion d’images, le parcours de formation des novices et le renouvellement quotidien de la promesse par les frères profès”. Sur la gravure, on voit également le Tribunal du Sguardio réuni: il est probable que le Caravage ait été jugé dans une assemblée similaire après la rixe d’août 1608, lorsqu’il fut condamné à la privatio habitus, l’expulsion de l’Ordre.
Oratoire de San Giovanni Decollato. Ph. Crédit: Michael Jones |
Oratoire de Saint-Jean décapité |
Caravage, Décapitation du Baptiste (1608 ; huile sur toile, 361 x 520 cm ; La Valette, St Jean décapité) |
Caravage, Saint Jérôme écrivant (1608 ; huile sur toile, 117 x 157 cm ; La Valette, co-cathédrale Saint-Jean) |
Wolfgang Kilian, Oratorio di San Giovanni Decollato (C. von Osterhausen, Eigentlicher vnd gruendlicher Bericht dessen..., Augsbourg 1650) |
Le chapitre final des vicissitudes artistiques de l’oratoire sera écrit soixante-dix ans après Wignacourt et Caravage, par un autre génie italien, le Calabrais Mattia Preti (Taverna, 1613 - La Valette, 1699), arrivé à Malte en 1661. À partir de 1678 (et jusqu’en 1695), le chevalier génois Stefano Maria Lomellini, alors prieur d’Angleterre (et qui deviendra plus tard prieur de Venise), avait garanti des dons substantiels à l’oratoire de San Giovanni Decollato: C’est précisément Lomellini qui fut le grand mécène de la rénovation de l’oratoire, une opération totalement confiée à Preti à la fin de la rénovation totale de l’église-conventionnelle timidement commencée à la fin des années 1640, mais qui reçut une énorme impulsion avec l’arrivée du peintre, chevalier d’obédience à partir de 1641 sur nomination du Pape Urbain VIII Barberini, lors de son premier voyage dans l’île et surtout avec son installation définitive à Malte au cours de l’été 1661. En l’espace d’une dizaine d’années, toutes les chapelles des huit langues et la grande nef centrale furent totalement transformées en style baroque par Preti, avec des murs sculptés peints et dorés, de grands retables somptueusement décorés de pierres tombales en marbre sicilien et un total de 400 mètres carrés de peintures à l’huile sur les murs représentant l’histoire de saint Jean Baptiste. Il était donc naturel de confier à Preti la “restauration” de l’oratoire, qui apparaissait dépouillé et vétuste quelque 70 ans après sa construction. . L’idée du peintre calabrais est d’agrandir l’oratoire, en le dotant d’un nouveau plafond et d’un nouvel appareil décoratif remis au goût du baroque tardif. Le projet est approuvé en juillet 1679, quelques mois avant l’élection comme Grand Maître d’un chevalier originaire du pays de l’artiste, Gregorio Carafa (Casteltevere, 1615 - La Valette, 1690), qui occupera ce poste de 1680 à sa mort. Mattia Preti réalisa tout d’abord dix tableaux représentant dix saints fondateurs et bienheureux héros de l’ordre, en en disposant cinq de chaque côté des murs de l’oratoire (sur le mur de droite: saint Ubaldesca, bienheureux Adrian Fortescue, saint Hugues de Gênes, bienheureux Gérard Sasso ; sur le mur de gauche: saint Toscana de Vérone, bienheureux Adrian Fortescue et bienheureux Gérard Sasso). saint Toscane de Vérone, le bienheureux Giorlando d’Alemagna, saint Nicasio, le miracle du bienheureux Gérard Sasso ; dans l’abside, sur les côtés de la Décapitation du Caravage, à droite le bienheureux Gérard et Raymond du Puy devant saint Jean-Baptiste, et à gauche Agnès avec les moniales de l’ordre devant la Vierge). Le plafond de l’oratoire fut décoré avec des éléments en bois doré inspirés du plafond de l’église napolitaine de San Pietro a Maiella avec dix toiles du peintre connu sous le nom de “il Cavalier Calabrese”, sa dernière œuvre dans la ville napolitaine. La même solution fut imaginée pour la lunette au-dessus de la Décapitation du Caravage: le tableau de Garagona fut enlevé et une image de la Mater dolorosa fut insérée à sa place, essentiellement pour deux raisons. La première était d’ordre pratique: l’œuvre de l’artiste grec était en mauvais état de conservation et il fallait trouver une solution. La seconde est plutôt d’ordre idéal: Preti a en effet reconfiguré le programme iconographique de l’oratoire pour introduire le thème de la Passion du Christ, auquel se rattachent les trois peintures que Cavalier Calabrese a réalisées pour le plafond, en les attribuant aux espaces mixtilignes qui devaient les accueillir. Il s’agit de l’Ecce homo, du Christ couronné d’épines et de la Descente de croix. Afin de garantir une plus grande majesté à l’oratoire, Preti a pensé à allonger l’espace du chœur, de sorte que la Décollation a été placée pour fermer un espace précédé d’un grand arc richement décoré, pour créer “l’effet d’une chapelle dans une chapelle” (d’après l’érudit David M. Stone). Et pour couronner le tout, un groupe sculptural représentant la Crucifixion a été placé devant le tableau du Caravage, masquant partiellement la vue du chef-d’œuvre du maître lombard et qui n’a été enlevé qu’en 1958.
Guido et Mantella ont publié des documents montrant que le changement de culte avait été délibéré par le Grand Maître et son Vénérable Conseil le 7 février 1679. Il convient toutefois de se demander pourquoi un nouveau thème de dévotion a été introduit dans l’oratoire. Stone évoque des raisons d’opportunité: la Co-cathédrale était déjà consacrée au culte de Jean-Baptiste, Preti y avait déjà peint des scènes de la vie du saint, et répéter l’expérience aurait été redondant. En revanche, dans les deux lieux de culte, il n’y avait pas d’œuvres représentant la Passion du Christ, et c’est peut-être l’une des raisons qui ont motivé les changements. Stone avance également une hypothèse idéologique, car le thème du martyre de saint Jean-Baptiste était étroitement lié au martyre des chevaliers qui avaient donné leur vie pendant le Grand Siège: beaucoup d’entre eux étaient encore en vie au moment de la construction de l’oratoire (à tel point que le tableau de Garagona était expressément dédié aux combattants qui avaient perdu la vie dans la lutte contre les Ottomans). Comme plus de soixante-dix ans s’étaient écoulés, que les Turcs n’étaient plus une menace et que, à la fin du XVIIe siècle, les chevaliers étaient davantage motivés par des idéaux de “noblesse, richesse et charité” (so Stone) que par l’esprit de sacrifice, l’oratoire tel qu’il était jusqu’alors (une salle nue et austère, décorée uniquement du tableau du Caravage et de celui de Garagona) n’était plus considéré comme actuel.
À la fin des travaux et toujours sous le magistère de Gregorio Carafa, il fut décidé d’exposer dans l’oratoire, presque comme un Sancta Sanctorum, la relique la plus importante et la plus précieuse des Chevaliers de Saint-Jean-Baptiste, le bras de Saint-Jean-Baptiste, en leur possession depuis 1484, Il est arrivé à Malte en 1530 avec les quelques objets précieux qu’ils ont sauvés lorsqu’ils ont perdu l’île de la mer Égée, tombée aux mains des Ottomans, et qu’ils se sont installés dans leur nouveau siège, à quelques kilomètres de la Sicile de Charles Quint. Le Grand Maître Carafa, noble calabrais, voulut faire réaliser un précieux reliquaire pour la relique (à laquelle l’Ordre tout entier vouait une profonde dévotion) afin de l’exposer dans l’oratoire de San Giovanni Decollato. C’est ainsi qu’en 1686, Carafa commanda l’œuvre à Ciro Ferri (Rome, 1634 - 1689), comme en témoignent les documents récemment découverts concernant les versements. L’œuvre, dont l’exécution matérielle fut confiée au bronzier tessinois Francesco Nuvolone, fut réalisée à Rome (rappelant en partie le tabernacle de la Nouvelle Église des Pères Oratoriens réalisé par les mêmes artisans quelques années auparavant) et achevée en 1689, année au cours de laquelle le reliquaire fut d’abord exposé dans la capitale de l’État pontifical, puis envoyé à Malte et enfin installé sur l’autel. Il s’agit d’une œuvre aux dimensions imposantes, puisqu’elle mesure plus de deux mètres de haut: réalisée en argent et en bronze doré, elle se compose du coffret reliquaire en forme de lanterne destiné à contenir la relique, qui repose sur une marche décorée de motifs phytomorphes et des armoiries de la famille Carafa et est soutenue de chaque côté par deux putti. La châsse elle-même est richement décorée de têtes d’angelots et d’autres motifs végétaux (palmiers et lys), et surmontée d’une couronne portant une croix, flanquée de quatre coquilles. Sur les côtés du long socle se trouvent deux grandes volutes, au-dessus desquelles deux grands anges sont agenouillés avec dévotion. Le reliquaire n’est plus exposé dans l’oratoire depuis 1977, date à laquelle il a été transféré au musée de la cathédrale, où il peut encore être admiré aujourd’hui. En outre, en 2003, il a fait l’objet d’une restauration (l’œuvre était dans un état de détérioration important, dû à l’usure et à des siècles d’exposition dans un endroit très humide et non loin de la mer), ce qui lui a permis de subir une opération de nettoyage en profondeur et un traitement conservateur.
Le plafond de l’Oratoire de San Giovanni Decollato avec les peintures de Mattia Preti |
Mattia Preti, Christ couronné d’épines (1679-1689 ; huile sur toile, 227 x 350 cm ; La Valette, Oratoire de Saint-Jean Decollate) |
Mattia Preti, Descente de croix (1679-1689 ; huile sur toile, 306 x 443 cm ; La Valette, Oratoire de Saint-Jean-Decollate) |
Mattia Preti, Ecce Homo (1679-1689 ; huile sur toile, 227 x 350 cm ; La Valette, Oratoire de Saint-Jean-Decollate) |
Ciro Ferri (dessin) et Francesco Nuvolone (exécution), Reliquaire du bras du Baptiste (1686-1689 ; La Valette, Oratoire de Saint-Jean décapité). Ph. Crédit Hamelin de Guettelet |
L’Oratoire de Saint-Jean décapité est encore aujourd’hui un centre important de la vie religieuse à Malte et de l’Ordre Souverain Militaire Hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem de Rhodes et de Malte (dont le gouvernement n’a cependant plus aujourd’hui son siège sur l’île: le Grand Maître et le gouvernement de l’Ordre résident en effet au Palais Magistral de la Via dei Condotti à Rome depuis 1834): l’Association maltaise de l’Ordre, qui est aujourd’hui l’émanation territoriale des chevaliers à Malte, célèbre chaque année la fête du saint patron de l’Ordre, le 24 juin, par une messe et une procession à la co-cathédrale et à l’oratoire de La Valette. Aujourd’hui, cependant, les deux lieux de culte sont également une destination incontournable pour ceux qui visitent Malte, étant donné la fascination qu’ils exercent en raison de leur mélange unique d’histoire, de tradition, de spiritualité et d’art. L’entretien et la gestion de la Co-Cathédrale et de l’Oratoire sont confiés à une Fondation qui administre l’ensemble du complexe religieux ainsi que le musée, afin de les protéger (les travaux de restauration sont fréquemment approuvés par la Fondation), de les mettre en valeur et de les gérer en tant que lieux de foi et de culture.
Bibliographie de référence
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