Pour bien comprendre la portée révolutionnaire des Formes uniques de continuité de l’espace, le chef-d’œuvre d’Umberto Boccioni, il faut partir de Lucio Fontana et de son Manifeste technique du spatialisme: “ Le futurisme adopte le mouvement comme principe et unique fin. Le développement d’une bouteille dans l’espace, les formes uniques de la continuité de l’espace amorcent la seule et véritable grande évolution de l’art contemporain (dynamisme plastique), les Spatialistes vont au-delà de cette idée: ni la peinture, ni la sculpture ’formes, couleurs, sons à travers les espaces’”. Fontana, qui reviendra plusieurs fois sur Boccioni dans ses écrits et ses interviews, reconnaît la primauté du futuriste, à la base de tout l’art contemporain: celle d’avoir réuni le temps et l’espace dans une même œuvre. Formes uniques de continuité dans l’espace est la description d’une figure prise dans le mouvement, dans sa démarche: les masses de son corps sont déconstruites, on ne voit pas les bras, les muscles se transforment en formes concaves et convexes modifiées par l’action du mouvement. Et le corps devient une sorte de construction architecturale en continuité avec l’espace: l’espace n’est plus le scénario dans lequel s’insère une figure, il n’est plus la toile de fond sur laquelle se dessine une action. Boccioni a conquis l’espace: sa structure est en continuité directe avec l’environnement dans lequel elle se trouve, un espace se forme autour de l’homme qui marche, sur lequel agit le mouvement des masses, et la lumière à son tour produit des effets sur la forme, vacillant soudainement et frénétiquement sur les différents plans de la sculpture, sur les pleins et les vides, et communiquant l’idée d’un corps qui exécute un mouvement, en pleine continuité avec l’espace.
La sculpture de Boccioni, pourrions-nous dire, vit dans le temps et dans l’espace: le temps agit sur la figure, la figure agit sur l’espace par le frottement de l’air, ce même frottement de l’air (et donc de l’espace) contribue à son tour à façonner la figure. Les idées de Boccioni trouvent leur apogée, leur accomplissement, dans cette sculpture. L’idée de simultanéité, entre-temps: “la forme, dans ma sculpture”, écrit l’artiste lui-même, “est perçue [...] de manière plus abstraite. Le spectateur doit idéalement construire une continuité (simultanéité) qui lui est suggérée par les formes-forces, équivalents de la puissance expansive des corps”. En construisant sa figure, Boccioni ne se contente pas de présenter l’action d’un homme en mouvement, il n’adopte pas non plus la solution à laquelle Balla était parvenu un an plus tôt avec ses dynamismes, en décomposant le mouvement en toutes ses phases, en résolvant le problème par une séquence linéaire. On peut presque déceler un écho bergsonien dans la sculpture de Boccioni: dans son œuvre, il n’y a pas de temps spatialisé, pas de succession mesurable d’instants. Il s’agit plutôt du temps de la conscience de Bergson: le temps en tant que durée, différemment perçu et vécu en fonction de ce que l’on ressent à ce moment-là, et qui ne peut être répété. Il faut rendre invisible ce qui s’agite et vit au-delà des jauges“, proposait l’artiste en 1911. La simultanéité de Boccioni consiste donc à communiquer au spectateur un ”complexe de sensations plastiques", selon sa propre expression: l’homme qui se déplace, l’environnement qui change sur son passage, l’air qui se déplace, la lumière et l’ombre qui changent après chaque pas, les différentes directions que peut prendre la figure.
Umberto Boccioni, Formes uniques de continuité dans l’espace (1913, fondu en bronze, 1931 ; bronze, hauteur 126,4 cm ; Milan, Museo del Novecento) |
Un complexe de sensations à rendre avec une seule figure, selon les idées que Boccioni avait déduites en étudiant les sculptures des cubistes à Paris, notamment lors de ses séjours répétés entre 1912 et 1913, à l’occasion de plusieurs expositions qui lui ont donné beaucoup d’idées à travailler. “On sent la nécessité absolue de s’éloigner des éléments constructifs que l’on trouve ces derniers temps”, écrit Boccioni à Nino Barbantini depuis Paris le 12 février 1912. “Cette synthèse [...] ne peut s’exprimer qu’au moyen d’éléments objectifs spiritualisés. Cette spiritualisation sera donnée par de pures valeurs mathématiques, par de pures dimensions géométriques, à la place de la reproduction traditionnelle, aujourd’hui conquise par les moyens mécaniques. [...] Si les objets sont des valeurs mathématiques, l’environnement dans lequel ils vivent sera un rythme particulier de l’émotion qui les entoure”. La révolution qui a permis à Boccioni de conquérir l’espace, c’est d’avoir introduit des dimensions inconnues même des cubistes: le mouvement, le dynamisme, la vitesse, l’énergie. Pour y parvenir, le sculpteur a dû travailler sur une autre de ses idées, la “ligne de force”, le moyen par lequel Boccioni, rejetant et dépassant la ligne de contour, a donné naissance à ses décompositions, a construit des objets sur des trajectoires en mouvement, a donné une direction à la matière, a ouvert les figures à l’espace en les rendant capables d’absorber de l’énergie et de la restituer à leur tour. Les lignes de force, selon les propres termes de Boccioni, constituent “la manifestation dynamique de la forme, la représentation des mouvements de la matière dans la trajectoire qui nous est dictée par la ligne de construction de l’objet et par son action”.
Lorsque Boccioni présente son chef-d’œuvre, nous sommes en 1913: l’artiste ne sculpte que depuis un an, mais avec Formes uniques de continuité dans l’espace , il a déjà fait une percée: "Elle est si riche d’impulsion plastique, écrit De Micheli en 1958, que sa leçon restera sans doute acquise à l’art italien comme une invitation à la liberté, à la recherche, à l’émancipation du XIXe siècle. Et il avait alors jeté les bases de la conquête de la quatrième dimension: c’est aussi pour cette raison que Fontana, qui fut parmi les premiers à reconnaître la pertinence historique des Forme uniche della continuità nello spazio (Formes uniques de la continuité dans l’espace), si l’on veut aussi en avance sur les critiques des années 70 à qui l’on doit la pleine réévaluation du futurisme, le place comme son père idéal, en identifiant le futurisme de Boccioni comme l’antécédent direct du spatialisme.
Mais avant Fontana, avant tout le monde, le premier à se rendre compte de la grandeur de Boccioni et de sa sculpture est un jeune homme de 24 ans, Roberto Longhi, qui enregistre la nouveauté pratiquement en temps réel, l’inscrivant déjà dans l’histoire de l’art, dans la continuité du baroque, dans un écrit intitulé La scultura futurista di Boccioni (La sculpture futuriste de Boccioni), daté de 1914. Pour Longhi, les Forme uniche sont déjà le chef-d’œuvre absolu de Boccioni. L’historien de l’art piémontais nous livre tout d’abord une description des caractéristiques formelles de l’œuvre qui est probablement restée inégalée, avec une prose fleurie, presque jusqu’à l’excès. Ce passage suffit: “le crâne s’affaisse comme un pain de sucre, l’épaule globuleuse résiste, avec des ombres douces, une courbe énergique se comprime dans l’ombre, là où la hanche est sur le point de sortir de l’aine, jusqu’à ce que la fesse fluide, pincée par l’air, s’élève dans la lumière, et que l’on voie que l’homme est en train de s’enfuir.l’air monte dans la lumière, et la cuisse en dessous s’enroule doucement, reliant ses courbes aux autres, de sorte que de la hanche au tentacule brûlant terminal, une ondulation continue enferme lene mouvement effréné. L’autre cuisse lance sa torpille qui s’épanouit sous la chair en une baie solidement charnue”. Pour Longhi, Boccioni avait su créer une synthèse parfaite, donner vie à une œuvre capable de se dérouler dans l’espace “sans début ni fin”, “transfigurer organiquement [...] la matière déjà organisée dans la vie”, jeter les bases de la fusion de la figure et de l’environnement. Son nom s’ajoute déjà à ceux de Giovanni Pisano, Jacopo della Quercia, Michel-Ange et Bernini.
Longhi vit les Forme uniche dans le cadre de leur troisième exposition, à la Galleria Gonnelli de Florence, entre mars et avril 1914: auparavant, la sculpture avait été exposée à la Gallerie La Boétie de Paris, entre juin et juillet 1913, puis pendant la période de Noël à Rome, avant de terminer sa “ tournée ” à la Galleria Centrale d’Arte de Milan, fin 1916, dans une exposition posthume. Aujourd’hui, le plâtre original se trouve au Brésil, au musée d’art de São Paulo: après la mort de Boccioni, il est entré en possession du peintre Fedele Azari qui l’a vendu en 1928 à Filippo Tommaso Marinetti, et plus tard, en 1952, sa femme Benedetta Cappa l’a vendu à un industriel brésilien d’origine italienne, Francisco Matarazzo Sobrinho, qui en a fait don au musée en 1963. Entre-temps, des moulages en bronze, tous posthumes, ont été réalisés à partir du plâtre. Ceux-ci sont aujourd’hui conservés dans différents musées sur tous les continents.
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