Aux origines du 1er mai. Les martyrs de Chicago (et la gravure de Walter Crane qui leur rend hommage)


Le 1er mai trouve son origine dans le sacrifice des huit martyrs de Chicago en 1887. Nous nous souvenons également de leur histoire à travers l'art.

Il viendra un temps où le silence sera plus fort que les voix que vous étouffez aujourd’hui.
(August Spies)

Chicago, États-Unis, 1er mai 1886. Les syndicats organisent une grève pour exiger des patrons de meilleures conditions de travail. Ils réclament notamment des mesures visant à adopter la journée de travail de huit heures. À l’époque, les ouvriers travaillaient en moyenne dix heures par jour, y compris le samedi, lors des journées de travail normales: lorsque des augmentations de production étaient nécessaires, les équipes en venaient à occuper la quasi-totalité de la journée de l’ouvrier. Il va sans dire qu’à l’époque, les concepts d’“avantages sociaux” et d’“heures supplémentaires” étaient totalement inconnus.

Le 1er mai 1886, des milliers de travailleurs se sont rassemblés dans les rues de Chicago. Les sources divergent quant à leur nombre exact: certains parlent de vingt mille personnes, d’autres de quarante mille, d’autres encore de cinquante mille. Les estimations les plus crédibles tournent autour de trente mille personnes. Des chiffres en tout cas élevés, qui témoignent d’une participation très active et d’une volonté décisive d’améliorer la situation des travailleurs. La grève a en effet été couronnée de succès et les syndicats ont décidé de poursuivre les manifestations les jours suivants. Deux jours plus tard, le 3 mai, un rassemblement a lieu devant les portes de la McCormick Harvesting Machine Company, une usine de machines agricoles: les travailleurs mènent depuis un certain temps des actions contre l’entreprise, qui n’a pas l’intention de céder aux revendications de ses travailleurs. Lors d’une manifestation entre les grévistes d’un côté et les briseurs de grève de l’autre, la police tire sur les manifestants, causant la mort de quatre personnes. L’atmosphère déjà tendue ne s’arrange évidemment pas: les travailleurs décident donc de poursuivre la protestation, en convoquant une manifestation pour le lendemain.

La manifestation a lieu le 4 mai à 19h30, sur Haymarket Square, à quelques pas du siège de McCormick. Et cette manifestation n’est rien d’autre qu’un rassemblement de quelques anarchistes qui luttent depuis longtemps pour des conditions de travail plus humaines: la foule est haranguée, ce soir-là, par trois d’entre eux. L’un d’eux est August Spies, un immigré allemand qui a dû quitter son pays à la suite de la mort de son père et de la dégradation des conditions économiques de la famille: arrivé aux États-Unis, il prend conscience de la situation des travailleurs, souvent immigrés comme lui, et abandonne ses positions conservatrices pour embrasser d’abord le socialisme, puis les idéaux libertaires. En 1880, il fonde un journal en langue allemande, l’Arbeiter Zeitung (“Quotidien des travailleurs”), dont il prend la direction en 1884. Avec lui sur la place, Albert Parsons, originaire de l’Alabama: toujours politiquement actif sur des positions anti-esclavagistes et anti-racistes, il avait été contraint de quitter le sud des États-Unis à une époque où le climat de racisme rampant devenait dangereux pour lui et sa famille. Il s’installe à Chicago et y poursuit son travail de journaliste et de syndicaliste. Enfin, Samuel Fielden, Anglais de profession, charretier, embrasse lui aussi les idéaux socialistes après son arrivée aux États-Unis. Il devient lui aussi l’un des plus fervents défenseurs des luttes syndicales.

Le rassemblement se déroule sous une pluie battante, à tel point que Fielden doit interrompre son discours alors que Spies et Parsons ont déjà quitté la manifestation. La manifestation s’est déroulée pacifiquement et est donc sur le point de s’achever, mais deux événements viennent précipiter la situation: une charge de la police sur les manifestants et l’explosion d’une bombe. Là encore, les sources divergent sur le fait de savoir si la police a chargé les manifestants suite à l’explosion, ou si la police a déchargé sur les travailleurs sans raison, et que la bombe a explosé dans la confusion. Toujours est-il que l’on ne saura jamais qui a lancé la bombe: beaucoup pensent qu’il s’agit d’une simple provocation. La bombe tue un policier, Mathias Degan: cela suffit à déclencher une violente répression contre les anarchistes. Spies, Parsons et Fielden sont immédiatement arrêtés. Avec eux, Adolph Fischer, George Engel, Michael Schwab, Louis Lingg et Oscar Neebe sont arrêtés. Tous sont d’origine allemande. Fischer est imprimeur et propriétaire d’un journal en langue allemande, Der Anarchist. Engel, le plus âgé du groupe, tient un magasin de jouets et, dans l’effervescence de la manifestation, il n’est même pas présent: des témoins affirment qu’il était déjà chez lui. Schwab, ouvrier, syndicaliste et collaborateur de l’Arbeiter Zeitung de Spies, n’est resté que quelques instants sur Haymarket Square. Lingg est le plus jeune (seulement vingt-deux ans au moment de l’arrestation), mais aussi le moins pacifique. Il sait manier les explosifs avec habileté, a déjà développé des idéaux anarchistes dans son pays et a émigré aux États-Unis pour échapper au service militaire obligatoire. Pourtant, lui non plus n’est pas sur Haymarket Square le 4 mai. Il sera arrêté dix jours plus tard. Neebe, né à New York dans une famille allemande, est boulanger et collabore lui aussi à l’Arbeiter Zeitung. Lui aussi quitte la manifestation avant les émeutes.

Lo scoppio della bomba di Haymarket Square
L’explosion de la bombe de Haymarket Square, d’après une illustration de l’époque

Le procès des huit anarchistes s’ouvre le 21 juin. Mais on comprend tout de suite comment il va se terminer: l’intention n’est pas tant de punir les anarchistes pour un quelconque crime qu’ils auraient commis, mais de réprimer les manifestations par l’usage de la force. En fait, les preuves contre les accusés sont faibles, pratiquement insignifiantes, et ne permettent pas de découvrir l’auteur du jet de bombe, qui, comme on l’a dit plus haut, ne sera jamais retrouvé. Spies, Parsons et Fielden sont accusés d’avoir incité la foule à la violence. Lingg, Engel et Fischer sont accusés d’avoir participé à une réunion dans la nuit du 3 mai, au cours de laquelle, selon l’accusation, les trois auraient conspiré pour tuer des membres de la police. La défense, quant à elle, affirme que lors de la réunion du 3 mai, ils n’ont fait que parler de la manière de se défendre contre d’éventuelles attaques de la police. Cela n’aurait servi à rien. Neebe (la simple découverte d’une arme chez lui suffit à le prouver) et Schwab sont également accusés d’avoir fomenté la violence. Entre-temps, de nombreux journaux contribuent à entretenir un climat de forte hostilité à l’égard des ouvriers et des anarchistes: il y a ceux qui prônent le lynchage public des anarchistes, ceux qui veulent les voir condamnés à mort, ceux qui les dépeignent comme des monstres et des assassins. Et ce climat bénéficie de la répression de l’État, qui ferme de nombreux journaux anarchistes, arrête des innocents sans discernement, et va même jusqu’à menacer de torture les témoins qui font des déclarations en faveur de l’accusé. Mais il y a aussi ceux qui soutiennent la cause des anarchistes: les événements de Haymarket Square trouvent en effet un grand écho. Il suffit de citer George Bernard Shaw, qui envoie un télégramme à la Cour suprême de l’Illinois en écrivant: “Si l’État de l’Illinois doit perdre huit de ses citoyens, il ferait mieux de perdre les huit membres de la Cour suprême”.

Cependant, après un procès sommaire, sans preuves tangibles et avec des témoignages habilement inventés, le verdict tombe le 20 août 1886: sept des huit accusés sont condamnés à mort, tandis que Neebe écope de 15 ans de prison. Dans les mois qui suivent, Fielden et Schwab écrivent au gouverneur de l’Illinois pour demander une grâce, qui leur est accordée. Les autres refusent: pour eux, demander une grâce reviendrait à admettre une culpabilité qu’ils n’ont pas. Ils préfèrent donc mourir innocents. Lingg se tue en prison la veille de son exécution, en avalant un petit appareil qu’il a fabriqué lui-même. Spies, Parsons, Fischer et Engel sont pendus le 11 novembre. Sept ans plus tard, le gouverneur nouvellement élu de l’Illinois, John Peter Altgeld, déclare qu’il y a eu de très graves erreurs lors du procès et décide de faire libérer Fielden, Schwab et Neebe. Cette décision courageuse marque la fin de sa carrière politique: il est durement attaqué (entre autres par le futur président Theodore Roosevelt, qui déclare qu’Altgeld “pardonne et encourage les meurtriers les plus infâmes”), et est battu aux élections suivantes, tant pour le poste de gouverneur que pour celui de maire de Chicago. Ces défaites, associées à la détérioration de son état de santé, décrètent le départ définitif d’Altgeld de la scène politique.

Walter Crane, The Anarchists of Chicago
Walter Crane, Les anarchistes de Chicago (1894)

Aujourd’hui, les huit anarchistes sont connus sous le nom de " martyrs de Chicago". Afin de se souvenir de leur sacrifice, la Deuxième Internationale a décidé en 1889 d’instaurer une journée internationale le 1er mai pour célébrer les travailleurs et continuer à lutter pour ce pour quoi les martyrs de Chicago s’étaient battus: la journée de travail de huit heures.

Dans le domaine de l’art, l’une des premières contributions à la mémoire des martyrs a été apportée par Walter Crane, un peintre anglais d’abord influencé par les préraphaélites, puis parmi les principaux représentants du mouvement Arts and Crafts, qui a joué un rôle majeur dans la formation de ce qui est universellement connu sous le nom de style Art nouveau. En 1894, Crane publie une gravure intitulée The Anarchists of Chicago en hommage aux innocents sacrifiés pour leurs idées. L’œuvre paraît pour la première fois en novembre de la même année dans le journal anarcho-communiste Liberty, mais connaît immédiatement un grand succès: elle est reproduite en plusieurs exemplaires qui circulent largement dans les milieux anarchistes et socialistes. Une diffusion qui se poursuit encore aujourd’hui: il suffit de faire une recherche sur Internet pour se rendre compte du nombre de fois où la gravure de Walter Crane apparaît sur les sites anarchistes.

L’œuvre contient de nombreuses références symboliques. Le protagoniste est une figure féminine, habillée de manière classique et coiffée d’un bonnet phrygien: on peut donc identifier la femme à l’allégorie de la liberté. Cependant, il pourrait également s’agir d’une allégorie de l’anarchie, car on remarque sur la gauche une bannière noire, symbole anarchiste, et aussi parce qu’à l’époque, dans les illustrations de journaux conservateurs, l’anarchie était souvent représentée par une femme, en opposition aux forces de l’ordre, perçues comme un exemple de virilité et de masculinité. Bien que la femme soit un symbole de liberté, elle n’a pas les ailes qui sont un attribut typique de la liberté: c’est parce que l’intention de Crane est d’éviter de trop idéaliser la composition, puisque le sacrifice des huit martyrs était un fait réel. La femme tient un drap avec l’inscription The Anarchists of Chicago, et derrière elle on remarque un brasier ardent (la torche est un symbole de l’anarchie) qui s’élève au-dessus d’un autel sur lequel se trouvent huit médaillons avec les portraits et les noms des anarchistes jugés après les événements de Haymarket Square. Les feuilles d’olivier, quant à elles, sont un symbole de victoire.

On ne peut s’empêcher de remarquer que la gravure est pleine de références au classicisme: la déesse, habillée à l’antique et dans une pose qui rappelle presque les retables de la Renaissance, l’autel, l’olivier, les médaillons avec les portraits. Ces références ont une raison précise: tout comme l’époque classique était considérée comme l’âge de l’ordre et de l’harmonie, Crane considère l’anarchie comme un moyen d’instaurer l’ordre et l’harmonie dans le monde.

Dans les années qui ont suivi, des statues et des monuments ont été érigés pour honorer la mémoire des huit martyrs. Aujourd’hui, nous nous souvenons d’eux pour leur immense sacrifice, pour avoir subi un procès injuste, pour avoir été condamnés simplement pour punir leurs idées, et parce que, par leurs paroles et leurs actes, ils nous ont permis de vivre dans un monde meilleur. Souvenons-nous des huit martyrs de Chicago et remercions-les pour l’exemple qu’ils nous ont donné et pour les résultats que nous avons pu obtenir grâce à leur courage.

Walter Crane, The Anarchists of Chicago
Walter Crane, Les anarchistes de Chicago (1894) - détail

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