Alessandro Magnasco: l'anticlérical du XVIIIe siècle


Anticonformiste, proche des humbles, moderne, curieux: Alessandro Magnasco était un peintre novateur qui portait un regard critique sur la réalité.

Oui, c’est vrai: le titre de cet article est volontairement provocateur. Mais c’est peut-être la meilleure façon de rendre un juste hommage à la figure d’Alessandro Magnasco (Gênes, 1667 - 1749) qui, ne nous le cachons pas, est l’un de nos peintres préférés. Car s’il est excessif de lui attribuer des sentiments véritablement anticléricaux, du moins selon notre perspective contemporaine, il est en revanche vrai qu’une certaine dose (voire: une forte dose) de provocation est inhérente à son art. C’est cet aspect qui ressort plus que tout autre de l’exposition Alessandro Magnasco. Les années de maturité d’un peintre anticonformiste (Alessandro Magnasco. Les années de maturité d’un peintre anticonformiste), que l’on peut visiter au musée Palazzo Bianco de Gênes jusqu’au 5 juin 2016. L’un des mérites de l’exposition est de laisser à l’observateur la possibilité d’identifier, dans un discours sous-jacent dans lequel, à vrai dire, il est assez facile de perdre le fil du puzzle, un parcours qui traverse les œuvres de manière karstique, permettant d’entrevoir l’attitude de l’artiste génois face aux différentes déclinaisons auxquelles la religion a été soumise par ses contemporains.

Et cela commence par une déclaration d’intention très précise: la dissipation et l’ignorance détruisent les arts et les sciences. L’un de ses tableaux moralisateurs est connu sous ce titre aussi savoureux qu’inquiétant (et, à certains égards, très actuel), où l’on voit un âne, symbole immédiat de l’ignorance, et une truie, allégorie de la dissipation, se jeter férocement sur les chevalets, les livres, les compas et les globes (allusion aux arts et aux sciences), au grand désarroi du peintre et du savant, submergés par la fureur des bêtes. L’allégorie du Temps est tout aussi accablée: le vieillard ailé, vaincu, blessé et humilié par l’ignorance, s’éloigne en s’appuyant sur une paire de béquilles et en jetant un dernier regard inconsolable vers la décadence qui se déroule derrière lui. Plus loin, un homme vénère un âne assis sur un trône, en l’encensant: un exemple clair (et toujours d’actualité) de la façon dont l’ignorance prend souvent le pouvoir. Les miroirs omniprésents nous donnent un indice sur le principal responsable de la dévastation: la vanité, encore symbolisée par le sanglier s’admirant sur la surface réfléchissante, et prenant totalement possession d’unearistocratie frivole et désengagée, réunie autour d’une table et occupée à perdre son temps. Il n’est pas difficile de reconnaître, parmi les personnages assis autour de la courtisane occupée à faire les honneurs de la maison, un prêtre s’abandonnant lascivement sur les épaules de la femme, un chevalier absorbé par les réjouissances et complètement oublieux de son épée, qu’il laisse pendre de sa chaise, et un juriste trop occupé à observer la partie de cartes entre la maîtresse de maison et un jeune homme pour penser à sa profession.



Alessandro Magnasco, La dissipation et l'ignorance détruisent les arts et les sciences
Alessandro Magnasco, Dissipation et ignorance détruisent les arts et les sciences (vers 1735-1740 ; huile sur toile, 62,3 x 91,5 cm ; collection privée)

C’est précisément dans ce tableau de la seconde moitié des années 1730 que nous trouvons les prémisses peu édifiantes qui nous conduisent dans un court voyage constamment en équilibre entre deux pôles éloignés, qu’Alessandro Magnasco décrit avec son œil cynique et narratif, et avec ses coups de pinceau agiles, rapides et souvent grumeleux, qui lui permettent de construire ses personnages lugubres, figurants d’un drame théâtral dont ils ne peuvent pas s’échapper. Deux pôles éloignés, mais unis par un même dénominateur: celui de la misère, qui est aridité et misère morale dans les tableaux qui montrent des couvents transformés presque en résidences de plaisance où la futilité a fait place à la prière et au recueillement, et qui est au contraire misère matérielle dans les compositions où de vieux moines lugubres aux tuniques usées tentent de survivre tant bien que mal dans une réalité de privations, de privations et de souffrances.

Une toile provenant d’une collection privée, à laquelle on a donné le titre éloquent de Scaldatoio, est l’une des plus illustratives des dures conditions de vie des moines figurant dans de nombreux tableaux d’Alessandro Magnasco. Une douzaine de moines enveloppés dans des vêtements frustes et minces, aux visages creusés, souvent âgés, se rassemblent autour d’une braise, insuffisante pour les chauffer tous, à tel point que l’un d’entre eux, celui que l’on voit au premier plan à droite, préfère partir en s’appuyant sur ses béquilles, l’air maussade et la bouche ouverte, presque comme pour émettre une grimace de désappointement: malgré la rapidité d’exécution typique du peintre ligure, on l’imagine, ce vieux moine, marchant en boitant, protestant contre le misérable soupçon de feu avec lequel les frères prétendent chauffer une pièce au plafond très haut. Et tandis que la fumée noire s’élève vers la hotte de la cheminée en ruine, il y a ceux qui soufflent avec le soufflet pour essayer d’alimenter les flammes, il y a ceux qui étendent un linge dans une vaine tentative de séchage, et il y a ceux qui tendent simplement leurs mains vers l’avant, crochues et anguleuses comme celles de presque tous les protagonistes des tableaux de Magnasco, pour trouver un minimum de réconfort contre la chaleur: la capacité narrative du peintre est l’une des plus élevées de tout le XVIIIe siècle. Et pour mieux souligner la pauvreté de ces frères, Magnasco décide de jouer la composition presque exclusivement sur des tons bruns et gris, les couleurs qui reviennent peut-être le plus dans ce type de production: les références à la terre et à la cendre font allusion de manière significative et peut-être consciente à l’humilité de ces pauvres frères.

Cette humilité caractérise également les pèlerins qui s’arrêtent en chemin pour prier devant une chapelle de montagne, sur un fond qui révèle - s’il en était besoin, puisque la production de Magnasco regorge d’exemples illustres - l’intérêt du peintre pour les paysages, un genre pour lequel il travaillait avec un peintre d’Ancône, Antonio Francesco Peruzzini: le peintre des Marches peignait le paysage, et Magnasco le peuplait de figures. L’exposition présente d’ailleurs un autre exemple de cette collaboration dans une paire de tableaux (le Saint Augustin et la Prédication de Saint Antoine), conçus comme des pendentifs, séparés en vertu de passages de collectionneurs, et réunis pour l’exposition: une occasion intéressante de voir à nouveau les deux œuvres jumelées. Pour en revenir à la Preghiera davanti a una cappella campestre (Prière devant une chapelle campagnarde), il est évident que dans cette œuvre, conservée dans les collections des Musées de la Strada Nuova, Magnasco prend soin de souligner la force du sentiment religieux de ceux qui entreprennent le pèlerinage sur ces chemins: malgré la fatigue et les difficultés du voyage, les pèlerins trouvent néanmoins l’énergie de se rassembler autour du prêtre pour réciter une prière.

Alessandro Magnasco, Scaldatoio
Alessandro Magnasco, Scaldatoio (vers 1720 ; huile sur toile, 93 x 62 cm ; Venise, collection Lapiccirella Brass)


Alessandro Magnasco, Prière devant une chapelle de campagne
Alessandro Magnasco, Prière devant une chapelle rurale (vers 1717-1719 ; huile sur toile, 113 x 89 ; Gênes, Musei di Strada Nuova)

Dans ces deux tableaux, comme dans presque toutes les fraterie (c’est le nom sous lequel sont connues les peintures à thème monastique de Magnasco), il n’y a pas la moindre intention satirique. Au contraire: avec ses fraterie, Magnasco prend fermement position dans un débat sur la corruption des ordres monastiques, qui avait lieu dans les années mêmes où le peintre produisait ses œuvres. L’une des voix qui a pris part au débat est celle du frère capucin Gaetano Maria da Bergamo (né Marco Migliorini, Bergame 1672 - 1753) qui, en 1750, soit un an après la mort de Magnasco, a publié les Istruzioni morali, ascetiche, sopra la povertà de’ frati minori cappuccini (Instructions morales et ascétiques sur la pauvreté des frères mineurs capucins), une synthèse de ses idées ainsi que du contenu de la prédication que le religieux effectuait depuis des années en Lombardie, la région où Magnasco avait été actif pendant longtemps. Gaetano Maria da Bergamo, ardent et fervent partisan de la pauvreté monastique (certains de ses conseils: se dépouiller de tous les biens superflus, se limiter à rapiécer ses soutanes si elles sont usées, ne pas porter de chaussures sauf en cas de nécessité absolue, etc.), ne se limitait pas à suggérer aux frères un idéal de vie voué à l’humilité évangélique, puisque la cible de ses sermons enflammés était aussi la dissolution du clergé. Nous lisons dans l’un de ses sermons: “Même dans les églises, sans respect pour la majesté divine, on vient avec convoitise profaner leur sainteté. Ici, il y a de la convoitise dans les pensées, de la convoitise dans les regards, de la convoitise dans les vêtements, dans les courbettes et dans les gestes... mais je ne peux pas tout dire, et en ne pouvant pas le dire, vous pourrez comprendre ce que j’ai à dire”.

Alessandro Magnasco, avec irrévérence et charge provocatrice, semble presque vouloir donner corps aux paroles de Gaetano Maria da Bergamo dans certaines de ses œuvres. Et si, répétons-le, il est difficile de parler d’anticléricalisme (aussi parce que la critique de Magnasco est morale et non politique), l’artiste n’est pas pour autant tendre envers le laxisme des mœurs de certaines personnes appartenant au clergé et aux cercles monastiques. Dans le tableau connu sous le nom de Chocolat, l’artiste ligure tourne son ironie contre un petit groupe de religieuses qui se reposent dans ce qui devrait être leur cellule, mais qui est en fait un intérieur somptueux typique d’une maison seigneuriale: la faim et la pauvreté semblent bannies de ces pièces, à l’intérieur desquelles les religieuses se délectent d’instruments de musique (un violoncelle est mis en valeur au premier plan, adossé à un meuble) et surtout de chocolat, le véritable protagoniste du tableau, que boit la religieuse qui occupe le centre de la composition, occupée à faire tourner le breuvage le petit doigt levé, et la novice assise à côté d’elle, richement vêtue et coiffée comme une petite dame, que l’on surprend également en train de s’amuser avec un petit chien. Et bien sûr, les miroirs sont omniprésents. Le fait que le chocolat joue un rôle de premier plan sert la critique d’Alessandro Magnasco: à l’époque, la boisson était si chère qu’elle n’était accessible qu’aux classes aisées, qui l’avaient érigée en une sorte de symbole de statut social. Rien n’est plus éloigné de l’idéal de vie que Gaetano Maria da Bergamo recommandait aux moines.

Le manque d’adhésion des moines et des moniales est bien décrit dans un autre tableau, connu sous le nom de Il parlatorio (Le Parloir), qui représente le moment où les moniales regardent la grille du parloir de leur couvent pour assister à un concert de violoncelle, improvisé par un jeune homme bien habillé au premier plan, auquel participe également un moine, vu de dos, et qui a manifestement un certain intérêt pour les femmes qui se trouvent de l’autre côté de la grille. Les religieuses affluent avec un plaisir visible, attirées par la douceur de la musique et se blottissant sur le parapet, ne dédaignant sans doute pas de jeter quelques regards voluptueux sur les jolies invitées.

Alessandro Magnasco, Chocolat
Alessandro Magnasco, Chocolat (vers 1740-1745 ; huile sur toile, 73 x 57 cm ; collection privée)


Alessandro Magnasco, Parlatorio
Alessandro Magnasco, Parlatorio (vers 1740-1745 ; huile sur toile, 85 x 70 ; collection privée)

Dans le climat des Lumières naissantes, habitué à fréquenter une clientèle cultivée et de plus en plus ouverte, Alessandro Magnasco ressent le besoin de proposer une peinture engagée, délibérément anti-académique et anticonformiste, se rangeant du côté des derniers, en dissidence ouverte avec les classes supérieures. L’exposition génoise, malgré ses défauts (le manque d’organicité de la mise en page, qui tient cependant la route, l’absence substantielle de références au contexte culturel dans lequel l’artiste a travaillé, et l’impression d’être à l’intérieur d’une publicité continue du principal promoteur de l’exposition, la Galerie Canesso à Paris), réussit néanmoins à mettre en évidence ces aspects de la personnalité d’un artiste qui, en raison de son extrême modernité et de la charge novatrice de sa peinture, pourrait aussi se voir pardonner quelques excès de moralisme. Il convient toutefois de rappeler que lors de l’importante exposition consacrée à ce grand artiste à Berlin en 1914, l’historien de l’art Paolo D’Ancona, dans son compte-rendu de l’exposition, a déclaré que “Magnasco n’est pas un moraliste au sens propre du terme [...]. C’est plutôt un esprit curieux qui observe d’un œil indulgent et avec prédilection la vie des êtres humbles, qu’il apprécie le plus parce qu’ils sont les plus proches de la nature, et ces êtres, il réussit admirablement à les mettre en scène dans leur monde, de sorte qu’il en résulte un ensemble homogène dans lequel l’homme et la nature sont indissolublement unis”. Une définition pertinente pour l’un des artistes les plus difficiles à encadrer dans des catégories ou des étiquettes préétablies.

Alessandro Magnasco. Les années de maturité d'un peintre anticonformiste
Alessandro Magnasco. Lesannées de maturité d’un peintre anticonformiste. Gênes, Palazzo Bianco, jusqu’au 5 juin 2016


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