La monographie Il Beato Angelico a Roma 1445-1455. Rinascita delle arti e Umanesimo cristiano nell’Urbe di Niccolò V e Leon Battista Alberti, le dernier ouvrage de Gerardo de Simone (Castellammare di Stabia, 1974), historien de l’art spécialisé dans la peinture de la Renaissance italienne: un volume à la fois analytique, historien de l’art et historique, exigeant, constamment tendu entre deux pôles. Le premier est la tradition, dans le sillage de laquelle l’ouvrage s’inscrit, tant par sa forme, qui adopte un style sérieux et une élégante mise en page typographique à la sauce du XXe siècle, que par son contenu, qui rappelle avec abondance, précision et exhaustivité les sources et les études sur les séjours romains de Fra ’ Giovanni da Fiesole (né Guido di Pietro, Vicchio, vers 1395 - Rome, 1455), à qui l’essai est dédié: En particulier, le livre représente la première monographie consacrée aux années romaines de l’Angelicus pictor, qui a passé une décennie dans la capitale des États pontificaux, à partir de 1445, lorsqu’il y a été appelé par le pape Eugène IV (né Gabriele Condulmer, Venise, 1383 - Rome, 1447), qui a eu l’occasion de voir le peintre florentin à l’œuvre au couvent de Saint-Marc à Florence, jusqu’en 1455. Il interrompt toutefois son séjour pendant quelques années entre la fin de 1449 et 1452, date à laquelle il retourne en Toscane, investi de la charge de prieur du couvent de Saint-Dominique à Fiesole. Le second pôle est, au contraire, sa dimension de recherche, qui a pu conduire à diverses nouvelles perspectives sur l’artiste, à des hypothèses, à des nouveautés.
Un volume d’histoire de l’art et d’histoire, avons-nous dit: à tel point que le livre s’ouvre sur une étude historique minutieuse de la Rome d’Eugène IV et de son successeur, Nicolas V (né Tommaso Parentucelli, Sarzana, 1397 - Rome, 1455). La ville que Fra Angelico trouve à son arrivée est en plein renouveau, grâce à l’impulsion qu’Eugène IV, mû par son désir de magnificence, en quelque sorte emprunté à l’action politique de Cosimo de’ Medici, qu’il a eu l’occasion de connaître et d’étudier en profondeur à Florence (où, pendant ses séjours, il a pu apprécier les merveilles de la Renaissance florentine), a su lui donner: Des entreprises artistiques notables furent entreprises, comme l’achèvement des décorations de la nef de Saint-Jean de Latran par Pisanello, les portes en bronze de Saint-Pierre commandées à Filarete, et encore pour Saint-Pierre le Tabernacle du Sacrement, pour lequel Donatello fut mandaté. Mais ce n’est pas tout: Eugène IV s’occupe de la restauration des bâtiments neufs et anciens, rouvre le Studium Urbis, la première université de Rome, en fondant également des collèges pour les étudiants les moins aisés, et accueille à sa cour plusieurs des plus grands hommes de lettres de l’époque (comme Ambrogio Traversari, Poggio Bracciolini, Aurispa, Leonardo Bruni, Carlo Marsuppini et Flavio Biondo). Cet intérêt humaniste prononcé, destiné, avec une politique étrangère astucieuse et efficace, à ressusciter Rome et à en faire à nouveau un protagoniste des affaires italiennes, caractérise également l’action de Nicolas V, qui utilisa une partie des palais du Vatican pour accueillir le noyau fondateur de ce qui deviendra plus tard la Bibliothèque vaticane et qui, à l’époque du pape ligure, était déjà une bibliothèque importante et, en partie, publique, “quoique partiellement”, puisque l’accès était réservé aux érudits et aux membres du clergé, "avec un corpus de livres ordonnés par des inventaires et des registres de prêts, confiés à la responsabilité de bibliothécaires et de conservateurs, aux soins de copistes, d’enlumineurs, de restaurateurs et placés dans un espace spécial, bref organisés au sens moderne du terme“ (Flavia Cantatore). Mais ce n’est pas tout: Nicolas V, un autre ”admirateur" de la politique des Médicis, encouragea la renovatio urbis qui impliquait le réaménagement d’une grande partie de la ville (des bâtiments tels que Santa Maria Maggiore, le Panthéon, les palais du Vatican eux-mêmes, mais aussi des infrastructures telles que des murs, des ponts et des aqueducs) et la construction de nouveaux palais, en particulier sur l’axe Campidoglio-Vatican.
À Rome, la première commande confiée à Fra Angelico (par Eugène IV) fut la décoration de la chapelle du Sacrement, dont les fresques furent achevées le 23 février 1447 (elles n’existent plus aujourd’hui). Et c’est précisément sur les fresques perdues de la Chapelle du Sacrement que Gerardo de Simone avance les premières hypothèses contenues dans la monographie: comme prévu, il s’agit en effet d’une recherche profonde qui a mis en évidence plusieurs nouveautés, dont certaines feront l’objet presque exclusif de ce compte-rendu (il est en effet difficile d’offrir un résumé exhaustif du livre, compte tenu de son volume et de sa densité). En ce qui concerne la première œuvre de Fra Angelico à Rome, de Simone retrace tout d’abord les neuf dessins sur parchemin aujourd’hui conservés en partie au Musée Boijmans van Beuningen de Rotterdam et en partie au Fogg Art Museum de Cambridge, Massachusetts, à cette entreprise (comme l’avait déjà fait avant lui Miklós Boskovits), en prenant parti pour ceux qui ont voulu attribuer la paternité de l’œuvre au frère-peintre, mais il va plus loin: L’érudit campanien, suivant une intuition de Carl Strehlke, émet en effet l’hypothèse que la chapelle du Sacrement comportait un Jugement dernier semblable auCouronnement de la Vierge aujourd’hui aux Offices. Pour le retable florentin, souligne de Simone, il serait plus correct de parler de Paradis (puisque, dans le panneau, le Christ ne pose pas de couronne sur la tête de Marie, mais met simplement une pierre précieuse dans le diadème qu’elle porte déjà), le même terme avec lequel l’Anonimo Magliabechiano du XVIe siècle se réfère à la chapelle du Sacrement. Une digression sur le thème du Jugement conduit d’ailleurs de Simone à émettre l’hypothèse que le triptyque du Jugement aujourd’hui à Berlin (mentionné pour la première fois en 1572, dans les collections du pape Pie V), et unanimement considéré comme un seul panneau original puis divisé en périodes postérieures, a été réséqué peu après l’attestation de 1572: les dernières recherches sur l’exemplaire du Jugement anciennement conservé à Leonforte, en Sicile (aujourd’hui dans une collection privée), ont confirmé une exécution à la fin du XVIe siècle, et comme cet exemplaire reproduit fidèlement la résection, il est possible d’avancer l’idée que le démembrement a eu lieu quelques années plus tôt.
La monographie de Gerardo de Simone. Fra Angelico à Rome. 1445-1455 |
À gauche: Fra Angelico, Massacre des Innocents (vers 1450 ; dessin sur parchemin violet, 7,5 x 6 cm ; Rotterdam, Museum Boijmans van Beuningen). À droite: Fra Angelico, Lavage des pieds (vers 1450 ; dessin sur parchemin violet, 8 x 6 cm ; Rotterdam, Museum Boijmans van Beuningen). |
À gauche: Fra Angelico, Capture du Christ (vers 1450 ; dessin sur parchemin violet, 7,5 x 6 cm ; Rotterdam, Museum Boijmans van Beuningen) À droite: Fra Angelico, Crucifixion (vers 1450 ; dessin sur parchemin violet, 8 x 6,2 cm ; Cambrige, Harvard University Art Museums, Fogg Art Museum) |
Fra Angelico, Paradis (vers 1434-1435 ; tempera sur panneau, 112 x 114 cm ; Florence, Uffizi) |
Fra Angelico, Jugement dernier (v. 1435-1436 ; tempera sur panneau, panneau central 103 x 65 cm, panneaux latéraux 103 x 28 cm ; Berlin, Staatliche Museen, Gemäldegalerie) |
Par Beato Angelico (Scipione Pulzone?), Jugement dernier (vers 1570-1580 ; collection privée, anciennement à Leonforte, église des Capucins) |
L’hypothèse de Gerardo de Simone sur le commanditaire probable du Jugement dernier de Berlin est également intéressante. Il pourrait s’agir du cardinal Juan de Casanova (Barcelone, 1387 - Florence, 1436): des preuves physionomiques (le personnage conduit par saint Augustin dans la peinture angélique ressemble au seul portrait connu de Juan de Casanova) et historiques (le cardinal s’installe à Florence en 1435, date que Gerardo de Simone considère comme cohérente avec le style du Jugement dernier) semblent étayer cette idée. Toujours à propos des Jugements de l’artiste florentin, l’auteur de la monographie émet l’hypothèse d’une collocation romaine pour le Jugement aujourd’hui conservé à la galerie Corsini à Rome et, enfin, relie le Christ Juge de la chapelle San Brizio d’Orvieto au panneau homologue aujourd’hui conservé au musée du Petit Palais d’Avignon, assemblé sur fond bleu grâce à l’utilisation de trois fragments originaux, et d’attribution angélique très récente (il lui a été attribué sans hésitation par Michel Laclotte en 2005). L’œuvre d’Avignon, qui constituerait un précédent pour la fresque d’Orvieto, était peut-être, selon Gerardo de Simone, le panneau central d’un triptyque dont les compartiments latéraux étaient probablement les ailes avec les Bienheureux et les Damnés aujourd’hui conservées au Museum of Fine Arts de Houston: une nouveauté intéressante, une hypothèse qui, selon le chercheur, est soutenue par le “point stylistique”, le “ghibertisme des poses” et la “gamme de couleurs tendant vers le lilas-violet”, qui serait la même dans le tableau d’Avignon et dans les portes américaines.
D’autres indices intéressants proviennent des portraits d’hommes illustres que l’artiste avait peints dans la chapelle, toujours selon Giorgio Vasari: "dans cette œuvre [la Chapelle du Sacrement, éd. Nous ne savons pas comment Fra Angelico a inséré ces portraits dans la chapelle (c’est-à-dire s’il a inséré les figures en pied directement dans les scènes, comme l’a fait Benozzo Gozzoli dans la Chapelle des Mages à Florence, ou s’il y avait des portraits sur les cadres), mais Gerardo de Simone trouve dans ce cycle de portraits un point de départ intéressant pour explorer la relation entre Fra Angelico et l’un des peintres français les plus importants de l’époque, Jean Fouquet (Tours, c. 1420 - c. 1481). Selon une hypothèse de Fiorella Sricchia Santoro, l’auteur de ces portraits serait Fouquet lui-même, qui avait alors un peu plus de vingt-cinq ans, se trouvait en Italie et s’était probablement déjà distingué comme portraitiste: arrivé à Rome, Fouquet peignit (et c’est une nouvelle certaine) un portrait d’Eugène IV, aujourd’hui perdu mais connu grâce à une copie réalisée par Cristofano dell’Altissimo (Florence, 1525 - Florence, 1605). Le tableau était destiné à la sacristie de la basilique de Santa Maria sopra Minerva, siège des Dominicains à Rome, où résidait Fra Angelico (qui était un frère dominicain), et édifice qui fit l’objet d’importants travaux promus par le cardinal Juan de Torquemada (Valladolid, 1388 - Rome, 26 septembre 1468) qui, comme nous le verrons plus tard, eut des relations très étroites et fructueuses avec Fra Angelico, et peut probablement être identifié comme le mécène de Fouquet. De Simone estime que “Angelico a peut-être joué un rôle important dans le ”parrainage“ du jeune Français, étant donné qu’il était le peintre du pape et que sa résidence romaine était précisément le couvent dominicain de la Minerve auquel le portrait était destiné”. Cela est également dû au fait que les deux hommes s’étaient peut-être déjà rencontrés à Florence: la relation entre eux était donc “profonde et importante, et non à sens unique du maître plus âgé vers le plus jeune: la sensibilité réaliste-ritualiste, et une certaine magniloquence formelle, que le bienheureux dominicain a en effet été en mesure de démontrer dans la phase tardive de son activité, n’ont pas échappé à l’influence du génie de Tours”.
À gauche: détail avec Saint Augustin guidant Juan de Casanova dans le Jugement de Berlin. À droite: Lleonard Crespí, Dédicace du codex au roi Alphonse le Magnanime par son confesseur Joan de Casanova, détail (après 1424-avant 1430 ; British Library, Ms. Add. 28962, fol. 14v) |
Beato Angelico, Triptyque avec l’Ascension, le Jugement dernier et la Pentecôte (vers 1446-1448 ; tempera sur panneau, panneau central 55 x 38,5 cm, panneaux latéraux 55 x 18 cm ; Rome, Galerie Corsini) |
Beato Angelico, Christ juge et anges (1447 ; fresque ; Orvieto, cathédrale, chapelle de San Brizio) |
Ci-dessus: Fra Angelico, Jugement dernier (vers 1430-1432 ; Avignon, musée du Petit Palais). En bas à gauche: Fra Angelico, Beati (vers 1430-1432 ; prêté à Houston, Museum of Fine Arts). À droite: Fra Angelico, Damned (vers 1430-1432 ; en dépôt à Houston, Museum of Fine Arts). |
De la chapelle Niccolina, la grande œuvre commandée par Nicolas V à Fra Angelico et la seule de ses œuvres vaticanes à avoir survécu, Gerardo de Simone retrace l’histoire, l’iconographie et la fortune critique dans une reconstitution méticuleuse et précise: En ce qui concerne ce dernier point, l’auteur énumère plusieurs nouvelles qui n’avaient pas été mentionnées auparavant, à commencer par l’existence d’un premier essai monographique sur la chapelle, rédigé par l’Allemand Aloys Ludwig Hirt et publié en 1789, jusqu’à une référence à un “essai monographique négligé” de Maurice Faucon, qui considérait même que l’œuvre de Beato Angelico était supérieure aux fresques de Raphaël au Vatican, à un texte du poète allemand semi-inconnu du XIXe siècle Karl Adam Berthold, qui a chanté la rencontre entre le frère-peintre et le pontife de Sarzano, et dont le poème a été publié en 1880 dans le journal Die Gartenlaube, accompagné d’une illustration d’un J. Lang non précisé. Lang. En ce qui concerne plus précisément la chapelle Niccolina, nous pouvons commencer par reconstituer les événements de la grande Déposition qui ornait autrefois le mur du fond de la salle (nous ne savons toutefois pas s’il s’agissait d’une fresque ou d’un panneau): Gerardo de Simone part d’une gravure de 1853 où l’on peut encore voir une partie de l’œuvre, représentant la Déposition de la Croix, dans une pose similaire à celle qu’elle prend dans la Déposition aujourd’hui conservée à la National Gallery de Washington, pour arriver cependant à la conclusion qu’il n’est pas possible d’établir avec certitude si le morceau vu dans la gravure est effectivement le fragment de la Déposition Angélique. En ce qui concerne les fondements idéologiques de la décoration de la chapelle (peinte à fresque avec les histoires des saints Étienne et Laurent), l’auteur rappelle, entre autres, que "les histoires parallèles des deux saints offrent un paradigme d’exemplarité qui est étranger aux célébrations et au triomphalisme explicite [...] mais qui s’exprime au contraire dans l’expression de l’amour et de l’amour de Dieu.mais qui s’exprime dans les tons solennels et intemporels de la liturgie et s’articule selon les valeurs centrales d’une ecclésiologie renouvelée, façonnée par les réflexions des théologiens et les sollicitations du moment historique: primauté papale et diakonía / service (dans les deux ordinations) ; caritas (dans les distributions d’aumônes respectives) et prédication de l’Évangile (dans la prédication d’Étienne et la conversion de Lucillus) ; martyre, témoignage extrême de la foi et imitatio Christi".
À côté de cette “idéologie anti-célébratoire, de dévouement total au prochain, de renoncement charitable aux biens de l’Église pour aider les nécessiteux”, il y avait cependant la nécessité de mettre en valeur la grande œuvre de rénovation de Nicolas V: il y avait, trivialement, le problème de faire coexister la célébration et l’anti-célébration. On peut supposer que Beato Angelico a trouvé la réponse dans l’architecture: un chapitre de l’essai est consacré précisément à l’architecture de la chapelle Niccolina, monumentale, inspirée tant par les vestiges de la Rome classique que par les résultats contemporains de la Renaissance florentine (classique), en particulier ceux de Brunelleschi et d’Alberti. Ce mélange d’instances classiques et religieuses, émergence évidente de l’humanisme chrétien de Beato Angelico, trouve un de ses sommets dans le sol de la chapelle Niccolina, à propos duquel Gerardo de Simone propose une des nouveautés les plus intéressantes de la monographie, à savoir l’attribution de l’œuvre à Leon Battista Alberti (Gênes, 1404 - Rome, 1472), justifiant cette position sur la base de comparaisons stylistiques (le soleil au centre du sol, par exemple, ressemble beaucoup à celui d’Alberti, mais il n’en est pas de même pour les autres éléments de la chapelle, comme les murs, les plafonds, etc, ressemble beaucoup à celui de la façade de Santa Maria Novella à Florence, où l’on retrouve également le motif du vase bisannuel), philosophiques (la présence, dans les traités de Leon Battista Alberti, de nombreuses pages consacrées à la décoration des sols, souvent en relation avec des œuvres antiques, mais aussi le symbolisme complexe du sol de Niccolino, compatible avec les hypothèses conceptuelles qu’un personnage comme Alberti aurait pu suggérer), historiques (le fait que Fra Angelico ait été au courant des théories d’Alberti).
En poursuivant la lecture du volume, il est utile de signaler une autre nouveauté, à savoir l’attribution à Fra Angelico d’un fragment représentant la Madone de la Fièvre, aujourd’hui conservé au musée du Trésor de Saint-Pierre, mais qui se trouvait autrefois dans la rotonde de Sant’Andrea (également appelée “Santa Maria della Febbre” à partir du XVIe siècle), démolie entre 1776 et 1777. La fresque doit son nom au fait que, dans l’Antiquité, les fidèles s’y rendaient pour invoquer des guérisons prodigieuses et, malgré d’importants repeints à des époques ultérieures, des comparaisons stylistiques (par exemple avec la Vierge à l’Enfant du retable du Bosco ai Frati, aujourd’hui conservé au musée de Saint-Marc à Florence, ou avec la Vierge à l’Enfant du Kunstumuseum de Berne) suggèrent l’idée que Fra Angelico aurait pu s’occuper de ce tableau, qui représentait à son tour une refonte radicale d’un original du XIVe siècle. De Simone apporte également des précisions idéologiques à l’appui de son hypothèse: la petite église de Santa Maria della Febbre a subi à l’époque d’importants travaux de rénovation (elle a notamment été recouverte d’ornements en bois, comme ce fut le cas pour le cabinet de travail de Nicolas V au Vatican), et il est probable que Fra Angelico ait exécuté le tableau de la Vierge à l’Enfant à la fin du XIVe siècle: Il est probable que la revisitation par Fra Angelico de l’ancienne peinture du XIVe siècle s’inscrive dans un programme d’affirmation de “ l’iconographie moderne de dévotion mariale à Rome ”, dans la lignée de la réalisation, quelques années plus tôt (vers 1449: la Madone de la Fièvre est plutôt placée dans une période approximativement comprise entre 1453 et 1454), de la grande bannière jubilaire de la Minerve, qui répondait aux mêmes exigences.
Enfin, le chapitre consacré au cycle perdu des fresques qui ornaient le cloître de Santa Maria sopra Minerva mérite une grande attention: le monastère fut le lieu de résidence de Fra Angelico et du cardinal Juan de Torquemada, déjà cité, qui a légué sa remarquable bibliothèque au monastère de la Minerve. Le mérite de Gerardo de Simone est d’avoir mis l’accent sur le rôle de Torquemada dans les décorations du cloître (qui avaient déjà été détruites au XVIe siècle à la suite de travaux de rénovation). L’étude des sources anciennes montre que Torquemada a conçu le programme iconographique du cloître sur la base d’un de ses textes, les Meditationes reverendissimi patris domini Johannis de turrecremata Sacrosancte Romane ecclesie Cardinalis posite et depicte de ipsius mandato in ecclesie ambitu sancte Marie de Minerva Rome, qui soulignent déjà dans le titre le rapport que le contenu devait avoir avec les scènes peintes. Les Meditationes (trente-quatre méditations religieuses sur des épisodes de l’Ancien et du Nouveau Testament, principalement sur les histoires du Christ) représentent le premier livre illustré imprimé en Italie (c’était en 1467), elles sont donc bien connues des bibliologues, mais pas des historiens de l’art (la monographie de Simone comble toutefois les lacunes). On ne sait pas si Torquemada a fait construire le cloître ex novo, comme semblent l’indiquer certaines sources anciennes (ce n’était probablement pas le cas: plusieurs textes suggèrent, à partir de certains indices, à commencer par les motifs cosmatesques des décorations architecturales, que le cloître était antérieur): Cependant, il l’a certainement fait décorer, comme l’atteste l’historien Gaspare Veronese, présent à l’époque (“Claustrum sanctissimae Mariae Super Minervam pulcherrimis epigrammatibus historiisque egregie exornavit”, c’est-à-dire “[Torquemada] a décoré le cloître de Santa Maria sopra Minerva magnifiquement et avec de belles histoires et inscriptions”), et il en a tout aussi certainement suggéré le contenu. Un autre mérite de de Simone est donc d’avoir entrepris une étude exhaustive et inédite des Meditationes par rapport à l’art de Fra Angelico, désigné par l’érudit comme l’auteur des fresques de la Minerve. De Simone affirme que “l’ampleur de l’entreprise, la centralité du lieu et la stature du commanditaire conduisent indubitablement à penser à un artiste de premier plan” comme auteur du cycle: un artiste “à la renommée établie, capable de suivre un cycle de grande ampleur et à l’iconographie complexe”. Le codex Vaticano Latino 973, un manuscrit contenant les illustrations des Meditationes, est mis en relation avec les peintures du cloître et, étant donné que les illustrations présentent une “claire empreinte italienne et, plus précisément, d’Italie centrale (mieux encore, de Toscane-Florentine), dans la conception générale comme dans les détails”, ainsi que le fait que l’œuvre est signée d’une note autographe de Torquemada, il est possible de considérer ce manuscrit comme la “trace la plus importante pour une reconstruction idéale de la décoration d’origine du cloître”. De Simone procède ensuite à de nombreuses comparaisons convaincantes entre les illustrations du manuscrit et les peintures de Beato Angelico: La Fuite en Égypte, par exemple, est identique à la même scène qui apparaît dans l’Armadio degli Argenti de Fra Angelico, de même que le Baptême du Christ et les Noces de Cana (dont les scènes de l’Armadio degli Argenti ont été peintes par Alesso Baldovinetti d’après le projet d’Angelico), et encore l’Annonciation révèle des similitudes avec les panneaux homologues qui se trouvent aujourd’hui au Prado, à Cortona et à San Marco, la Tentation du Christ ressemble à la scène peinte à fresque à San Marco, et ainsi de suite. Les similitudes trouvées par l’érudit sont si nombreuses qu’il n’y a plus guère de place pour le doute quant à la paternité angélique des fresques perdues.
La chapelle de Nicolas V. Peinte à fresque par Fra Angelico au Vatican, gravure publiée dans "L’Album. Giornale letterario di belle arti’, Rome, XX, 31 décembre 1853 (détail) |
Fra Angelico (et Jacopo del Sellaio), Déposition du Christ (vers 1440-1445 et vers 1460-1465 ; tempera sur panneau, 88,9 x 54,9 cm ; Washington, National Gallery) |
La chapelle Niccolina |
Varrone d’Agnolo Belfradelli sur un dessin attribué à Leon Battista Alberti, Sol en marbre de la chapelle Niccolina (1450-1451 ; Cité du Vatican, Palais du Vatican) |
Giovanni di Bertino sur un dessin attribué à Leon Battista Alberti, Façade de Santa Maria Novella, détail (vers 1460-1470 ; Florence, Santa Maria Novella) |
Fra Angelico (?) et restaurateurs du XVIIe-XVIIIe siècle, Vierge à l’enfant dite Vierge à la fièvre (vers 1453-1454 ; fresque détachée ; Cité du Vatican, Museo del Tesoro di San Pietro) |
Fra Angelico, Retable Bosco aux frères (vers 1450 ; tempera sur panneau, 174 x 174 cm ; Florence, Musée de San Marco) |
Beato Angelico, Vierge à l’enfant (vers 1450 ; tempera sur panneau ; Berne, Kunstumuseum) |
Juan de Torquemada, Meditationes (vers 1463 ; Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Lat. 973, c. 9r), Fuite en Égypte |
Beato Angelico, Fuite en Égypte, détail de l’Armadio degli Argenti (1450-1452 ; tempera sur panneau ; Florence, Museo di San Marco) |
Juan de Torquemada, Meditationes (vers 1463 ; Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Lat. 973, c. 11v), Baptême du Christ |
Beato Angelico, Baptême du Christ, détail de l’Armadio degli Argenti (1450-1452 ; tempera sur panneau ; Florence, Museo di San Marco) |
Juan de Torquemada, Meditationes (vers 1463 ; Cité du Vatican, Biblioteca Apostolica Vaticana, Vat. Lat. 973, c. 4v), Annonciation |
Beato Angelico, Annonciation (vers 1430 ; tempera sur panneau, 175 x 180 cm ; Cortona, Museo Diocesano) |
Parler de Beato Angelico à Rome signifie essentiellement parler d’œuvres perdues, à tel point que celle que Gerardo de Simone raconte dans son important essai est, de son propre aveu, “malheureusement en grande partie une histoire d’absences et de lacunes”: néanmoins, la reconstruire signifie tenter de remplir ces espaces vides qui le sont restés depuis longtemps. L’un de ces espaces vides est précisément l’activité extrême de l’artiste: une lacune qui peut être bien comblée en admettant l’implication de Beato Angelico dans la réalisation des fresques du Cloître de la Minerve. Et comme nous l’avons vu, celle que nous venons de mentionner n’est qu’une des nombreuses propositions avancées par Gerardo de Simone: pour cette raison et pour beaucoup d’autres, il s’agit déjà d’une contribution fondamentale aux études sur le peintre toscan, indispensable aussi parce qu’elle bénéficie d’une puissante bibliographie qui résume toute la tradition antérieure sur le sujet, avec une extrême ponctualité.
En conclusion, il est également nécessaire de rappeler que l’un des principaux objectifs de l’essai est de placer Angelico, et plus précisément l’Angelico romain, dans la position qui lui convient le mieux. Artiste de rupture, Fra Angelico a su renouveler la peinture romaine dans un sens humaniste, à l’image de ce qui se passait à Florence: il ne s’agit donc pas d’un peintre exclusivement pieux et dévot, ni d’un peintre mystique, comme l’ont dépeint tant de biographes et d’historiens, mais d’un artiste semblable par sa volonté, ses idées et son poids à Leon Battista Alberti ou Piero della Francesca, à tel point qu’il a été honoré d’une sépulture monumentale à Santa Maria sopra Minerva. Une sépulture dont l’épitaphe (attribuée notamment à Lorenzo Valla) compare l’artiste, qui s’exprime à la première personne, au grand peintre grec Apelle: “Non mihi sit laudi quod eram velut alter Apelles / Sed quod lucra tuis omnia Christe dabam / Altera nam terris opera extant altera coelo / Urbs me Joannem Flos tulit Etruriae” (“Qu’on ne me loue pas parce qu’on m’a considéré comme un second Apelle, mais parce que, ô Christ, j’ai donné tous mes gains aux tiens: car les premières œuvres restent sur terre, mais les secondes sont au ciel. Je suis né dans la fleur de Toscane, Urbe m’a pris”). Angelico est le premier peintre à être comparé à un artiste du classicisme (avant lui, cet honneur n’était revenu qu’à deux architectes: Brunelleschi et Buscheto, tous deux assimilés au mythique Dédale) et, conclut Gerardo de Simone, “une telle célébration dans une tonalité solennellement humaniste - qui s’oppose tellement à l’image du peintre mystique de la fin du Moyen Âge, dominante depuis des siècles - ne pouvait avoir lieu qu’à Rome, la ville où Angelico a achevé la maturation finale de son style dans le sens d’un classicisme plein et ”latin“”.
Gerardo de Simone
Fra Angelico à Rome 1445-1455. Renaissance des arts et humanisme chrétien dans l’Urbe de Nicolas V et de Leon Battista Alberti
Leo S. Olschki Editore, 2017
xvi-358 pages avec 80 planches en noir et blanc et 80 planches en couleur
140 euros
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