En Italie, on parlait de l'Amérique 150 ans avant Colomb. Entretien avec Paolo Chiesa


Dans un manuscrit du XIVe siècle, la Cronica universalis de Galvano Fiamma, on a découvert la première référence connue au continent américain dans la région méditerranéenne, 150 ans avant Christophe Colomb. Entretien avec l'auteur de la découverte, Paolo Chiesa.

Le continent américain était connu dans le bassin méditerranéen 150 ans avant Christophe Colomb: c’est ce qu’a découvert il y a quelques semaines un groupe de travail de l’université d’État de Milan, dirigé par le professeur Paolo Chiesa, professeur de moyen latin et de philologie humaniste. Dansun manuscrit de Galvanus Fiamma datant d’environ 1340, le Cronica universalis, il est fait mention d’une terre appelée “Marckalada” située au-delà du Groenland. Mais ce n’est pas tout: dans ce même manuscrit, on a également découvert une information importante qui anticipe de cent ans les premiers contacts connus entre l’Éthiopie et l’Europe occidentale. Nous nous sommes entretenus avec le professeur Paolo Chiesa sur la manière dont cette découverte a été faite, sur ses implications et sur les nouveautés de la Cronica universalis. L’interview est réalisée par Ilaria Baratta.

La carte de Sigurd Stefansson (dite carte de Skálholt), dessinée en 1590 par un maître islandais, qui reproduit de manière imaginative la zone de l'Atlantique Nord-Ouest telle que (selon lui) les Vikings l'ont imaginée. La
carte de Sigurd Stefansson (dite carte de Skálholt), dessinée en 1590 par un maître islandais, qui reproduit avec imagination la zone de l’Atlantique nord-ouest telle que (selon lui) les Vikings l’ont imaginée
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IB. Que signifie la découverte d’une mention de l’Amérique dans un texte antérieur à 19492 et quelles sont les questions qu’elle soulève?



PC. L’intérêt de la découverte réside dans le fait que, pour la première fois, il est fait mention du continent américain, ou en tout cas de terres au-delà de l’Atlantique, dans l’espace méditerranéen: il s’agissait en effet de rumeurs qui circulaient dans l’espace scandinave, notamment en Islande, même s’il s’agissait surtout de rumeurs liées à des situations légendaires, comme celles de voyageurs du passé qui racontaient être arrivés dans des terres jusqu’alors inconnues. Il s’agissait donc de références très circonscrites géographiquement: en dehors de cette zone, aucune nouvelle de ce type ne circulait. Dans le cas présent, en revanche, nous avons des nouvelles datant de cent cinquante ans avant Colomb qui proviennent de Milan: l’écrivain qui les a rapportées en milanais, Galvano Fiamma, était milanais, mais il y a de très fortes indications que les nouvelles sont d’origine génoise, car l’écrivain milanais parle de sources maritimes, de sorte que la ville à laquelle ces sources sont le plus susceptibles d’être liées est Gênes même. Cette découverte relance une question qui a été posée à plusieurs reprises dans le passé comme une hypothèse, mais sans aucune preuve ni appui, à savoir le fait que, dans la Méditerranée en général et à Gênes en particulier, des rumeurs concernant des terres au-delà de l’Atlantique circulaient déjà avant Colomb. Cette hypothèse est intéressante, car si Colomb, ou les premiers navigateurs italiens ou même espagnols, ont eu connaissance de ces rumeurs, il est clair qu’elles ont constitué une incitation au voyage.

Dans quel sens Galvano Fiamma a-t-il eu des contacts avec la ville de Gênes ?

Galvano est un écrivain qui vit à Milan et rédige diverses chroniques, principalement sur des sujets milanais, mais dans ce texte, une chronique qui a plutôt une dimension universelle parce qu’il veut faire une sorte d’histoire du monde, il cite plusieurs fois des sources génoises: la plus intéressante est un livret qui est par ailleurs perdu pour nous (nous ne le connaissons que par Galvano), écrit par le prêtre de l’église du port de Gênes, qui s’appelait Giovanni da Carignano et qui s’intéressait beaucoup à la géographie. Galvanus mentionne plusieurs fois ce livret [le Tractatus de mappa, nda], ce qui nous fait penser qu’il était à Gênes ou du moins qu’il avait des relations très étroites qui lui permettaient de recevoir des sources de cette ville.

Comment avez-vous compris que le texte mentionnait l’Amérique, et quelle a été la difficulté, étant donné qu’il n’y a pas de sources écrites pour ce que Galvanus dit dans l’expression “américain” ?

Il s’agit d’un travail didactique réalisé avec mes étudiants de maîtrise à l’université de Milan: ils ont transcrit ce texte à titre d’exercice. La Cronica universalis est un texte inédit et très long, c’est pourquoi il a été divisé en plusieurs parties entre les étudiants. L’étudiante chargée de la transcription de la partie dans laquelle nous avons découvert la nouvelle s’est rendu compte que les sources manquaient ici: elle n’a pu localiser aucune source écrite parlant de ces terres (après tout, Galvanus a parlé de sources maritimes). Dans le texte, il est fait référence à cette terre appelée “Marckalada”, sans que l’on sache exactement où elle se trouve. Nous avons alors entrepris de l’étudier de plus près et nous nous sommes rendu compte qu’en raison de la position géographique que lui attribue Galvanus, mais surtout en raison de son nom, cette terre correspond à une terre appelée “Markland”, c’est-à-dire “terre des bois”, mentionnée dans certaines sagas. C’est par cette voie que nous avons identifié le lieu.

Galvano Fiamma dans une miniature du Codice Trivulziano, 1438, c. 1r. L'œuvre appartient aux Archives historiques civiques et à la Bibliothèque Trivulziana - © Municipalité de Milan
Galvano Fiamma dans une miniature du Codice Trivulziano, 1438, c. 1r.
L’
œuvre appartient à l’Archivio Storico Civico et à la Biblioteca Trivulziana - © Comune di Milano
La partie de la Cronica universalis où est mentionnée la terre appelée Marckalada, ici surlignée en rouge.
La partie de la Cronica universalis de Galvano Fiamma où est mentionnée la terre appelée “Marckalada”, ici surlignée en rouge. Le texte se lit comme suit: “Inde versus occidens est terra quedam que dicitur Marckalada, ubi gigantes habitant et sunt hedifitia habentia lapides saxeos tam grandes quod nullus homo posset in hedifitio collocare nisi essent gygantes maximi. Ibi sunt arbores virides et animalia et aves multe nimis. Nec umquam fuit aliquis marinarius qui de ista terra nec de eius condictionibus aliquid scire potuerit pro certo” (“Encore plus à l’ouest, il y a une terre appelée Marckalada. Les habitants de ce lieu sont des géants: il y a des bâtiments faits de pierres si grandes qu’aucun homme ne pourrait les mettre en place, sauf de grands géants. Des arbres verts y poussent et de nombreux animaux et oiseaux y vivent. Mais aucun marin n’a jamais pu connaître avec certitude cette terre et ses caractéristiques”)
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Pourquoi avoir choisi de réaliser un projet pédagogique sur cette œuvre ?

Parce qu’il s’agit d’une œuvre très fascinante, parce qu’elle est inédite et parce que, conservée dans un seul manuscrit privé, elle n’est pas accessible au public (cependant, grâce aux recherches que j’ai effectuées, nous avons réussi à localiser le propriétaire, à le contacter et à travailler sur l’œuvre). Et puis, d’un point de vue didactique, la transcription d’un manuscrit médiéval dans le but de rendre le texte accessible au public (parce que c’est le but ultime) est un travail très utile, parce qu’il aide à développer une série de connaissances et de compétences qui sont très rares: l’attention à l’écriture, la relation entre le texte et l’image, le décodage d’une forme d’écriture qui n’est pas la forme habituelle, la traduction, la transcription, l’importation et la transformation en un texte approprié pour le public d’aujourd’hui, et ainsi de suite. Un exercice très utile sur le plan didactique. Et puis nous avons eu de la chance parce que le texte s’est avéré très intéressant.

Qu’est-ce que la Cronica universalis de Galvanus Fiamma et de quoi s’agit-il ?

Le projet de Galvanus, comme l’explique le prologue de l’ouvrage, était d’écrire une chronique couvrant le monde entier: un genre littéraire assez courant au Moyen-Âge, ce n’était pas une idée particulièrement originale. Du monde entier, précisons-le, et de toutes les époques, donc de la création jusqu’au début du XIVe siècle. En fait, le texte s’interrompt à un certain moment (très tôt: aux temps bibliques, à l’époque des premiers rois d’Israël) et n’a pas été poursuivi, on ne sait pas pourquoi, peut-être parce que Galvanus est mort, puisque la Cronica universalis est l’une des dernières œuvres qu’il a écrites, donc elle s’est probablement interrompue à ce moment-là. Cependant, comme il s’agit d’une histoire du monde entier et pas seulement de l’Europe ou de la Méditerranée, Galvanus fait souvent des digressions géographiques, en partie parce qu’il voulait montrer la totalité de la terre (ou de ce que l’on pensait être la terre à l’époque). C’est dans l’une de ces digressions géographiques que l’on trouve la référence à Marckalada. Dans cette partie du texte, il parle des terres du nord, de la Scandinavie et de l’Islande, et en vient progressivement à parler d’autres terres situées plus à l’ouest.

Quelles autres surprises la Cronica universalis nous a-t-elle révélées ?

L’autre surprise, peut-être encore plus importante d’un point de vue historique (bien qu’elle soit moins visible et moins sensationnelle parce qu’elle ne concerne pas l’Amérique), est une partie qui provient du livre de Giovanni da Carignano mentionné plus haut. Dans cette partie, il est question de l’Éthiopie, car Galvanus raconte, en citant le livre du prêtre génois, une ambassade éthiopienne qui serait arrivée en Europe et en particulier à Gênes vers 1315: dans la Cronica, on trouve donc tous les détails de cette ambassade, et en particulier ce que les ambassadeurs avaient dit de leur pays. Ces nouvelles précèdent d’au moins cent ans les premiers contacts connus entre l’Éthiopie et l’Europe occidentale, qui remontent jusqu’à présent au début du XVe siècle. Il s’agit donc d’un élément très fort, puisqu’il prouve que des relations encore plus anciennes ont existé, et ce, de surcroît, avec des détails et des précisions sur l’histoire des coutumes éthiopiennes qui sont également très intéressants pour les spécialistes de ces sujets.

Quels ont été et quels seront les développements du projet après la découverte ?

L’objectif reste de publier l’ensemble de l’ouvrage, qui est très long, comme je l’ai dit. Nous avons terminé la transcription, mais entre la transcription et l’édition critique (l’opération que nous souhaitons réaliser), il y aura encore quelques étapes, qui prendront du temps. Je pense à environ deux ans, pas moins, car il manque un aspect très important, qui est l’identification de toutes les sources citées par Galvanus: dans cette œuvre, l’auteur cite une quantité de livres et de nouvelles de toutes sortes, et pour rendre un bon service au lecteur, nous devons les identifier. C’est un travail qui prend beaucoup de temps, mais c’est notre objectif: nous avons déjà une maison d’édition disposée à publier le texte, mais cela demandera au moins deux ans de travail.


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