Par Federico Giannini | 23/03/2025 15:47
Il était allé à Lucques, le père de la littérature réaliste américaine. William Dean Howells était arrivé à Lucques un jour d'avril, en provenance de Pise, sous un soleil qui, à huit heures du matin, lui semblait déjà chaud et nauséabond, lui qui était habitué au froid de la Nouvelle-Angleterre et qui était consterné à l'idée de voir la Toscane au mois d'août. Il avait pris un logement à l'Universo (ou peut-être dans un autre hôtel, il ne se souvenait plus) et le lendemain il s'était immédiatement plongé dans les anciennes ruelles de Lucques, pour respirer l'air de la ville qui avait été la capitale d'une république indépendante pendant presque mille ans, capable de garder intactes ses anciennes libertés jusqu'à l'époque de la Révolution française. La Piazza Napoleone ne lui avait pas semblé grand-chose : "une vaste place poussiéreuse, avec quelques sycomores à l'écart, et un palais immense et laid, avec seulement une discrète galerie de tableaux, devant la poussière et les sycomores". La Lucques médiévale l'avait davantage impressionné que la Lucques ducale : la cathédrale, San Frediano, San Michele in Foro, la collection archéologique à l'intérieur du Palazzo Pretorio, la tour Guinigi, la Piazza Anfiteatro et le marché avec ses étals de soie ("il y a beaucoup plus de soie à Lucques qu'à Boston"), l'huile de Lucques, les murailles. Et puis le Palazzo Mansi, le seul palais lucquois que Howells ait réussi à voir correctement. Le récit de sa visite de la ville se termine par Palazzo Mansi. Howells a déclaré qu'il était heureux "d'être un plébéien et un Américain", mais que s'il avait été acculé, si quelqu'un lui avait offert une autre option, il aurait aimé être "un seigneur de Lucques, un marquis, un Mansi".
De l'extérieur, il n'est pas facile de voir le Palazzo Mansi. Il est le premier d'une série d'édifices qui se succèdent le long de la via Galli Tassi, une rue lugubre, peu fréquentée et peu centrale. Il est austère, il n'y a pas d'éléments décoratifs particuliers, l'apparence est presque résignée. L'entrée, cependant, est un peu plus large que celle des autres bâtiments, et si l'on fait quelques pas en arrière, on remarque un bâtiment décidément plus imposant que les autres. Les fenêtres moulurées qui se succèdent avec une régularité équilibrée, les cordons qui courent sur toute la façade et qui, déjà de l'extérieur, suggèrent la hauteur des plafonds des pièces, sont plus imposantes que celles des autres palais. Et en effet, tous les voyageurs qui se sont attardés à Palazzo Mansi n'ont pu s'empêcher de remarquer le décalage entre la sobriété de ce que l'on voit à l'extérieur et la splendeur de ce qui se trouve à l'intérieur. Un palais magnifique. La demeure d'une des familles les plus riches de Lucques. C'était ainsi au début du vingtième siècle, à l'époque où Howells écrivait. Il en était ainsi au XVIIe siècle, lorsque les Mansi achetèrent ce palais, puis, à la fin du siècle, le rénovèrent en réunissant plusieurs maisons voisines et en le transformant en une somptueuse résidence. C'est ainsi qu'il en est aujourd'hui, même s'il ne reste presque plus rien de la splendide collection qui ornait autrefois ces salles. Presque toutes les peintures de Mansi ont disparu. Les Mansi, qui ont vendu leur palais à l'État en 1965, ont disparu. Le Salone della Musica est resté silencieux, où l'on peut imaginer les fêtes, les réceptions, les Mansi accueillant leurs invités tandis que l'orchestre jouait depuis la boîte en bois, réchauffant les soirées de la noblesse qui venait ici, surtout quand c'était le tour de quelque personnalité illustre venue séjourner dans les chambres du palais. Ce qui reste, cependant, c'est le sens de la prospérité qui a toujours été la marque de Lucques au cours des siècles et qui se reflète ici à l'intérieur, parmi les stucs de l'appartement de parade, sous les fresques célébrant le statut de la famille, au milieu de l'Enéide de Giovan Gioseffo del Sole qui recouvre tous les murs de la spectaculaire Salone della Musica. Et aujourd'hui, de temps en temps, lorsque le Musée national de Palazzo Mansi organise des après-midi musicaux, ce Salone résonne pour un public différent. Il n'est plus réservé aux amis des Mansi : il s'adresse à tout le monde.
Howells a été impressionné par la riche collection de peintures hollandaises du marquis Mansi, c'est la première chose qu'il a notée dans son compte-rendu du palais. Il s'agit des œuvres qu'un ancêtre de la famille, Girolamo Parensi, avait reçues en dot en 1675 lors de son mariage avec Anna Maria Van Diemen, la fille d'un marchand hollandais que Girolamo avait rencontré lors d'un long séjour de travail à Amsterdam : leurs portraits sont toujours là, au rez-de-chaussée du palais. Les Parensi étaient à la tête d'une entreprise active dans le commerce du textile, leurs soieries voyageaient dans toute l'Europe, elles étaient l'un des piliers les plus solides de leur richesse. Ils avaient une activité d'import-export, comme on dirait aujourd'hui. La famille Mansi, qui a hérité par mariage de la collection Parensi au début du XIXe siècle, travaillait également dans le textile, elle était aussi commerçante. La vocation familiale est aujourd'hui encore perpétuée par l'atelier de tissage rustique "Maria Niemack", installé au rez-de-chaussée de Palazzo Mansi : il est dédié à la femme d'affaires qui, au milieu du XXe siècle, a relancé la technique du tissage rustique et qui, à sa mort en 1975, a souhaité faire don des métiers à tisser au Musée national de Palazzo Mansi. Depuis quelque temps, une association de bénévoles, "Tessiture Lucchesi", dont l'objectif est de valoriser le tissage traditionnel à la main, remet en marche ces métiers à tisser. Ainsi, le Palazzo Mansi est à l'origine d'une petite production précieuse d'écharpes, de châles, de torchons, etc.
De la collection hollandaise héritée par la famille Mansi (ou plutôt : de la collection en général), il ne reste presque rien. Peu de choses subsistent : le tableau le plus important est un Sacrifice d'Isaac de Ferdinand Bol accroché dans l'une des deux antichambres des appartements privés. La grande galerie de tableaux située au-delà du Salone della Musica n'a rien à voir avec les Mansi : il s'agit des tableaux offerts à la ville en 1847 par Léopold II de Lorraine après l'annexion de Lucques au Grand-Duché de Toscane. Le dernier duc de Lucques, Carlo Ludovico di Borbone, avait vendu la plupart des collections pour rembourser les dettes qu'il avait accumulées. À des prix ridicules d'ailleurs. Et l'un des plus illustres peintres néoclassiques de la ville, Michele Ridolfi, demanda au Grand-Duc, après l'annexion, de combler le vide qui avait mortifié la communauté lucquoise. Léopold II se montra magnanime et donna à Lucques quatre-vingt-deux tableaux : ils furent exposés au Palais Ducal et y restèrent jusqu'en 1977, date à laquelle la pinacothèque fut transférée au Palais Mansi, après que l'État eut racheté l'édifice. Si donc aujourd'hui, dans la pinacothèque du Palais, nous pouvons admirer des chefs-d'œuvre de Pontormo, Salvator Rosa, Domenico Beccafumi, Guido Reni, Tintoret, Luca Giordano, Jacopo Vignali, Paul Bril et d'autres grands noms de l'histoire de l'art, c'est le résultat d'une séquence complexe d'événements historiques qui n'ont pas toujours été heureux pour la ville. C'est une blessure qui a été guérie.
Même la famille Mansi n'avait pas été très prudente avec sa collection. Au fil du temps, la collection de la famille a été démembrée. Ce que l'on peut voir aujourd'hui dans les salles historiques est le résultat de donations et d'achats ultérieurs : il s'agit d'œuvres qui permettent au visiteur de se faire une idée de ce qu'un hôte du Mansi pouvait voir ici dans l'Antiquité. Il faut dire que les Musées nationaux de Lucques ont fait un effort louable pour acquérir des peintures pour la collection, selon un programme d'enrichissement précis étudié et suivi depuis les années 1980. Sous l'ancienne direction de Maria Teresa Filieri, des œuvres sont arrivées qui visaient à réparer autant que possible ce qui avait été arraché, ramenant au palais même des œuvres qui avaient fait partie de la collection Mansi : En 2008, par exemple, deux toiles de Mario Nuzzi ont été achetées, qui faisaient partie d'une série de onze tableaux représentant autant de jardinières, le genre dans lequel le peintre romain s'est spécialisé, surnommé "Mario dei Fiori" (Mario des Fleurs) pour cette particularité. Il s'agit d'une preuve importante de la richesse de la famille Mansi, car Nuzzi était l'un des peintres les plus recherchés et les mieux payés de son époque, et seule une famille aisée pouvait s'offrir ses œuvres. Deux ans plus tard arrive l'un des chefs-d'œuvre de la collection, l'esquisse sur toile de Stefano Tofanelli pour le Chariot du Soleil qui orne la salle centrale de la Villa Mansi à Segromigno, non loin de Lucques (c'est d'ailleurs à Tofanelli que l'on doit la splendide Galleria degli Specchi du Palazzo Mansi, l'élégante salle néoclassique qui accueille les visiteurs sur le piano nobile). L'œuvre s'ajoute à la section de la pinacothèque, située au deuxième étage de Palazzo Mansi, qui documente les arts à Lucques entre la fin du XVIIIe siècle et le milieu du XXe siècle, offrant au visiteur une coupe transversale fondamentale pour comprendre l'évolution du goût dans la ville au cours de cette période, les commandes des mécènes et, surtout, la vitalité de l'école d'art locale, même sur une période aussi longue.
Autrefois, la collection Mansi devait être fabuleuse. Un autre voyageur, le peintre allemand Georg Christoph Martini, avait écrit en 1731 sur sa visite au Palazzo Mansi, à ne pas confondre avec le palais de la Via Galli Tassi : Martini s'était rendu dans ce qui est aujourd'hui connu sous le nom de Palazzo Tommasi, à côté de l'église de Santa Maria Forisportam, de l'autre côté de la ville. À l'époque, il appartenait à la famille Mansi et Martini affirmait avoir vu, outre de "précieux tapis du Brabant" et des "étoffes de parade exposées aux fenêtres pour la fête du Corpus Christi", de "remarquables tableaux de Michelangiolo da Caravaggio". Le fait que Martini ait mentionné le Caravage n'a rien d'étonnant : tout d'abord parce que, lorsque le nom de l'auteur d'un tableau était inconnu, il était courant que l'œuvre soit attribuée à un artiste célèbre. C'est le cas de la Déposition de Pietro Paolini, que l'on peut admirer dans l'église voisine de San Frediano et qui a été attribuée au Caravage lui-même. Ensuite, parce que Merisi n'était pas très apprécié au XVIIIe siècle. Les critiques ne lui accordaient pas l'attention qu'ils ont commencé à lui consacrer à partir des années 1950, et si quelque chose se rapprochait de sa manière, il ne semblait pas si étrange de le lui attribuer. Et de toute façon, si les Mansi ne possédaient pas d'œuvres du Caravage, ils avaient des œuvres de peintres caravagesques : leurs inventaires comprennent, par exemple, quelques œuvres de Pietro Paolini, qui fut le meilleur et le plus original interprète du caravagisme dans le pays de Lucques. Un caravagisme qui comptait de nombreux adeptes à l'intérieur des murs de la ville. Il y avait aussi des œuvres d'Angelo Caroselli, de Dirck van Baburen, des artistes que l'on pouvait donc facilement assimiler au caravagisme dans une période historique où l'on ne se souciait guère des reconstructions philologiques. Deux œuvres de Paolini ont d'ailleurs été récemment acquises pour les collections du Palazzo Mansi : le Mondinaro et le Pollarolo sont accrochés dans des appartements privés depuis 2000.
Dans la même salle où se trouvent les deux scènes de genre de Pietro Paolini, on peut également admirer une Sainte Famille attribuée à Van Dyck : avec le Sacrifice d'Isaac de Bol, c'est la seule œuvre qui subsiste de la dot d'Anna Maria Van Diemen. L'histoire du tableau est plutôt aventureuse : il a été dispersé avec le reste de la collection des Mansi, vendu aux enchères en 1970 par la famille Cenami-Spada et, à cette occasion, acheté par la ville de Lucques, qui a décidé de le rendre au palais d'où il venait. Il s'agit d'une copie de celui de Rubens qui se trouve aujourd'hui au Prado, et nous ne savons pas qui en est l'auteur. Mais elle témoigne surtout du goût de collectionneur de la famille Mansi et du travail effectué dans les musées pour reconstituer des contextes, évoquer ce qui a été perdu. De plus, ce tableau a dû être tenu en estime dans le passé : dans un guide anglais populaire du XIXe siècle, Murray's Handbooks for Travellers, la Sainte Famille est citée comme l'une des pièces maîtresses du palais. Au même titre que les tapisseries flamandes.
Ce sont elles qui sont accrochées aux murs des quatre salles de parade menant à l'alcôve, la chambre où, dans la fiction cinématographique, le marquis del Grillo a dormi dans le film avec Alberto Sordi. Sous les fresques de Giovanni Maria Ciocchi, qui a peint les allégories des quatre éléments au milieu des quadratures de Marcantonio Chiarini, le marquis Raffaele Mansi Orsetti a voulu placer, vers la fin du XIXe siècle, le cycle grandiose des tapisseries du XVIIe siècle.Le marquis Raffaele Mansi Orsetti a voulu placer le cycle grandiose des tapisseries du XVIIe siècle illustrant les Histoires d'Aurélien et de Zénobie, en ajoutant quelques pièces incohérentes, avec les histoires d'Antoine et de Cléopâtre, identifiées par l'inscription "pars accomoda", indiquant qu'elles avaient été utilisées pour combler des lacunes. Un ancêtre de Raphaël, Ottavio Mansi, avait acheté en Flandre les tapisseries contenant les histoires de Zénobie. C'est en regardant ces tapisseries, réalisées par Geraert Peemans de la manufacture de Bruxelles et dessinées par un élève de Rubens, Justus van Egmont, que l'on arrive au cœur du Palazzo Mansi, l'alcôve, restée telle quelle lorsque Carlo Mansi, à l'occasion de son mariage avec Eleonora Pepoli, a voulu la transformer en un lieu hautement scénique, avec la serliana de l'architecte Raffaele Mazzanti, en bois et du même nom.L'architecte Raffaele Mazzanti, en bois sculpté et doré, les quatre cariatides qui mènent à la salle recouverte de tapisseries en satin doré, où se trouve au centre le baldaquin avec des branches, des perroquets bleus, des perruches, des moineaux, des merles, des cailles, des oiseaux de toutes sortes perchés parmi les grenades, les tulipes, les roses, les iris, les œillets et les grappes de raisin. Cette pièce est peut-être l'image la plus frappante de la façon dont les Mansi se voyaient et voulaient être vus. À tel point qu'ils ne l'utilisaient généralement pas. Ils la réservaient aux occasions spéciales ou aux invités de marque. Le roi du Danemark, Frédéric IV, par exemple. Ou le grand-duc Gian Gastone de Médicis. Princes, ducs et rois ont dormi sur ce lit, qui a dû surprendre les visiteurs d'autrefois comme il surprend ceux d'aujourd'hui.
Récemment, la directrice des Musées nationaux de Lucques, Luisa Berretti, a fait procéder à un nettoyage approfondi de l'alcôve suivi d'une consolidation des tissus, une opération menée par la société RTBP qui a fait briller l'or terni. Une intervention qui fait suite à celle de 2021, lors de l'inauguration du nouveau système d'éclairage des tapisseries du XVIIe siècle, réalisé par la société ZR Light avec Erco Illuminazione, dans le but de rehausser les couleurs et de faire ressortir les détails de ces tissus qui racontent l'histoire de la princesse de Palmyre. Et dire qu'il s'agissait d'un mauvais achat : Ottavio Mansi avait demandé à l'un de ses agents en Flandre, Ascanio Martini, d'acheter des nappes. Et celui-ci, on ne sait pourquoi, on ne sait ce qu'il a compris, lui a envoyé ces splendides tapisseries. Le marquis a ensuite tenté de les revendre, sans succès. Et c'est peut-être aussi bien ainsi.