Des cheveux légèrement ébouriffés et un regard attentif sous une paire de lunettes, une pose décontractée en appui sur un mur, des câbles et des ampoules à ses pieds. C’est ainsi qu’apparaît le jeune Willy Ronis (Paris, 1910 - 2009) dans un autoportrait flash de 1951. Photographe d’une grande longévité (il a vécu jusqu’à 99 ans), Ronis a passé toute sa vie à photographier, à chercher l’endroit le plus propice pour se positionner (quitte à monter sur le cadre d’une bicyclette pour filmer un événement) et à toujours attendre le bon moment pour ce clic magique qui capture l’instant. Aujourd’hui et jusqu’au 6 janvier 2019, la plus grande rétrospective italienne qui lui est consacrée est présentée à la Casa dei Tre Oci de Venise, grâce à deux partenaires d’exception, le Jeu de Paume à Paris et le ministère français de la Culture. L’exposition, dont le commissaire est Matthieu Rivallin, retrace l’ensemble de la carrière de Ronis à travers 120 tirages aux sels d’argent provenant de la Médiathèque de l’architecture et du patrimoine.
Français d’origine juive, Willy Ronis est encouragé par son ami Robert Capa (Budapest, 1913 - Thai Binh, 1954) à se lancer dans la photographie et à devenir photoreporter pour le Front populaire français. En 1941, les lois antisémites l’obligent à fuir Paris mais, à la Libération, il reprend ses appareils et se consacre à une carrière de reporter. Proche du Parti communiste, il affirme qu’il n’y a pas de genre mineur en photographie et devient un maître de la photographie industrielle, consacrant nombre de ses clichés aux ouvriers, à leur environnement de travail, aux manifestations et aux grèves. Sa photographie peut être qualifiée de politisée ; on ne voit jamais dans ses images les cadres ou les “grands” de l’industrie, mais toujours et uniquement les travailleurs, les plus faibles, filmés avec une grande vérité. Lorsqu’il visite des ateliers, il recherche “l’inattendu, le très intéressant et l’impossible à reconstituer a posteriori”, des moments volés au travail dans lesquels il montre avec authenticité le métier et ses protagonistes simples et vrais.
Willy Ronis, Autoportrait au flash, Paris, 1951. Ministère de la Culture - Médiathèque de l’architecture et du patrimoine Dist RMN-GP © Donation Willy Ronis |
Willy Ronis, Usine Lorraine-Escaut, Sedan, France, 1959. Ministère de la Culture. Ministère de la Culture - Médiathèque de l’architecture et du patrimoine Dist RMN-GP © Donation Willy Ronis |
Willy Ronis, Occupation de l’usine Citroën Javel, 1938. Ministère de la Culture - Médiathèque de l’architecture et du patrimoine Dist RMN-GP © Donation Willy Ronis |
Willy Ronis, Les enfants de Belleville, Paris, 1959. Ministère de la Culture - Médiathèque de l’architecture et du patrimoine Dist RMN-GP © Donation Willy Ronis |
Willy Ronis, Le petit Parisien, 1952. Ministère de la Culture - Médiathèque de l’architecture et du patrimoine Dist RMN-GP © Donation Willy Ronis |
Willy Ronis, Les amants de la Bastille, Paris, 1957. Ministère de la Culture - Médiathèque de l’architecture et du patrimoine Dist RMN-GP © Donation Willy Ronis |
Willy Ronis, Fondamenta Nuove, Venise, 1959. Ministère de la Culture - Médiathèque de l’architecture et du patrimoine Dist RMN-GP © Donation Willy Ronis |
Willy Ronis, Fondamenta Nuove, Venise, 1959. Ministère de la Culture - Médiathèque de l’architecture et du patrimoine Dist RMN-GP © Donation Willy Ronis " /> |
Willy Ronis, Nu provençal, 1949. Ministère de la Culture - Médiathèque de l’architecture et du patrimoine Dist RMN-GP © Donation Willy Ronis |
La capitale française, Paris, est le terrain de chasse favori de Ronis pour les images. Ville qu’il qualifie d’“intemporelle”, Paris réserve toujours des surprises à ceux qui savent attendre le bon moment, l’instant précis de la prise de vue. Telle était la philosophie de Ronis, capable d’attendre même des heures que quelque chose se passe pour que la composition soit parfaite. Au cours de ses promenades, il capture des scènes pittoresques de danses, d’enfants, de personnes amoureuses, d’enfants heureux à la fête foraine, de passants occupés. On pourrait le qualifier de photographe humaniste, comme Doisneau et beaucoup d’autres qui aimaient montrer les personnes, les situations et les attitudes les plus diverses. Il portait un regard particulier sur le monde et savait raconter et montrer la poésie dans les lambeaux de la vie quotidienne. Il aimait photographier les rues des villes, surtout la nuit ou après la pluie, à cause des reflets, et à Paris, il préférait le quartier de Belleville, plein d’escaliers, encore peu photographié à l’époque. L’exposition présente notamment une photographie prise en 1948 dans le quartier de Ménilmontant, montrant un vitrier remontant la rue Laurence-Savart: Ronis photographie la scène d’un point de vue surélevé et inclut volontairement le reflet de la flaque d’eau sur le trottoir et du ruisseau, qui équilibrent le ciel et le verre porté par le protagoniste. La rétrospective présente également la photographie la plus connue de Ronis, également prise à Paris, celle des Amants de la Bastille (1957). Tous deux se détachent sur le paysage parisien, éclairci par la pluie, avec encore quelques nuages à l’horizon. Représentés dans une attitude douce et enchanteresse, ils ne sont pas au centre de la composition mais complètement sur le côté et même légèrement recadrés ; malgré cela, ils sont les protagonistes incontestés, ceux pour qui le temps s’est arrêté. Grâce à cette photographie, ils sont devenus éternels.
Willy Ronis est un photographe insatiable, toujours l’appareil à la main, curieux de tout ce qui l’entoure. Il fait de nombreux voyages, autant d’occasions de prendre des photos sans les contraintes d’une commande, et se rend à New York, aux Pays-Bas, à Berlin-Est, en Russie et dans bien d’autres endroits. Il se rend également en Italie et à Venise, où il remporte notamment la médaille d’or de la Biennale internationale de la photographie de 1957. Il retourne à Venise deux ans plus tard, en 1959. Ville hors du temps, ville de canaux, d’eau et de jeux de lumière, Venise représente un terrain fertile pour Ronis et c’est d’ailleurs là qu’il arpente les quartiers populaires en réalisant diverses photographies dont certaines sont exposées dans cette rétrospective. Des photographies suspendues, pourrait-on dire, à l’image de la petite fille que l’on voit sur un cliché alors qu’elle marche sur une jetée. Des photographies d’attente, où Ronis attend et attend encore pour trouver le moment parfait où tout est à sa place, où il y a un mouvement, un contrepoids qui équilibre la scène et donne un sens à tout. Un jour, alors qu’il se promène, Ronis aperçoit deux jeunes mères qui discutent, assises sur les marches d’un pont. Il commentera plus tard cette scène en ces termes: “Je n’avais rien pour me motiver particulièrement à chérir le souvenir de ce moment. Mais mon attention fut éveillée par des voix masculines venant de la gauche. J’ai rapidement grimpé une marche pour trouver l’endroit parfait et j’ai photographié au moment exact que j’avais idéalement choisi. C’était une autre photo risquée, parce que mes déchargeurs marchaient vite et qu’il aurait été impossible de prendre deux photos. Apparemment, ce genre de stress convient à mon tempérament”.
Même s’il travaillait sur commande, il prenait toujours un cliché non sollicité qui lui plaisait souvent et l’enthousiasmait. Il aimait la photographie autant que sa famille ; il emportait toujours son appareil photo avec lui et choisissait souvent sa femme Marie-Anne (par exemple dans le célèbre “Nu provençal”, également présenté dans cette exposition) et son fils Vincent comme protagonistes. Sa personnalité était si forte qu’il a cessé de travailler pour le magazine Life lorsque celui-ci a modifié et réécrit les légendes de ses photos. Willy Ronis aimait la vie mais plus encore les gens, lui que l’on appelait “le poète de la géométrie guidée par le cœur”. Strictement en noir et blanc, ses photographies sont des moments de vie qui restent éternels et s’impriment dans l’esprit.
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