Warhol contre Gartel: le concours de tamarrisme divertissant de Lucques


Compte-rendu de l'exposition Warhol vs. Gartel. Hyp pop à Lucques, Centre d'art contemporain de Lucques, jusqu'au 18 juin 2017.

Il n’y a pas si longtemps, l’un des plus grands écrivains italiens contemporains s’est demandé si Andy Warhol (Pittsburgh, 1928 - New York, 1987) pouvait être rangé dans la catégorie des tamarins, et la réponse n’a pu être que retentissante. Elle va même jusqu’à affirmer que Warhol a été le chef de file des tamarins: après tout, l’un des premiers critiques à s’intéresser à lui, Simon Wilson, a écrit que le pop art était un art libéré de la dignité du grand art, c’est-à-dire de l’art tel qu’il avait été compris jusqu’alors. L’art d’Andy Warhol pouvait se permettre, au moins dans un premier temps, de ne pas se tourner vers le passé pour s’appuyer sur un présent fait d’idoles mondaines, de personnages de bandes dessinées, d’habitués des boîtes de nuit, de produits de masse destinés à la consommation la plus basse: et rien n’est plus tamaronique que de fermer les yeux sur le passé et d’errer dans les rayons d’un supermarché ou de feuilleter un magazine en papier glacé (manifestement lu par un public de tamarins) pour trouver des sources d’inspiration. Cette particularité fondamentale de l’art d’Andy Warhol est bien rendue par l’exposition Warhol vs. Hyp pop, actuellement en cours à Lucques: sans mâcher ses mots, elle nous informe que “le protagoniste absolu de l’œuvre de l’artiste américain est devenu l’objet compris comme le produit commun, l’apanage des masses, qui, indépendamment de sa forme ou de sa fonction d’origine, est un emblème solide dans l’imaginaire collectif”.

Le icone di Andy Warhol nella prima sala della mostra
Les icônes d’Andy Warhol dans la première salle de l’exposition


Mais l’art d’Andy Warhol ne se résume pas à cela. Arthur Danto a écrit que dans les boîtes Brillo d’ Andy Warhol (nous en avons un exemplaire de taille réduite dans l’exposition de Lucques), il y a les aspirations d’une personne née dans la pauvreté qui est fascinée par une cuisine pleine de nouveaux produits, il y a une réaction à l’expressionnisme abstrait qui se justifie par la célébration de cette société de consommation que l’expressionnisme abstrait rejetait (et par conséquent, il y a ce que Danto appelle un “glissement philosophique” du rejet à l’approbation), il y a une charge idéale identique à celle des peintres préraphaélites qui, pour exorciser la laideur du monde qui les entourait, remplissaient leurs œuvres de chevaliers sans tache, de compositions florales et de madones gracieuses. Mais on ne peut pas demander à un Tamariste de peindre une Vierge à l’Enfant, disait le grand écrivain cité au début: tout au plus s’efforcera-t-il de dessiner le profil d’une voiture de sport. Nous avons voulu souligner l’indéniable substrat tamariste de l’ art d’Andy Warhol car, s’il faut vraiment parler d’un défi à Laurence Gartel (New York, 1956), comme le laisse entendre ouvertement le communiqué de presse qui présente l’exposition de Lucques, ce “Maciste vs. Warhol” très particulier ne peut pas être considéré comme une œuvre d’art. D’un côté, celui philosophique et esthétisant d’Andy Warhol. De l’autre, celle, visionnaire, chargée et chaotique, d’une outsider comme Laurence Gartel dont la profondeur semble encore devoir être investiguée.

La comparaison est toutefois laissée aux dernières salles de l’exposition. On passe d’abord en revue le classique échantillonneur warholien, qui s’ouvre sur le typique Marilyn qui occupe un mur entier et dont les légendes nous informent qu’il est ici à Lucques “d’après Andy Warhol”, de sorte que l’exposition (on ne sait pas si c’est conscient ou non) rend ainsi le meilleur hommage possible à la reproductibilité, à la sérialité qui a constitué la base fondatrice de la réflexion warholienne sur l’art. Une tâche que remplissent également les billets de deux dollars(2 Dollar Bill. Declaration of Independence) sortis de l’imprimerie de Warhol exactement comme s’ils étaient sortis de l’US Mint: tous identiques, indiscernables les uns des autres, et sans la main de l’artiste (signature d’authentification mise à part). C’est l’art sans l’artiste, c’est la célébration ultime de l’hypothèse warholienne selon laquelle “si vous ne pouvez pas vous offrir une peinture, vous devriez quand même avoir accès à l’affiche”, c’est l’art qui, également dans une fonction anti-rhétorique, célèbre à la fois les “petits fétiches quotidiens” (une expression efficace que Michele Dantini utilise pour les soupes Campbell, manifestement bien présentes à Lucques, en effet) et le point culminant de ces fétiches quotidiens: le point culminant de ce fétichisme quotidien est peut-être le tablier de cuisine reproduisant des boîtes de tomates pelées) que les grands fétiches des masses, des acteurs hollywoodiens aux chanteurs les plus célèbres. Là encore, quelle meilleure façon de célébrer le fétiche que le fétiche lui-même? L’exposition de Lucques est donc peuplée de souvenirs qui ne manqueront pas d’amuser le visiteur, du chapeau de Michael Jackson à la guitare signée par chacun des membres des Rolling Stones, en passant par la couverture de The Velvet Undergound & Nico pour aboutir à l’apothéose de la salle consacrée aux couvertures d’Interview: un véritable panthéon Warholien de choix ainsi qu’une iconostase pop qui exerce un pouvoir à la limite du religieux sur ceux qui observent les deux murs remplis de portraits de stars sur papier glacé.

After Andy Warhol, Marilyn Monroe
D’après Andy Warhol, Marilyn Monroe (1985 ; sérigraphie sur papier, ensemble 84,5 x 84,5 cm)


Andy Warhol, Two dollars bill
Andy Warhol, billet de deux dollars (déclaration d’indépendance) (1980)


Andy Warhol, soupe Campbell, poivrière
Andy Warhol, poivrière de soupe Campbell (1968 ; sérigraphie sur papier, 88 x 58 cm)


Le tablier avec la soupe Campbell
Tablier de soupe Campbell


Souvenirs de Michael Jackson
Souvenirs de Michael Jackson


The Velvet Underground & Nico cover
La pochette de The Velvet Underground & Nico


La chambre avec les couvertures d'entretien
La pièce avec les couvertures d’Interview

Et c’est précisément une star qui constituerait aussi le premier trait d’ union entre Warhol et Gartel: une rumeur répandue veut que le jeune Gartel ait appris à Warhol, par un curieux renversement des rôles traditionnels, à utiliser l’ordinateur Amiga pour “peindre” Debbie Harry avec une souris au lieu d’un pinceau. Cette information ne peut être trouvée que dans les biographies de Gartel: dans un article paru il y a quelques années, l’édition américaine de Wired écrivait à juste titre que l’artiste prétend (mais le verbe prétendre prend aussi la nuance de " to claim") qu’il a été le mentor d’Andy Warhol dans l’utilisation des ordinateurs pour faire de l’art numérique. Mais si l’on fait une rapide recherche sur Google pour savoir qui est le personnage, on peut aussi passer outre ce qui nous apparaîtra immédiatement comme d’inutiles subtilités de philologue: nous ferons la connaissance d’un New-Yorkais rondouillard transplanté en Floride, qui semble tout droit échappé d’un épisode de South Beach Tow. Cheveux gris longs et raides encadrant un visage perpétuellement souriant, chemises improbables ouvertes sur la poitrine avec une chaîne en or bien en vue (ou avec un col fermé par des cravates aux motifs les plus criards), grosses voitures décorées de patchworks de son invention (ses Art Cars semblent avoir rencontré un certain succès): bref, la sobriété n’est pas vraiment au rendez-vous.

Mais il est vrai que Gartel a dû commencer à faire de l’art numérique un peu plus tôt qu’Andy Warhol. Dans l’exposition, nous avons des preuves précoces de ses capacités avec, par exemple, une Nina et une double personnalité de 1979, ou un nu français de 1981: Il s’agit de premières élaborations d ’images sur lesquelles Gartel est d’abord intervenu par des opérations relativement simples (par exemple en exagérant les contrastes, ou en modifiant la saturation et l’équilibre des couleurs), puis par des distorsions de plus en plus invasives (dans le Nu français apparaissent des vagues d’acide, créées avec le synthétiseur que Gartel utilise pour colorer violemment ses œuvres, ou pour faire tomber des formes abstraites brutales sur ses personnages). Sur le plan philosophique, ces images à fort impact sont justifiées par la lecture des œuvres de Philip K. Dick, qui imagine des futurs dystopiques composés de mondes où les humains et les machines sont en conflit, où la frontière entre le réel et l’illusoire est de plus en plus floue, où l’aliénation devient presque une condition paradoxale nécessaire à une meilleure compréhension du monde. De là aux œuvres visionnaires des années 1990, le pas est court: la méthode privilégiée devient le collage virtuel avec lequel Gartel donne vie à des compositions frénétiques comme Downtown (une sorte de “ cité idéale ” de la pacotille numérique qui réinterprète les angoisses dickiennes dans une tonalité grossièrement bon enfant et facile) et Glory, une célébration post-warholienne de la société de consommation, à partir de laquelle la comparaison entre les deux artistes peut s’amorcer.

Quelques-unes des œuvres de Laurence Gartel exposées à Lucques
Quelques-unes des œuvres de Laurence Gartel exposées à Lucques


Laurence Gartel, Nina
Laurence Gartel, Nina (1979 ; impression numérique, 86 x 115 cm)


Laurence Gartel, French Nude
Laurence Gartel, Nu français (1981 ; impression numérique, 120 x 78,5 cm)


Laurence Gartel, Glory
Laurence Gartel, Glory (1998 ; impression numérique, 119,5 x 148 cm)


Laurence Gartel, Centre-ville
Laurence Gartel, Centre-ville (1996 ; impression numérique, 120 x 180 cm)

Si Warhol était le chef des tamarins, Gartel est certainement le plus ambitieux, le plus désireux de se montrer, le plus indélicat et le plus bruyant. Pour lui, il ne suffit pas que Coca-Cola gangrène nos existences avec ses publicités tapageuses: il veut que la marque franchisse les frontières planétaires et se répande dans l’univers, et pour cela, il imagine la célèbre marque rouge flottant sur un fond noir symbolisant l’espace cosmique. Pour Gartel, il ne suffit pas de célébrer les mythes du présent, mais il faut aussi projeter ces images “dans des futurs plausibles, dans des scénarios imaginatifs, dans des dimensions véritablement oniriques”: Il s’agit d’une sorte de fuite en avant nourrie par la science-fiction et déclenchée par une société de plus en plus en proie à l’incertitude, au sein de laquelle les mythes, célébrés tant par Warhol que par Gartel, n’ont plus la valeur qu’ils avaient autrefois, et qui a probablement besoin de s’imaginer sous des formes toujours nouvelles, en fondant ce travail de régénération sur le rêve qui, pour Gartel, comme il l’admet lui-même, est un élément typique de l’être humain, capable, plus que tout autre, de le distinguer de la machine. Le cercle du tamarrisme est dignement conclu par quelques similitudes iconographiques: l’exemple des camions d’Andy Warhol est justement rappelé par le grossier Gmc Truck de Gartel qui, pompeux et ignorant, s’élance dans un tourbillon de couleurs psychédéliques, un peu comme un effet graphique de Windows Media Player, un peu comme la toile de fond sur laquelle les rois du tamarrisme musical, Kiss, se trémoussaient dans la vidéo extrêmement vulgaire de Psycho Circus.

Laurence Gartel, Coca-Cola
Laurence Gartel, Coca-Cola (1996 ; impression numérique, 115 x 90 cm)


Andy Warhol, Truck
Andy Warhol, Truck (1985 ; lithographie sur papier, tous les 17 x 17 cm)


Laurence Gartel, Gmc Truck
Laurence Gartel, Gmc Truck (1995 ; impression numérique, 86,5 x 114 cm)

Avec Warhol vs. Gartel. Hyp pop, le Centre d’art contemporain de Lucques s’éloigne de la logique de l’exposition habituelle sur Andy Warhol (et heureusement, car il y aurait eu une circonstance aggravante: Warhol avait déjà été exposé à Lucques il y a seulement cinq ans), en réalisant néanmoins uneopération courageuse en proposant un artiste comme Gartel, plutôt autoréférentiel, qui semble coupé des cercles de l’art “ qui compte ”, et qui doit sa célébrité plus aux noms à la page pour lesquels il a travaillé qu’à une fortune critique encore à atteindre (ou tout au plus à peine). L’avenir nous dira si le commissaire Maurizio Vanni a eu raison de proposer cette comparaison: pour l’instant, nous pouvons nous contenter d’apprécier une exposition intelligente qui, certes, donne à réfléchir sur “l’évolution du sens de l’art à une époque qui impose une confrontation permanente entre l’homme et la machine”, mais qui est surtout très divertissante.


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