L’année prochaine marquera le 50e anniversaire de Autoritratto, l’essai fondateur avec lequel Carla Lonzi a redéfini les limites de la profession de critique d’art, qu’elle a elle-même décidé d’abandonner après la publication de cet ouvrage. Le sens des conversations avec des artistes(Lucio Fontana, Enrico Castellani, Pino Pascali, Carla Accardi et d’autres) que Carla Lonzi avait rassemblées dans son volume résidait dans la nécessité de faire en sorte que l’œuvre d’art soit perçue “comme une possibilité de rencontre, comme une invitation à participer adressée par les artistes à chacun d’entre nous: une possibilité qui conduit l’artiste à être ”appelé à une autre relation avec la société, en niant le rôle, et donc le pouvoir, du critique en tant que contrôle répressif sur l’art et les artistes, et surtout en tant qu’idéologie de l’art et des artistes en progrès dans notre société". C’est à partir de Carla Lonzi que nous pouvons commencer à lire l’exposition De Prospectiva Pingendi. Nuovi scenari della pittura italiana, actuellement en cours à Todi, dans le double espace du Palazzo del Vignola et du Palazzo del Popolo, jusqu’au 1er juillet. Même le commissaire de l’exposition ombrienne, Massimo Mattioli, préfère s’effacer et laisser les artistes (ou plutôt les œuvres) parler d’eux-mêmes. “Le meilleur commissaire est celui qui parvient à s’effacer le plus, à laisser l’art se présenter de lui-même”, juge Mattioli dans son très agréable essai du catalogue, écrit sous la forme d’une nouvelle.
Laisser l’art se présenter: mais qu’est-ce que l’art et, en particulier, la peinture italienne des années 2000 ont à dire? Il faut partir d’une prémisse: Si l’art est la manifestation d’un sentiment et d’une action conséquente qui sont liés, de manière presque symbiotique, au contexte historique, social et culturel dans lequel l’art lui-même est produit (“entre l’art et la société”, a écrit Franco Ferrarotti, “il existe un rapport réel, dialectique, vivant”, un rapport qui “ne peut être exprimé, et encore moins enfermé, dans les schémas du formalisme esthétisant et du socialisme naïf”, avec pour conséquence que l’art participe “à une expérience humaine concrète”, expérience humaine déterminée et significative"), alors dans une société liquide, toute centralité et toute vision systématique du parcours artistique, suggère Fabio De Chirico dans le catalogue, sont érodées par les changements soudains et continus que subit notre société, de sorte que l’actualité de l’art est marquée par “la dissémination, par la multiplication déflagrante des genres et des langages, par le flux fluide et incessant de l’expérimentation technologique”. La fragmentation est la caractéristique la plus évidente et la plus cohérente de l’art de notre époque, en particulier en Italie où, depuis le début des années 1990, il n’y a plus de groupes capables de centraliser les tendances, les modes et les idées (du moins selon la vision de Mattioli, qui identifie la Transavantgarde, l’Anachronisme et l’École de San Lorenzo comme les dernières expériences chorales de la peinture italienne). Un caractère fragmentaire qui empêche donc une caractérisation sûre et stable de l’art italien, comme le souligne dans le catalogue Daniele Capra, qui s’aligne sur les positions de beaucoup de ceux qui, ces derniers temps, se sont accordés sur le fait qu’il est difficile, voire impossible, d’identifier des éléments fondateurs (ou des identités, diraient certains).
Un point de départ, que l’on pourrait deviner d’après le titre de l’exposition, qui fait référence au célèbre traité de Piero della Francesca, pourrait néanmoins être la récupération de la tradition: Giulio Paolini affirmait déjà il n’y a pas si longtemps que le trait dominant de l’identité artistique italienne est précisément sa référence à la tradition. Et ces références ne peuvent que trouver dans la peinture leur champ d’action le plus naturel, également en vertu du fait que, comme le souligne encore Fabio De Chirico, “la peinture apparaît aujourd’hui comme une possibilité de revanche contre des formes d’expérimentation qui sont une fin en soi et désormais hystérisées par un système de marchandisation exaspéré”. En d’autres termes, on semble lire entre les lignes que proposer un canon de l’ art contemporain italien est une entreprise très ardue (et Mattioli s’est montré particulièrement courageux en s’y attaquant, pour de nombreuses raisons: parce que la scène italienne des expositions est pleine d’expositions collectives fatiguées et éculées, parce que tout choix implique toujours des exclusions, et il y en a d’excellentes à Todi, et parce que monter une telle exposition équivaut à prendre une position précise et claire). Cependant, si l’on est à la hauteur d’une telle tâche, la peinture, confortée par son statut de médium auquel nous sommes si fortement attachés en Italie, par sa tension constante entre expérimentalisme et tradition, ainsi que par son indéniable attrait commercial, ne peut que constituer le terrain privilégié.
Hall de l’exposition De Prospectiva Pingendi. Nouveaux scénarios dans la peinture italienne |
Hall de l’exposition De Prospectiva Pingendi.Nouveaux scénarios de la peinture italienne |
La référence à la tradition marque le début de l’itinéraire qui nous conduit au premier des trois domaines de la peinture selon Piero della Francesca: “la pictura contiene in se tre parti principali, quali diciamo essere disegno, commensuratio et colorare”. Par “disegno”, la première des trois parties, “nous entendons être des profils et des contours contenus dans la chose”. C’est ainsi qu’au début du parcours, au Palazzo del Vignola, se matérialise la spectaculaire Atrocités de saint Georges et de son compagnon, une huile sur toile de grand format de Thomas Braida (Gorizia, 1982): Son cruel Saint Georges se déchaînant sur un petit dragon sans défense semble tout droit sorti d’un tableau de Moreau et greffé sur un paysage de Böcklin illuminé par les atmosphères de Redon, et offre surtout au spectateur une histoire qui reprend la tradition sur le plan formel mais la renverse, avec un sarcasme féroce, sur le plan du contenu. Le saint de Braida dialogue avec Il digiuno de Nicola Samorì (Forlì, 1977), un artiste pleinement baroque qui pénètre violemment dans l’art du XVIIe siècle pour en tirer des figures(Il digiuno rappelle les saints de Ribera) à dénuder, à frotter, à torturer, à brûler, à détruire: des formes particulières de vanités contemporaines, qui réfléchissent sur l’état ultime de l’œuvre d’art, ainsi que sur le destin de notre existence. Samorì est ensuite le protagoniste, dans la salle suivante, d’une confrontation (déchirante) avec le kitsch hyper-marin de Nicola Verlato (Verona, 1965): le même format, ancien, celui du retable nervuré, pour donner corps à l’existentialisme tourmenté de Samorì(Saint Pierre en enfer) et au yokel texan hyper-réaliste de Verlato, qui s’agite sur le dos d’un taureau devant la tour de forage d’un puits de pétrole, en proie aux flammes. Le seul mérite du tableau de Verlato réside dans le fait que la tour rappelle celle d’Andrea Chiesi (Modène, 1966) exposée sur le mur d’en face: Chaos 2 raconte le paysage post-industriel de sa région d’Émilie avec un détachement lugubre (un peu comme CCCP, avec qui Chiesi a collaboré). La boucle est bouclée avec les (ennuyeuses) petites figures de Simone Berti (Adria, 1966) qui s’amuse, on ne sait trop pourquoi, à coller des éléments échappés de compositions constructivistes sur des crânes de gentes dames flamandes accomplies ou de dames du XVIIIe siècle.
Nous poursuivons dans les salles consacrées à la peinture de paysage, où le protagoniste absolu est la couleur, avec laquelle “nous entendons donner des couleurs telles qu’elles apparaissent dans les choses, chiari et uscuri secondo che i lumi li devariano”. C’est ici qu’interviennent les peintures de montagne évocatrices de Danilo Buccella (Liestel, Suisse, 1974), une sorte de Segantini sous acide enfermé dans des atmosphères noldiennes et qui, dans son triptyque Berger, sourcier et narcisse, aspire comme Segantini à une sérénité alpine, presque pastorale (bien que l’art de Buccella soit peuplé de visions beaucoup plus sombres et agitées que celles que le public pourra apprécier à Todi). L’inutilité des classifications du XXe siècle, abstraction et figuration, “d’autant plus qu’elles sont comprises par les peintres comme des options stylistiques parmi les grammaires possibles de l’expression” et non plus comme des “catégories qui mesurent l’adhésion/adhésion/imposition réelle au monde” (selon Daniele Capra), apparaît en observant des œuvres comme celles de Laura Lambroni (Olbia, 1981), qui s’intéresse à la science et à l’histoire, 1981), qui s’inspire de la science pour créer ses compositions raffinées de champs électriques et de nébuleuses (“pour enquêter sur ce que nous sommes réellement par rapport aux champs électriques ou aux atmosphères denses où naissent les étoiles”, suggère le commissaire, qui ne fait que paraphraser la pensée de l’artiste).
Thomas Braida, Les Atrocités de saint Georges et de son compagnon (2012 ; huile sur toile, 211 x 399 cm) |
Thomas Braida, Les Atrocités de saint Georges et de son compagnon, détail |
Nicola Samorì, Le Jeûne (2014 ; huile sur cuivre, 100 x 100 cm) |
À gauche Nicola Samorì, Saint Pierre en enfer (2016 ; huile sur lin, 300 x 175 cm). À droite Nicola Verlato, Beauté de l’échec (2009 ; huile sur toile, 312 x 152 cm). |
Nicola Samorì, Saint Pierre en enfer, détail |
Andrea Chiesi, Chaos 2 (2010 ; huile sur toile, 140 x 200 cm) |
Simone Berti, Carolina Murat (2017 ; techniques mixtes sur toile, 80 x 60 cm) |
Le triptyque de Danilo Buccella. À gauche Le devin, au centre Le berger, à droite Le narcisse (tous 2017 ; huile sur toile, 190 x 160 cm). |
Danilo Buccella, Le Narcisse (2017 ; huile sur toile, 190 x 160 cm) |
Laura Lambroni, Nebulosa rosetta (2016 ; technique mixte sur fer, 60 x 40 cm) |
Les autres artistes qui fondent leur langage expressif sur la couleur peuvent donc être dépassés sans trop d’hésitation. Angelo Bellobono (Nettuno, 1964) a réalisé des œuvres bien plus intéressantes que celles que le public trouvera à l’exposition ombrienne, Antonio Bardino (Alghero, 1973), ne va pas au-delà de ses jungles romantico-impressionnistes brumeuses et répétitives, et Silvia Mei (Cagliari, 1985), propose de petites figures que certains, dotés d’un solide sens de l’humour, comparent sans vergogne aux œuvres du groupe Co.Br.A, et d’autres, à l’imagination débordante, vont jusqu’à les qualifier de “néo-expressionnistes”. On peut cependant s’arrêter plus longtemps sur les œuvres d’Alessandro Cannistrà (Rome, 1975), qui explore les possibilités extrêmes de la couleur avec des compositions créées en marquant du papier avec de la fumée: il en résulte des visions que la matière en suspension dans l’air dispose de manière presque aléatoire, avec des procédés similaires à ceux utilisés par Burri il y a quelques décennies, dont le souvenir dans l’art de Cannistrà est imprégné d’une sensibilité romantique qui identifie la nature elle-même dans les plis des traces laissées par la fumée.
Les quatre derniers des quinze artistes que Mattioli a réunis à Todi, avec leurs recherches géométriques, donnent corps à la “commensuratio”, avec laquelle “nous disons qu’il s’agit de profils et de contours proportionnellement placés à leur place”. La première œuvre que l’on rencontre est Giardini (Israël) de Marco Neri (Forlì, 1968), une peinture qui offre à l’observateur la signature stylistique la plus typique de l’artiste romagnol: Des fonds uniformes sur lesquels se greffent des éléments géométriques simples, composant des motifs récurrents sur des espaces bidimensionnels et organisant des paysages et des architectures qui répondent davantage à un souvenir ou à une vision qu’à une vue (“Israël” fait référence au pavillon national de la Biennale de Venise de 2001: l’œuvre fait partie d’un cycle rappelant cette édition de la Biennale, dans laquelle Neri a joué un rôle de premier plan). Poets de Mario Consiglio (Maglie, 1968), avec son langage ironique et minimaliste, ouvre la dernière salle où, outre les œuvres de certains des peintres “couleur” susmentionnés, le visiteur découvre les surprenants paysages de Giuseppe Adamo (Alcamo, 1982) qui, avec ses couleurs acryliques, réussit à créer des surfaces incroyablement illusoires qui semblent échapper aux limites physiques du support (et plus d’un visiteur s’est demandé si cette surface était vraiment lisse: Elle l’est), et enfin les constructions de Gioacchino Pontrelli (Salerne, 1966), un peintre dont la pureté se reflète dans ses toiles: Untitled, par exemple, est une perspective surréaliste où l’onirique et le rationnel se rencontrent.
On peut donc quitter le Palazzo del Vignola pour se rendre au Palazzo del Popolo où, dans la monumentale Sala delle Pietre (Salle des Pierres), se déploient les œuvres de grand format de quelques-uns des quinze artistes de l’exposition, tissant à nouveau le fil tracé (certes de manière un peu plus convaincante et avec des comparaisons plus précises) dans la première salle. Parmi les œuvres les plus intéressantes, citons les Clangori de Braida, qui nous accueillent dès l’entrée avec leur bataille tonitruante livrée par des armures vides, ou la Mamma de Pontrelli avec ses tissus flamboyants encadrés dans des formes géométriques qui se fondent dans des rivières de couleurs, ou encore l’analyse très ordonnée du Centro abitato de Neri, une grande installation de trente-cinq acryliques sur papier: trente-cinq grandes fenêtres qui constituent un fragment d’un contexte urbain marqué par une grande rigueur géométrique, mais aussi par la vie (car les volets sont levés ou baissés à des hauteurs différentes, signe qu’il y a une histoire derrière chacune de ces fenêtres).
Angelo Bellobono, Terre sparse (2017 ; acrylique, terre et huile sur toile, 200 x 200 cm). |
Antonio Bardino, Sans titre (2013 ; huile sur toile, 30 x 30 cm) |
Silvia Mei, Bracciateste e veste rossa (2014 ; acrylique et techniques mixtes sur papier encadré, 242 x 150 cm). |
Alessandro Cannistrà, Projet #15 (08) (2017 ; fumée sur papier, 120 x 120 cm) |
Giuseppe Adamo, Sulcus 2 (2016 ; acrylique sur toile, 100 x 80 cm) |
Mario Consiglio, POETS (2018 ; émail et vinavil sur PVC, 140 x 400 cm) |
Marco Neri, Jardins (Israël) (2010 ; acrylique sur lin, 80 x 100 cm) |
Gioacchino Pontrelli, Sans titre (2003 ; techniques mixtes sur toile, 200 x 240 cm) |
Thomas Braida, Clangori (2016 ; huile sur toile, 215 x 235 cm) |
Gioacchino Pontrelli, Mamma (2016 ; technique mixte sur toile, 380 x 210 cm) |
Marco Neri, Town Centre (2015 ; 35 éléments acryliques sur papier, 42 x 29 cm chacun, dimensions variables). |
Si De Prospectiva Pingendi doit certifier quoi que ce soit, la première hypothèse est que la peinture, maintes fois considérée comme morte, est un médium aussi vital que jamais. La deuxième est que le “scénario” sur lequel évolue une grande partie de la peinture italienne d’aujourd’hui est celui de la confrontation avec l’antique (une confrontation qui a d’ailleurs toujours caractérisé l’art italien, même dans les moments de rupture les plus féroces: même les fractures naissent d’une confrontation), basé sur l’idée que la lecture de la tradition constitue une base nécessaire à l’expérimentation. La troisième est que, malgré ces prémisses, il ne semble pas y avoir de tendances catalytiques dans la peinture italienne des années 30: selon Mattioli, la seule règle que les peintres italiens d’aujourd’hui ont en commun est “d’avoir grandi avec une sorte d’individualisme forcé” qui les a amenés “à faire avancer leur propre peinture, dans certains cas jusqu’à la répudier pour la reprendre ensuite à un niveau plus avancé”. Super-peinture, s’aventure le commissaire: effacer pour affirmer. Une lecture épuisante. Mais sur laquelle on peut raisonner.
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