Simoninus de Trente: le "saint abusif" construit par la propagande de la fin du XVe siècle pour attiser la haine antisémite


Compte rendu de l'exposition "L'invention du coupable. Le "cas" de Simonino da Trento, de la propagande à l'histoire", à Trente, Museo Diocesano Tridentino, jusqu'au 15 septembre 2020.

On peut ressentir une sorte de gêne désagréable en sachant qu’il a fallu près de quatre cents ans à l’Église pour effacer un culte qui, au fil des siècles, a alimenté les préjugés antisémites, avec la circonstance aggravante d’avoir exploité le corps d’un enfant irréprochable mort, on ne sait comment, à Pâques 1475. Presque quatre cents ans depuis la date de la béatification du pauvre Simonino da Trento, mais quatre cent quatre-vingt-dix si l’on considère que, depuis la découverte de son corps, le petit garçon a été considéré comme un martyr d’une prétendue barbarie juive jamais prouvée, et élu saint par acclamation populaire, bien qu’il n’ait jamais été canonisé par l’Église catholique, en dépit de l’insistance de beaucoup: Simone Lomferdorm, fils d’un tanneur de Trent retrouvé mort dans un fossé d’irrigation de la ville, fut immédiatement au centre d’une vénération populaire forte et morbide. Il fut béni en 1588 et le resta jusqu’en 1965, date à laquelle des recherches historiques menées à cette époque permirent de constater que le culte n’était fondé sur rien, et le Saint-Siège décida donc de le supprimer.

Pour la première fois, cette sombre affaire fait l’objet d’une exposition, intitulée L’invention du coupable. Le “cas” de Simonino da Trento, de la propagande à l’histoire, installée dans les salles du Musée diocésain tridentin et organisée par le directeur de l’institut, Domenica Primerano, avec Domizio Cattoi, Lorenza Liandru et Valentina Perini: un itinéraire qui reconstitue l’histoire de Simonino, le procès grotesque et terrible qui s’est soldé par la condamnation à mort de nombreux innocents, la puissante machine de propagande mise en œuvre pour diffuser le culte et exacerber les esprits contre les juifs, la fortune de Simonino dans la religiosité populaire à travers les siècles et l’abrogation du culte qui a clos l’affaire séculaire. Aujourd’hui, on peut qualifier ce dernier de faux retentissant qui a conduit des masses de fidèles à vénérer malgré lui ce que Domenica Primerano appelle “un saint abusif”. Un itinéraire qui allie une reconstitution historique rigoureuse à une sélection soignée d’œuvres d’art, en utilisant en outre des moyens technologiques qui permettent au public de s’immerger dans la réalité de Trente au XVe siècle.



La séquence des événements commence le soir du 23 mars 1475, jeudi saint, lorsque Simonino ne rentre pas à la maison et que ses parents signalent sa disparition aux autorités. Deux jours d’attente s’écoulent jusqu’au 26, jour de Pâques, lorsque le principal représentant de la communauté juive de Trente, Samuel de Nuremberg, prêteur de profession, se rend chez le podestat Giovanni de Salis pour signaler la découverte du corps sans vie de l’enfant. Une ancienne légende, dont les premières attestations certaines remontent au XIIe siècle, attribuait aux Juifs la coutume de sacrifier des enfants chrétiens enlevés de force à leurs parents le jour de Pâques, afin de reconstituer la crucifixion du Christ et d’utiliser le sang de la victime à des fins rituelles et curatives. Il s’agit du soi-disant meurtre rituel juif, une coutume qui n’a cependant jamais été historiquement vérifiée et qui a toujours été qualifiée par l’historiographie la plus avisée d’authentique invention antisémite, de mythe folklorique dépourvu de toute substance, de calomnie diffamatoire non étayée par une quelconque réalité.

Les autorités du Trentin du XVe siècle étaient pourtant enclines à écouter la vox populi, à tel point que Samuel de Nuremberg fut arrêté et que plusieurs membres de la petite communauté juive de Trente furent jugés avec lui. La procédure judiciaire recourt largement à la pratique de la torture, au-delà même de ce qui est nécessaire et des quantités que les pratiques de l’époque prescrivent (à tel point que la femme de Samuel, Brunetta, mourra vraisemblablement en prison des suites des tortures). Les Juifs jugés en viennent ainsi à avouer des fautes qu’ils n’ont pas, allant jusqu’à admettre des actions qui auraient normalement été illogiques: par exemple, la dissimulation du cadavre dans la même maison que Samuel, qui rapportera plus tard la découverte du corps (et considérer que les Juifs de l’époque vivaient en contact avec des chrétiens et n’auraient pas eu l’occasion de commettre un crime en secret), ou l’aveu que le sang de Simonino c’est-à-dire d’un enfant chrétien, aurait servi au salut de l’âme des juifs (un non-sens puisque, note l’historien Giovanni Miccoli dans son article de 2007, “on en serait venu à reconnaître une valeur salvatrice à cette passion, et donc, implicitement, à affirmer aussi la vérité d’un point fondamental de la croyance chrétienne”). L’hypothèse accusatoire construite sur le préjugé de l’accusation dite du sang conduit donc à des aveux mensongers, et leprocessus s’achève par les premières condamnations à mort, prononcées entre le 21 et le 23 juin: Simon de Nuremberg, Angelo de Vérone, Tobias de Magdebourg, Victor de Samuel, Mohar de Würzburg seront brûlés sur le bûcher, tandis que pour Bonaventure de Samuel et Bonaventure de Mohar, convertis in extremis au christianisme, la peine est commuée en décapitation. En novembre s’ouvrent les procès contre les femmes de la communauté, qui durent jusqu’en 1476 et se terminent par les aveux des quatre accusées, Anna, Bella, Sara et Bona. Les trois premières sont contraintes de se convertir et de promettre de rester dans la foi chrétienne (sous peine de mort pour apostasie), tandis qu’on est sans nouvelles de la dernière.

Salle d'exposition L'invention du coupable. Le cas de Simonino da Trento, de la propagande à l'histoire
Salle d’exposition L’invention du coupable. Le “cas” de Simonino da Trento, de la propagande à l’histoire


Salle d'exposition L'invention du coupable. Le cas de Simonino da Trento, de la propagande à l'histoire
L’invention du coupable. Le “cas” de Simonino da Trento de la propagande à l’histoire

Jusqu’à présent, le récit dépouillé de la chronique judiciaire et d’une procédure entièrement fondée sur les stéréotypes les plus flagrants à l’encontre des juifs, alimentée par l’insurmontable différence doctrinale entre juifs et chrétiens et exacerbée par certaines lectures du Nouveau Testament qui, écrit Laura Dal Prà dans le catalogue, assurent “des stimuli pour radicaliser l’opposition entre les deux religions, avec pour résultat de transférer des interprétations de cette teneur dans les appareils illustratifs des Évangiles”: un embrasement qui est “perceptible aussi bien dans les traits physionomiques des juifs impliqués dans le récit évangélique que dans l’inclusion de détails iconographiques spécifiques”. Et c’est précisément à partir de ces constatations que commence le voyage de l’exposition. Un voyage dans les préjugés qui part du topos duJuif tueur du Christ, qui apparaît avec une grande clarté dans l’Ecce Homo de l’artiste allemand Mair von Landshut (documenté entre 1485 et 1510 environ), prêté par les collections provinciales du Château du Buonconsiglio de Trente: Les tons caricaturaux avec lesquels l’auteur a représenté les juifs (les nez crochus, les expressions grincheuses, les gestes grossiers et grossiers) visent à rendre manifeste leur responsabilité dans la mise à mort du Christ, tandis que d’autres détails (le chien qui accompagne souvent les représentations de juifs, ou les vêtements: note le bonnet pointu du personnage du centre, d’où pend un rouleau, qui rappelle les tefellin, ou petits étuis contenant les paroles de la Torah et portés sur la tête par les juifs les plus pratiquants lors de la prière du matin) servent à définir sans équivoque l’appartenance religieuse de ceux qui ont été considérés comme les assassins de Jésus.

La figure de Jésus n’est cependant pas la seule à susciter des préjugés antisémites, et l’exposition du Trentin entend le démontrer en plaçant au centre de la salle un beau reliquaire gravé du XIIe siècle, de fabrication rhénane, sur la surface duquel apparaît une représentation du châtiment des Juifs sacrilèges: La légende veut que certains juifs ayant tenté de renverser le cercueil de la Vierge lors de sa montée au ciel après la dormitio n’aient pu retirer leurs mains et les aient perdues (elles n’ont été récupérées que par les juifs prudents qui se sont immédiatement convertis: le reliquaire illustre ce moment). Une estampe allemande représentant l’une des iconographies antijuives les plus violentes, la Judensau (“truie juive”), très répandue dans l’espace germanique (l’archétype est une fresque perdue de la fin du XVe siècle trouvée sur la Brückerturm à Francfort), est particulièrement forte: le motif représente une truie qui allaite certains juifs et en nourrit d’autres avec ses propres excréments. La commissaire Lorenza Liandru, rappelant les études de l’historien Isaiah Shachar, fait remonter l’origine de cette iconographie à des motifs allégoriques faisant allusion aux vices de la gourmandise et de la luxure, puis réinterprétés dans une tonalité antijuive sur la base des liens et des similitudes entre juifs et porcs dans la littérature médiévale. Une image très dangereuse, que l’on retrouve également souvent liée à l’accusation de meurtre rituel dans les contextes figuratifs où de tels motifs sont associés.

Mair von Landshut, Ecce homo (1502 ; Trente, Castello del Buonconsiglio)
Mair von Landshut, Ecce homo (1502 ; Trente, Castello del Buonconsiglio)


Orfèvre rhénan, coffret-reliquaire (troisième quart du XIIe siècle ; cuivre doré et émaillé, fer forgé, 32 x 44 x 15,5 cm ; Trente, Museo Diocesano Tridentino, inv. 21)
Orfèvre rhénan, coffret-reliquaire (troisième quart du XIIe siècle ; cuivre doré et émaillé, fer forgé, 32 x 44 x 15,5 cm ; Trente, Museo Diocesano Tridentino, inv. 21)


Allemand, Judensau (début du 17ème siècle ; Trente, Université de Trente)
Ambit allemand, Judensau (début du XVIIe siècle ; Trente, Université de Trente)

Tel était, en substance, le climat dans lequel vivait un juif du XVe siècle, tels étaient les fantasmes qui ont pu huiler les rouages de la machine de propagande qui s’est immédiatement mise en marche contre les juifs pendant et après les phases les plus aiguës du procès de l’affaire Simonino: La toute première œuvre liée à l’affaire est exemplaire non seulement parce qu’elle fixe une iconographie qui aurait connu peu de variations au cours des siècles, mais aussi parce qu’elle illustre bien le rôle de la presse pour soutenir la condamnation des Juifs et promouvoir le culte de Simoninus, selon un programme bien orchestré par le “metteur en scène” de toute l’opération, le prince-évêque Johannes Hinderbach (Rauschenberg, 1418 - Trente, 1486), qui eut un rôle prépondérant dans toute l’affaire. Instruit, charismatique, intelligent (il fut l’un des premiers à comprendre le potentiel politique de la presse), habile manœuvrier, Hinderbach lança une action que l’universitaire Daniela Rando définit comme “systématique et ’scientifique’”. Le premier ouvrage sur Simonino que l’on trouve dans l exposition, l’Historie von Simon zu Trient d’Albrecht Kunne (Duderstadt, v. 1435 -?après 1520), présentée avec une reproduction des quatorze folios qui la composent (l’incunable original se trouve à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich) et qui racontent toute l’histoire de Simoninus, offre un exemple intéressant de la capacité de Hinderbach à mettre l’imprimerie au service de sa cause. L’Historie de Kunne, imprimée à Trente le 6 septembre 1475, est un simple récit de la succession des événements (l’enlèvement, le meurtre rituel, la dissimulation du cadavre, la découverte, la condamnation atroce des Juifs) et s’inscrit dans la stratégie de diffusion élaborée par Hinderbach, qui avait imaginé différents contenus: un traité De Simone puero tridentino, rédigé par Jean Matthias Tiberinus et destiné à un public cultivé, la brochure de Kunne qui s’adressait plutôt à un public plus large, et les textes juridiques qui devaient soutenir la cause de la canonisation de Simoninus dans les milieux pontificaux.

L’action de Hinderbach se situe également sur le plan politique: il s’agit en effet d’entraver le travail du commissaire pontifical, le dominicain Giovanni Battista de’ Giudici, évêque de Vintimille, envoyé de Rome pour enquêter sur le bon déroulement du procès. Hinderbach l’accueille avec tous les honneurs, mais Giudici se rend vite compte que toute la ville est contre lui, et il est contraint de consigner dans ses rapports des calomnies à son encontre, de travailler dans un climat de suspicion (la même suspicion qu’il nourrit à l’égard d’Hinderbach, ayant deviné son rôle dans l’affaire: il était convaincu que les témoins du procès étaient conditionnés par sa position), de lutter contre le prince-évêque qui continuait à écrire à Rome en fournissant de nombreuses justifications pour souligner la régularité du procès, et qui continuait à soumettre Giudici à un contrôle strict, à tel point que l’évêque de Vintimille dut se déplacer à Rovereto, alors sous la juridiction de Venise, pour travailler plus tranquillement. Le 20 juin 1478, une bulle papale, Facit nos pietas, déclare le procès régulier et met ainsi fin à l’affaire.

Nous ne savons pas avec certitude quelles étaient les raisons d’un tel effort de la part du prince-évêque. On a émis l’hypothèse que Hinderbach en voulait aux biens des juifs (qui furent effectivement confisqués), mais le contexte est beaucoup plus complexe: “les raisons qui ont conduit Hinderbach à se convaincre de la culpabilité de la communauté juive du Trentin et de la sainteté du petit Simon”, écrit l’érudit Matteo Fadini, “sont probablement insondables et il est certain que plusieurs facteurs (culturels, politiques, religieux) sont imbriqués”. Ces facteurs sont explicités d’une certaine manière par Daniela Rando, qui parle de Hinderbach comme d’un “évêque préoccupé par son destin individuel, enclin à lire dans son époque calamiteuse les signes de la fin du monde et de l’arrivée de l’Antéchrist”, mais aussi comme d’un homme fasciné par le modèle du “prélat protecteur des arts, qui dans le patronage et la célébration de ’son’ saint a entrevu le ’saint’ et le ’saint’ Simon, qui était un ’protecteur des arts, qui était un protecteur des arts et un protecteur du monde’”.son’ saint a vu la possibilité de célébrer ’son’ temps et ’son’ épiscopat’. C’est pourquoi il faut imaginer un Hinderbach très actif pour obtenir la canonisation de Simoninus: le prince-évêque n’y parvint pas et Simoninus ne fut béatifié qu’en 1588. La section suivante de l’exposition rend compte de la fortune du culte, surtout au XXe siècle, et de sa fin: objets liturgiques liés aux célébrations du bienheureux (son reliquaire, des images de processions où la participation des enfants était très importante: Il n’est pas rare qu’à ces occasions, à Trente, les enfants soient déguisés en Simonino), des documents de l’Italie des lois raciales dans lesquels le prétendu martyre du petit garçon de Trente est à nouveau mentionné, et enfin les articles qui ont accompagné l’œuvre d’Iginio Rogger dans les années 1960, Willehad Eckert et Gemma Volli, dont les recherches ont révélé l’absence d’une secte basée sur les résultats d’un procès grotesque, conditionné par des préjugés, capable d’extorquer des aveux par l’utilisation sans scrupules de la torture et de susciter de nombreux doutes même parmi les contemporains. Le rapport d’Eckert, basé sur les documents du procès, fut décisif: il fut envoyé à Rome, à la Congrégation des Rites, et finalement, en mai 1965, le culte fut aboli.

Albrecht Kunne, Historie von Simon zu Trient (Geschichte des zu Trient ermordeten Christenkindes) (Trient, 6 septembre 1475 ; incunable ; Munich, Bayerische Staatsbibliothek, 2 Inc s. a. 62)
Albrecht Kunne, Historie von Simon zu Trient (Geschichte des zu Trient ermordeten Christenkindes) (Trente, 6 septembre 1475 ; incunable ; Munich, Bayerische Staatsbibliothek, 2 Inc s. a. 62)


Giuseppe Brunner, Urne de Simonino de Trente et d'enfants déguisés en anges (1904 ; Trente, Archives de la paroisse des Saints Pierre et Paul)
Giuseppe Brunner, Urne de Simonino de Trente et d’enfants déguisés en anges (1904 ; Trente, Archives de la paroisse des Saints Pierre et Paul)


Articles des années 1960 suite à l'abolition du culte de Simonino de Trente
Articles des années 1960 suite à l’abolition du culte de Simonino de Trente

Le culte lui-même est le protagoniste de la deuxième section de l’exposition, située à l’étage supérieur, introduite par un retable attribué à l’Autrichien Michael Tanner et commandé par Hinderbach, probablement pour décorer son monument funéraire (l’évêque apparaît dans l’abîme, sous les figures des saints Pierre et Paul). La section se concentre sur les formes de l’iconographie de Simonino au cours des siècles: la diffusion des images a été un autre des piliers de la propagande de Hinderbach, malgré le fait que le pape Sixte IV avait déjà envoyé un bref à tous les princes italiens en 1475 pour interdire la circulation des représentations de Simonino, puisque le culte n’avait pas été approuvé par l’Église. Cependant, le grand nombre d’œuvres datant du dernier quart du XVe siècle atteste avec une clarté palpable que les interdictions du pape n’ont pas été respectées: mérite, écrit Valentina Perini, au “pouvoir de persuasion des images” qui était connu non seulement des princes-évêques, mais aussi des prédicateurs les plus ardents et les plus fanatiques, ainsi que des franciscains pratiquants qui, à cette époque, étaient actifs dans la fondation de monastères d’indigents et étaient donc des concurrents directs des juifs dans le commerce de l’argent prêté. Dans le catalogue, un essai détaillé de Maria Giuseppina Muzzarelli identifie le franciscain Bernardino da Feltre (la première section de l’exposition présente un tableau de lui peint par Vicino da Ferrara) comme l’un des diffuseurs les plus actifs du culte “abusif” de Simonino da Trento.

La deuxième partie de l’exposition s’ouvre sur une formidable et rare gravure sur bois du XVe siècle, prêtée par la Bibliothèque Classense de Ravenne: il s’agit de trois fragments anciens collés sur un codex en papier et utilisés de manière anachronique comme frontispice d’un traité du XIIIe siècle. L’œuvre transmet l’iconographie la plus connue de Simonino, qui le représente en crucifix, rappelant le sacrifice de Jésus-Christ, tandis qu’il est tourmenté par les juifs situés de part et d’autre de lui, les deux premiers lui enroulant un foulard blanc autour du cou pour l’étrangler (cet objet deviendra plus tard son attribut iconographique) et les autres pratiquant des incisions sur son corps afin d’obtenir son sang. L’un des éléments sur lesquels les artistes de Simonino auraient insisté est la forte charge violente de l’action, ici bien soulignée justement par le sang qui coule abondamment sur le corps de l’enfant et que le xylographe inconnu a rendu avec des touches vives de rouge écarlate. Une brutalité qui ressort également de l’illustration du martyre jointe au Liber Chronicarum de Hartmann Schedel (Nuremberg, 1440 - 1514), médecin, humaniste et collectionneur allemand de formation italienne (il avait obtenu son diplôme de médecine à Padoue), et auteur de cet impressionnant livre de chroniques illustrées publié en 1493: ici, l’action se déroule à l’intérieur de la maison de Samuel (les noms des Juifs sont tous dûment indiqués) et le petit garçon est maintenu au centre de la scène pendant qu’il est circoncis, l’un des futurs condamnés à mort, Angelo da Verona, recueillant dans une bassine le flot de sang qui jaillit des membres de Simonino.

En poursuivant notre parcours parmi les œuvres à caractère plus nettement sanglant et macabre, nous ne pouvons manquer de remarquer le panneau votif de Ludwig Klingkhamer, œuvre d’un peintre tyrolien anonyme, où Simonino est appelé à la protection par un chevalier (dont l’identité est connue grâce à l’inscription du registre inférieur) qui est pris en train de revenir mutilé et encore ensanglanté d’une bataille contre les Vénitiens, livrée près de Trento: La peinture est également intéressante parce qu’on y voit un autre type iconographique, avec le Simonin triomphant, capable de se répandre dans différents contextes, comme l’iconographie du supplice qui a été facilement popularisée par les œuvres des églises de la région. Ici, Simoninus est nu, tenant d’une main le bouclier avec les signes de sa “passion” (les épingles, le bassin, le couteau et les pinces) et de l’autre l’étendard avec la croix. Il s’agit d’un type plus tardif (l’archétype est une statuette en argent perdue datant de 1479), mais qui a pu se répandre au-delà du territoire du Trentin (on en trouve même des traces en Ombrie). Le motif était ensuite généralement complété par l’écharpe autour du cou: Ce n’est pas le cas dans le panneau de Klingkhamer, mais on voit Simonino peint avec son attribut dans un diptyque prêté par Brixen (où le petit garçon porte aussi un manteau rouge évoquant la Passion du Christ), ou dans l’une des plus belles œuvres du XVe siècle le mettant en scène, le triptyque de Jacopo Parisati (Montagnana, documenté à partir de 1458 - Padoue, 1499) peint pour l’église Santa Maria dei Servi de Padoue, où Simonino se tient debout, les mains jointes en prière, nu sous la Vierge de la Miséricorde. Le tableau est un témoignage éloquent de la diffusion du culte de Simonino en Vénétie: dans la même église des Servites de Padoue, un autel lui était dédié, même si ce n’est pas celui pour lequel le retable de Jacopo da Montagnana a été exécuté. Enfin, en ce qui concerne les œuvres du XVe siècle, il convient de mentionner un unicum représenté par un buste en marbre (qui ne fait pas partie de l’exposition: une vidéo complète l’absence) représentant un saint enfant tenant la palme du martyre, qui, sur la base des traces d’une polychromie ancienne suggérant des taches de sang, a été reconnu comme un Simonino et qui, à l’occasion de l’exposition au Musée diocésain tridentin, a été pour la première fois rattaché au sculpteur lombard Antonio Rizzo (Osteno, vers 1430 - Cesena, vers 1499) par Francesco Caglioti.

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Michael Tanner (?), Vierge à l'enfant entre les saints Jérôme, Jean-Baptiste, Pierre et Paul, le prince-évêque Johannes Hinderbach et son chapelain (Trente, Museo Diocesano Tridentino)
Michael Tanner (?), Vierge à l’enfant entre les saints Jérôme, Jean-Baptiste, Pierre et Paul, le prince-évêque Johannes Hinderbach et son chapelain (Trente, Museo Diocesano Tridentino).


Xylographe du nord-est de l'Italie, Martyre de Simonino de Trente (vers 1475-1485 ; gravure sur bois colorée, 125 x 145 mm ; Ravenne, Bibliothèque Classense, inv. no 22)
Xylographe du nord-est de l’Italie, Martyre de Simonino de Trente (vers 1475-1485 ; gravure sur bois colorée, 125 x 145 mm ; Ravenne, Bibliothèque Classense, inv. no. 22)


Hartmann Schedel, Liber Chronicarum (Nuremberg, Anton Kberger, 23 décembre 1493 ; Trente, Bibliothèque municipale, G 1 a 21)
Hartmann Schedel, Liber Chronicarum (Nuremberg, Anton Kberger, 23 décembre 1493 ; Trente, Biblioteca Comunale, G 1 a 21)


Peintre tyrolien (Ludwig Konraiter?), Panneau votif de Ludwig Klingkhamer avec la Madone et Simonino da Trento triomphant (1487 ; tempera et huile sur panneau, 60 x 34,8 cm ; Innsbruck, Prämonstratenser Chorherrenstift Wilten)
Peintre tyrolien (Ludwig Konraiter?), Panneau votif de Ludwig Klingkhamer avec la Madone et Simonino da Trento triomphant (1487 ; tempera et huile sur panneau, 60 x 34,8 cm ; Innsbruck, Prämonstratenser Chorherrenstift Wilten)


Peintres tyroliens, Sainte Elisabeth de Hongrie et Simoninus de Trente (vers 1480-1490 ; tempera sur panneau, 76,1 x 48,5 cm ; Brixen, Hofburg)
Peintres tyroliens, Sainte Elisabeth de Hongrie et Simoninus de Trente (vers 1480-1490 ; tempera sur panneau, 76,1 x 48,5 cm ; Brixen, Hofburg)

La section consacrée au XVIe siècle commence par un Simonino da Trento d’Altobello Melone (Crémone, 1491 - 1547), daté de 1521, qui représente l’enfant debout sur un piédestal, encore nu, avec son écharpe qui, au lieu d’enserrer son cou, est vaguement drapée sur ses épaules, et avec des épingles dans les mains: Nous ne savons pas pourquoi Melone, qui n’avait aucun contact avec Trente, a réalisé ce panneau (peut-être, comme l’a supposé Marco Tanzi, que la commande provenait du diplomate crémonais Andrea Borgo qui, en revanche, avait des intérêts dans la ville), mais ce qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un Simonino de grande qualité et que, comme l’écrit Valentina Perini, “il ne s’agit pas d’une œuvre d’art, mais d’une œuvre d’art, d’une œuvre d’art”, écrit Valentina Perini, “s’écarte de la tradition par l’absence, sur le corps bien tourné, des blessures habituelles”, déléguant l’évocation du martyre “à la présentation de deux poinçons aiguisés tenus par le garçon et aux aiguilles soigneusement placées sur la base du piédestal”: un choix nécessairement lié à l’iconographie déjà proposée par Jacopo da Montagnana. L’une des pièces les plus intéressantes de l’exposition date également du XVIe siècle: il s’agit d’une Lamentation sur le corps de Simonino da Trento, une sculpture en bois qui fait partie de l’ancien autel de l’église des Saints Pierre et Paul de Trente (d’où provient également le Martyre de Simonino du Musée diocésain tridentin, présenté à côté dans l’exposition), c’est-à-dire le principal “temple” du culte de Simonino dans l’Antiquité, où se trouvait la chapelle dédiée au prétendu martyr (Domizio Cattoi en parle dans un riche essai figurant dans le catalogue). La Lamentation, qui nous confronte à un type iconographique dont la volonté d’établir une comparaison avec la mort du Christ est la plus flagrante, a été reconnue comme faisant partie de l’autel (une machine complexe dont il ne reste aujourd’hui que trois éléments connus) en 2012 grâce au travail de Laura Dal Prà, Giovanni Dellantonio et Valentina Perini, et l’exposition représente la première présentation publique de la sculpture, depuis qu’elle a quitté l’église à la fin du XIXe siècle et qu’elle a continué à voyager à travers des collections privées (elle appartient toujours à un particulier).

L’exposition se termine par des images de Simonino qui ont commencé à se répandre après la béatification de 1588 et la confirmation officielle du culte. L’une des œuvres les plus significatives est un Simonino da Trento avec deux enfants, réalisé par un peintre du nord de l’Italie (peut-être de Crémone), prêté par la Pinacothèque nationale de Ferrare: Il existe une autre iconographie, qui voit l’enfant en triomphe, avec la bannière habituelle, les instruments de son martyre (le bassin, le couteau, la pince, l’écharpe, les épingles, que Simonino tient à la main), mais vêtu d’une tunique rouge serrée à la taille par une ceinture, d’un tablier blanc, d’un petit gorget à la mode du XVIIe siècle pour rappeler le bandeau autour de son cou, et d’une paire de chaussures avec un nœud. Les deux enfants sur les côtés représentent un unicum et, comme le supposent Cattoi et Perini dans un essai sur cette variante iconographique qui s’est répandue au début du XVIIe siècle avec quelques textes de grande importance, ils pourraient “impliquer un avertissement aux jeunes fidèles de se méfier des étrangers afin d’éviter le risque de partager le sort de Simonino” (l’un des deux montre en effet l’enfant et l’autre s’adresse directement au parent avec un geste d’avertissement). Les deux chercheurs formulent ici l’hypothèse que cette iconographie a été popularisée par une peinture aujourd’hui inconnue, exécutée par l’artiste véronais Jacopo Ligozzi (Vérone, 1547 - Florence, 1627): il reste en effet un de ses dessins, conservé aux Offices et présenté à l’exposition de Trente, avec une tête de Simonino très semblable à la représentation de l’enfant dans cette nouvelle iconographie.

Enfin, parmi les œuvres plus tardives, citons le Martyre de Simonino de Trente de Giuseppe Alberti (Tesero, 1640 - Cavalese, 1716), une œuvre datée de 1677 qui est l’un des chefs-d’œuvre de l’artiste et l’une des images les plus populaires de Simonino puisqu’elle était l’objet de l’adoration des fidèles le jour de la procession du Corpus Domini, et le cycle processionnel du XVIIIe siècle des histoires et des miracles de Simonino qui, à l’occasion de l’exposition, a vu sa date avancée (vers 1775, soit cent ans plus tard que la chronologie précédemment établie): la restauration effectuée pour l’exposition a été révélatrice). Composé de douze toiles, il s’agit du cycle unitaire dédié à Simonino le plus riche que l’on connaisse, qui se trouvait dans l’église des Saints Pierre et Paul et était exposé lors des processions dédiées au bienheureux: le récit comprend six étapes différentes de l’histoire (le conseil des Juifs, l’enlèvement de Simonino, le supplice, le martyre, les célébrations de la Pâque, la dissimulation du cadavre) et six miracles attribués à Simonino. Bien que la qualité de ces œuvres soit loin d’être excellente, “elles présentent un intérêt certain”, écrit Maddalena Ferrari, “tant pour l’immédiateté avec laquelle elles expriment, à travers les gestes et les poses des personnages, le miracle qui s’est produit à chaque fois, un peu comme les ex-voto, que pour le cadre qui réunit trois d’entre elles, dans lequel le malade est guéri devant l’autel de Simonino, dans la chapelle du même nom de l’église Saint-Pierre”.

Altobello Melone, Simonino da Trento (1523 ; huile sur panneau, 98 x 47 cm ; Trento, Castello del Buonconsiglio, inv. MN 1381)
Altobello Melone, Simonino da Trento (1523 ; huile sur panneau, 98 x 47 cm ; Trento, Castello del Buonconsiglio, inv. MN 1381)


Atelier de Daniel Mauch, Lamentation sur le corps de Simonino de Trente (première-seconde décennie du XVIe siècle ; bois sculpté, peint et doré, 65,5 x 61 x 12 cm ; Mülheim an der Ruhr, collection Andrea Ohnhaus)
Atelier de Daniel Mauch, Lamentation sur le cadavre de Simonino da Trento (première-seconde décennie du XVIe siècle ; bois sculpté, peint et doré, 65,5 x 61 x 12 cm ; Mülheim an der Ruhr, collection Andrea Ohnhaus)


Atelier de Daniel Mauch, Martyre de Simonino de Trente (première-seconde décennie du XVIe siècle ; bois sculpté et peint 81 x 110 x 24 cm ; Trente, Museo Diocesano Tridentino, inv. 3016)
Atelier de Daniel Mauch, Martyre de Simonino de Trente (première-deuxième décennie du XVIe siècle ; bois sculpté et peint 81 x 110 x 24 cm ; Trente, Museo Diocesano Tridentino, inv. 3016)


Peintre d'Italie du Nord, Simonino da Trento avec deux enfants (début du XVIIe siècle ; huile sur toile, 150 x 90 cm ; Ferrare, collection de la Fondazione Estense, prêt à la Pinacoteca Nazionale di Ferrara)
Peintre du nord de l’Italie, Simonino da Trento avec deux enfants (début du XVIIe siècle ; huile sur toile, 150 x 90 cm ; Ferrare, collection de la Fondazione Estense, prêt à la Pinacoteca Nazionale di Ferrara)


Jacopo Ligozzi, Visage de Simonino da Trento (Florence, Offices, Cabinet des dessins et des estampes)
Jacopo Ligozzi, Visage de Simonino da Trento (Florence, Offices, Cabinet des dessins et des estampes)


Giuseppe Alberti, Martyre de Simonino de Trente (1677 ; huile sur toile, 195 x 130 cm ; Trente, Castello del Buonconsiglio, inv. MN 837)
Giuseppe Alberti, Martyre de Simonino da Trento (1677 ; huile sur toile, 195 x 130 cm ; Trente, Château du Buonconsiglio, inv. MN 837)


Tableaux de procession avec histoires et miracles de Simonino de Trente
Tableaux de procession avec les histoires et les miracles de Simonino da Trento

Il convient de souligner que l’exposition du Musée diocésain de Trente repose sur des critères méthodologiques et conceptuels résolument modernes. Outre un parcours construit avec une rigueur philologique irréprochable et qui est le fruit d’un long travail d’étude (comme en témoigne le catalogue dense et cohérent, sorte de somme des connaissances dont nous disposons sur le cas de Simonino, tant du point de vue historique qu’artistique: le seul défaut est que toutes les œuvres exposées ne sont pas cataloguées), les conservateurs ont créé des dispositifs qui font largement appel aux multimédias: La salle “immersive”, qui utilise des écrans tactiles pour construire un récit de l’événement raconté par des acteurs incarnant les protagonistes (les textes sont basés sur les documents réels du procès), est remarquable et d’un grand impact, tout comme les écrans qui projettent en continu des commentaires antisémites et plus généralement racistes tirés de messages réels publiés sur divers réseaux sociaux au cours des derniers mois, l’idée de distribuer un questionnaire aux visiteurs, soit à la fin de la visite, soit en ligne, s’est avérée utile. Ce questionnaire n’a pas de finalité scientifique, mais il s’est révélé intéressant pour extraire des données sur la connaissance du cas de Simonino, sur les attentes du public, et sur ce qui a été retenu de l’exposition.

Les visiteurs ont montré qu’ils avaient relevé de nombreuses similitudes avec l’actualité: tisser des fils capables de relier l’histoire du XVe siècle à l’actualité était en effet l’un des objectifs des commissaires. Beaucoup ont été surpris de constater que le pouvoir des "fake news" et des “fakes” était déjà connu et exploité avec art à l’époque (la capacité destructrice des nouvelles inventées avec art était alors dévastatrice), que la propagande, grâce à l’intelligence et à la perspicacité du grand manipulateur Johannes Hinderbach, utilisait immédiatement la presse, inventait de nouveaux moyens de communication et se servait de la presse comme d’une arme, a immédiatement utilisé la presse inventée quelques années plus tôt pour atteindre le plus grand nombre de personnes possible, combien de traits du sentiment antisémite sont restés inchangés jusqu’à aujourd’hui, combien de pages les plus sombres de l’histoire ont leurs racines dans des processus de construction délibérée de l’ennemi assez semblables à ceux qui ont eu lieu à Trente à la fin du 15e siècle.

À une époque où le débat sur les fake news et la post-vérité est devenu central, à une époque où certains hommes politiques continuent à construire des mythes pour obtenir un consensus, l’exposition de Trente s’avère nécessaire non seulement pour garantir une “première” à une histoire qui, jusqu’à présent, n’avait jamais fait l’objet d’une seule étude approfondie dans un musée (les recherches de 1965 ont rétabli la vérité historique, une vérité qui est aujourd’hui diffusée par les médias), mais aussi pour permettre aux visiteurs d’avoir accès à des informations sur les événements qui se sont déroulés à Trente, une vérité qui est aujourd’hui diffusée par le Museo Diocesano Tridentino dans une Italie qui a récemment connu une recrudescence des épisodes d’antisémitisme), mais aussi pour jeter un regard lenticulaire sur les mécanismes de la propagande et pour établir, une fois de plus, comment la recherche et l’information correcte sont les outils indispensables pour parvenir à l’affirmation de la vérité.


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