Même Cecilia Alemani, l’actuelle directrice artistique de la 59e Biennale de Venise, lors de son commissariat pour le pavillon italien en 2017, n’a pas pris le risque de choisir l’unique artiste pour l’un des départements les plus importants et les plus visibles de toute la kermesse de la Sérénissime. Un risque qui n’a pas diminué dans la situation actuelle, mais qui a été fermement assumé par les organisateurs et le certainement bon curateur Eugenio Viola, qui n’a pas attendu quelques mois pour annoncer le recrutement exclusif de Gian Maria Tosatti.
Indépendamment de la qualité artistique du couple Viola-Tosatti, qui a toutes les cartes en main pour justifier sa présence, pourquoi un seul nom pour le pavillon national représenterait-il une entreprise aussi périlleuse ? Les raisons ne résident pas seulement dans le volume du lieu, deux parties de la structure du XIXe siècle du Tese delle Vergini pour une surface totale d’environ 1 800 mètres carrés, mais plutôt dans la difficulté curatoriale de concentrer en une seule individualité artistique toute l’hétérogénéité historique et culturelle du Belpaese, souvent gâchée par des connotations politiques et festives.
En fait, Storia della Notte e Destino delle Comete devrait être analysée en accordant une plus grande attention à la conception, bien que l’équilibre formel ne puisse jamais être négligé à un niveau aussi élevé d’une exposition internationale. S’inspirant de l’article écrit par Pier Paolo Pasolini pour le Corriere della Sera en février 1975, Il Vuoto di Potere in Italia (également connu sous le nom de L’articolo delle Lucciole), le projet de Tosatti s’approprie une base à la fois cultivée et accessible pour créer une mise en scène à la fois poétique et collectiviste. Objectif atteint ?
“Pillant” la structure de la publication de Pasolini, il est bon d’offrir un petit récit chronologique qui a conduit à la construction de l’exposition du pavillon italien. Comme nous l’avons dit, le choix de Viola et Tosatti n’était pas en question en tant que tel, mais plutôt sur l’efficacité d’un seul point de vue pour décrire un panorama aussi complexe que celui de notre péninsule, de plus chargé d’un moment historique, celui de la pandémie, qui se répercute au niveau mondial. En effet, on soupçonne l’urgence d’attirer et de participer activement avec le public, au point de promouvoir des initiatives ayant la saveur de “premières”, comme l’unicum auteurialdu pavillon italien (dans le sillage des expositions étrangères de la France, de l’Allemagne ou des États-Unis) ou la première fois qu’une femme directrice artistique supervise l’ensemble de la Biennale.Ces prémisses, bien sûr, n’affectent pas directement le travail de l’artiste et du commissaire, mais elles ont favorisé un climat d’attente excessive, préjudiciable au plaisir, assorti d’une fanfare médiatique excentrique et inhabituelle.
La “disparition des lucioles”, à laquelle Pasolini se réfère avec une douloureuse actualité, symbolise un vide absolu, un paradoxe poétique accepté sans traumatisme perceptible, une métaphore inexorable du conformisme italien de l’après-guerre: aujourd’hui, cette absence se répercute sourdement à l’image de l’autocensure, d’une critique perdante parce qu’elle cannibalise les valeurs traditionnelles de l’investigation pour se les approprier, sans les digérer, sans les méditer.
En se concentrant sur l’exposition, Tosatti s’appuie sur les particularités du théâtre pour recréer un prospectus en deux actes: l’Histoire de la nuit et le Destin des comètes. Night est une élaboration scénique massive qui camoufle des scénarios d’usine typiques de l’industrie italienne: en entrant un par un (à la demande de l’artiste), on est accueilli par un proscenium familier (et irritant) avec une minuterie pour “pointer”, remplaçant les portes métalliques monumentales de l’entrée. On saisit immédiatement la polarisation vers le monde du travail, ou plutôt le monde ouvrier, affirmée dans les salles suivantes avec des machines obsolètes en spirale et un arrangement ordonné et triste de machines à coudre abandonnées dans la lumière froide des néons. La nuit spécifiée a un caractère onirique, c’est la désillusion du “miracle italien” des années 60, empoisonné, dans la succession des décennies, par des faits regrettables de morts blancs, d’aliénation, d’échec des promesses faites.
L’Italie n’est donc pas représentée ou interprétée de manière stylistique, mais décontextualisée intellectuellement avec des “déplacements minimes”, pour reprendre les termes du commissaire Eugenio Viola, en reconstruisant, presque intacts, les environnements retrouvés. L’opération phénoménologique, cependant, pèche précisément par son détachement excessif de l’auteur, assaisonné d’un citationnisme immodéré (les machines à coudre de Kounellis, les peintures absentes de Parmiggiani...) trop évident pour être inconscient. Il n’est pas possible d’invoquer un exemple comme celui de Quentin Tarantino pour justifier les références éparses, car le travail de Tosatti manque de la sublimation du montage, irréalisable dans une machine théâtrale où acteurs et spectateurs coïncident. Même en admettant une juxtaposition formelle crédible, il s’agit toujours d’une simulation, “plus réelle que réelle”, qui s’approprie la sacralité donnée par le temps aux différentes machines pour en faire des fétiches sémantiques propulsant des souvenirs. En effet, des tensions curatoriales persistent, comme le rôle réel du spectateur: si “la présence humaine est bannie”, comment le visiteur peut-il devenir “presque inconsciemment, un voyeur par procuration” ?
Le deuxième acte cherche à résoudre la vacuité désarmante du paysage industriel reconstruit en une clé écologique, avec une vacuité réconfortante et cathartique d’une soute projetée vers une étendue subconsciente d’eau nocturne, une vision brisée par des luminescences intermittentes et continues dispersées. Obviant à la similitude avec l’installation de 2017 de Giorgio Andreotta Calò au même endroit, Destiny of Comets se concentre sur le motif eschatologique du déluge universel comme contrepoint épigraphique au nihilisme pasolinien initial, remettant en cause, à cette occasion, Like Fireflies. Per una politica delle sopravvivenze de Georges Didi-Huberman (2010), texte inspiré de l’article de l’intellectuel italien: la lecture de Didi-Huberman est donc un mouvement hermétique d’espérance, une poussée pour sortir de la résignation molle puisque, malgré tout, quelques vagues lucioles auraient survécu.
Même dans la deuxième localisation, les grincements formels dépendent fondamentalement d’un “huilage” conceptuel imprécis: tout d’abord, l’apparence prophétique destinée à Pasolini est gratuite et forcée afin de souligner allégoriquement la métaphore des lucioles dans une terminologie naturaliste qui n’est pas exactement poursuivie dans l’article de 1975. La Nature marâtre et inexorable est un thème dicté, lui aussi, davantage par l’urgence de trouver une image post-pandémique adéquate, que par la réflexion sur un dépassement de l’image, comme le suggérerait Didi-Huberman lui-même. Il faut cependant reconnaître qu’il y a un certain effet cinématographique, si persistant qu’il réécrit tout le dispositif visuel (en effet, dès la salle des machines, on pouvait voir une affiche touristique du Pérou, une référence très claire au film Madonna che silenzio c’è stasera avec Francesco Nuti, dont l’origine de Prato augmente sémantiquement les références poétiques à l’invasion industrielle sur la vie provinciale italienne) vers une évasion métaphysique. Didi-Huberman, dans un essai de 2014 consacré au film documentaire de Pasolini La Rabbia (1963), rappelle, en effet, comment le poète et réalisateur à partir de “a développé le motif puissant d’un ”cinéma de poésie" qui serait, fondamentalement, un cinéma de survie[cine?ma de survivance]: un cinéma d’énergie vitale directement confronté à la disparition des choses et des êtres“. Or, la réussite sur le plan esthétique, mais aussi éthique, politique et anthropologique, est ”une question de rythme temporel, [...] puisqu’il se constitue - se reconstitue et se réinvente, se démonte et se remonte - dans l’opération de montage".
En substance, l’opération de Tosatti, certes immersive, n’investit pas le public d’une conscience adéquate, n’inculque pas la catharsis recherchée, parce qu’elle est déficiente en montage, entendu comme la fluidité expérientielle du milieu industriel et post-industriel, aboutissant à une re-proposition exagérément réelle, au point de devenir réalité. Peut-on parler d’art sans l’humain ?
L’ensemble du dispositif proposé par le Pavillon italien, comme nous l’avons dit, est plein de références artistiques, allant du cinématographique et du visuel au littéraire: la structure narrative rappelle le roman de Pirandello Ciàula scopre la Luna (Ciàula découvre la Lune), sans pour autant se dissoudre dans la totalité de la nature (dans le conte symbolisé par le cri libérateur final) comme l’auraient souhaité les auteurs. Compte tenu des références les plus évidentes d’Eugenio Viola dans le catalogue à l’Énéide, permettez-moi de faire une référence posthume aux Géorgiques, en particulier au mythe d’Aristeus: fils d’Apollon et de Cyrène, il était le légendaire primus mellarius qui, tombé amoureux de la nymphe Eurydice, provoqua sa mort accidentelle par morsure de serpent alors qu’elle fuyait ses embuscades lascives. Les nymphes se vengèrent d’Aristeus en détruisant toutes ses ruches et en dispersant leurs essaims. C’est ainsi que sa mère, Cyrène, initia son fils à un rite expiatoire consistant à tuer et à faire pourrir le bétail de son troupeau. Les abeilles revinrent et le dieu humain fut pardonné.
Le critique russe Wladimir Weidlé a publié en 1936 un essai intitulé Les abeilles d’Aristée, dans lequel il utilise les abeilles comme métaphore de la crise de l’art contemporain et de la nécessité d’un sacrifice spirituel (un cri libérateur, si l’on veut) pour permettre aux abeilles de s’élever du cadavre de la beauté que nous traînons séculairement. Cet avertissement résonne si opportunément qu’il semble évident qu’il est encore facile de prendre les lucioles pour des lanternes.
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