by Federico Giannini (Instagram: @federicogiannini1), published on 16/10/2019
Categories: Bilan de l'exposition
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Compte rendu de l'exposition 'La luce e i silenzi. Orazio Gentileschi e la pittura caravaggesca nelle Marche del Seicento" à Fabriano, Pinacoteca Civica Bruno Molajoli, jusqu'au 8 décembre 2019.
Parmi les épisodes de la biographie du Caravage les moins fréquentés par les spécialistes, il y a peut-être le séjour que le grand peintre lombard fit dans les Marches entre octobre 1603 et avril 1604: le produit de ces quelques mois passés dans la région, une toile qui se trouvait dans l’église de San Filippo à Ascoli Piceno et dont Longhi parlait “comme un exemple à la limite des possibilités d’imaginer un original du Caravage même à partir d’une copie extrêmement déprimée et hâtive” (puisque c’est grâce à une copie que le savant a retrouvé l’existence du tableau), a été perdue après les spoliations napoléoniennes. Le voyage de Michelangelo Merisi dans la région a eu peu d’effet sur un territoire qui n’était pas encore réceptif aux innovations qui se produisaient à Rome, mais la nouvelle de son excursion dans les Marches est utile pour comprendre le développement ultérieur du caravagisme dans la région. Les Marches et Rome, à l’époque, étaient en effet liées par un double fil: des liens économiques (les Marches étaient probablement la région la plus riche et la plus productive des États pontificaux) et des liens culturels, puisqu’un grand nombre d’artistes et d’intellectuels quittaient les terres au-delà des Apennins pour rejoindre la capitale, et que le chemin inverse était souvent emprunté par les œuvres produites à Rome par les plus grands artistes de l’époque pour être envoyées à de riches mécènes d’Ancône et de la région environnante. Il suffit de rappeler qu’en l’espace de quatre ans, la région avait connu la présence du Caravage, avait accueilli Guido Reni et Lionello Spada qui, en 1604, s’étaient rendus à Lorette pour discuter du projet des fresques de la nouvelle sacristie de la basilique de la Sainte Maison (commande qui fut ensuite confiée à Cristoforo Roncalli), et avait vu arriver en 1608 l’un des chefs-d’œuvre de Rubens, la Nativité peinte par le peintre de Siegen pour les Oratoriens de Fermo.
C’est dans ce contexte que s’inscrit l’arrivée à Ancône de la Circoncision d’Orazio Gentileschi (Pise, 1563 - Londres, 1639): l’artiste pisan l’avait peinte à Rome en 1607 pour un aristocrate d’Ancône, Giovanni Nappi, qui avait financé la construction de l’église du Gesù, lieu auquel le retable était destiné et où il est encore conservé aujourd’hui. Le retable d’Ancône est la première œuvre peinte par Gentileschi pour la région des Marches et, en plus de rappeler les liens qui existaient à l’époque entre la capitale de la papauté et la région de l’Adriatique (Nappi faisait partie de la délégation d’Ancône qui s’est rendue à Rome en 1605), on suppose que l’artiste était originaire de la région, et on suppose que l’artiste est entré en contact avec le riche noble grâce au cardinal Claudio Acquaviva, prévôt général des Jésuites et grand amateur d’artistes toscans), est aussi le point de départ idéal pour introduire l’exposition La luce e i silenzi. Orazio Gentileschi e la pittura caravaggesca nelle Marche del Seicento (à la Pinacoteca Civica di Fabriano jusqu’au 8 décembre 2019), une importante exposition qui a un double objectif: approfondir les termes de la présence du peintre dans les Marches et tracer un itinéraire du caravagisme dans les Marches, une région qui, bien qu’elle ne soit pas immédiatement associée comme d’autres (le Latium ou la Campanie, par exemple) à la diffusion de la leçon du maître milanais (essentiellement pour deux raisons: la courte durée du séjour de Caravage dans la région et l’absence actuelle de ses œuvres sur le territoire), a au contraire été touchée par de fréquentes incursions de Caravage, “tant pour des raisons autochtones, c’est-à-dire la présence d’artistes nés à l’intérieur des frontières, que pour d’heureuses contingences de collecte ou de commande”, comme le souligne à juste titre Gianni Papi dans son essai de catalogue, consacré précisément au thème du caravagisme dans les Marches.
Bien qu’il y ait eu récemment des reconnaissances de l’œuvre de Gentileschi dans la région des Marches (par exemple, celle proposée par Livia Carloni à l’occasion de l’exposition sur Orazio et Artemisia Gentileschi qui s’est tenue à Rome, New York et Saint Louis entre 2001 et 2002), jamais auparavant le rôle de l’artiste n’avait été mis en corrélation aussi étroite avec le milieu artistique qui allait bientôt se développer grâce à sa contribution fondamentale. Pour illustrer la nouveauté de l’opération, il suffit de penser au fait que jamais auparavant on n’avait eu l’occasion d’une comparaison aussi directe entre Gentileschi lui-même et le plus illustre des peintres caravagesques des Marches, Giovanni Francesco Guerrieri (Fossombrone, 1589 - 1657), dont les rapports avec le Pisan ont souvent été déformés, et l’exposition de Fabriano se propose d’en préciser la nature en profondeur, en prenant soin de bien souligner cette indépendance de Guerrieri qui n’a pas été si souvent considérée comme acquise (loin s’en faut). Mais pensons aussi au fait que l’exposition de Fabriano, organisée par Anna Maria Ambrosini Massari et Alessandro Delpriori, est la première consacrée aux “Gentileschi des Marches”, ainsi que la première consacrée à la diffusion du caravagisme dans les Marches: pas une exposition, pourrait-on dire, mais plusieurs parcours qui s’entrecroisent sans jamais se superposer (l’un des mérites de l’exposition réside dans le raffinement de son équilibre). Au final, une exposition qui se distingue aussi par les différentes innovations critiques qui ont vu le jour et dont nous essaierons de rendre compte ici.
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Hall de l’exposition Lumière et silences. Orazio Gentileschi et la peinture du Caravage dans les Marches au XVIIe siècle |
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Salle de l’exposition La luce e i silenzi. Orazio Gentileschi et la peinture du Caravage dans les Marches au XVIIe siècle |
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L’exposition Lumière et silences. Orazio Gentileschi et la peinture du Caravage dans les Marches au XVIIe siècle |
Plusieurs expositions récentes ont permis d’esquisser la physionomie de l’art dans les Marches vers la fin du XVIe siècle: il suffira de rappeler l’exposition Le arti nelle Marche al tempo di Sisto V, organisée par Paolo Dal Poggetto en 1992, et la plus récente Capriccio e Natura. L’art dans les Marches dans la seconde moitié du XVIe siècle. Percorsi di rinascita, réalisée par les mêmes commissaires de l’exposition Gentileschi à Fabriano (et par conséquent, de leur propre aveu, l’exposition de 2019 en est une sorte de continuation). Le point de départ est donc confié au contexte historique, bien que le but ne soit pas d’offrir un aperçu exhaustif de l’art dans les Marches à la fin du XVIe siècle mais, plus en accord avec les objectifs de l’exposition, de permettre au public d’entrevoir les branches sur lesquelles l’art d’Orazio Gentileschi s’est greffé. Des artistes qui, par essence, ont été formés dans le lit de l’art antérieur, mais qui étaient conscients des innovations venues de Rome et qui, bien que dans les limites de leurs possibilités et de leur culture, y ont été quelque peu réceptifs (bien que presque toujours limités et formels). D’où l’absence d’œuvres de Federico Barocci ou de Federico Zuccari (tous deux en pleine activité lorsque Orazio réalisa sa Circoncision pour Ancône), bien qu’il soit impossible de ne pas tenir compte, au moins, des reflets de leur art: un exemple en est la Nativité avec saint François et les bergers d’Andrea Boscoli (Florence, v. 1564 - 1607), une œuvre du XVIIe siècle qui ouvre l’exposition, et qui se distingue par sa délicatesse baroque mais aussi par la force des contrastes chromatiques qui anticipent les nouvelles tendances. La vigueur lumineuse de Boscoli, Florentin mais Marchegiano d’adoption, devient une vigueur volumétrique chez Andrea Lilli (Ancona?, 1560/1565 - après 1635): dans son Embarquement forcé de la famille de Marthe et Madeleine, la solide disposition des deux personnages de gauche, représentés avec un naturalisme inhabituel pour la région des Marches de l’époque (la toile, provenant de la Basilique de la Miséricorde à Sant’Elpidio a Mare, date de 1602) et même mis en relation par certains (Arcangeli surtout) avec le Caravage de la Chapelle Contarelli (le caravagisme de Lilli est depuis longtemps débattu), agit comme un autre précurseur de ce qui allait se dessiner peu après avec l’arrivée de Gentileschi et la naissance de l’étoile de Guerrieri. Pour compléter le discours sur les antécédents (et “antécédents” est d’ailleurs le titre de la première section de l’exposition), un retable est le résultat du travail conjoint de Filippo Bellini (Urbino, 1550 - Macerata, 1603) et de l’obscur Palazzino Fedeli (documenté entre 1603 et 1604), qui a achevé l’œuvre après la mort de l’artiste d’Urbino: il s’agit d’une Madonna del soccorso avec les saints Vitus, Pierre, François et Sébastien, peinte entre 1603 et 1604 (dans l’exposition, l’érudite Lucia Panetti, à la suite de nouvelles recherches dans les archives, a établi que l’exécution était de Fedeli, manifestement sur la base d’un dessin de Bellini: il s’agit d’une nouveauté, car auparavant le retable de l’église collégiale de San Pietro in Monte San Vito était considéré comme ayant été entièrement exécuté par Bellini). Une structure iconographique simple, traditionnelle et dévotionnelle (le message tridentin s’est fortement enraciné dans la région des Marches, terre florissante de l’art de la Contre-Réforme) est éclairée par un nouveau luminisme, avec des contrastes de clair-obscur évidents, accentués par une matière picturale dense, anticipant également le futur naturalisme du XVIIe siècle.
Gentileschi et les peintres caravagesques entrent en scène à partir de la deuxième section, organisée thématiquement autour de l’iconographie de la Madeleine pénitente, avec au centre, bien sûr, la Madeleine que l’artiste pisan a peinte pour l’église Santa Maria Maddalena de Fabriano sur commande de l’Università dei Cartai (et qui s’y trouve encore). Nous ne savons pas exactement quand le peintre a peint sa Madeleine: il faut savoir, comme le souligne Papi dans le catalogue, que la chronologie de ses peintures dans les Marches est difficile et qu’en dehors de la Circoncision, la seule œuvre que l’on puisse dater avec certitude, de nombreux doutes subsistent (en effet, nous ne disposons d’aucune preuve documentaire certaine). En ce qui concerne la Madeleine, plusieurs chercheurs s’accordent sur une date proche de 1615, année où l’Università dei Cartai fut agrégée à l’archiconfraternité romaine de Santo Spirito in Sassia: nous savons qu’en 1612 Gentileschi vivait à Rome, dans la paroisse de Santo Spirito, c’est pourquoi on suppose qu’un prélat, parmi ses connaissances, a pu faciliter la commande. La Madeleine de Gentileschi, comme le note Francesca Mannucci dans sa description du tableau, abandonne la “sensualité maniériste” pour s’appuyer sur “un langage calme” avec lequel l’artiste “rend visible l’acte de rédemption et de repentir”: une œuvre intime, empreinte d’émotion, qui décline avec le raffinement typique de Gentileschi (dérivé de sa formation toscane) le naturalisme de Roman-Caravaggio. La salle présente également la figure de Giovanni Francesco Guerrieri, avec sa Madeleine pénitente, signée et datée de 1611 (sans que l’on connaisse sa destination d’origine), qui constitue un précédent immédiat à l’image de Gentileschi et, en même temps, une déclaration d’indépendance par rapport à l’art du Pisan. Guerrieri, alors âgé de 22 ans, fait ses débuts dans son pays natal avec ce tableau après avoir séjourné à Rome, et c’est à Rome qu’il a l’occasion de rattraper la révolution du Caravage: Madeleine est l’un des premiers résultats des réflexions de Guerrieri. La sainte de Guerrieri est loin de la mondanité de la Madeleine du Caravage, mais elle est aussi à l’abri de la langueur de la Madeleine du XVIe siècle: c’est une femme en méditation sincère, dans un décor dépouillé et lugubre, et sa beauté est modelée par la lumière qui se détache vivement sur l’ombre, selon les prescriptions les plus modernes du Caravage (le Lombard, d’ailleurs, ne disparut qu’un an avant que Guerrieri ne peigne cette toile, l’un de ses plus splendides chefs-d’œuvre). Si l’élégance est la marque la plus évidente de Gentileschi, l’équilibre est au contraire la caractéristique qui encadre le mieux l’art de Guerrieri.
À côté de ces deux toiles extraordinaires, les commissaires ont disposé d’autres œuvres sur le même thème afin de faire ressortir les affinités et les divergences: Ainsi, la Madeleine de Guido Cagnacci (Santarcangelo di Romagna, 1601 - Vienne, 1663), inhabituellement morose et résignée pour le plus grand champion de la sensualité du XVIIe siècle (mais on peut le comprendre si l’on considère que la toile était destinée à un couvent de bénédictines), et celle de Simon Vouet (Paris, 1590 - 1649), Simon Vouet (Paris, 1590 - 1649), qui, en revanche, révèle une grande partie de son potentiel érotique (il s’agissait, après tout, d’un tableau destiné à un particulier), et la Madeleine de Simone Cantarini (Pesaro, 1612 - Vérone, 1648), qui, comme il est typique de la manière de l’artiste de Pesaro, combine le naturalisme du Caravage avec le classicisme du style de Reno (l’art émilien était également souvent accueilli avec bonheur dans la région des Marches) dans une synthèse qui n’a probablement pas eu d’égal. Enfin, l’autre Madeleine de Guerrieri, variante plus sophistiquée du tableau de 1611, mérite d’être mentionnée et permet d’aborder le thème des copies et des répliques, très fréquentes dans l’art du XVIIe siècle car elles étaient considérées comme un formidable moyen de diffusion des idées de l’artiste (et évidemment, plus le nombre de copies et de répliques est important, plus la fortune de l’artiste est grande): on pense au sujet des copies du Caravage et à leur importance pour les critiques d’aujourd’hui), et celle, sensuelle, de Giovanni Baglione (Rome, 1566/1568 - 1643), preuve de la renommée que le peintre romain avait également acquise en Ombrie et dans les Marches, ainsi qu’un tableau assez illustratif de sa manière (’’nous sommes témoins dans cette Madeleine d’un acte d’amour’’), qui a été réalisé par le peintre romain.nous assistons dans cette Madeleine“, écrit l’érudit Michele Nicolaci dans le catalogue, ”à l’heureuse synthèse de plusieurs registres stylistiques, depuis l’approche des volumes clairs d’une structure naturaliste jusqu’à une certaine idéalisation de la figure féminine dans le paysage d’une tradition plus rhénane et classiciste").
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Orazio Gentileschi, Circoncision avec l’Éternel parmi les anges et sainte Cécile jouant de l’orgue (1607 ; huile sur toile, 390 x 252 cm ; Ancône, église du Gesu?). |
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Andrea Boscoli, Nativité avec saint François et les bergers (1600 ; huile sur toile, 316 x 198 cm ; Fabriano, Pinacoteca civica Bruno Molajoli). |
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Andrea Lilli, Embarquement forcé de la famille de Marthe et Madeleine (1602 ; huile sur toile, 386 x 210 cm ; Sant’Elpidio a Mare, Basilique de Santa Maria della Misericordia) |
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Filippo Bellini et Palazzino Fedeli, Madonna del Soccorso con i santi Pietro, Vito, Francesco e Sebastiano (1604 ; huile sur toile, 350 x 160 cm ; Monte San Vito, collégiale de San Pietro apostolo, prêt à la Pinacoteca diocesana de Senigallia) |
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Orazio Gentileschi, Sainte Marie-Madeleine pénitente (1612-1615 ; huile sur toile, 215 x 158 cm ; Fabriano, église Santa Maria Maddalena) |
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Giovanni Francesco Guerrieri, Santa Maria Maddalena pen itente (signée et datée de 1611 ; huile sur toile, 185 x 90 cm ; Fano, Pinacothèque San Domenico, Fondazione Cassa di Risparmio) |
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Guido Cagnacci, Santa Maria Maddalena penitente (v. 1640, post 1637 ; huile sur toile, 218 x 157 cm ; Urbania, église Santa Maria Maddalena) |
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Simon Vouet, Sainte Marie-Madeleine et deux anges (vers 1622 ; huile sur toile, 136,6 x 112,4 cm ; collection privée) |
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Simone Cantarini, Sainte Marie-Madeleine pénitente (1644-1646 ; huile sur toile, 178 x 204 cm ; Pesaro, Musei civici) |
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Giovanni Francesco Guerrieri, Santa Maria Maddalena penitente (milieu de la troisième décennie du XVIIe siècle ; huile sur toile, 203 x 129 cm ; Fano, Pinacoteca civica) |
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Giovanni Baglione, Sainte Marie Madeleine pénitente (1612 ; huile sur toile, 257 x 159 cm ; Gubbio, église San Domenico) |
La salle consacrée à la Madeleine a également pour fonction de présenter quelques-uns des principaux protagonistes de l’exposition. Le débat se développe dans les troisième et quatrième sections, qui constituent le point culminant de l’ exposition et qui, d’une part, abordent les mérites de la relation d’Orazio Gentileschi avec la région des Marches et, d’autre part, le développement de la peinture du Caravage dans cette région. L’un des points forts de l’exposition est le mur qui présente, côte à côte, la Circoncision de Gentileschi et la Circoncision de Guerrieri, cette dernière ayant été peinte pour l’église San Francesco de Sassoferrato, où elle se trouve encore aujourd’hui. Le retable de Gentileschi reflète les prédécesseurs de Titien (comme on le sait, Titien a également travaillé pour Ancône), dégage une somptuosité conforme aux goûts de ses riches mécènes, mais aussi à la préciosité qui caractérise une grande partie de la production du peintre toscan, et est déjà empreint de réalisme (observez les visages des protagonistes): A cet égard, il convient de souligner une autre nouveauté de l’exposition, à savoir l’identification d’une Artemisia Gentileschi de 14 ans dans la Sainte Cécile jouant de l’orgue dans le registre supérieur, hypothèse avancée par Lucia Panetti). C’est plutôt Marina Cellini qui établit les termes de la comparaison entre Guerrieri et Gentileschi, en recourant à Andrea Emiliani qui identifie dans la composition du peintre de Fossombrone une réélaboration de celle du Pisan, et en plaçant dans la qualité de la lumière l’un des éléments clés pour “mesurer les différentes aptitudes des deux artistes”, souligne l’érudite: Pour Carloni, l’artiste de Fossombrone engage son œuvre avec une lumière incidente, métaphysique, qui rend “métallique tout ce qui baigne”, à l’opposé de la lumière cristalline exprimée dans la Circoncision de Gentileschi. La composition est similaire, avec les personnages principaux disposés dans le registre inférieur, l’ouverture sur le paysage derrière eux, la lumière venant d’en haut. La visite des chefs-d’œuvre de Gentileschi se poursuit avec la Vierge du Rosaire entre les saints Dominique et Catherine, dont les dernières recherches ont permis de reculer la date (vers 1614): Il s’agirait donc d’une des premières œuvres produites à Fabriano), avec les personnages disposés sous le rideau comme des acteurs silencieux dans un théâtre (le silence auquel le titre fait allusion), ou avec Saint François recevant les stigmates, qui surprend par la finesse avec laquelle l’artiste parvient à rendre palpable l’extase mystique du saint investi par la lumière divine (un exemple admirable de caravagisme réinterprété à la lumière de l’arrière-plan toscan du peintre, ), et encore avec la Vision de sainte Françoise de Rome recevant l’enfant des mains de la Vierge, où la figure de sainte Françoise de Rome est en relation directe avec sainte Catherine du Rosaire (avant les recherches effectuées pour l’exposition, on pensait que c’était le contraire), et qui représente l’un des sommets de l’activité d’Orazio, non seulement dans la région des Marches. Et cela pour la délicatesse intime des attitudes, pour la capacité de décliner le luminisme du Caravage de manière douce, affectueuse et élégante, pour le calme mesuré des personnages, d’origine toscane, presque néo-Renaissance, pour ce rapport équilibré entre forme, lumière et couleurs dans lequel Longhi voyait la “complexité” de Gentileschi, entendue comme “des rapports d’échelle de quantités lumineuses dans les couleurs ; quantités qui, précisément parce qu’elles sont mises à l’échelle, deviennent des qualités de l’art: des valeurs”. C’est un Gentileschi singulier, presque protéiforme, que l’on retrouve dans le David contemplant la tête de Goliath, capable de réinterpréter un modèle rhénan en lui insufflant un mélange inattendu de monumentalité et de lyrisme, pour un David qui, grave et renfrogné, observe méditativement la tête de l’ennemi qu’il vient de vaincre.
Parcourir le reste de la grande salle qui abrite les troisième et quatrième sections revient à effectuer une visite guidée de la grande peinture des Marches au début du XVIIe siècle, qui commence avecHercule et Onphale de Guerrieri, l’œuvre choisie par les conservateurs pour accueillir le public dans cette salle. Et en effet, dans cette sorte d’introduction, nous voyons un peintre à forte personnalité qui nous offre un résumé exemplaire de la peinture du Caravage dans les Marches, dans le sens qu’il a lui-même développé: la leçon venue de Rome se greffe sur un goût narratif vif, sur un calme toujours équilibré, sur un bel équilibre compositionnel, sur une vaste gamme chromatique, notamment parce que la couleur chez Guerrieri, écrit Papi, “a un rôle dominant dans les compositions, allant parfois jusqu’à les modeler, laissant de côté tout projet de conception”. La tendance à mesurer les gestes et les attitudes est un trait caractéristique de presque tous les peintres actifs dans la région des Marches: Guerrieri lui-même en donne une nouvelle preuve dans la Croix avec la Vierge, saint Jean l’Évangéliste et sainte Marie-Madeleine, qui se distingue également par son colorisme vif et varié et par la lumière qui façonne, de façon presque tranchante, les beaux visages des personnages, mais on pourrait également mentionner à cet égard un peintre qui n’était pas originaire des Marches mais qui a cependant travaillé pour la région, à savoir Antiveduto Gramatica (Rome, 1569 - 1629), dont nous admirons le Noli me tangere dans l’exposition, qui lui a été rendu à cette occasion par Gianni Papi, qui a formulé sa nouvelle attribution (comme il l’a fait pour deux autres tableaux de l’exposition, l’un attribué à Angelo Caroselli et l’autre à Antonio Carracci) sur la base d’une intéressante comparaison stylistique avec d’autres œuvres connues de l’artiste romano-séninois, en indiquant le Noli me tangere comme une démonstration de la “complexité de l’inspiration du peintre” ainsi que de “sa passion”, de “son rôle dans la participation aux grands changements de la troisième décennie”, de sa “fidélité au naturalisme” et de son “ouverture pleinement réalisée aux temps nouveaux”.
À Fabriano, il est également possible de clarifier le rôle de Giovanni Baglione en tant que peintre capable de diffuser le langage de l’art du Caravage dans la région des Marches: un exemple en est son Saint Jean-Baptiste, sorti il y a seulement deux ans d’une collection privée et exposé ici pour la première fois (ses dettes envers l’artiste lombard sont évidentes): pour Michele Nicolaci, Baglione se distingue néanmoins de son rival non seulement par une moindre sensualité, mais aussi par une “étude plus traditionnelle et maniériste de la figure, manifestement déjà tracée à l’aide d’un modèle graphique et enrichie ultérieurement par l’étude sur le vif du visage du modèle en pose”). Baglione, capable d’obtenir d’importantes commandes publiques et privées, a donc été un intermédiaire important pour la région des Marches, et le même rôle a dû être joué par les autres artistes qui, depuis l’extérieur de la région, envoyaient leurs œuvres dans les Marches pour compléter les collections des collectionneurs les plus riches ou pour décorer les églises de la région, en servant de modèles à l’école locale. Le visiteur trouvera ainsi une suite d’œuvres de grands artistes qui témoignent de la grande ouverture des mécènes du territoire: de la Vierge à l’Enfant avec des saints de Bartolomeo Manfredi (Ostiano, 1582 - Rome, 1622), exemple rarissime de la production de retables de l’artiste crémonais, à la Sainte Famille avec des saints de Carlo Bononi (Ferrare, 1569? - 1632), un tableau à l’air si vénitien qu’il fut un temps attribué à Véronèse, à la Mort de la Vierge de Giovanni Lanfranco (Parme, 1582 - Rome, 1647), témoignage de la production florissante dans la région des Marches du peintre parmesan, qui y apporta un peu de son classicisme de Carrache, au Miracle du fourneau de Giovanni Serodine (Ascona, 1594/1600 - Rome, 1630), dont l’attribution a été reconfirmée avec force au peintre suisse par Papi à l’occasion même de l’exposition, et enfin aux peintres français qui ont eu une certaine fortune dans la région: le Saint Jean-Baptiste de Valentin de Boulogne (Coulommiers, 1591 - Rome, 1632), qui a appartenu à un médecin d’Apiro, en est un exemple parmi d’autres. L’ensemble des œuvres de Valentin de Boulogne et de Trophime Bigot constitue l’un des sommets de l’exposition, notamment en raison de son intensité.
Les dernières sections sont consacrées aux “questions caravagesques” et à “un nouveau saint, Saint Charles Borromée” (ce sont les titres). Dans l’avant-dernière salle, les commissaires, avec un titre qui fait écho aux études de Roberto Longhi, proposent quelques-unes des nouveautés les plus intéressantes dans leur tentative louable d’informer le public sur les problèmes liés aux artistes anonymes, en soulignant que les expositions servent aussi à avancer de nouvelles hypothèses et à explorer de nouvelles solutions. L’une des plus importantes est certainement l’identification du soi-disant “Maître de l’Incrédulité de saint Thomas” dans le peintre Bartolomeo Mendozzi (Leonessa, vers 1600 -?, après 1644), rendue possible grâce au travail de l’érudite Francesca Curti, qui est parvenue à ce résultat grâce à une recherche précise et approfondie dans les archives. Sont exposées à Fabriano deux œuvres attribuées par Curti à l’artiste de Rieti, formé dans l’atelier de Manfredi et que Papi, en décrivant la personnalité de celui qui était alors le Maître de l’Incrédulité, définissait comme “une sorte d’alter ego de Valentin”: L’une d’entre elles est la " Madone de la salade", une rare représentation du Repos du retour de la fuite en Égypte (et non pendant la fuite, comme dans la grande majorité des cas), avec Jésus, alors presque adolescent, mangeant des herbes amères (d’où le nom par lequel l’œuvre est identifiée) qui font allusion à son destin. Une œuvre, souligne Curti, qui présente “un langage de matrice clairement caravagesque mais actualisé aux nouvelles innovations artistiques romaines de l’époque” (c’est-à-dire de la quatrième décennie du XVIIe siècle: “suggestions lanfranchiennes et échos cortonesques”, précise l’érudit, “dans le rendu de la lumière vespérale qui imprègne le paysage, les nuages à l’horizon et les personnages”). Un exemple du “génie des anonymes” (selon l’expression utilisée par les commissaires et le titre d’une exposition organisée par Papi en 2005) est une Trinité conservée au Museo Pontificio della Santa Casa di Loreto, une toile de très grande qualité, présente depuis longtemps dans la région des Marches, et l’œuvre d’un artiste actuellement inconnu, peut-être local, mais fasciné par la peinture émilienne du début du XVIIe siècle. La dernière section est une salle thématique consacrée à la représentation de Saint Charles Borromée, qui s’est répandue après sa canonisation en 1610. Et comme Saint Charles Borromée protégeait également contre les tremblements de terre, son culte s’est rapidement et largement répandu dans les Marches: Accompagnant le public vers la conclusion, on trouve, entre autres, un chef-d’œuvre d’Alessandro Turchi (Vérone, 1578 - Rome, 1649), un saint Charles Borromée qui se distingue par son naturalisme adouci par la manière cultivée et expressive du peintre et par la préciosité de ses vêtements liturgiques, et un Saint Charles Borromée recevant l’hommage du couple Petrucci en habits de mendiants de Giovanni Francesco Guerrieri, où il n’est pas difficile de discerner une citation directe du Caravage, de la Madone des Pèlerins, dans la figure du patron Antonio Petrucci agenouillé aux pieds du saint.
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Giovanni Francesco Guerrieri, Circoncision de Jésus (1614-1617 ; huile sur toile, 323 x 210 cm ; Sassoferrato, église de San Francesco) |
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Orazio Gentileschi, Vierge du Rosaire entre saint Dominique et sainte Catherine (vers 1614 ; huile sur toile, 291 x 198 cm ; Fabriano, Pinacoteca civica Bruno Molajoli) |
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Orazio Gentileschi, Saint François recevant les stigmates (v. 1618 ; huile sur toile, 284 x 173 cm ; Rome, église San Silvestro in Capite) |
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Orazio Gentileschi, La vision de saint François de Rome (1618-1620 ; huile sur toile, 270 x 157 cm ; Urbino, Galleria Nazionale delle Marche) |
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Orazio Gentileschi, David contemplant la tête de Goliath (huile sur toile, 140 x 116 cm ; Urbino, Galleria Nazionale delle Marche, Donazione Volponi) |
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Giovanni Francesco Guerrieri, Hercule et Onphale (vers 1617-1618 ; huile sur toile, 151 x 206,5 cm ; Pesaro, collection privée) |
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Giovanni Francesco Guerrieri, La Croix avec la Vierge Marie, saint Jean l’Évangéliste et sainte Marie Madeleine (vers 1615-1620 ; huile sur toile, 270 x 190 cm ; Pesaro, Palazzo Montani Antaldi, Collections d’art de la Fondazione della Cassa di Risparmio di Pesaro) |
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Antiveduto Gramatica, Noli me tangere (1622-1623 ; huile sur toile, 294 x 183 cm ; San Severino Marche, cathédrale) |
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Giovanni Baglione, Saint Jean-Baptiste avec l’agneau (vers 1610-1615 ; huile sur toile, 136 x 98 cm ; collection privée) |
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Bartolomeo Manfredi, Vierge à l’enfant entre sainte Marie-Madeleine, sainte Dorothée (?), saint Augustin, saint François d’Assise et saint Nicolas de Tolentino (vers 1615-1616 ; huile sur toile, 274 x 168 cm ; Morrovalle, église Saint-Barthélemy-Apôtre) |
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Carlo Bononi, Sainte Famille avec saint Charles Borromée, saint François, sainte Claire et sainte Lucie (vers 1627 ; huile sur toile, 330 x 200 cm ; Milan, Pinacothèque de Brera) |
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Giovanni Lanfranco, La mort de la Vierge (vers 1627 ; huile sur toile, 252 x 158 cm ; Macerata, Santi Giovanni Evangelista e Battista, chapelle Razzanti) |
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Giovanni Serodine, Saint François de Paola et le miracle du four (1623-1625 ; huile sur toile, 273 x 130 cm ; Matelica, San Francesco) |
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Valentin de Boulogne, Saint Jean-Baptiste (vers 1628 ; huile sur toile, 135 x 100 cm ; Apiro, collégiale de Sant’Urbano) |
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Bartolomeo Mendozzi, Repos de la fuite en Égypte ou Madone de la salade (début de la quatrième décennie du XVIIe siècle ; huile sur toile, 248 x 169 cm ; Recanati, église des Capucins) |
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Peintre formé en Émilie-Romagne, Saintes Marie-Madeleine et Jean-Baptiste adorant la Sainte Trinité avec le Christ mort (huile sur toile, 210 x 175 cm ; Loreto, Museo Pontificio della Santa Casa) |
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Alessandro Turchi, Saint Charles Borromée (1623 ; huile sur toile, 253 x 156 cm ; Ripatransone, cathédrale) |
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Giovanni Francesco Guerrieri, Saint Charles Borromée recevant l’hommage des époux Petrucci en habits de mendiants (seconde moitié de la troisième décennie du XVIIe siècle ; huile sur toile, 214 x 145 cm ; Fano, église de San Pietro in Valle, en dépôt à la Pinacoteca Civica). |
La conclusion confiée à Saint Charles Borromée est une invitation à poursuivre idéalement la visite de l’exposition dans les églises de la ville, qui en font d’ailleurs partie intégrante: En sortant de la Pinacothèque et en traversant la piazza pour entrer dans la cathédrale de San Venanzio, on trouve dans la deuxième chapelle à gauche Saint Charles Borromée priant pour la cessation de la peste, une toile controversée d’Orazio Gentileschi de date incertaine, qui, avec les peintures réalisées pour la chapelle de la Passion (la toile de la Crucifixion et les fresques qui décorent la salle), Saint Charles Borromée dans l’église Saint Benoît et la Vierge à l’Enfant avec Saint Philippe Néri en Gloire de Guerrieri également conservée dans la cathédrale, complète l’itinéraire imaginé par les conservateurs. Il semble superflu de le souligner, mais une exposition est d’autant meilleure qu’elle est ancrée dans son contexte, surtout si elle permet d’enrichir les connaissances sur le sujet, de relancer les études sur un artiste ou un thème, de formuler de nouvelles hypothèses à la lumière de nouvelles recherches. Superflue mais peut-être pas inutile, s’il est vrai que l’on a de plus en plus tendance à déplacer et à exposer des œuvres sans réelle nécessité, et à alimenter un tourisme des œuvres d’art souvent dépourvu de valeur. Ce n’est pas le cas à Fabriano: l’exposition de la Pinacothèque Civique s’appuie sur un projet scientifiquement irréprochable, propose des comparaisons inédites, s’étend au territoire, restitue la personnalité distincte de Guerrieri, trace un itinéraire ramifié à travers la peinture du Caravage dans les Marches, et rend compte au public de nouvelles découvertes (dont certaines n’ont pas encore été publiées: l’étude sur Mendozzi est en cours d’impression), parvient à maintenir, sans la dénaturer, une vocation de diffusion de qualité (et dans ce sens, il faut souligner la valeur de la section consacrée aux artistes anonymes et aux problèmes d’attribution) et, pour couronner le tout, sait présenter au visiteur une approche extrêmement engageante.
Il faut bien sûr souligner que le corpus des recherches sur Orazio Gentileschi est assez important et que l’exposition de Fabriano vient après plusieurs occasions consacrées au peintre toscan: comme nous l’avons dit au début, il manquait cependant un focus sur son activité dans la région des Marches, d’autant plus précieux qu’il était organisé dans le lieu où l’artiste a vécu entre 1613 et 1619 environ. Par conséquent, une telle exposition n’était possible qu’à Fabriano, et le fait que le lieu soit périphérique ne signifie pas que le niveau n’est pas typique d’une grande exposition. Il convient donc de rappeler que l’exposition est dédiée à Andrea Emiliani, grand connaisseur de l’art des Marches du XVIIe siècle, décédé cette année, qui, dans le catalogue d’une exposition dédiée en 1988 à Giovanni Francesco Guerrieri, faisait l’éloge de la générosité de la “province italienne”, c’est-à-dire, comme l’écrivait le grand érudit, du “[...] réservoir le plus extraordinaire d’histoire et d’art”.le réservoir de connaissances historiques et artistiques le plus extraordinaire que l’on puisse imaginer, le lieu de rencontre entre les écoles des grandes villes (centres de pouvoir et d’irradiation) et ce contingent ou niveau, ou milieu, infime, vital, sensible, de cultures de glissement ou de résistance, d’autonomie ou de dépendance: toujours élevé à révéler dans chaque village, ou presque, né un artiste ; de chaque artisan, exprimant des capacités expressives heureuses ; de chaque atelier, des projets florissants capables d’impliquer le volume hospitalier, familier et ample d’églises prêtes à rassembler et à révéler la vie complexe de formes qui a été créée dans ce lieu au cours des siècles et qui s’exprime encore dans ce lieu: le seul qui, dans le monde entier, peut vraiment le faire". Une noblesse et une complexité de la province qui ressortent dans toute leur évidence palpable de la belle exposition de Fabriano.
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