Le théâtre des affections de Guercino entre classique et naturel: l'exposition de Piacenza


Compte rendu de l'exposition 'Guercino in Piacenza. Tra sacro e profano' à Piacenza, Palazzo Farnese, du 4 mars au 4 juin 2017.

Parmi les grands peintres bolonais du XVIIe siècle, Giovanni Francesco Barbieri da Cento, plus connu sous le nom de Guercino (Cento, 1591 - Bologne, 1666), est peut-être celui qui exerce le mieux son influence sur un vaste public: cela est certainement dû à la grande ductilité de son pinceau, capable de saisir les suggestions les plus disparates pour les fusionner en un style unique, facilement reconnaissable une fois que l’œil s’y est habitué, et en constante évolution. Une versatilité sans pareille, que l’on pourrait à juste titre comparer à celle de Guido Cagnacci, bien que la fortune du Romagnolo ait toujours été pénalisée par une vie constamment sur le fil du rasoir, une carrière artistique problématique ponctuée de défaites et un épilogue loin de l’Italie. Guercino n’a jamais connu ces problèmes, bien au contraire: Il a travaillé pour des papes, des cardinaux et divers potentats (dont le duc de Modène, Francesco I d’Este), il a eu un atelier florissant et, bien qu’il ait lui aussi connu des périodes de profonde infortune critique (surtout dans la seconde moitié du XIXe siècle, suite à la critique de Ruskin qui, dans ses Peintres modernes, apostrophait l’Abraham répudiant Agar à Brera, l’appelant “le vil Guercino de Milan”, ou “l’indigne Guercino de Milan”), il n’a jamais eu de problème de carrière: il faut cependant rappeler que la plume destructrice du critique anglais a affecté l’art du XVIIe siècle dans son ensemble), il a immédiatement eu le public, les critiques et les collectionneurs de son côté.

Cette bonne fortune de Guercino, renforcée par les études de Sir Denis Mahon, authentique redécouvreur de Guercino avec Roberto Longhi et commissaire de la première exposition monographique qui lui a été consacrée (à Bologne en 1968), est à la base de nombreuses expositions dont il a été récemment le protagoniste incontesté et souvent unique et qui se sont intensifiées, sous forme d’hommages, à la suite de la mort de Mahon en 2011: la dernière en date, en 2015, a même été une exposition itinérante qui s’est arrêtée à Rome, Varsovie et Zagreb. Certes, les événements n’ont pas manqué, on s’en serait volontiers passé, mais c’est le prix à payer face à un artiste dont l’étoile est l’une des plus brillantes de la constellation de notre histoire de l’art et dont la popularité auprès du public s’accroît peu à peu.



Dissipons d’emblée tout doute en affirmant que l’exposition Guercino in Piacenza. Tra sacro e profano (Guercino à Piacenza. Entre le sacré et le profane), qui s’est tenue dans la chapelle ducale du palais Farnese de Piacenza, appartient à la catégorie des expositions à haut profil scientifique et à excellente structure informative, pour un résultat dont la qualité n’est en rien affectée par le nombre relativement limité d’œuvres exposées: Vingt-huit au total, réparties le long d’un parcours chronologique dont la plus grande particularité est d’éviter les obsèques solennelles aux divisions de la carrière de Guercino et de présenter, au contraire, l’évolution de son art selon cette unité de base qui l’a toujours distingué et qui s’est appuyée sur le désir d’adhérer sans cesse au principe de l’imitation de la nature appris de Ludovico Carracci (Bologne, 1555 - 1619), son premier point de repère. Si l’extrême polyvalence qui distingue Guercino de tant d’autres peintres bolonais du XVIIe siècle reste évidemment incontestable, Daniele Benati, commissaire de l’exposition avec Antonella Gigli, tient à souligner comment Mahon, en élaborant une subdivision de la carrière de Guercino en cinq phases, n’a eu recours à “aucune autre connotation qui ne soit pas simplement chronologique, et donc interne à un parcours qui nous apparaît enfin comme tout à fait cohérent”. La cohérence semble être, en substance, le mot d’ordre de cette exposition qui cherche à encadrer un artiste pour qui “l’ancien impératif de chercher les raisons de l’histoire dans le retour confiant du monde qui l’entoure, tout en écoutant en même temps les sollicitations qui viennent de son propre cœur” s’applique toujours.

L'entrée de l'exposition au Palazzo Farnese, Piacenza
L’entrée de l’exposition au Palazzo Farnese, Piacenza


La robinetterie
Les expositions

Outre les raisons que nous venons d’énumérer, il y a au moins deux autres raisons qui élèvent l’exposition de Plaisance au rang des expositions de qualité. La première est l’hommage, loin d’être anodin, rendu à la ville d’accueil et à l’anniversaire de l’exécution des fresques qui ornent la coupole de la cathédrale et que les visiteurs, à l’occasion de l’exposition et des événements connexes, peuvent voir de près en montant les escaliers abrupts de l’édifice religieux jusqu’au balcon du tiburium, à une trentaine de mètres au-dessus du sol. Les fresques ont été peintes en 1627 (oui, l’anniversaire correspond au chiffre 390, ce n’est donc pas un chiffre rond, mais l’occasion, évidemment, aura semblé tout aussi bonne à célébrer) et, dans l’exposition, nous avons l’occasion d’admirer quatre dessins préparatoires provenant du Gabinetto dei Disegni e delle Stampe di Palazzo Rosso à Gênes. Quatre témoignages vivants du travail préparatoire méticuleux et fébrile avec lequel Guercino s’est préparé à terminer le cycle laissé inachevé par Morazzone en 1626, d’autant plus précieux qu’illustrer au public la genèse d’une œuvre est toujours une opération méritoire, et d’autant plus éloquentes qu’elles sont accompagnées par l’excellent expédient du panneau avec les reproductions des quatre détails des fresques auxquels se réfèrent les études sur papier (trois au crayon rouge, une à la plume et à l’encre avec l’ajout du pinceau et de l’encre aquarelle). La deuxième raison est plutôt la présence d’un tableau qui vient de sortir de restauration: il s’agit du Saint François recevant les stigmates, qui se trouve à la fin du parcours (curieusement, il a été placé dans une sorte de petite salle créée à l’intérieur de la librairie) et qui a fait l’objet d’une intervention de conservation en janvier 2017. Les ascenseurs ont été réparés, le cadre désinfecté, les lacérations réparées, et le tout s’est terminé par une opération de nettoyage.

Les dessins de la deuxième section de l'exposition
Les dessins de la deuxième section de l’exposition


Guercino, Le prophète Zacharie
Guercino, Le prophète Zacharie (1626 ; crayon rouge sur papier blanc avec filigrane, 24 x 17,2 cm ; Gênes, Gabinetto Disegni e Stampe di Palazzo Rosso)

La première partie de l’exposition, consacrée aux premières œuvres de Guercino, présente un bon nombre de chefs-d’œuvre précoces, à commencer par un très raffiné Mariage mystique de sainte Catherine, qui dénonce ses dettes envers Ludovico Carracci, selon l’“auto-certification” de Guercino lui-même, qui a toujours admis s’être inspiré du grand artiste bolonais dans son approche de la peinture, mais qui montre aussi, compte tenu de la provenance de l’artiste, une reprise de la manière de Carlo Bononi (Ferrare, 1569 - 1632), peintre ferrarais qui partageait avec Barbieri (plus de kilomètre, moins de kilomètre) son origine géographique. Ici, le profil de sainte Catherine, les plis angulaires de la robe de la Madone et les nuages peints avec des coups de pinceau tendus s’ajoutent à la spontanéité des gestes, tous carracciens, et à l’invention, également empruntée à Ludovico Carracci (en particulier à une œuvre conservée à Göteborg), de l’Enfant tourné vers le saint qui accompagne les personnages principaux (Charles Borromée dans le tableau de Guercino: dans celui de Carracci, c’est saint François) plutôt que vers le protagoniste. Une peinture plus proche de Carracci verra le jour quelques années plus tard, suite à l’installation temporaire du peintre à Bologne, où il pourra observer de près les résultats de la peinture de Ludovico Carracci et avoir des rencontres fructueuses avec lui: le Saint Bernardin de Sienne et Saint François priant devant la Madone de Lorette appartient à cette période, c’est-à-dire environ trois ou quatre ans après le Mariage susmentionné. Toujours à Ferrare, les putti du haut, citation presque littérale d’un tableau de Scarsellino (Ferrare, vers 1550 - 1620) réalisé pour le couvent de Santa Maria Maddalena delle Convertite à Ferrare et aujourd’hui à Houston, mais dérivant de Ludovico Carracci, sont le goût pour le naturel, l’atmosphère pieuse, le geste de saint François emprunté à celui du même saint que Carracci a peint dans le retable Cento, et encore “l’ampleur des gestes, échelonnés en profondeur selon les trajectoires puissantes” de Carracci et de ses élèves (ainsi Benati dans la notice du catalogue du tableau). Un symptôme, d’autre part, d’un goût personnel qui sera mieux développé dans les années à venir, est ce luminisme qui produit des contrastes suggestifs entre les zones de lumière et les zones d’ombre (voir, en prêtant attention aux projecteurs qui éblouissent certaines œuvres de grand format, obligeant à trouver un point d’observation optimal, la statue de la Madone, coupée en deux par l’ombre projetée sur elle par le drapé des chérubins). Cette première section est scellée par le Concert des Offices, dont le thème, nettement vénitien, est parvenu à l’artiste de Cento probablement par l’intermédiaire de Dosso Dossi, qui, comme nous le savons, fut longtemps actif à Ferrare, et peut-être aussi par les gravures de Domenico Campagnola, ce qui laisse présager une assimilation ultérieure par le jeune Guercino.

Section dédiée aux œuvres de jeunesse
Section consacrée aux œuvres de jeunesse


Guercino, Mariage mystique de sainte Catherine en présence de saint Charles Borromée
Guercino, Mariage mystique de sainte Catherine en présence de saint Charles Borromée (1611-1612 ; huile sur panneau, 50,2 x 40,3 cm ; Cento, Fondazione Cassa di Risparmio di Cento)


Guercino, saint Bernardin de Sienne et saint François d'Assise priant devant Notre-Dame de Lorette.
Guercino, Saint Bernardin de Sienne et Saint François d’Assise priant devant la Madone de Lorette (1618 ; huile sur toile, 239 x 149 cm ; Cento, Pinacoteca Civica “Il Guercino”)


Guercino, concert champêtre
Guercino, Concert champêtre (vers 1617 ; huile sur cuivre, 34 x 46 cm ; Florence, Galerie des Offices)

La section consacrée aux années 1920 (“les années de la gloire”, selon les commissaires) accueille certains des chefs-d’œuvre les plus célèbres de toute la production de Guercino, à commencer par le fameux Et in Arcadia ego, un tableau qui a figuré dans de nombreuses expositions sur Guercino en raison de son caractère indubitablement suggestif, inquiétant et mystérieux, et bien sûr en raison de l’opposition entre l’agrément du paysage et le détail sinistre du crâne dévoré par les rongeurs. En observant les peintures réalisées après son séjour à Rome, daté de 1621, au cours duquel Guercino a partagé la même maison que le Cagnacci susmentionné, on comprend également pourquoi l’artiste de Plaisance exerce une fascination qui est devenue magnétique même sur un public peu familiarisé avec l’art émilien du XVIIe siècle. De nombreux spécialistes ont discuté de la relation de Guercino avec l’art du Caravage (Milan, 1571 - Porto Ercole, 1610), et l’exposition de Plaisance est une nouvelle occasion de réfléchir à ce sujet. Saint Matthieu et l’Ange, œuvre de grand impact prêtée par la Pinacothèque Capitoline, ne pourrait s’expliquer sans une méditation sur la lumière du Caravage (“bien que médiatisée et rééduquée par les manières de ses épigones encore actifs à Rome”, souligne Massimo Francucci dans le catalogue), et il en va de même pour la célèbre Apparition du Christ à sa mère: le rideau qui apparaît en haut à droite semble provenir de la Mort de la Vierge du grand Michelangelo Merisi. Ici, les deux grandes âmes de la peinture de Guercino coexistent, car malgré la proximité avec le naturel qui a toujours caractérisé sa recherche, qui a émergé, le cas échéant, avec de nouvelles suggestions de la comparaison avec le Caravage, et qui ici, comme dans beaucoup d’autres œuvres de Guercino, (cet élément anatomique est peut-être celui qui, dans toute la production de Guercino, trahit le plus et le mieux sa recherche du naturel), l’œuvre est animée par ces concepts d’“idéalisation” et de “simplification” que Mahon a utilisés pour proposer une comparaison avec Guido Reni et pour tracer des affinités et des différences. Ces dernières, en particulier, se retrouveraient dans le manque de recours à l’antiquité de Guercino et dans le jeu d’ombre et de lumière plus violent (si l’on me permet cet adjectif) du peintre du Cento. On pourrait parler d’un “naturel” équilibré, en somme, maîtrisé.

Section sur les années de gloire
Section consacrée aux années de gloire


Guercino, Et in Arcadia Ego
Guercino, Et in Arcadia Ego (1618 ; huile sur toile, 78 x 89 cm ; Rome, Gallerie Nazionali di Arte Antica)


Guercino, Saint Matthieu et l'ange
Guercino, Saint Matthieu et l’Ange (1622 ; huile sur toile, 120 x 180 cm ; Rome, Musées Capitolins - Pinacoteca Capitolina)


Guercino, Apparition du Christ à sa mère
Guercino, Apparition du Christ à sa mère (1628-1630 ; huile sur toile, 260 x 179,5 cm ; Cento, Pinacoteca Civica “Il Guercino”)

La grande toile de l’Apparition nous introduit ensuite à ce qui constitue le leitmotiv de la dernière section de l’exposition (“Les années de gloire”), à savoir le goût pour le théâtre qui caractérise une grande partie de la production de Guercino et qui ne diminue pas dans sa phase extrême: c’est sur cet aspect, plutôt que sur le tournant classiciste des dernières années, que l’exposition de Piacenza semble insister le plus. Un théâtre de sentiments, certes (et l’Apparition en est un excellent exemple), mais qui devient souvent un théâtre concret, comme dans la magnifique Cléopâtre du Palazzo Rosso, l’une des œuvres les plus connues de l’artiste et probablement aussi la plus théâtrale stricto sensu de toute sa production. Une jubilation de gestes, insinués mais aussi flagrants, de poses élaborées, de regards tantôt langoureux, tantôt émus, qui conduisent les protagonistes des œuvres à impliquer émotionnellement le spectateur, comme le souligne Benati dans le catalogue (en particulier, note l’universitaire, dans les premières années d’activité de l’artiste, mais il s’agit d’une spécification qui se prolonge tout au long de la carrière de Guercino). La beauté intense et douce de Suzanne violée par les deux vieillards et qui, sans perdre un instant la foi et le contrôle, tourne son regard vers le ciel pour chercher le réconfort, la tendresse de Sainte Agnès qui nous regarde presque avec étonnement, nous qui la regardons à notre tour, ou encore la profonde humanité de l’Immaculée Conception labourant une mer illuminée par un poétique clair de lune (l’un des plus beaux du XVIIe siècle) sur son petit nuage sont, en ce sens, de véritables sommets que les commissaires ont réussi à réunir dans une exposition qui est l’une des plus réussies de ces dernières années.

Guercino, Mort de Cléopâtre
Guercino, Mort de Cléopâtre (1648 ; huile sur toile, 173 x 238 cm ; Gênes, Musées Strada Nuova, Palazzo Rosso)


Guercino, Susanna et les vieillards
Guercino, Suzanne et les vieillards (1649-1650 ; huile sur toile, 133 x 181 cm ; Parme, Galleria Nazionale)


Guercino, Sainte Agnès
Guercino, Sainte Agnès (1652 ; huile sur toile, 117 x 96 cm ; Cesena, Galleria dei dipinti antichi della Fondazione della Cassa di Risparmio)


Guercino, Immaculée Conception
Guercino, Immaculée Conception (1656 ; huile sur toile, 259 x 180 cm ; Ancône, Pinacoteca Civica “Francesco Podesti”)

Une nouvelle exposition Guercino? Oui et non. Non, parce que nous pouvons dire que l’exposition de Piacenza diffère des nombreuses manifestations récentes consacrées à Guercino: On pense aux exemples de l’exposition “tripartite” mentionnée au début, qui avait, le cas échéant, un autre mérite, à savoir celui de sortir plus de vingt œuvres de l’artiste de la Pinacothèque de Cento endommagées par des événements naturels, ce qui représente deux tiers des œuvres exposées, et de les faire connaître dans trois pays, ou le petit événement de Cento en 2014 consacré au rapport entre l’artiste et la musique, ou encore l’exposition de Bologne en 2009 consacrée à la production juvénile de l’artiste. Oui, parce que Guercino est un artiste complexe, parce qu’il y a des nouveautés (peu nombreuses, mais présentes) dans l’exposition, parce que l’exposition est bien accompagnée par la possibilité de regarder de près les fresques de la cathédrale, parce qu’il est bon pour l’artiste d’avoir une réinterprétation de sa carrière basée sur une base solide, tenant compte des dernières études, et présentée avec un projet populaire (avec des mises en scène scénographiques mais sobres: très intéressant est le couloir avec quelques phrases sur Guercino tirées d’écrits de grands savants comme Mahon, Longhi, Gnudi, Cavalli) qui ne peut que profiter au public. Enfin, le catalogue publié par Skira est bien structuré, avec, outre un bon essai introductif de Benati et des descriptions bien préparées des peintures, une contribution de Susanna Pighi consacrée aux fresques de la cathédrale, un précieux atlas photographique de la coupole, résultat d’une campagne photographique très récente, un essai sur le Saint François restauré et une sorte de “guide”, écrit par Manuel Ferrari, sur le parcours de la cathédrale à la coupole.


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