Pour Andrea Bianconi (Arzignano, 1974), tout a une direction. Lorsque nous marchons, pensons, discutons, mangeons, dormons, faisons l’amour, accomplissons le plus simple des actes quotidiens ou planifions la décision la plus complexe de notre vie, nous nous déplaçons en suivant une direction. Nous marchons guidés par une flèche, pour reprendre le symbole peut-être le plus caractéristique de l’imagerie et du répertoire figuratif d’Andrea Bianconi. Une flèche, parce qu’il n’y a peut-être pas d’autre signe mieux placé qu’elle pour évoquer métaphoriquement la dialectique constante entre liberté et contrainte. L’artiste avait mûri ces réflexions il y a des années, à New York: il raconte que c’étaient des jours de chaleur accablante, la maison était une sorte de four, les fenêtres toujours ouvertes donnaient sur la gare routière de Port Authority, et il pouvait voir les gens entrer et sortir de la gare à toute heure de la journée. Une superposition de vies, une carte en constante construction et déconstruction, en constante transformation". Bianconi imaginait les gens comme des flèches: libres de choisir une direction, mais obligés de la respecter (après tout, on n’a jamais vu une flèche qui ne respecte pas sa direction). De ces idées est née Traffic light, une performance présentée en 2008 à Houston pour la première fois (mais, il faut le dire, les simples répétitions sont rares, voire impossibles, dans l’art de Bianconi: il les subit comme une limitation). Ce fut l’une des premières occasions où la flèche a joué un rôle de premier plan.
Sa nouvelle exposition personnelle, au CAMeC (La Spezia), consiste à suivre des flèches à la recherche de cette Planète Fantastique qui donne son titre à l’exposition. Planète fantastique: deux mots qui sont entrés, de manière presque irrésistible, dans l’esprit d’Andrea Bianconi alors qu’il ne faisait que dessiner des flèches. “Je dessinais des directions de regards et des directions de langues”, dit-il, “je cherchais des regards uniques et peu de mots”. C’est alors que sont apparus les deux mots: Planète Fantastique. Il a commencé à les écrire successivement et de manière obsessionnelle, et ils sont devenus le sujet d’une performance qui a également eu lieu à Houston, en 2016, et d’une exposition qui a fermé ses portes à Milan la semaine dernière. Ici, dans les espaces de la Nuova Galleria Morone, les visiteurs étaient invités à s’asseoir sur un tabouret au centre d’une pièce dont les murs avaient été recouverts des deux mots Fantastic Planet écrits en continu sur la quasi-totalité de la surface du mur. L’objectif était de les inciter à se demander si leur Planète Fantastique n’existait pas quelque part, puis à la rechercher. Il s’agit en quelque sorte d’un voyage à l’intérieur de soi.
Et c’est Andrea Bianconi lui-même qui présente son exposition de La Spezia comme un voyage. Mais il n’y a pas la rhétorique des nombreux artistes qui, à court d’idées, se rabattent sur le thème facile du voyage. L’exposition de l’artiste vénitien est extrêmement cohérente avec son parcours artistique, c’est la continuation d’un itinéraire déjà tracé, c’est une somme d’expériences diverses, c’est une collection de suggestions typiques d’un artiste cultivé: Il y a le flux de conscience du Finnegans Wake de Joyce, l’hommage (explicité dans une exposition de 2016) à Alighiero Boetti et à son Mettere al mondo il mondo, les paradoxes de Beuys, le concept sartrien de liberté (on ne peut exiger sa propre liberté si l’on ne veut pas aussi celle des autres), les excentricités et l’indépendance du groupe Co.Br.A. (en particulier Alechinsky), les recherches des peintres de signes à partir de Capogrossi. Sans oublier la référence à la Commedia de Dante, ne serait-ce que parce que la Planète Fantastique de Bianconi passe par l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis.
Andrea Bianconi, Trap for clouds (2011 ; installation avec cages, dimensions variables ; courtesy AmC Collezione Coppola, Vicenza). Ph. Crédit Enrico Amici |
Vue de la salle de l’enfer à l’exposition Planète Fantastique (La Spezia, CAMeC) |
Vue de la salle du paradis à l’exposition Planète Fantastique (La Spezia, CAMeC) |
La pièce de Bianconi part cependant de prémisses bien différentes de celles de Dante. Il n’y a pas de chemin droit duquel s’écarter: l’alternative, pour l’artiste de Vénétie, est toujours une opportunité. Dans l’œuvre d’Andrea Bianconi", écrit Vittoria Coen, commissaire de l’exposition au CAMeC, “on perçoit une force continue ouverte aux possibilités, aux changements qui, au cours de notre vie, nous impliquent”. Sans aucune idée préconçue, l’artiste nous guide, pas à pas, dans une direction, mais propose également une alternative". L’Enfer de Bianconi n’est donc pas un enfer semblable à celui, horrible et violent, que nous pourrions imaginer: il s’agit plutôt d’une sorte d’enfer existentiel. C’est l’anxiété déterminée par notre réalité quotidienne, ce sont les doutes qui nous assaillent au cours de notre vie de tous les jours, c’est notre hésitation face à certains choix, c’est l’obscurité dans laquelle nous évoluons souvent: Tout dans l’Enfer de Bianconi tend à communiquer cet aspect, à commencer par les grandes peintures noires qui symbolisent notre cécité mais qui, vues de près à contre-jour, révèlent un dense réseau de flèches (signifiant que même dans la nuit la plus profonde il y a encore une direction à suivre), il y a les cartes faites d’objets quotidiens piégés sous des coulées de peinture grise (ciseaux, boutons, anneaux, carrés, règles, petites voitures et trains électriques), il y a les cages dont le public peut profiter sur les escaliers du CAMeC avec l’installation onirique Trap for clouds, typique du langage de l’artiste (les visiteurs se reflètent dans les miroirs que Bianconi y a placés, si bien qu’ils se retrouvent véritablement en cage), et il y a aussi Too Much, la singulière installation sonore qui combine les sept chansons qui ont souligné des moments importants de la vie d’Andrea Bianconi (pour mémoire: Nessun dorma de Pavarotti, Meraviglioso de Domenico Modugno, Blowin’ in the wind de Bob Dylan, I am what I am de Gloria Gaynor, Man in the mirror de Michael Jackson, Extraterrestre d’Eugenio Finardi et I say a little prayer d’Aretha Franklin). Tous ces titres sont réunis en un seul morceau pour essayer de voir si tous les moments d’une vie peuvent être réunis en un seul instant. L’effet est aliénant: exactement comme lorsque nous pensons à tant de souvenirs, tous en même temps.
Dans la salle suivante, nous passons au purgatoire. Le noir est abandonné et le gris arrive: dans le symbolisme facile de Bianconi, c’est la couleur de la suspension, du milieu, de l’impasse. C’est le lieu où triomphe le dessin, une pratique qui se situe quelque part entre l’idée et l’œuvre finie. Un mur entier est occupé par les dessins auxquels Bianconi a confié ses idées: des plumes et des poissons en forme de flèches, des vases qui communiquent, des flèches qui se transforment, d’incroyables flèches-araignées, et même un poème dédié à la flèche. "Le dessin, disait l’artiste dans un entretien avec Catherine de Zegher en 2017, c’est le début, le chemin, le voyage. Je dessine tout le temps, partout. Je me retrouve souvent à dessiner en parlant. Dans ma vie, dessiner, c’est comme tracer une série de cercles concentriques, c’est tout impliquer, c’est construire et déconstruire“. Mais ce n’est pas tout: le dessin ”permet de faire des liens imprévisibles“, il permet de ”trouver une relation entre les choses, entre deux façons de sentir ou entre deux cultures différentes“, c’est comme ”se réveiller soudainement et ouvrir les yeux pour la première fois“, et le dessin est ”l’enfant de la main et le père de la mémoire". Viennent ensuite les villes-tunnels, des toiles sophistiquées où l’imagination d’Andrea Bianconi prend la forme d’un enchevêtrement de flèches indiquant les directions infinies que peut prendre notre existence (et le tunnel devient, là encore, une métaphore de l’existence elle-même). Enfin, une toile blanche avec des flèches noires, toutes dirigées vers le haut, indique, à la fin du voyage, la direction vers le paradis.
Andrea Bianconi, In Between (2014 ; cage et miroir, 69 x 43 x 45 cm ; courtesy Barbara Davis Gallery, Houston TX, USA). Ph. Crédit Enrico Amici |
Andrea Bianconi, In Between (2013 ; cage et miroir, 158 x Ø 30 cm ; courtesy Dream Collection, Vicenza, New York). Ph. Crédit Finestre Sull’Arte |
Andrea Bianconi, Map 13, détail (2013 ; techniques mixtes sur toile, 180 x 145 cm ; collection privée, Vérone, Italie). Ph. Crédit Finestre sull’Arte |
Andrea Bianconi, Too much (2015 ; photographie et audio, 54 x 44 cm ; courtesy Dream Collection, Vicenza, New York). Ph. Crédit Finestre Sull’Arte |
Andrea Bianconi, Purgatoire (2018 ; encre sur toile, 90 x 90 cm ; courtesy Barbara Davis Gallery, Houston TX, USA). |
Andrea Bianconi, Tunnel City Grey (2018 ; encre sur toile, 100 x 100 cm ; avec l’aimable autorisation de Barbara Davis Gallery, Houston TX, USA) |
Andrea Bianconi, Tunnel City Grey, détail |
Quelques dessins d’Andrea Bianconi |
Andrea Bianconi, (Paradise) (2018 ; encre sur toile, 40 x 30 cm ; courtesy Barbara Davis Gallery, Houston TX, USA) |
Andrea Bianconi, (Paradise ), détail |
Et le Paradis apparaît enfin dans la salle suivante. Le visiteur est accueilli par une grande aile: Bianconi joue sur le fait que le mot anglais pour désigner le dessin, drawing, contient le mot wing, “ aile ” (le dessin est donc mouvement et liberté). L’aile est le seul élément à connotation religieuse dans l’empyrée de l’artiste vicentin. En effet, nous nous trouvons dans un monde où l’harmonie est garantie par larencontre des contraires générée par ses Paradis terrestres, des toiles où les flèches se heurtent, se retrouvent, s’enfuient, se poursuivent, se rencontrent dans un mouvement tourbillonnant que l’artiste a tracé les yeux fermés, par instinct, comme pour revenir à une dimension primordiale où le signe devient presque un produit de l’inconscient, des sentiments les plus profonds de l’artiste. Le Paradis devient alors tout sauf la destination finale du voyage: c’est un lieu de création et de méditation, qui ne représente rien d’autre qu’une étape supplémentaire dans le voyage de connaissance entrepris par l’artiste.
Un voyage qui, à la fin de l’exposition, après nous avoir fait apprécier l’imposant dessin mural, un grand dessin mural in situ qui est presque une sorte de résumé du voyage entre les trois autres mondes, nous emmène dans une salle complètement obscure pour nous proposer un nouveau voyage, cette fois-ci à l’intérieur de nous-mêmes. Nous sommes seuls, dans un sas de décompression, nous ne pouvons regarder nulle part car tout est sombre: il y a seulement, au fond de la pièce, un caisson lumineux en aluminium sur lequel est gravée une myriade de flèches(City Map), nous invitant à regarder à l’intérieur de nous-mêmes dans l’obscurité et le silence de la pièce. Nous nous retournons et, au fond de la salle, l’installation Hole fait apparaître la “carte” derrière nous, comme si elle nous éclairait, comme si nous avions trouvé notre direction. L’effet est presque irréprochable en photographie: il faut aller sur place pour le voir.
Andrea Bianconi, Earthly Paradise 2, détail (2017 ; encre sur toile, 80 x 70 cm ; avec l’aimable autorisation de Barbara Davis Gallery, Houston TX, USA). |
Andrea Bianconi, Dessin 1 (2018 ; encre sur toile, 150 x 150 cm ; avec l’aimable autorisation de Barbara Davis Gallery, Houston TX, USA) |
Andrea Bianconi, Where (2018 ; dessin mural à l’encre 54 X 861,5 cm). Ph. Crédit Enrico Amici |
Andrea Bianconi, City Map (2017 ; caisson lumineux en aluminium, sculpture, 192 x 142,5 cm ; courtesy Dream Collection, Vicenza, New York). |
Andrea Bianconi, Hole (2018 ; encre sur miroir avec cadre, 66,5x57 cm ; courtesy Barbara Davis Gallery, Houston TX, USA). |
Où se trouve donc la planète fantastique d’Andrea Bianconi? L’artiste laisse la réponse aux visiteurs. Sa planète fantastique“, écrit Vittoria Coen, ”est aussi un point d’interrogation, un questionnement que l’artiste s’adresse à lui-même et à nous tous [...]. Bianconi nous pousse, nous exhorte, presque, à nous interroger, dans une relation de cause à effet où l’œuvre apparaît comme un écosystème, un lieu, riche de propositions et d’offres qui agissent comme un aiguillon [...]". La Planète Fantastique d’Andrea Bianconi, c’est la rencontre et le choc, l’idée et le concret, le rêve et la réalité, c’est une infinité de possibilités, c’est lié à la dimension de la mémoire mais c’est profondément ancré dans le présent et c’est un stimulant pour l’avenir, c’est l’expérience, c’est la beauté et la laideur. En substance, dans la Planète Fantastique d’Andrea Bianconi, “tout est art et tout est vie”, également parce qu’il n’y a peut-être pas qu’une seule Planète Fantastique: probablement, les Planètes Fantastiques sont infinies. Quiconque observe l’une de ses œuvres trouvera certainement des raisons de se reconnaître dans ses planètes fantastiques, ou trouvera un déclencheur pour arriver (ou revenir) sur sa propre planète fantastique. Ses œuvres impliquent profondément l’observateur, elles parviennent à établir un dialogue fructueux avec le spectateur, elles le prennent par la main et parviennent à déclencher un processus d’identification extraordinaire et délicat.
C’est aussi parce que l’art d’Andrea Bianconi est facile, simple, au point de frôler, mais seulement en apparence, la banalité (car en réalité il s’agit d’un art cultivé et profond). En même temps, c’est un art d’une grande force intérieure et, surtout, d’une grande concrétude: Bianconi n’est pas un rêveur pusillanime qui vit dans des châteaux de nuages, mais un artiste parfaitement conscient qu’il y a une réalité quotidienne avec laquelle il faut composer. Bien sûr, Bianconi aimerait vivre en dehors de la réalité. Mais c’est impossible, pour lui comme pour tout le monde: l’art est donc, pour Bianconi, non pas une façon d’élever la réalité, comme d’autres artistes ont essayé de le faire, mais une façon de se protéger de la réalité (même les cages remplissent cette fonction symbolique de protection: l’exemple est celui des bibliothèques qui gardent des volumes anciens) et, surtout, d’essayer de l’améliorer. C’est peut-être là le sens le plus élevé de l’art d’Andrea Bianconi.
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