Les nouvelles technologies, y compris celles de ChatGPT, l’intelligence artificielle qui cherche à simuler les capacités de dialogue avec un interlocuteur humain en donnant l’impression d’exercer, précisément, un facteur critique qui rend la conversation crédible, si elles sont appliquées à l’art, quel type de transformation apportent-elles à une catégorie telle que la vraisemblance? À mon avis, nous sommes confrontés à des formes d’illusionnisme qui rendent à nouveau fondamentale la vraisemblance comme paramètre de jugement, un principe esthétique très discuté et considéré, par exemple, dans la Contre-Réforme, avec les deux tomes du cardinal Paleotti sur les “images sacrées”, comme contrepoint au cérébralisme maniériste, c’est-à-dire à l’anti-classicisme qui rejetait les valeurs d’harmonie, de mesure, d’aulicité et d’imitation typiques de la Renaissance. La vraisemblance et le naturalisme sont les deux références fondamentales de l’esthétique catholique de Paleotti, dont le Caravage représente - tout en innovant dans l’iconographie et les genres et en poussant la pédale de la vérité que l’on atteint en peinture en ayant le modèle réel devant soi - l’apogée d’une idée qui ne s’arrête pas à l’imitation du réel mais qui l’interprète en ayant le vraisemblable comme point de comparaison. Est-il donc logique de se demander ce qu’il en est de la vraisemblance aujourd’hui encore ?
Je crois qu’elle est même nécessaire, à une époque où le kitsch est devenu le grand unificateur des styles et des goûts, parce qu’elle peut nous aider à redécouvrir ce qui a été perdu dans les différentes formes d’avant-garde, y compris en nous demandant dans quelle mesure l’art “progresse” (je me retrouve ici avec Benedetto Croce lorsqu’il affirme que dans l’art il n’y a pas de progrès, mais que l’on évite de faire des erreurs).Mais en évitant tout idéalisme, je crois qu’Henri Focillon a eu raison de toujours préférer le terme de “développement” à celui d’“évolution” et de donner une lecture ouverte du continuum historique en déployant le modèle des “familles” qui relient diachroniquement des artistes à des siècles d’intervalle : Giotto et Piero della Francesca avec Caravaggio, par exemple). La question de la transformation de l’art dans l’histoire trouve chez les sculpteurs céramistes Bertozzi&Casoni le banc d’essai pour établir ce qu’est aujourd’hui la “vraisemblance”. Ce qui peut aussi faire la différence entre une œuvre d’art et un objet décoratif : Fausto Melotti hésitait en effet à s’appliquer à la production de meubles et de vaisselle en terre cuite dans les années 1930 et 1940 que Gio Ponti lui commandait dans un but commercial (paquebots transatlantiques) parce qu’il considérait cet engagement comme autre chose que des raisons d’art, mais il a ensuite accepté parce que ce travail servile, pour ainsi dire, assurait sa survie et lui donnait du temps.lui assurait la survie et lui laissait le temps de faire de la sculpture en céramique (mais certains de ses meubles sont encore merveilleux aujourd’hui) ; un autre artiste qui, en revanche, se consacra uniquement à la sculpture en terre cuite et mourut prématurément à la guerre en 1941, Salvatore Fancello, donna forme dès le début à des créations d’une superbe imagination en élaborant un bestiaire pour lequel il expérimenta de nouvelles techniques et, à Albisola, travailla aux côtés de Fontana : Certains affirment qu’il a marqué de son empreinte la terre cuite réflexive de l’Italo-Argentin. L’art de la céramique, plus que la conception d’objets, a quelque chose à dépenser dans une direction qui atteint sa pleine expression lorsque, à travers l’apparence, il s’enfonce dans la recherche du vrai et du beau. Nous faisons ainsi l’expérience de ce qui estirrévocable, qui nous appartient et nous appelle, comme le dirait le philosophe Vladimir Jankélévitch, qui nous fait nous tenir suspendus entre une sorte de semi-impuissance et de semi-puissance, condition amphibie de l’homme moderne, d’ailleurs, et trampoline suprême de l’artiste. Le tandem Bertozzi&Casoni en est une représentation éloquente, qui s’est développée au fil des années pour donner naissance à des fruits d’une puissance expressive anormale et éclatante, précisément en tant qu’approximation de la frontière et dépassement du vraisemblable.
Si nous pouvions être d’accord avec le biologiste français Jean-Pierre Changeaux - qui propose un saut “épochal” de la condition mentale à la condition neuronale - tout pourrait être résolu dans un algorithme. Si nous le pouvions : mais nous ne le pouvons pas. Notre défi réside dans la volonté de tromper le semblant. En termes actuels, le semblant n’est plus une imitation de la réalité, il la précède et la dépasse. Appelé ChatGPT, il s’agit précisément d’une intelligence créée qui, par essence, peut nous mentir en nous faisant croire qu’elle dit la vérité : avec des logiciels appelés chatbots, elle propose des réponses automatiques dont le but est d’apparaître humaine. Ce pourrait être le paradoxe du menteur crétois transformé en une vérité beaucoup plus simple qu’il n’y paraît : le menteur crétois est un paradoxe car sa vérité est contestable, c’est-à-dire qu’elle est valable dans les deux sens : il ment en disant qu’il dit la vérité, il dit la vérité mais nous donne un mensonge. Pourtant, la logique la réfute et, en même temps, elle nous provoque car elle affirme que “tout peut être vrai”. Le précurseur visuel de ChatGPT remonte à la preuve très ancienne de Zeusis et Parrasius, les deux Grecs qui se défiaient avec la peinture. Nous le savons tous. Le raisin de Zeusi est un truisme qui trompe les oiseaux, mais ne ment pas (son modus operandi drape le filet de la vraisemblance dont les coordonnées sont censées insinuer la perfection) ; son mensonge est l’illusion, mais l’illusion incite parfois à voir au-delà des apparences (le faux révèle) ; Parrasius tire les conclusions ultimes : un voile cache ce qui est en dessous, mais ne peut jamais être levé, car il est déjà tout ce qui peut être vu(Alètheia, la vérité, est “l’état de ne pas être caché ; l’état d’être évident” : ce qui n’est pas, peut-il rester suspendu à notre regard un instant avant que le drapé rouge de Parrasius ne se révèle être une peinture impossible, mais vraie, en ce sens qu’elle n’est que peinture ?). Zeusi retente sa chance en peignant un garçon tenant un panier de raisins, et les oiseaux vont à nouveau picorer les fruits. Zeusis est contrarié, car si sa peinture était si parfaite qu’elle trompait l’œil, les oiseaux ne se seraient jamais approchés de la toile, craignant la réaction du garçon (trop imparfaite pour sembler réelle, mais cela ouvre la voie au vraisemblable). Le conflit ici n’est cependant pas entre la perception humaine et la tromperie de l’art, mais entre la nature et la culture. Un thème très central aujourd’hui, car l’intelligence artificielle provoque la capacité humaine à séparer le bon grain de l’ivraie (ce qui aujourd’hui, par exemple, met à l’épreuve la propagande de l’information). Ce qui nous dit en définitive que la perfection est la grande illusion de l’homme.
Bertozzi&Casoni, qui ont formé pendant plus de quarante ans l’entreprise primée de sculpture céramique et une marque à part entière, après deux décennies d’engagement dans la majolique de Faenza, ont adopté depuis 2000 des matériaux et des technologies d’origine industrielle dont le résultat, même dans l’expérimentation, est un rendu de plus en plus mimétique de la réalité, mais aussi une profanation anormale de la réalité, en raison de l’utilisation de matériaux et de technologies de plus en plus sophistiqués.anormale de la réalité, car s’il est une chose certaine pour les deux sculpteurs, c’est que l’apparence, ou le semblant comme on veut l’appeler, doit être rejetée, comme le dit Edoardo Pepino, directeur du Labirinto della Masone de Franco Maria Ricci à Fontanellato, où se tient (jusqu’au 7 janvier) une exposition anthologique du céramiste Jan Janusz, qui est un des plus grands sculpteurs de l’Europe.de Fontanellato, où se tient (jusqu’au 7 janvier) une exposition anthologique du céramiste Janus avec des œuvres réalisées ces dernières années (après l’exposition d’Imola en trois lieux il y a moins d’un an). Bertozzi, de Bologne, et Casoni, de Ravenne, ont uni ce qui tente de rester séparé, les deux âmes de la région où ils sont nés, au-delà des cloisonnements persistants. Les œuvres ne se contentent pas d’imiter, mais créent de nouveaux mondes, dans lesquels nous entrons parce qu’ils ressemblent au nôtre de manière presque rassurante", écrit Pepino. Si tel était le cas, tout serait à nouveau laissé à notre capacité limitée de discerner le réel, mais nous finirions par agacer le démiurge car les mondes de Bertozzi&Casoni ne dérangeraient personne : le titre de l’exposition est vaguement magrittien : It’s not what it seems. C’est plutôt le contraire qui se produit, et le symptôme le plus évident de cette aura “diabolique” se trouve dans le formidable et méphistophélique Pinocchio adulte et polyglotte, dont le regard luciférien confirme l’âme piquante, véritable filou, qui devient la cause d’ulcères pour le pauvre cétacé qui l’a trouvé dans son ventre. La sculpture des deux artistes (Casoni est cependant mort en 2023) est très irritante, elle donne des allergies cutanées immédiates, cetherpès de surface s’installe et produit des crises anaphylactiques qui étouffent le regard et tout sentiment, elle gratte les sphères les plus profondes de notre hypersensibilité mêlant, comme dans un nouvel élan de fureur baroque, l’émerveillement et le dégoût, l’hypertrophique et le boulimique, l’alchimique et le mortifère, le glacial et l’onirique ; elle compose des mondes où la vanité semble être au centre, mais où domine la lutte inexorable des deux sculpteurs avec l’éphémère de la vie, des formes, des décombres et des déchets de l’existence ; en d’autres termes - et icil’existence ; en d’autres termes - et ici nous pourrions demander à Casoni - il y a une volonté de sauver ce qui est récupérable de ce qui ne l’est pas. de sauver ce qui est récupérable des griffes de la mort, même s’il s’agit d’une poubelle cabossée et rouillée, d’un mégot de cigarette, d’une table dressée avec le mobilier et le trousseau de tasses, d’assiettes et de vaisselle abandonnés comme des reliques postprandiales de festins consommés, avec leurs desserts, les différentes gourmandises qui ne mènent pas directement au Eat Art de Spoerri, mais à un hyperbaroque de somptueuse dépense, qui ne s’apaise pas, mais qui, avec la terre et le feu, évacue ses poisons sur une peau vitrifiée, vernissée, qui capte les reflets de la lumière et refuse de se rendre à la fin de tout ce qui est en ce monde.
Il y a des années, lorsque le chemin parcouru par Bertozzi&Casoni était tel qu’une première évaluation était urgente ou providentielle, les deux artistes ont préparé un catalogue de leur travail entre 1980 et 2010. Franco Bertoni, directeur pendant plusieurs années du musée de la céramique de Faenza, en rédigeant l’introduction, a mis le doigt sur un point décisif : Bertozzi&Casoni, qui sont partis de la majolique de Faenza pour arriver à la polymatière céramique résultant d’intersections biochimiques qui ont marqué le tournant de leur collaboration avec la Cooperativa ceramica di Imola et certaines technologies de conception, ont projeté leur singularité sur la scène internationale : “Ils ont librement poursuivi une tâche aujourd’hui abandonnée et défunte : repositionner l’art contemporain sur les longues perspectives et directions indiquées par la grande tradition de l’art”. On ne peut pas se contenter d’être un briseur, le véritable innovateur change les facteurs du domaine en repensant leur agrégation. Selon Bertoni, jamais avant Bertozzi&Casoni la céramique n’avait atteint une telle “perfection exécutive hypnotique”. Mais cela peut être affirmé parce que les deux sculpteurs ne craignent pas, selon Bertoni, “la comparaison ni avec les expériences contemporaines les plus sophistiquées, ni avec l’antiquité”.
On a écrit, sur la base de certaines études philologiques, que la prétendue primauté de la peinture dans la comparaison des arts de Léonard avait été anticipée par Léonard lui-même dans une version où il affirmait que la primauté appartenait plutôt à la terre cuite polychrome. Modeler et colorer ensemble est certainement un moment de l’univers primitif de l’art auquel le feu a ensuite donné la dureté plastique nécessaire pour tenir dans la troisième dimension. Je ne m’attarderai pas sur ce sujet passionnant, mais il faut noter que cette substance artistique chez Bertozzi&Casoni semble s’ouvrir à une nouvelle possibilité (verisimilitude augmentée), celle où les machines soutiennent l’inventio de l’ artiste en rendant résistant et brillant ce qui est suprêmement fragile : “Un médium considéré comme marginal et doté au contraire d’une capacité de langage singulière et irremplaçable”, conclut Bertoni. Un hyperréalisme qui hiberne dans la netteté de la mimésis de l’algorithme ? Peut-être est-ce la laideur merveilleuse qui parle le langage d’un monde, le nôtre, où le baroque peut être une intelligence glacée qui confie à la science et à la technologie une tâche de perfection à la fois enivrante et mortelle.
L’emblème de l’exposition de Bertozzi&Casoni à Fontanellato est la tortue qui rampe sur les ruines de l’homme et du monde. Dans sa démarche maladroite, elle broie lentement sous elle chaque fragment poétique et ne respecte même pas l’autorité de poètes tels qu’Eliot et Pound, ou plutôt elle domine les reliques de squelettes, de peaux et de pierres avec une humilité obtuse. Et il y a le caméléon fantozzien à l’œil plissé et à la langue tendue sur le côté, plein d’avidité gloutonne, un être lunaire qui regarde autour de lui comme s’il essayait de contrôler la métamorphose de sa propre peau en une mosaïque de verrues pustuleuses. “Nouvelles frontières de la surface” parce qu’à l’ère de l’artificiel, seul celui qui change de peau peut faire croire qu’il est le même et pourtant différent. Bertozzi&Casoni, prêtres du memento mori et de l’horror vacui, en appellent à une devise inexorable : “Maintenant, il faut le faire”. Ils voudraient aussi “montrer”, mais se refusent à l’aristocratique reflet abstrait de la lumière sur la céramique. La nature et la vérité du monde continuent en effet à se dérober à la plupart d’entre eux.
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