L'exposition Bernini à la Galleria Borghese à Rome, entre hauts et bas


Compte rendu de l'exposition "Bernini" à Rome, Galleria Borghese, du 1er novembre 2017 au 20 février 2018.

Quatre cents ans exactement se sont écoulés depuis que Gian Lorenzo Bernini (Naples, 1598 - Rome, 1680), âgé d’à peine dix-neuf ans, a livré au cardinal Maffeo Barberini, futur pape Urbain VIII, le Saint Sébastien qui se trouve aujourd’hui au Thyssen-Bornemisza de Madrid: l’artiste était si jeune que c’est son père qui a dû encaisser le paiement. Le 29 décembre, cinquante pièces de monnaie scudi ont été versées au susdit [Pietro Bernini] pour le prix d’une statue de Saint Sébastien en marbre blanc": telle est la formulation sans équivoque du document retrouvé en 1998 qui a permis de dater l’œuvre, achevée plus tard en Espagne, et de confirmer sans aucun doute qu’elle avait été commandée par Barberini. D’autre part, vingt ans se sont écoulés depuis le jour où, au début de l’été, le lieu qui abrite la plus grande et la plus dense concentration d’œuvres du Bernin au monde, la Galleria Borghese à Rome, a rouvert ses portes après une longue restauration qui l’avait maintenue fermée pendant seize ans. Il était donc naturel de s’attendre à ce que ce double anniversaire soit célébré de la manière la plus appropriée: une grande exposition sur le Bernin, dans les salles de la Galerie Borghèse, vingt ans après l’exposition sur le jeune Bernin organisée à l’époque pour célébrer la réouverture de ce qui fut la résidence du cardinal Scipione Borghese.

Une exposition sur le Bernin est probablement la seule qu’il soit logique d’organiser dans les locaux presque intacts de la Borghèse, qui nous a d’ailleurs habitués, ces dernières années, à des actions plutôt risquées, parmi lesquelles de somptueux étalages de vêtements réalisés par des stylistes à la page, des comparaisons improbables entre artistes anciens et modernes et des expositions de chefs-d’œuvre uniques, extraordinaires mais très éloignés, en termes d’environnement historique et culturel, du contexte de l’historique résidence romaine. Bien sûr: le problème de toute exposition installée dans la Galerie (problème auquel même les expositions les plus nécessaires et scientifiquement fondées n’échappent pas) est représenté par la difficulté de faire coexister les raisons pratiques et logistiques d’une exposition avec l’environnement historique de la Galerie, car, d’une part, toute opération temporaire finirait par altérer le délicat équilibre historique et artistique de la Borghèse, et d’autre part, l’exposition, pour être la plus discrète possible vis-à-vis de la Galerie elle-même, pourrait être obligée de renoncer à la cohérence de son propre cheminement. Il en va autrement, du moins à certains égards, pour une exposition consacrée au Bernin: une grande partie du matériel sur lequel s’appuie le discours est déjà présent dans la Galerie, à tel point que les images les plus spectaculaires diffusées pour présenter l’événement au public ne sont autres que les images des chefs-d’œuvre les plus significatifs de la collection permanente. Et l’on s’étonnerait bien du contraire.



Et pourtant, même l’exposition Bernini (c’est le titre laconique, peut-être justifié par le fait que, face à un tel nom, il n’est pas nécessaire d’ajouter quoi que ce soit) présente ces limites avec lesquelles toute exposition organisée à la Galerie Borghèse doit nécessairement se mesurer. Si l’on ajoute à cela la perplexité suscitée par certains passages, sur lesquels nous reviendrons plus en détail dans la suite de cette contribution, on arrivera à la conclusion que présenter au public un défilé extraordinaire et exceptionnel de chefs-d’œuvre comme celui qui a été habilement et intelligemment réuni grâce au travail des commissaires Andrea Bacchi et Anna Coliva, n’est peut-être pas une condition suffisante pour que le visiteur reparte sans quelques doutes de trop sur l’efficacité et la cohérence de l’exposition. Si l’on voulait utiliser un superlatif aussi élémentaire qu’efficace, on pourrait dire que l’exposition est “ belle ”: on y trouve presque tous les chefs-d’œuvre amovibles du grand artiste qui a inauguré la saison baroque, et le mérite des commissaires a été d’élargir les thèmes de l’exposition à des aperçus sur le père de Gian Lorenzo, Pietro Bernini (Sesto Fiorentino, 1562 - Rome, 1629), dont la fortune critique semble être en constante augmentation. Cependant, si le volume des capidopera nous a tous poussés à l’émerveillement joyeux, il faut se demander si les émotions que l’on ressent indubitablement devant de telles œuvres sont en mesure d’amender la tortuosité d’un parcours parfois insatisfaisant.

Galerie Borghèse, entrée aménagée pour l'exposition du Bernin
Galerie Borghèse, entrée aménagée pour l’exposition du Bernin


Première salle de l'exposition Bernini à la Galerie Borghèse
Première salle de l’exposition du Bernin à la Galerie Borghèse


La salle des esquisses de la fontaine des fleuves: le choc de l'aménagement avec le contexte est évident
La salle des esquisses de la Fontaine des Fleuves: le choc entre le décor et le contexte est évident.

L’exposition commence dans la salle des fresques de Mariano Rossi, à l’intérieur de laquelle se trouve une grande section consacrée aux premières œuvres de Gian Lorenzo. Plus précisément, cette partie de l’exposition vise à illustrer son apprentissage avec son père Pietro, en présentant plusieurs des sculptures que le père et le fils ont réalisées ensemble, bien qu’il y ait aussi des œuvres de Pietro seul. Nous commençons par le Satyre à cheval sur une panthère, une sculpture de jardin en marbre qui fut commandée à l’artiste par la famille Corsi de Florence et qui se retrouva ensuite sur le marché des antiquités (elle est aujourd’hui conservée à Berlin): le mouvement en spirale de ce groupe, destiné à orner une fontaine, est encore lié à des modèles maniéristes auxquels même le jeune Gian Lorenzo, dans les travaux qu’il réalisa avec son père, ne pouvait en aucun cas se soustraire. Un exemple clair est une œuvre sarcastique et amusante comme le Faune harcelé par des putti (à ne pas manquer le détail du putto qui agace le satyre en lui tirant la langue), dont l’attribution à la main de Pietro et Gian Lorenzo Bernini a été le mérite de Federico Zeri, après qu’elle soit passée aux enchères d’abord comme une sculpture anonyme de la seconde moitié du XVIe siècle, puis comme une œuvre du XIXe siècle. Il s’agit d’une œuvre complexe qui respire la virtuosité de chaque pièce (l’alternance de pleins et de vides est étonnante, presque désorientante pour l’observateur) et qui, comme le Satyre à cheval sur une panthère, est conçue pour être vue sous tous les angles possibles, mais qui présente également de nombreuses difficultés pour identifier les mains des deux artistes, un sujet qui a longtemps été débattu sans parvenir à des conclusions définitives: la sculpture, qui doit autant à la tradition antique qu’au classicisme de Carracci, fait preuve d’une invention encore liée aux caractéristiques stylistiques de la fin du XVIe siècle, mais en même temps d’une extraordinaire vitalité qui sera caractéristique des sculptures de Gian Lorenzo et qui, avec d’autres détails (les panneaux de l’église), a permis à l’artiste de s’affirmer comme l’un des artistes les plus importants de l’époque. avec d’autres détails (les panneaux de la salle invitent à observer le rendu du torse et de l’épiderme, par exemple, mais on pourrait aussi ajouter le mouvement des membres et les diagonales sur lesquelles s’inscrit la composition), trahit la présence du sculpteur, alors âgé d’environ dix-sept ans.

Tout aussi fruit de la collaboration entre le Bernin père et le Bernin fils est le cycle des Saisons Aldobrandini, achevé vers 1620, du moins selon l’hypothèse pas très récente d’Andrea Bacchi qui, sans faire l’unanimité de la critique en raison des références trop vagues du document, a voulu lier les œuvres à un paiement effectué en 1622 par Leone Strozzi, membre de la célèbre famille florentine, qui s’avèrerait ainsi être le commanditaire. Mais ce n’était qu’une question d’années, car avant que la note ne soit retrouvée, la critique permettait de dater les Saisons Aldobrandini aux alentours de 1615, qui surprennent aussi par la vivacité et l’originalité de certaines inventions: le visiteur ne pourra pas effacer le souvenir de l’Hiver, enveloppé dans un lourd manteau en peau de mouton et la tête recouverte d’une grande coiffe, au point que l’on ne distingue plus que les yeux de la figure. Un “berger de la campagne romaine”, comme l’avait surnommé Federico Zeri, “à mi-chemin entre le burino et les prisonniers à bonnet phrygien de l’arc de Septime Sévère”: c’est une œuvre que l’on peut attribuer à Pietro Bernini. Si l’Été, maladroit et lourd, est la moins réussie des quatre sculptures qui composent la série, on ne peut pas en dire autant du Printemps et de l’Automne, deux œuvres que les spécialistes considèrent comme ayant été exécutées à quatre mains (et c’est Zeri qui a été le premier à faire cette suggestion): extraordinaire est le bouquet que le Printemps tient à la main et dont les fleurs descendent pour orner le taureau à ses pieds, osant la pose de l’Automne, le bras soutenant un improbable feston qui devient une sorte de charmille qui fait presque ressembler la figure à une architecture extravagante et nous amène à tenter des comparaisons avec le Faune du Métropolitain. Cette première confrontation entre Pietro et Gian Lorenzo est l’un des principaux motifs d’intérêt pour l’exposition: le public a l’occasion de suivre le jeune Gian Lorenzo dans ses premiers travaux avec son père, il peut identifier avec une certaine facilité les motifs qui identifient leurs personnalités respectives et, au fur et à mesure que la visite se poursuit, il a l’occasion de voir, avec des œuvres disposées dans une bonne et progressive progression, la façon dont le fils réussira à surpasser son père. Et pour les chercheurs, la possibilité d’effectuer des comparaisons directes entre des œuvres autrement conservées dans des musées éloignés les uns des autres.

D’autre part, la présence dans cette première section de la Vérité dévoilée, une œuvre de la maturité de Gian Lorenzo qui a été déplacée de quelques salles pour l’occasion, et surtout de la Sainte Bibiane qui, en plus d’être hors des limites chronologiques de la section (il s’agit en fait d’une œuvre de la moitié des années 20, et qui se trouve peut-être dans la première salle), se trouve dans la même salle que la Vérité, parce que l’œuvre de Gian Lorenzo a été déplacée de quelques salles pour l’occasion, avec la Vérité, car les locaux de la Borghèse n’auraient pas permis d’autres solutions), est également hors contexte, puisque la sculpture est conservée dans l’église Santa Bibiana de Rome, qui se trouve à trois kilomètres de la Galerie Borghèse et qui est le lieu pour lequel l’œuvre a été conçue: la présence de l’œuvre dans l’exposition peut être justifiée par la récente restauration dont elle a fait l’objet (compte tenu de la coutume désormais consolidée de lancer d’importantes campagnes de restauration à proximité des expositions), et l’importance de l’événement est certainement accrue par la possibilité d’accueillir la première œuvre publique exécutée par Gian Lorenzo Bernini, avec laquelle on observe un changement notable de registre stylistique, marqué par le rendu des sentiments et ces draperies ondulées, presque vibrantes, qui deviendront une constante dans l’art du Bernin, mais peut-être l’exposition n’aurait-elle pas été affectée par la présence de sainte Bibiane à l’intérieur de son église. C’est toujours une question d’équilibre subtil.

Pietro Bernini, Satyre chevauchant une panthère
Pietro Bernini, Satyre chevauchant une panthère (1595-1598 ; marbre, 138 x 80 x 85 cm ; Berlin, Staatliche Museen zu Berlin, Skulpturensammlung und Museum für Byzantinische Kunst)


Pietro et Gian Lorenzo Bernini, Faune molesté par des putti
Pietro et Gian Lorenzo Bernini, Faune harcelé par des putti (vers 1615 ; marbre, 132,4 x 73,7 x 47,9 cm ; New York, The Metropolitan Museum of Art)


Pietro et Gian Lorenzo Bernini, Primavera
Pietro et Gian Lorenzo Bernini, Printemps (vers 1620 ; marbre, 125 x 34 x 39,5 cm ; Collection privée)


Pietro Bernini, Été
Pietro Bernini, Été (v. 1620 ; marbre, 126 x 38 x 35 cm ; Collection privée)


Pietro et Gian Lorenzo Bernini, automne
Pietro et Gian Lorenzo Bernini, Automne (vers 1620 ; marbre, 127 x 47 x 50 cm ; Collection privée)


Pietro Bernini, Hiver
Pietro Bernini, Hiver (vers 1620 ; marbre, 127 x 50 x 37 cm ; Collection privée)


Gian Lorenzo Bernini, Sainte Bibiane
Gian Lorenzo Bernini, Sainte Bibiane (1624-1626 ; marbre, 185 x 86 x 55 cm Rome, Santa Bibiana)

Dans la Sala del Sileno, la salle qui accueille habituellement les œuvres du Caravage, le public rencontrera d’autres œuvres précoces remarquables et fondamentales du Bernin: l’une d’entre elles est précisément le Saint Sébastien mentionné au début, surpris en train de s’abandonner, avec son corps finement modelé, au délire provoqué par les flèches qui, selon les hagiographies, ne l’ont pas tué, mais l’ont seulement blessé. Dans l’exposition, l’œuvre est présentée comme la “première statue entièrement baroque de l’histoire de l’art”, une affirmation qui n’est certainement pas incontestable, puisque d’autres spécialistes ont souvent manifesté des sentiments différents (par exemple, il y a quelques années, Francesco Petrucci, l’un des auteurs des essais du catalogue, attribuait cette primauté à saint Longinus dans la basilique Saint-Pierre): Quoi qu’il en soit, Saint Sébastien est une œuvre dans laquelle on peut apprécier l’autonomie déjà trouvée par rapport aux modèles de son père, avec l’intensité de ce doux abandon et la délicatesse du modelé (presque correggien ou baroque, comme l’ont souligné plusieurs spécialistes) qui réussissent à surmonter définitivement la leçon de Pierre. L’utilisation d’une sculpture caractérisée par un fort impact émotionnel, typique du baroque, est désormais totale dans l’Anima beata et surtout dans l’Anima dannata, avec le visage de cette dernière choqué par un cri plus belliqueux qu’humain: une œuvre qui dépasse la simple implication du sens de la vue (on semble presque l’entendre, ce cri déchirant), que le Bernin a probablement modelée en se plaçant devant un miroir pour imiter l’expression de son terrible personnage, et que Cesare Brandi a suggéré de comparer aux expériences naturalistes du Caravage (comme la Méduse aujourd’hui aux Offices, qui pourrait constituer un précédent pour l’Âme damnée).

La salle égyptienne explore à nouveau les rapports entre Pietro et Gian Lorenzo avec le Putto sopra a drago, qui arrive du Getty Museum de Los Angeles, et surtout avec la célèbre Capra Amaltea, la sculpture représentant l’animal mythologique qui a allaité Zeus sur le Mont Ida: dans le parcours de l’exposition, elle est attribuée à un Gian Lorenzo très jeune, avec une date antérieure à 1615, mais le visiteur est néanmoins informé des doutes sur l’attribution de la sculpture en raison de la difficulté de la réconcilier avec les autres œuvres précoces de l’artiste. La notice du catalogue rédigée par Stefano Pierguidi illustre plus en détail comment "le caractère presque non grammatical de certains passages de la Capra, en particulier les cheveux des deux putti, pourrait s’expliquer par l’inexpérience du tout jeune Gian Lorenzo, peut-être laissé complètement seul par son père Pietro pour manipuler l’œuvre qui devait montrer à Scipione [Borghese] son génie précoce". Si beaucoup ont donc accepté l’hypothèse d’une œuvre attribuable à la main d’un Gian Lorenzo enfant et datable vers 1609, Andrea Bacchi est allé jusqu’à émettre des doutes sur l’autographie du groupe, d’autant plus que le Capra était autrefois répertorié comme une sculpture anonyme: cette incertitude n’a cependant pas suffi à empêcher le Capra de figurer dans l’exposition avec l’attribution désormais habituelle à Gian Lorenzo.

En ce qui concerne la section des restaurations, il convient de mentionner la présence de l’Hermaphrodite, qui revient à Rome dans la salle même où il se trouvait avant d’être vendu aux occupants français qui l’ont ensuite transporté à Paris (il se trouve aujourd’hui au Louvre): le doux matelas de marbre blanc de Carrare, offert à l’ancienne sculpture datant du IIe siècle après J.-C., est l’œuvre du jeune Bernini (1620), qui a certes effectué une opération audacieuse avec cet insert, mais a su accroître la grande sensualité qui caractérise la sculpture. Une fois passée la salle de l’Hermaphrodite, on peut se jeter dans cette jubilation berninienne que sont les salles qui abritent les groupes Borghèse, icônes du génie incontestable du Bernin: en succession rapide, l’Énéeet Anchise, le Viol de Proserpine,Apollon et Daphné, et le David. L’Énéeet An chise (1618-1619) est une œuvre qui révèle des influences raphaëlesques (la référence est la Stanza dell’Incendio di Borgo, mais il y a aussi un certain lien avec la manière de son père dans le mouvement en spirale des protagonistes) et se place dans un dialogue évocateur avec la Fuite d’Énée de Troie de Federico Barocci, habituellement exposée dans la galerie: premier des groupes sculpturaux commandés à un Bernin alors âgé d’une vingtaine d’années par le cardinal Scipione Borghese, il sera suivi de près par le Viol de Proserpine (1621-1622), qui rappelle encore la virtuosité maniériste, une œuvre devant laquelle on perd la notion du temps, une sculpture qui laisse pantois, à chaque fois qu’on l’admire, par la douceur du marbre qui devient une chair vivante et palpitante. Nous arrivons ensuite dans la salle où se trouveApollon et Daphné (1622-1625), une œuvre où la théâtralité baroque atteint sa forme la plus haute et où le drame, comme le viol de Proserpine, atteint son point culminant le plus émouvant, et nous arrivons enfin à David (1623-1624), si différent de tous ceux qui l’ont précédé en ce qu’il est saisi en un instant, en une fraction de seconde, dans la tension d’un moment précis. Et à la fin du parcours, les deux œuvres de Pietro que l’on rencontre dans la Sala della Paolina,Andromède et La Vertu soumettant le vice, totalement hors de propos si l’on ne veut pas emprunter un parcours forcé à travers les salles, ont bien du mal à suivre.

Gian Lorenzo Bernini, Saint Sébastien
Gian Lorenzo Bernini, Saint Sébastien (1615 ; marbre, 98 x 42 x 49 cm ; Madrid, collection privée, prêt au musée Thyssen-Bornemisza)


Gian Lorenzo Bernini, âme bénie
Gian Lorenzo Bernini, Ame bienheureuse (1619 ; marbre, 38 cm sans socle, socle jaune antique 19 cm ; Rome, Ambassade d’Espagne auprès du Saint-Siège, Palais espagnol)


Gian Lorenzo Bernini, âme damnée
Gian Lorenzo Bernini, Âme damnée (1619 ; marbre, 38 cm sans socle, socle jaune antique 19 cm ; Rome, Ambassade d’Espagne près le Saint-Siège, Palais espagnol)


Gian Lorenzo Bernini, La chèvre Amaltea
Gian Lorenzo Bernini, La chèvre Amaltea (avant 1615 ; marbre, 45 x 60 cm ; Rome, Galleria Borghese)


Gian Lorenzo Bernini, Matelas de l'Hermaphrodite
Gian Lorenzo Bernini, Matelas de l’Hermaphrodite (1620 ; marbre de Carrare, 16 x 169 x 89 cm ; Paris, Musée du Louvre)


Gian Lorenzo Bernini, Énée et Anchise
Gian Lorenzo Bernini, Énée, Anchise et Ascagne fuient Troie (1618-1619 ; marbre, 220 x 113 cm, base 99 x 79 cm ; Rome, Galleria Borghese)


Gian Lorenzo Bernini, Viol de Proserpine
Gian Lorenzo Bernini, Viol de Proserpine (1621-1622 ; marbre, 255 x 109 cm ; Rome, Galleria Borghese)


Gian Lorenzo Bernini, Apollon et Daphné
Gian Lorenzo Bernini, Apollon et Daphné (1622-1625 ; marbre, 243 cm sans la base 115 cm, base 130 x 88 cm ; Rome, Galleria Borghese)


Gian Lorenzo Bernini, David
Gian Lorenzo Bernini, David (1623-1624 ; marbre, 170 x 103 cm ; Rome, Galleria Borghese)


Pietro Bernini, Andromède
Pietro Bernini, Andromède (vers 1610-1615 ; marbre, 105 x 45 x 38 cm ; Bergame, Accademia Carrara)

L’escalier qui mène à l’étage supérieur, celui de la pinacothèque, nous permet de réorganiser nos idées et de nous préparer au défilé de bustes et de peintures que nous trouvons dans la Loggia de Lanfranco. Il est difficile de rendre compte de toute la puissante série de portraits que les conservateurs ont, avec beaucoup de mérite, apportée à la Galerie Borghèse, mais il est possible de partir d’une observation intéressante de Francesco Petrucci dans son essai de catalogue. L’universitaire, en particulier, suggère que les portraits de Gian Lorenzo Bernini peuvent être divisés en trois groupes principaux: “un premier type correspond aux bustes de jeunesse, où le souci de la vraisemblance et de la conformité à la nature prévaut ; un deuxième se concentre sur la recherche de l’instantanéité et de la perturbation émotionnelle ; un troisième poursuit une dimension extratemporelle de la dignité supérieure du sujet, arrivant à ce que l’on appelle la ”grande manière“”. Le Buste d’Antonio Cepparelli (1622-1623), dans lequel un Bernin de 24 ans se préoccupe de rendre son sujet aussi proche que possible de la réalité, peut être attribué au premier type. C’est plutôt à ce dernier que l’on doit l’une des œuvres les plus passionnantes de l’exposition, le Portrait de Constanza Bonarelli (vers 1635): la jeune femme, née Piccolomini, avait épousé le sculpteur lucquois Matteo Bonarelli, mais était devenue la maîtresse de Gian Lorenzo et de son frère Luigi en même temps, une situation qui entraîna une vive querelle entre les deux et finit par dégénérer violemment (le Bernin ordonna à l’un de ses serviteurs d’écorcher la pauvre Costanza). Cependant, alors que les choses allaient encore bien entre les deux amants, Gian Lorenzo a représenté Costanza dans l’un des portraits les plus sensuels de toute l’histoire de l’art: la jeune fille est visiblement excitée, les cheveux ébouriffés, la chemise généreusement ouverte, presque comme si elle s’habillait après une rencontre amoureuse. Un portrait vivant, empreint d’une passion sincère et directe, qui représente l’un des sommets de toute la production du Bernin. Enfin, le troisième groupe comprend le buste du cardinal de Richelieu (1640-1641) qui, exécuté d’après une peinture, présente le caractère solennel typique des portraits ultérieurs du Bernin. À côté des bustes se trouve une série de peintures du Bernin, dont certaines font l’objet d’un désaccord entre les critiques quant à leur paternité par le grand artiste.

Les deux dernières salles sont peut-être celles qui nous font le mieux prendre conscience de l’inadéquation de la Galerie Borghèse en tant que lieu d’exposition temporaire. La salle d’Hélène et de Paris abrite les esquisses et les maquettes de la Fontaine des Fleuves, la seule section consacrée aux grandes œuvres publiques de l’artiste: les œuvres ont été placées exactement au centre de la salle, de sorte que les précieuses maquettes finissent par perturber la vision des chefs-d’œuvre de la salle, en premier lieu la Chasse de Diane de Domenichino, qui n’a jamais fait l’objet d’un grand éloge. Il en va de même dans la salle de Psyché, où l’Amorsacro e Amor profano de Titien est presque réduit à une toile de fond pour l’exposition qui fait connaître le dernier Bernini. Quatre œuvres sont exposées dans cette salle: les deux crucifix, celui de l’Escurial (1654-1657) et celui en bronze de l’Art Gallery of Ontario de Toronto (vers 1659), et les deux bustes du Salvator Mundi, celui de Saint-Sébastien-hors-les-Murs et celui de Norfolk (1679). Cette double comparaison, outre le choc avec son contexte, est certainement l’un des points forts de l’exposition: la comparaison entre les deux crucifix montre clairement le vainqueur: celui de l’Escurial, autographe confirmé du Bernin, comparé à celui de Toronto, qui présente au contraire un modelage nettement plus faible, à tel point qu’il a conduit certains historiens de l’art à douter de l’autographie du Bernin. En effet, les expositions servent également à établir des comparaisons similaires afin d’offrir aux chercheurs des contributions pour tenter d’éclaircir des questions particulièrement épineuses. Une question très épineuse est celle du Salvator Mundi, car les sources parlent d’un Sauveur que le sculpteur a offert à la reine Christine de Suède, et l’on a longtemps supposé que cette œuvre était le buste de Norfolk. La découverte du buste de saint Sébastien en 2001 a eu pour effet de diviser les critiques entre ceux qui affirment que le Sauveur de Norfolk est entièrement de la main du Bernin et ceux qui prétendent le contraire: l’exposition semble accréditer la thèse de la paternité du Bernin sur le buste romain, tout en mettant un point d’interrogation à côté du buste anglais.

En revenant sur ses pas à travers les salles de la galerie, on peut terminer son discours par la salle d’Hercule, où de nombreuses esquisses sont exposées pour illustrer au visiteur le “métier de sculpteur”: les modèles en papier mâché, en cire, en bronze, en terre cuite et en bois étaient indispensables pour fixer une idée et avoir une vision claire des aspects techniques à traiter lors de l’exécution de l’œuvre finie. “Ce qui comptait avant tout, écrit Maria Giulia Barberini dans son essai consacré précisément au métier de sculpteur, c’était le concept, l’intuition, l’idée lumineuse. Un concept qui place la ”totalité et l’intégralité“ de la production du Bernin dans le plein développement de l’imagination résolue dans des formes dérivées de la tradition pour réaliser des innovations fantastiques, ou même des innovations proprement techniques, dont l’objectif était de toute façon l’unité des arts visuels”. Parmi les maquettes de la salle figure la maquette en terre cuite de Saint Longinus, la première œuvre colossale de Gian Lorenzo Bernini, qui résulte de l’assemblage de quatre blocs de marbre différents, reliés par des pivots: la maquette du musée de Rome, avec ses coupes nettes au niveau des joints, montre les parties à assembler telles que le Bernin les avait imaginées.

La salle des bustes
La salle des bustes


Gian Lorenzo Bernini, Buste d'Antonio Cepparelli
Gian Lorenzo Bernini, Buste d’Antonio Cepparelli (1622-1623 ; marbre, 70 avec piédestal x 60,5 x 28,5 cm ; Rome, Museo di Arte Sacra San Giovanni dei Fiorentini)


Gian Lorenzo Bernini, Costanza Piccolomini Bonarelli
Gian Lorenzo Bernini, Costanza Piccolomini Bonarelli (vers 1635 ; marbre, 74,5 x 64,2 x 5 cm ; Florence, Museo Nazionale del Bargello)


Gian Lorenzo Bernini, Buste du cardinal Armand-Jean du Plessis, duc de Richelieu
Gian Lorenzo Bernini, Buste du cardinal Armand-Jean du Plessis, duc de Richelieu (1640-1641 ; marbre, 83 x 70 x 32 cm ; Paris, musée du Louvre)


L'autoportrait de Gian Lorenzo Bernini et le buste de Costanza Bonarelli
Autoportrait de Gian Lorenzo Bernini et buste de Constance Bonarelli


Gian Lorenzo Bernini, Christ crucifié
Gian Lorenzo Bernini, Christ crucifié (1654 - 1657 ; bronze, 145 x 119 x 34 cm ; Madrid, Colecciones Reales, Patrimonio Nacional, Real Monasterio)


Gian Lorenzo Bernini, Christ crucifié
Gian Lorenzo Bernini, Christ crucifié (vers 1659 ; bronze, 174 x 120,7 x 36,8 cm ; Toronto, Art Gallery of Ontario)


Gian Lorenzo Bernini, Buste du Salvator Mundi
Gian Lorenzo Bernini, Buste du Salvator Mundi (v. 1679 ; marbre, 96,5 x 79 x 28 cm, base 29 x 44,5 x 44,5 cm ; Norfolk, Chrysler Museum of Art)


Gian Lorenzo Bernini, Buste du Salvator Mundi
Gian Lorenzo Bernini, Buste du Salvator Mundi (1679 ; marbre, 103 x 100 x 48,5 cm ; Rome, San Sebastiano fuori le Mura)


La salle dédiée au métier de sculpteur
La salle consacrée au métier de sculpteur


Gian Lorenzo Bernini, Saint Longinus
Gian Lorenzo Bernini, Saint Longinus (1633 - 1635 ; modèle en terre cuite, 48,5 x 20 cm ; Rome, Museo di Roma)

L’exposition oscille donc entre des hauts (les chefs-d’œuvre, quelques aperçus thématiques comme celui sur la production juvénile et le métier de sculpteur, les bustes, les comparaisons dans la dernière salle) et des bas (les interférences avec les œuvres de la collection permanente, la section sur la peinture, la rupture trop nette entre les salles du rez-de-chaussée et celles de la pinacothèque, les passages incohérents du parcours en raison de la conformation de la Galerie): Mais il est vrai aussi que retracer la carrière du Bernin avec les fonds de la Galerie Borghèse est une opportunité vraiment très intéressante, surtout si le parcours peut compter sur de nombreuses œuvres fondamentales pour comprendre la poétique de l’excellent sculpteur qui a inauguré la saison baroque, du grand virtuose qui a contribué à définir pour toujours le profil de Rome, de l’illustre sculpteur que Maffeo Barberini décrivait comme “un homme rare, un génie sublime, né d’une disposition divine, et pour la gloire de Rome, pour apporter la lumière au siècle”.


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