Dürer et la Renaissance à Milan, une exposition qui déçoit et ne convainc pas


Compte rendu de l'exposition "Dürer et la Renaissance entre l'Allemagne et l'Italie" à Milan, Palazzo Reale, du 21 février au 24 juin 2018.

Il semblerait qu’Albrecht Dürer (Nuremberg, 1471 - 1528) commence timidement à partager, malgré lui, le sort qui est depuis longtemps celui de ses illustres confrères de différentes époques (Caravage, Frida Kahlo, Andy Warhol et autres impressionnistes, pour n’en citer que quelques-uns), qui ont tous en commun d’avoir un nom qui garantit un attrait facile pour le public aux organisateurs d’expositions à grand spectacle. Ainsi, une nouvelle exposition monographique sur le génie allemand arrive à Milan alors que, rien qu’au cours des dix dernières années, l’artiste a été le protagoniste de deux expositions majeures (celle de la Scuderie del Quirinale en 2007, et celle du Städel Museum de Francfort en 2013-2014), ainsi que d’une profusion d’expositions mineures construites principalement autour de son œuvre graphique. Il faut surtout tenir compte du fait que l’exposition Dürer et la Renaissance entre l’Allemagne et l’Italie, qui se tient au Palazzo Reale jusqu’au 24 juin 2018, ne présente pas d’innovations scientifiques majeures. En restant dans les murs de l’institut milanais, on peut faire une comparaison avec l’exposition précédente sur le Caravage: là aussi, il s’agissait d’une exposition éminemment blockbuster, mais il faut au moins reconnaître qu’elle offrait quelques nouveautés sur certains documents contemporains, ainsi que les résultats des investigations radiographiques menées sur les tableaux, qui ont permis de dissiper définitivement le “mythe” du “Caravage qui ne dessinait pas”.

Toutefois, il n’est pas certain que, même sans présenter des résultats scientifiques susceptibles d’intéresser le grand public, il ne soit pas possible de réaliser une exposition impeccable en termes de vulgarisation, ou du moins cohérente dans ses objectifs, et donc toujours utile au public. Or, l’exposition milanaise sur Albrecht Dürer apparaît quelque peu lacunaire sur ces points également: le parcours semble manquer d’une véritable cohérence de fond, l’appareil didactique est maigre et n’aide pas le public à contextualiser l’œuvre de Dürer, il en va de même pour l’audioguide qui se limite à une brève introduction et à quelques informations sur certaines des œuvres les plus importantes (une vingtaine), et surtout, les intentions programmatiques ne sont pas fortement affirmées. S’il est vrai que l’exposition, selon la présentation, vise à “proposer la grande figure d’Albrecht Dürer” (quoi que cela veuille dire), certains aspects significatifs sont laissés de côté (notamment ses rapports avec la Réforme protestante). Si, par contre, il est vrai que l’objectif est plus circonscrit et que l’exposition, comme le suggère le commissaire Bernard Aikema dans son essai dans le catalogue, vise plutôt à “présenter Dürer comme le représentant d’une culture artistique articulée et de haute qualité, une expression de la vie sociale et culturelle des villes du sud de l’Allemagne”, des villes en contact permanent avec le monde urbain, également évolué et articulé en termes socioculturels, de la plaine nord-italienne", en réalité ces liens ne sont pas suffisamment soulignés, ou en tout cas les visiteurs qui ne sont pas suffisamment préparés sur le sujet ne sont pas en mesure de les saisir pleinement. De plus, s’il est vrai que l’exposition ne se concentre pas seulement sur la figure de Dürer, mais aussi sur “ses grands contemporains, comme Lucas Cranach, Albrecht Altdorfer, Hans Baldung Grien, Wolf Huber et d’autres, dont les relations réciproques avec la culture visuelle de l’Italie du Nord sont toujours restées dans l’ombre”, les problèmes se multiplient: leur présence dans l’exposition se limite à quelques apparitions peu utiles pour développer un discours véritablement organique. Altdorfer et Hans Burgkmair, par exemple, ne sont présents qu’avec une seule œuvre chacun: des œuvres qui, de surcroît, jouent un rôle marginal dans l’économie générale de l’exposition.



Salle de l'exposition Dürer à Milan, Palazzo Reale. Ph. Crédit Paolo Poce
Salle de l’exposition Dürer à Milan, Palazzo Reale. Ph. Crédit Paolo Poce


Salle de l'exposition Dürer à Milan, Palazzo Reale. Ph. Crédit Paolo Poce
Hall de l’exposition Dürer à Milan, Palazzo Reale. Ph. Crédit Paolo Poce

Les prémisses ne sont pas très bonnes, comme en témoigne la première section, un pastiche intitulé Dürer, art allemand, Venise, Italie, qui juxtapose, sans ordre apparent, des œuvres de jeunesse visant à encadrer les premiers pas de Dürer dans le milieu artistique de sa ville natale de Nuremberg, et des peintures, gravures et dessins plus mûrs relatifs à la période de ses voyages en Italie, celui de 1495 (l’exposition souligne toutefois très clairement et précisément que ce premier voyage n’est pas documenté, et donc loin d’être certain), et celui de 1505-1507. Ce dernier est peut-être dû au fait que l’artiste allemand souhaitait élargir le champ de ses activités, notamment en tant que graveur, d’où l’idée de choisir Venise comme destination de son voyage, la Sérénissime étant alors l’un des principaux centres de production éditoriale en Europe. Des œuvres de jeunesse, comme le portrait de son père, datant de 1490 (l’artiste avait alors dix-neuf ans et celui qui vient d’être mentionné est sa première œuvre connue) alternent avec des œuvres qui, au contraire, remontent au séjour d’Albrecht Dürer à Venise, comme le Portrait d’une jeune Vénitienne de 1505, qui, comparé au tableau de quinze ans plus tôt, montre clairement comment la ligne et le modelé de Dürer, au contact de ses expériences lagunaires (un contact que l’exposition entend rendre explicite), se sont améliorés: un moment particulièrement intéressant est celui où l’on rencontre la Vierge à l’Enfant avec quatre saints d’Alvise Vivarini, l’un des artistes que Dürer regardait avec le plus d’insistance), s’adoucissent et les couleurs prennent des tons plus vifs et plus naturels. Si l’on doit se contenter d’admirer une copie, certes ancienne, de la Fête du Rosaire, l’une des œuvres vénitiennes les plus intéressantes de Dürer, on peut se rattraper en observant l’Adoration des Mages qui arrive des Offices et qui est exposée pratiquement à l’ouverture de l’itinéraire. Qui sait pour quelle raison: probablement pour montrer à quel point l’art de Dürer avait progressé avant son voyage en Italie, mais en tout cas l’Adoration, en route vers le Palazzo Reale, se trouve devant des œuvres chronologiquement plus anciennes. En tout cas, il s’agit d’une œuvre qui précède de peu son séjour en Italie, puisqu’elle a probablement été peinte en 1504 pour la chapelle du château de Wittenberg, commandée par le prince-électeur de Saxe, Frédéric III. L’œuvre permet de saisir les références léonardesques de l’art de Dürer, car on y trouve des éléments inspirés ou repris de la célèbre Adoration de Léonard de Vinci (Vinci, 1452 - Amboise, 1519), comme le paysage, les ruines classiques, et même le groupe de cavaliers, qui est presque reproduit.

La comparaison, l’un des principaux points d’intérêt de l’exposition de Milan, se poursuit de manière directe avec la présentation, dans la deuxième section(Géométrie, mesure, architecture), du Saint Jérôme de Léonard, mis en regard de certains portraits de Dürer, comme la Tête de vieillard prêtée par la Pinacothèque nationale de Sienne (dans l’exposition, elle est toutefois indiquée comme “attribuée à”), et après que le public ait eu l’occasion d’admirer, à la fin de la salle précédente, une œuvre comme le Christ parmi les médecins, qui pourrait révéler la connaissance qu’avait Dürer des têtes grotesques de Léonard, et qui dénote une expressivité gestuelle similaire à celle de la Madone de Vivarini mentionnée plus haut. Pour le reste, le deuxième chapitre de l’exposition tente d’approfondir les théories esthétiques de Dürer, en nous présentant l’artiste également comme un traiteur qui, à l’instar de ce qu’avaient fait d’autres collègues des années auparavant, notamment Leon Battista Alberti, a fixé ses idées sur le papier en rédigeant des traités sur les mesures et les proportions. Dürer développe l’idée de soumettre le corps humain à un canon proportionnel au début du XVIe siècle, lorsqu’il entre en contact avec le graveur vénitien Jacopo de’ Barbari (Venise, v. 1470 - v. 1516), arrivé à Nuremberg en 1500: Fasciné par l’idée de représenter la beauté selon un canon formel, Dürer réalise d’abord une Némésis (exposée cependant dans la section suivante) encore caractérisée par un naturalisme dur et nordique, puis le célèbre couple Adam et Ève, qui révèle au contraire un rapprochement avec les modèles classiques de la beauté (“le manifeste de Dürer du modus classico”, le définit Aikema dans le catalogue). Mais ses recherches ne le satisfont pas pleinement, si à un moment de sa carrière il prononce la célèbre phrase “Wasz aber die schonheit sy, daz weis jch nit” (“Qu’est-ce que la beauté, je ne sais pas”), et surtout si quelques décennies aprèsAdam et Eve, écrit Elena Filippi dans le catalogue de l’exposition de 2007 à Rome, ses traités “révèlent à quel point le Maître était éloigné d’un canon de beauté aprioriste exemplifié par les Anciens”, car Dürer a mûri non seulement la conviction qu’“il ne suffit pas d’identifier des rapports proportionnels précis entre les parties du corps pour obtenir une représentation systématique de la figure humaine”, mais aussi la conscience de “l’inépuisable richesse des formes et de l’impossibilité de les soumettre à des modules esthétiques et à des lois universellement valables”.

Albrecht Dürer, Portrait de son père Albrecht l'Ancien
Albrecht Dürer, Portrait de son père Albrecht l’Ancien (1490 ; huile sur panneau, 47,5 x 39,5 cm ; Florence, galeries des Offices, galerie des statues et des peintures)


Albrecht Dürer, Portrait d'une jeune femme vénitienne
Albrecht Dürer, Portrait d’une jeune femme vénitienne (1505 ; panneau, 32,5 x 24,2 cm ; Vienne, Kunsthistorisches Museum)


Alvise Vivarini, Vierge à l'enfant avec les saints Pierre, Jérôme, Augustin et Madeleine
Alvise Vivarini, Vierge à l’enfant avec les saints Pierre, Jérôme, Augustin et Madeleine (1500 ; huile sur panneau, 145 x 100 cm ; Amiens, musée de Picardie)


Copie d'Albrecht Dürer, Fête du Rosaire
Copie d’Albrecht Dürer, Fête du Rosaire (après 1606 ; huile sur toile, 160 x 193 cm ; Vienne, Kunsthistorisches Museum)


Albrecht Dürer, Adoration des Mages
Albrecht Dürer, Adoration des Mages (1504 ; huile sur panneau, 100 x 114 cm ; Florence, Galerie des Offices, Galerie des statues et des peintures)


Léonard de Vinci, Saint Jérôme dans le désert
Léonard de Vinci, Saint Jérôme dans le désert (vers 1490 ; huile sur panneau, 103 x 75 cm ; Cité du Vatican, Pinacothèque Vaticane)


Albrecht Dürer (attribué), Tête de vieillard (1514 ; huile sur panneau, 33,2 x 35,6 cm ; Sienne, Pinacoteca Nazionale)
Albrecht Dürer (attribué), Tête de vieillard (1514 ; huile sur panneau, 33,2 x 35,6 cm ; Sienne, Pinacoteca Nazionale)


Albrecht Dürer, Le Christ parmi les médecins
Albrecht Dürer, Le Christ parmi les médecins (1506 ; huile sur panneau, 64,3 x 80,3 cm ; Madrid, Museo Thyssen-Bornemisza)


Albrecht Dürer, Némésis
Albrecht Dürer, Némésis (1501 ; gravure sur cuivre, 335 x 260 mm ; Schweinfurt, collection Schäfer)


Albrecht Dürer, Adam et Eve
Albrecht Dürer, Adam et Ève (1504 ; burin, 251 x 198 mm ; Schweinfurt, collection Schäfer)

La section suivante, consacrée à la nature, est certainement la plus réussie de l’exposition du Palazzo Reale, notamment parce que c’est celle qui contextualise le mieux la production de Dürer dans la réalité historique et artistique de son époque. L’exposition commence par une analyse de la peinture de paysage, vue dans l’évolution qui l’amènera à devenir un genre autonome, grâce aux recherches des artistes des deux côtés des Alpes, qui s’essayent à des représentations dans lesquelles la figure humaine perd de plus en plus de son importance (les Histoires de Damon peintes par Andrea Previtali sont éclairantes à cet égard) et, inversement, le paysage est soumis à une étude de plus en plus minutieuse: effets de lumière, variations atmosphériques, rendu naturaliste des éléments naturels. Dürer est considéré comme l’un des premiers artistes (mais pas le premier: sur ce point, le co-commissaire, Andrew John Martin, est très clair dans le catalogue) à étudier le paysage évalué comme un élément indépendant et non subordonné à la présence de scènes ou de personnages, et ce pour une raison précise: “exalter la nature en tant que création divine, découvrir ses vérités et étudier scientifiquement les forces et les proportions qui constituent les différents aspects du micro et du macrocosme”, écrit Kristina Herrmann Fiore, toujours dans le catalogue de l’exposition Scuderie del Quirinale, “a été pour Dürer la tâche fondamentale de son œuvre”. L’exposition présente donc plusieurs aquarelles de paysages alpins réalisées par Dürer dans les années 1590: Elles ont été esquissées sur place puis achevées entre les murs de son atelier, tout comme le faisait Léonard de Vinci (présent dans la salle avec un dessin de Pics enneigés), auteur lui aussi, dès le début des années 1570, d’études de paysages (on lui attribue notamment le premier dessin de paysage autonome de l’histoire de l’art, le Paysage du Valdarno conservé au Gabinetto dei Disegni e delle Stampe des Offices), dont “l’aspect novateur” réside dans sa “capacité à restituer la perception visuelle du paysage” en offrant non pas tant une définition précise qu’une suggestion (ainsi Maria Teresa Fiorio dans le catalogue de l’exposition sur Léonard de Vinci organisée au Palazzo Reale en 2015). Les recherches de Dürer ont eu un impact à la fois sur la production italienne, comme le montre le Paysage rocheux de Domenico Campagnola (Venise, vers 1500 - Padoue, 1564), qui témoigne d’une réception attentive des modèles de Dürer, en particulier dans le rendu technique, et sur la production allemande: la Donauschule, l’“école du Danube”, utilisera ces suggestions pour produire les premières peintures de paysage indépendantes avec Albrecht Altdorfer (Ratisbonne?, vers 1480 - Ratisbonne, 1528).

La sous-section consacrée à l’étude de la flore et de la faune apparaît beaucoup plus hâtive: les feuilles exposées ici (le célèbre Crabe est à ne pas manquer) mènent, dans un des passages les plus cohérents de l’exposition, à la quatrième zone, consacrée à la “découverte de l’individu”. Il s’agit d’un parcours à travers les portraits de Dürer qui vise à démontrer que l’approche scientifique de la recherche artistique de l’artiste allemand passait aussi, bien sûr, par le visage humain: La belle série de portraits qui se déroule dans la salle montre comment Dürer s’est inspiré des modèles vénitiens, surtout Antonello da Messina et surtout Lorenzo Lotto (Venise, 1480 - Lorette, 1556/1557), présent avec un Buste de femme prêté par le Musée des Beaux-Arts de Dijon, pour créer des œuvres caractérisées par un luminisme clair et homogène, capable d’exalter les caractéristiques somatiques du personnage, rendu avec un extraordinaire naturalisme. Le Portrait d’un jeune homme (observez les pupilles du protagoniste de très près: vous remarquerez les reflets d’une fenêtre) et le Portrait d’un religieux, réalisé à la suite d’une assimilation très claire de la peinture lagunaire, sont exemplaires en ce sens. La circularité des modèles est bien illustrée par la présence dans l’exposition d’un portrait d’Andrea Previtali (Brembate di Sopra?, vers 1480 - Bergame, 1528), conservé à Toulouse, qui emprunte au Jeune homme de Dürer le cadre, l’expression et le fond vert.

Andrea Previtali, Histoires de Damon
Andrea Previtali, Histoires de Damon (vers 1510 ; huile sur panneau, 45,2 x 19,9 cm ; Londres, National Gallery)


Albrecht Dürer, La route du Brenner dans la vallée de l'Eisack
Albrecht Dürer, La route du Brenner dans la vallée de l’Eisack (vers 1494-1495 ; aquarelle, 20,5 x 29,5 cm ; Madrid, Real Biblioteca del Monasterio de San Lorenzo de El Escorial)


Leonardo da Vinci, Snowy Peaks
Léonard de Vinci, Pics enneigés (1511 ; sanguine avec rehauts de blanc sur papier avec imprimatur rouge clair, 105 x 160 mm ; Windsor Castle, The Royal Collection)


Domenico Campagnola, Paysage rocheux avec une forêt dense
Domenico Campagnola, Paysage rocheux avec un bois dense (vers 1516 ; plume et encre brune, 238 x 362 mm ; Paris, Fondation Custody)


Albrecht Dürer, Le crabe de mer
Albrecht Dürer, Le crabe de mer (vers 1495 ; aquarelle, 263 x 365 mm ; Rotterdam, Museum Boijmans van Beuningen)


Lorenzo Lotto, Buste de femme (Giovanna de' Rossi, veuve Malaspina?)
Lorenzo Lotto, Buste de femme (Giovanna de’ Rossi veuve Malaspina?) (1506 ; huile sur panneau, 36 x 28 cm ; Dijon, musée des Beaux-Arts)


Albrecht Dürer, Portrait d'un jeune homme
Albrecht Dürer, Portrait d’un jeune homme (1506 ; huile sur panneau, 46 x 35 cm ; Gênes, Musei di Strada Nuova - Palazzo Rosso)


Albrecht Dürer, Portrait d'un religieux (Johann Dorsch?)
Albrecht Dürer, Portrait d’un ecclésiastique (Johann Dorsch?) (1516 ; huile sur parchemin monté sur toile, 41,7 x 32,7 cm ; Washington, National Gallery of Art)


Andrea Previtali, Portrait d'un jeune homme à la fourrure
Andrea Previtali, Portrait d’un jeune homme à la fourrure (1506 ; huile sur panneau, 33 x 27 cm ; Toulouse, Fondation Bemberg)

Le parcours perd à nouveau de sa cohérence dans les deux dernières sections. La cinquième, en particulier, présente les quinze feuilles de l’Apocalypse, avec lesquelles Dürer entendait illustrer le texte johannique, allant jusqu’à produire le premier livre de l’histoire occidentale dont la conception, l’illustration et la publication peuvent être attribuées à la figure d’un seul artiste, et la série de la Grande Passion, qui visait plutôt à illustrer les différents moments de la Passion du Christ. Toutefois, cette section, bien qu’intéressante en soi, semble totalement détachée du reste de l’exposition, c’est-à-dire que l’on ne comprend pas pourquoi l’exposition abandonne le fil narratif visant à replacer Dürer dans le contexte historique, artistique et culturel de son époque, pour passer à une section consacrée à un moment précis de son activité artistique.

La dernière section, Le classicisme et ses alternatives, revient pour élargir le champ: Il s’agit de montrer comment, entre la fin du XVe siècle et le début du XVIe siècle, l’art allemand est lui aussi traversé par des impulsions classicistes et, inversement, l’art de l’Italie du Nord manifeste les mêmes tendances anti-classiques que celles qui imprègnent les œuvres de nombreux Allemands, de Wolf Huber à Hans Baldung Grien, pour arriver à la conclusion que, écrit Aikema, “l’histoire de l’art post-Dürer d’Europe centrale est multiforme” et que “l’héritage du classicisme d’Albrecht Dürer était évidemment important, mais n’était en fin de compte qu’une des options disponibles pour les artistes des générations suivantes”. Il est cependant difficile de trouver un lien entre les œuvres exposées dans une section aux intentions aussi générales. Quelques exemples peuvent cependant être proposés: le classicisme des feuilles de Dürer, comme le Bain des hommes ou le Bain des femmes, témoigne d’une adhésion aux modèles de Mantegna et d’une connaissance de l’art florentin de l’époque, et à l’inverse la Tête de jeune homme à la bouche ouverte de Wolf Huber (Feldkirch, 1485 - Passau, 1553) est un exemple du “répertoire de types à utiliser pour les commandes de peinture, qui pousse en partie la gamme des variations sur la mimique humaine de la réflexion, de l’étonnement, de la peur ou de la colère jusqu’au grotesque” (Anna Scherbaum) et que l’artiste a adopté. Le moment le plus réussi de cette dernière section est peut-être la comparaison entre les deux Portraits de vieilles femmes, l’un de Giorgione (Castelfranco Veneto, 1478 - Venise, 1510), et l’autre de Hans Baldung Grien (Schwäbisch Gmünd, c. 1484 - Strasbourg, 1545), séparés par une distance d’environ trente ans (bien que, par oubli, le catalogue date la détrempe de Giorgione vers 1535, vingt-cinq ans après la mort de l’artiste...). ): ce sont deux œuvres pour lesquelles Aikema identifie une racine commune dans l’art nordique, et ce sont surtout des œuvres assez énigmatiques. En ce qui concerne la feuille Baldung Grien, nous ne savons pas s’il s’agit d’une étude destinée à être incluse dans une composition plus vaste, ou d’un portrait. Il s’agit probablement d’une allégorie de la vanité, mais aussi, selon une hypothèse de Peter Lüdemann, d’une allégorie des vertus que l’homme acquiert “avec le temps”, comme l’indique le parchemin que la protagoniste tient à la main, et qui doit donc être comprise dans un sens positif.

Albrecht Dürer, Le bain des hommes
Albrecht Dürer, Le bain des hommes (vers 1496-97 ; gravure sur bois, 392 x 283 mm ; Munich, Staatliche Graphische Sammlung)


Wolf Huber, Tête de jeune homme à la bouche ouverte
Wolf Huber, Tête d’un jeune homme à la bouche ouverte (1522 ; fusain et craie blanche sur papier de couleur rouge brique, 260 x 181 mm ; Erlangen, Universitätsbibliothek)


Giorgione, Portrait d'une vieille femme
Giorgione, Portrait d’une vieille femme (vers 1506 ; tempera et huile sur toile, 68 x 59 cm ; Venise, Gallerie dell’Accademia)


Hans Baldung Grien, Portrait d'une vieille femme
Hans Baldung Grien, Portrait d’une vieille femme (vers 1535 ; crayon noir, aquarelle, sur papier blanc, 396 x 249 mm ; Washington, National Gallery of Art)

La comparaison entre Giorgione et Baldung Grien accompagne le visiteur vers la fin d’un parcours caractérisé par quelques points forts intéressants (la section qui explore la manière dont Dürer a abordé le problème de la mesure et de la proportion, la salle consacrée au paysage, la comparaison entre les portraits de Dürer et ceux des peintres vénitiens contemporains), mais qui, dans une évaluation globale, ne répond pas aux attentes et ne convainc pas, pour les raisons mentionnées au début et que nous avons essayé de justifier en entrant dans les détails des différentes sections. De nombreux points restent en suspens à la fin de l’exposition. Par exemple, dans le catalogue, une partie de l’essai introductif de Bernard Aikema évoque les réalisations d’Albrecht Dürer et fait référence au fait qu’“une grande partie de ces réalisations est le résultat d’un dialogue avec la culture italienne (du nord)”: On parle de la confrontation avec Mantegna et de la capacité à transformer les créations de l’artiste vénitien “en figures vivantes”, de la curiosité pour la nature qui a fait de Dürer le pendant allemand de Léonard de Vinci, ou de l’introduction en Allemagne des “théories philosophiques et techniques sur l’art développées en Italie au cours du 15e siècle”. Ces aspects sont évoqués dans l’exposition, mais peut-être aussi développés trop rapidement. D’autres aspects sont plutôt abordés dans l’essai introductif (par exemple, la relation entre Dürer et les humanistes allemands de son temps, en particulier Conrad Celtis), mais ne sont pas ou peu abordés dans l’exposition.

Il est donc préférable de se concentrer sur le catalogue lui-même, un excellent produit qui contient plusieurs études approfondies intéressantes, à commencer par l’essai de Larry Silver sur les relations entre l’empire, l’Église et Venise au début du XVIe siècle, la contribution d’Anne-Sophie Pellé sur les liens entre Dürer et Mantegna, l’essai de Giovanni Maria Fara comparant Dürer et Leonardo, et l’essai de Thomas Schauerte étudiant la position de l’artiste par rapport à la Réforme. Les introductions aux différentes sections sont également bien rédigées, mais ont le défaut de ne mentionner que rarement les œuvres réellement exposées au Palazzo Reale.


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