Dans le contexte général d’une scène nationale des expositions qui laisse souvent à désirer, prise dans les filets du marketing plus souvent que dans ceux de la rigueur scientifique, et de plus en plus habituée à écarter des grands circuits toute proposition qui s’écarte des schémas établis, une exposition comme Domenico Piola 1628-1703. Percorsi di pittura barocca, actuellement en cours à Gênes, apparaît presque comme un acte de courage qu’il convient de récompenser malgré tout. Coincée entre les mailles d’un système largement plat et homologué, cette exposition monographique sur un peintre d’envergure locale comme Domenico Piola (Gênes, 1628 - 1703), dont la production est presque entièrement conservée en Ligurie, est digne d’intérêt non seulement pour des raisons intrinsèques, comme l’extrême cohérence du parcours conçu par le commissaire Daniele Sanguineti pour le lieu du Palazzo Nicolosio Lomellino, les rapprochements ponctuels avec les peintres qui ont suggéré le “chemin” à Piola, et la pertinence des interprétations intelligentes (et, si l’on veut, aussi impliquantes) données à une vaste production qu’il est difficile de résumer à une cinquantaine de tableaux (en ce sens, Daniele Sanguineti a fait un excellent travail), mais aussi parce que l’exposition sur Piola est une exposition totale, qui concerne la ville tout entière.
Les “chemins” auxquels le titre fait allusion se déroulent en effet dans toute la ville de Gênes, et c’est pourquoi des lieux comme le Palazzo Rosso (où, outre les salles peintes à fresque par Piola, le visiteur trouvera une exposition d’un ensemble d’une cinquantaine de ses dessins) sont des lieux d’exception, qui ne sont pas seulement des lieux d’exposition, mais aussi des lieux de mémoire: seront brièvement évoqués dans la conclusion), le Palazzo Bianco, ou les églises de Santissima Annunziata del Vastato, Santa Maria di Castello et Santa Maria delle Vigne, et tous les sites que le matériel d’information énumère et décrit avec précision, doivent être considérés comme faisant partie intégrante de l’itinéraire principal, celui du Palazzo Nicolosio Lomellino: Le palais historique de la Strada Nuova, avec ses salles intimes et ses fresques peintes peu avant la naissance de Piola, est plus que tout autre lieu apte non seulement à accueillir une exposition de peinture génoise du XVIIe siècle, mais aussi et surtout à permettre le développement des intéressantes réflexions du conservateur, qui cherche à offrir au visiteur une sorte d’excellent itinéraire guidé à travers la carrière, la production et les thèmes picturaux de Domenico Piola. Pour retracer ce parcours d’un demi-siècle, Daniele Sanguineti a bénéficié de la collaboration idéale de Carlo Giuseppe Ratti (Savone, 1737 - Gênes, 1795), peintre et écrivain d’art qui, avec ses Vite de’ pittori, scultori ed architetti genovesi (Vies des peintres, sculpteurs et architectes génois ), publiées en 1769, a développé l’ouvrage du même nom écrit par Raffaele Soprani un siècle plus tôt, en créant un texte qui constitue encore aujourd’hui un point de référence essentiel pour l’étude de la peinture génoise de l’époque: Chaque section de l’exposition est donc introduite par des citations des Vies de Ratti. Il est intéressant de noter que ces insertions ne sont pas une simple affectation, comme c’est généralement le cas dans trop d’expositions: les citations de Ratti constituent véritablement un guide pour le visiteur et sont en fait une manière de l’introduire aux thèmes de l’exposition.
L’exemple de la première salle peut aider à y voir plus clair. La section initiale, consacrée au début de la carrière de Domenico Piola(Una maniera “di gran forza”: gli esordi), reprend la définition de Ratti de ce que l’on peut identifier comme la première manière de l’artiste. L’examen de Piola peut donc commencer par la première œuvre documentée connue de l’artiste ligure, un Martyre et gloire de saint Jacques que Domenico Piola, à peine âgé de dix-neuf ans, a peint en 1647 pour l’Oratoire de San Giacomo alla Marina à Gênes. “Manifeste des intentions d’un peintre moderne qui extrait habilement une synthèse des stimuli les plus en vogue, parmi lesquels Giulio Cesare Procaccini, Anton van Dyck et les représentants du naturalisme local” (citation de la notice du catalogue rédigée par le conservateur), le tableau nous permet de faire la connaissance d’un peintre talentueux qui, en suivant l’esquisse (qui n’existe pas dans le catalogue), a su s’adapter à l’évolution de l’époque, suivant l’esquisse (absente de l’exposition) de Valerio Castello (Gênes, 1624 - 1659), un artiste un peu plus âgé mais son guide fondamental dans les premières années de sa carrière, a proposé une œuvre fraîche et puissante, spontanée mais fondée sur une “structure de dessin solide”: une caractéristique qui distinguait clairement sa peinture de celle de Valerio. La comparaison entre l’enfant prodige du baroque génois et son jeune collaborateur arrive très ponctuellement sur le mur opposé: l’exposition nous offre l’occasion de voir ensemble trois Fuites en Égypte, toutes issues d’une collection privée, l’une peinte par Domenico et les deux autres par Valerio. Même l’œil non averti remarquera la différence entre les deux artistes d’une vingtaine d’années: si tous deux partagent la légèreté du coup de pinceau, le dynamisme baroque qui anime les scènes et les éclats de lumière qui les égayent, le modelé fin de Piola, possible grâce à un dessin médité, le tracé plus ordonné et loin de tout tourbillon et le clair-obscur plus prononcé dénotent une autonomie déjà acquise de la part de Domenico Piola. LaCène de Pieve di Teco, en plus d’être un résumé des suggestions dont Piola disposait à l’époque, est aussi une reprise du tableau homologue que Giulio Cesare Procaccini (Bologne, 1574 - Milan, 1625) exécuta en 1618 pour le réfectoire de la Santissima Annunziata del Vastato: la comparaison entre les deux artistes devient plus intense lorsqu’on voit côte à côte dans l’exposition le Caïn et Abel du peintre émilien et celui du peintre génois. La “grande force” avec laquelle Piola fait bondir la tête de Caïn pour briser la bidimensionnalité du support provient de la composition de Piola qui, à son tour, s’inspire des modèles de la sculpture.
Domenico Piola, Martyre et gloire de saint Jacques (huile sur toile, 313 x 320 cm ; Gênes, Oratoire de San Giacomo alla Marina) |
Comparaison entre le Caïn et Abel de Domenico Piola (huile sur toile, 134 x 174,5 cm ; Gênes, Palazzo Bianco) et celui de Giulio Cesare Procaccini (huile sur toile, 122 x 99,5 cm ; Turin, Pinacoteca dell’Accademia Albertina) |
Domenico Piola, Cène (huile sur toile, 221 x 394 cm ; Pieve di Teco, Museo Diocesano di Arte Sacra “Alta Valle Arroscia”) |
La Fuite en Égypte de Valerio Castello (au centre et à droite) et de Domenico Piola (à gauche) |
Les comparaisons se poursuivent dans les salles suivantes: un “hommage aux maîtres” nous présente une Vierge à l’enfant de Domenico Piola, une Vierge à l’enfant avec saint Jean de Procaccini, une Sainte Famille de Valerio Castello et un tableau d’un sujet similaire de Pellegro Piola (Gênes, 1617 - 1640), le frère très prometteur de Domenico, assassiné à l’âge de vingt-trois ans, alors que sa carrière était déjà lancée. C’est Pellegro qui orientera Domenico vers la préciosité et la délicatesse de la matrice émilienne, en particulier celle de Corrège, que nous retrouvons dans un splendide nocturne, après avoir traversé la petite section de tableaux exécutés par Domenico en collaboration avec son beau-frère Stefano Camogli (Gênes, vers 1610 - 1690), spécialiste des natures mortes (dans la première salle, cependant, se trouve une radieuse œuvre inédite de Piola et Camogli, une Abigaïlle offrant des cadeaux à David): c’est uneAdoration des bergers qui rappelle ouvertement la Nuit du Corrège, modèle qui circulait probablement à Gênes à la suite du filtrage cambiaire. Située dans une pauvre cabane, l’Adoration est un conte charmant qui a pour centre l’Enfant, brillant de sa propre lumière selon une tradition bien établie, et illuminant les spectateurs qui participent tous à une scène si touchante, résolument noëlique, pour le dire en termes modernes. Les anges dans le registre supérieur, les poses des bergers, certains types de visage rappellent la manière de Giovanni Benedetto Castiglione, plus connu sous le nom de il Grechetto (Gênes, 1609 - Mantoue, 1664), auquel Domenico Piola et Valerio Castello s’intéressaient. En effet, Ezia Gavazza souligne que “comprendre Valerio Castello et Domenico Piola dans leurs résultats sans le support de Castiglionesco, c’est les priver d’une partie de la charge culturelle qui est un élément fondamental de leur innovation”. Plus précisément, Domenico Piola a passé beaucoup de temps à copier et à imiter les œuvres de Grechetto dans le cadre de sa formation, et il a puisé dans les repères castiglionesques un répertoire figuratif qu’il a ensuite décliné de manière tout à fait autonome. Le nocturne évoqué plus haut en est un exemple, mais le visiteur peut aussi profiter d’une comparaison directe entre une Adoration des bergers du Grechetto et le tableau homologue de Piola provenant de Recco: il suffit de noter les gestes et les traits des deux madones.
Nous avons parlé plus haut des modèles en sculpture, et il faut ici ouvrir une parenthèse: l’une des spécificités marquantes de l’exposition sont précisément les comparaisons entre peinture et sculpture, visant à suggérer dans une certaine mesure au public cette idée d’art total qui a guidé les recherches de nombreux artistes du XVIIe siècle. Mais ce n’est pas tout: nous savons par Ratti que Piola était l’ami de deux des principaux sculpteurs actifs sur la scène génoise de l’époque, à savoir Filippo Parodi (Gênes, 1630 - 1702) et le Français Pierre Puget (Marseille, 1620 - 1694), et qu’il était au courant des exploits que son compatriote Giovan Battista Gaulli, plus connu sous le nom de Baciccio (Gênes, 1639 - Rome, 1709), réalisait à Rome avec le Bernin. Il est difficile de résumer brièvement les liens entre Piola et la sculpture (thème sur lequel Roberto Longhi s’est également exprimé): en ce sens, le peintre poursuit une sorte de “ tradition ” génoise, puisque d’autres grands artistes qui l’ont précédé (Domenico Fiasella et Luca Cambiaso surtout) ont également entretenu des rapports avec la sculpture. Des rapports que l’exposition tente d’expliciter en présentant, dans un espace spécialement créé pour exploiter la disposition des salles du Palazzo Nicolosio Lomellino, une Mère des Douleurs en marbre (mais l’identification du sujet n’est pas tout à fait certaine) de Filippo Parodi et un Projet d’autel avec baldaquin et statue de la Vierge Immaculée de Pierre Puget, de Domenico Piola: La statue de Parodi s’inspire de la Sainte Suzanne de Sainte-Marie-de-Lorette à Rome, œuvre antérieure de François Duquesnoy (et la production de Piola aurait eu des points de contact avec celle de Duquesnoy), mais elle montre aussi une certaine proximité avec la manière de Pierre Puget, dont la Vierge Immaculée se trouve au centre du baldaquin de Piola, un élément qui montre comment l’artiste génois a embrassé “la perméabilité et l’intégration des arts” (comme le dit Valentina Fiore dans le catalogue), en s’inspirant également du baldaquin de Saint-Pierre du Bernin.
La comparaison entre la sculpture et la peinture revient dans la dernière partie de l’exposition: la Madone de la Miséricorde peinte par Piola et celle sculptée dans le bois par Anton Maria Maragliano (Gênes, 1664 - 1739) sont placées côte à côte. L’œuvre de Piola nous présente une Madone vêtue de blanc, apparaissant dans une liesse d’anges et d’angelots au-dessus d’un nuage qui se matérialise devant le bienheureux Antonio Botta, et qui reprend très probablement l’idée de Cosimo Fancelli pour le retable en marbre de la chapelle Gavotti de San Nicola da Tolentino à Rome (ce qui démontre encore une fois combien Piola était attentif à ce qui se passait autour de lui, et pas seulement dans la peinture): Sculpturale est l’effet de tridimensionnalité que la Vierge de Piola tente de susciter, mais sculpturale est aussi la candeur qui semble presque rappeler le marbre, et propres à un sculpteur sont les draperies si marquées. La toile de Piola était donc un bon exemple pour Maragliano qui, lié d’amitié avec le peintre âgé de plus de 50 ans (nous sommes, il faut le souligner, dans les années 1780), reprenait les compositions et les physionomies de Piola.
La section de l’hommage aux maîtres avec les quatre œuvres en comparaison. À gauche: Giulio Cesare Procaccini, Madonna con Gesù Bambino, san Giovannino e due profeti (huile sur toile, 132 x 81,5 cm ; Gênes, Palazzo Bianco). Au centre: Pellegro Piola, Sainte Famille avec saint Jean (huile sur toile, 145,5 x 105,8 cm ; Gênes, Galleria Nazionale di Palazzo Spinola). À droite, en haut: Valerio Castello, Sainte Famille (huile sur toile, 98 x 74 cm ; collection privée). À droite, en bas: Domenico Piola, Madone et Enfant Jésus avec saint Jean (huile sur toile, 115 x 91 cm ; collection privée). |
Domenico Piola, Adoration des bergers (huile sur toile, 126 x 98,5 cm ; Paris, Galerie Canesso) |
Giovanni Benedetto Castiglione dit Grechetto, Adoration des bergers (huile sur cuivre, 65 x 56,5 cm ; Palazzo Bianco) |
Domenico Piola, Adoration des bergers (huile sur toile, 260 x 200 cm ; Recco, San Francesco) |
Domenico Piola, Projet d’autel avec baldaquin et statue de la Vierge Immaculée de Pierre Puget (huile sur toile, 171 x 122 cm ; Collection privée, avec l’aimable autorisation de la Galleria Benappi, Turin) |
Filippo Parodi, Mère douloureuse (marbre, 130 x 50 x 50 cm ; collection privée) |
Domenico Piola, Madonna della Misericordia (huile sur toile, 180 x 124 cm ; Gênes, collection privée) |
Anton Maria Maragliano, Madone de la Miséricorde (bois sculpté et peint, 133 x 103 x 37 cm ; Gênes, collection privée) |
Des similitudes avec la sculpture de Puget se retrouvent également dans les deux chefs-d’œuvre de la section “panneaux d’autel réalisés pour des églises et des oratoires”, à savoir Sainte Marie-Madeleine en prière de l’Oratoire Sainte-Marie-Madeleine de Laigueglia et Notre-Dame de l’Assomption de l’église Saint-Jean-Baptiste de Chiavari, deux grandes toiles de dimensions à peu près égales (trois mètres sur deux), dans lesquelles l’effet plastique des figures, en particulier des deux protagonistes, est plus que redevable aux Madones de Puget. Les deux exemples, choisis par Davide Sanguineti pour rendre compte au public du domaine extrêmement vaste de la production de Piola qu’étaient les retables, ainsi qu’un bon nombre d’esquisses placées dans la même salle, permettent d’apprécier les caractéristiques de la peinture de Piola en grand format. Les deux retables exposés au Palais Nicolosio Lomellino sont des œuvres auxquelles l’artiste travaillait depuis 1676, elles sont mises à jour sur la base d’un dynamisme qui, à travers l’interpénétration de plans de perspective de différentes échelles, rompt la verticalité de la composition, et surtout vise à l’implication directe de l’observateur, en utilisant également des expédients pour exploiter l’environnement qui aurait dû l’accueillir. Bien sûr, il est difficile de se représenter les retables de l’exposition dans les lieux pour lesquels ils ont été conçus, mais on ne peut s’empêcher de remarquer, en regardant la Madeleine de Laigueglia par exemple, comment la lumière dorée du ciel qui perce de façon spectaculaire dans le coin supérieur droit finit par irradier toutes les figures, en investissant pleinement la figure très raffinée de la Madeleine (qui ne semble pas le moins du monde affectée par les souffrances de sa pénitence): la lumière peinte, dans les intentions de Piola, est censée prolonger la lumière naturelle qui filtre à travers une fenêtre de l’oratoire de Laigueglia.
De même, dans l’Assomption de Chiavari, le point de vue fortement abaissé (encore plus que dans le retable de Laigueglia), la disposition des apôtres tous placés autour du tombeau de la Vierge (presque comme si la place centrale était réservée à nous qui nous approchons de la scène), les gestes des saints visant à capter celui qui tourne son regard vers ce qui est en train de se passer, les anges au sommet qui soulèvent les nuages comme s’il s’agissait des deux moitiés d’un rideau (un détail qui augmente la théâtralité de la scène), sont autant d’éléments qui accentuent le caractère hautement scénographique de l’œuvre, visant à impliquer personnellement l’observateur, qui est appelé à être le protagoniste de l’événement miraculeux auquel il assiste, selon le topos typique de la rhétorique figurative de l’époque baroque. Le retable chiavarese est également signé et daté de 1676, avec la mention qui figure sur le livre placé devant le sépulcre.
Domenico Piola, Madone Assunta (huile sur toile, 294 x 194 cm ; Chiavari, San Giovanni Battista) |
Domenico Piola, Sainte Marie-Madeleine en prière (huile sur toile, 300 x 198 cm ; Laigueglia ; Santa Maria Maddalena) |
L’exposition génoise alterne continuellement entre un Piola “public” et un Piola “privé”, et il convient de souligner que le peintre du XVIIe siècle a également su s’exprimer avec une acuité exceptionnelle dans des œuvres destinées à la dévotion privée. Dès que l’on quitte la Madeleine “publique” de Laigueglia, l’exposition présente une merveilleuse Sainte Marie-Madeleine réconfortée par des anges et destinée à un client privé dont nous ne savons rien: autant la sainte de Laigueglia était chaste et spirituelle, autant celle qui est destinée à la jouissance intime de son protecteur est sensuelle et terrestre. Certes, Piola n’atteint pas la charnalité et l’érotisme d’un Cagnacci ou d’un Furini, mais il a en commun avec beaucoup d’autres artistes actifs à l’époque de revisiter le thème de la pénitence de sainte Marie-Madeleine dans une tonalité profane, représentée sur cette toile comme une jeune fille aux seins florissants saisie dans toute sa physicalité tangible, nullement affectée par les privations auxquelles la jeune femme se serait soumise selon ses hagiographies. Sanguineti, dans le catalogue, signale des liens littéraires entre la sainte de Piola et la pécheresse convertie Marie-Madeleine, protagoniste d’un roman portant ce titre et écrit par Anton Giulio Brignole Sale (publié en 1636). Dans le texte, nous trouvons un passage, une exclamation de Madeleine prête à accueillir l’amour divin (toutefois plus proche du désir d’un amant que d’une invocation mystique), que Piola semble presque vouloir transférer dans une image: “deh dolcezze, giubili, beatitudini: se voi forse non siete non altro che l’Amor, ond’io amo, riempitemi pure, inondatemi, sommergeemi pure, habbiate il mio Gesù con esso voi, perch’io ’l baci tutto, perch’io lo stringere tutto, ch’io no ’l lascierò mai più partire dalle mie braccia, acciocchéché ne ne meno mai più partiate”.
Le visiteur ne manquera pas de remarquer que la manière de Domenico Piola a considérablement évolué par rapport au “di gran forza” de ses débuts. Une fois de plus, c’est Ratti qui nous guide: “sa représentation respirait la grâce, surtout dans les visages des femmes et des enfants ; et il représentait les affections de manière vivante, montrant ainsi combien il avait étudié la nature et les modèles flamands [...]. Le coloris était alors délicat, juteux, doux, d’un léger empâtement, et vrai”. En laissant de côté la référence probable à Duquesnoy (il pourrait être le “Fiammingo”), cette douceur sous-jacente qui anime la deuxième manière de Piola se retrouve entièrement dans la Madeleine privée, dans son visage doux et délicat, aussi gracieux que celui de la belle protagoniste du Viol de l’Europe, exposée sur le même mur, à quelques centimètres de distance. Le tableau, propriété des Carige, avec ses irisations, ses couleurs douces qui contrastent avec le plasticisme sculptural de la figure d’Europa, avec la théâtralité de la jeune fille en quelque sorte tenue en échec par l’élégance de ses gestes et la douceur de son corps (cette Europa surpasse en féminité la Madeleine qui la flanque), est particulièrement illustratif de la manière adoucie à laquelle l’artiste est parvenu dans les années 1960 (le Viol est probablement l’œuvre du début des années 1980). L’exposition se termine en rendant compte du grand succès remporté par l’artiste: un succès qui, dans les salles du Palazzo Nicolosio Lomellino, prend la forme d’une véritable pinacothèque, recréée telle qu’un collectionneur du XVIIe siècle aurait pu la voir devant lui. La dernière salle nous présente donc une série de tableaux réalisés pour embellir les demeures de mécènes privés et dont la disposition a été conçue en fonction du lieu qui devait les abriter. Choisir un ou deux tableaux plus représentatifs que les autres est une tâche ardue, notamment parce que la production de Piola pour les maisons génoises était si abondante qu’elle fatiguerait n’importe quelle plume, assure Ratti, et que la sélection faite par Davide Sanguineti est également très riche: il ne reste plus qu’à l’observer en direct. D’autant plus que nous nous trouvons à l’intérieur d’un palais ayant appartenu à une famille aristocratique génoise, dans une salle peinte à fresque au XVIIe siècle, avec devant nous une pinacothèque du XVIIe siècle qui reconstitue minutieusement même le goût avec lequel on disposait les tableaux dans un cadre privé à l’époque: en somme, une expérience bien plus immersive que beaucoup d’autres officiellement présentées comme telles.
Domenico Piola, Sainte Marie-Madeleine réconfortée par les anges (huile sur toile, 198 x 137 cm ; collection privée, avec l’aimable autorisation de la Galleria Benappi, Turin). |
Domenico Piola, Viol d’Europe (huile sur toile, 167 x 132 cm ; Gênes, Collezioni d’arte Banca Carige) |
La galerie de photos dans la dernière salle |
En ce qui concerne l’exposition de dessins présentée dans la mezzanine du Palazzo Rosso, sous la direction de Piero Boccardo, Margherita Priarone et Raffaella Besta, on peut dire qu’une étude approfondie serait nécessaire pour rendre compte de la complexité de la production graphique de Domenico Piola, excellemment résumée en un peu plus d’une quarantaine de feuilles visant, plutôt qu’à fournir une vue d’ensemble (opération ardue: il reste des centaines de dessins de Piola), à démontrer la variété des thèmes abordés par le peintre à travers le moyen du dessin. Il faut tenir compte du fait que Piola a longtemps été à la tête d’un atelier florissant (dont on se souvient d’ailleurs avec les deux derniers tableaux du Palais Lomellino), qui fonctionnait pratiquement sans concurrence. On peut donc imaginer le nombre d’œuvres qui en sont sorties, notamment parce que l’atelier de Piola travaillait également avec des sculpteurs et des graveurs, auxquels l’artiste fournissait lui-même des dessins. Il suffit ici de mentionner deux feuilles intéressantes pour leur particularité: il s’agit de dessins pour des poupes de bateaux, dont Piola s’est retrouvé plus d’une fois à concevoir les dispositifs décoratifs.
En quittant d’abord le Palazzo Nicolosio Lomellino, puis le Palazzo Rosso, et après avoir terminé la visite des deux lieux d’exposition, on peut suivre le livret distribué dans l’exposition pour découvrir les parcours Piola qui complètent l’exposition sur le grand peintre baroque. Pour résumer en une ligne: la première exposition monographique complète qui lui est consacrée, avec plusieurs œuvres inédites de grande qualité, et basée sur un modèle engageant, en un certain sens nouveau pour Gênes (les synergies n’avaient pas manqué dans le passé, mais jamais aussi étendues), et qui pourrait faire école: le débat actuel autour des expositions tourne en grande partie autour de la manière de lier les expositions au territoire. À Gênes, l’objectif a été pleinement atteint, avec une exposition intelligente, un joyau authentique à visiter sans hésiter pour découvrir la production d’un des grands protagonistes de la Gênes du XVIIe siècle et pour comprendre ce qu’est vraiment une exposition utile animée par une recherche originale. Le catalogue mérite une note finale: il se compose d’un seul essai (une reconnaissance du commissaire qui, en suivant les sections de l’exposition, offre un aperçu vivant de toute la carrière artistique de Domenico Piola), et de pas moins de cent cinquante descriptions détaillées et impeccables des œuvres des deux salles “principales” et des œuvres que le visiteur trouvera dans les nombreuses “salles satellites” de la ville qui abritent des peintures et des fresques de Domenico Piola.
Domenico Piola, Projet pour la poupe d’un navire avec les armoiries de la République de Gênes (plume et encre, pinceau et encre aquarellée, papier blanc, 37,4 x 29,1 cm ; Gênes, Gabinetto dei Disegni e delle Stampe di Palazzo Rosso) |
Entrée de l’exposition de Domenico Piola à Gênes |
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