C’est peut-être la chaleur inhabituelle d’une soirée romaine à la fin du mois de février, ou la circulation chaotique des personnes et des véhicules sur le Lungotevere en fin de journée, ou encore (et plus probablement) la pertinence des hypothèses qui ont conduit à la création d’une exposition telle que Daniele da Volterra. Les peintures de d’Elci: le fait est que, en quittant le splendide lieu qui l’accueille (la Galleria Nazionale di Palazzo Corsini à Rome), nos premières (et vives) impressions de la petite exposition ont porté davantage sur la forme que sur le contenu, aussi exceptionnel que ce dernier doive être considéré. En effet, le caractère exceptionnel de l’événement réside aussi dans son caractère paradigmatique d’opération née d’un dialogue, cette fois-ci particulièrement fructueux, entre une institution publique et un sujet privé. On ne s’étonnera donc pas que la première déclaration du communiqué de presse (extrait du catalogue de l’exposition) de la directrice des Galeries nationales d’art ancien, Flaminia Gennari Sartori, s’attarde précisément sur la forme: “C’est la première fois au cours de mon mandat que les Galeries Barberini Corsini accueillent des peintures provenant d’une collection privée: Je crois que le dialogue entre le musée et l’univers de la collection peut déclencher un cercle vertueux de connaissance, de découverte et de partage public de notre patrimoine artistique et c’est une voie que les Galeries poursuivront à l’avenir”.
Il peut sembler étrange qu’un musée d’État consacre une exposition à deux œuvres appartenant à un particulier. C’est pourquoi, afin de dissiper tout scrupule lié à d’éventuels préjugés sur la relation public-privé trop souvent vitupérée, il convient de faire quelques considérations. Tout d’abord, les deux tableaux de Daniele Ricciarelli da Volterra (Volterra, 1509 - Rome, 1566) qui seront exposés jusqu’au 7 mai dans le lieu de l’exposition à Rome, font l’objet d’une déclaration d’intérêt culturel (ils sont “notifiés”, comme on dit, ou “classés”), et pour cette raison, selon l’article 65 du Code du patrimoine culturel et du paysage, ils ne peuvent pas être transférés à l’étranger. En second lieu, il s’agit de deux œuvres de très grande qualité d’un artiste dont le catalogue est plutôt rare: celles exposées à la galerie Corsini, en particulier, constituent un document précieux pour comprendre à quel point Volterra a été influencée par la leçon de Michel-Ange (et en particulier celle qu’il a apprise en observant le Jugement dernier). Toute occasion de les voir doit donc être accueillie favorablement. Enfin, les deux œuvres sont confiées à la Galleria Benappi de Turin et semblent être sur le marché: elles ont été exposées l’année dernière à la TEFAF de Maastricht et, comme le note le toujours ponctuel Didier Rykner dans la Tribune de l’Art, “certains musées américains ont dû être particulièrement frustrés de ne pas pouvoir les acheter”. L’exposition serait-elle le prélude à une hypothétique entrée des deux œuvres dans les collections publiques italiennes? Si l’opération se concrétisait, nous en serions les fervents défenseurs. Si, au contraire, il s’agit d’une éventualité qui n’a pas encore été envisagée, nous profitons de ce bilan pour jeter un petit pavé dans la mare.
La salle abritant l’exposition sur Daniele da Volterra |
Vitrine présentant la biographie de Daniele da Volterra |
Venons-en maintenant au contenu extraordinaire de l’ exposition, organisée par Barbara Agosti et Vittoria Romani: deux peintures, une huile sur toile et une huile sur panneau, que le public a rarement l’occasion d’admirer. Une exposition de deux œuvres seulement, mais d’une grande valeur, non seulement parce que, à part le voyage aux Pays-Bas mentionné plus haut, la dernière exposition des peintures de d’Elci remonte à 2003, à l’occasion de l’exposition monographique sur Daniele da Volterra qui s’est tenue cette année-là à la Casa Buonarroti et qui était également organisée par Romani elle-même, mais aussi parce qu’à la galerie Corsini, le public se voit présenter les réflectogrammes qui ont permis une analyse plus complète des deux œuvres d’un point de vue technique et stylistique. Et encore, parce que l’exposition se prolonge en fait au-delà de la salle où elle est installée grâce à la présence, dans le parcours muséal, de deux autres œuvres, propriété de la Galerie Corsini, créées par des artistes qui ont travaillé dans la même sphère culturelle que le protagoniste de l’exposition. Il s’agit en particulier d’une Annonciation de Marcello Venusti et d’une Sainte Famille que l’on croyait être l’œuvre de Siciolante da Sermoneta mais que l’on a récemment attribuée à Jacopino del Conte.
Les peintures d’Elci sont appelées ainsi parce qu’elles proviennent de la collection des comtes Pannocchieschi d’Elci de Sienne, à qui les œuvres ont été transmises par les descendants du peintre lui-même: jusqu’au début du XXe siècle, en effet, leur présence était attestée à Volterra, dans la maison Ricciarelli, un lieu où les œuvres avaient été données depuis les années 1770. Bien que probablement peu connues du public, les peintures de d’Elci représentent l’une des pierres angulaires de la reconstruction par la critique de la carrière artistique de Daniele da Volterra: toutes deux ont été exécutées à Rome, bien qu’à quelques années d’intervalle, et démontrent clairement les relations stylistiques que l’artiste était capable d’entretenir avec ses confrères. Le premier, par ordre chronologique, estÉlie dans le désert, une huile sur toile dans laquelle le protagoniste solitaire, le prophète Élie, est allongé sur la terre nue, en train de ramasser, épuisé par son labeur, un pain plat: Selon le récit biblique (Livre des Rois, chapitre 19), Élie aurait reçu la nourriture (à côté du pain, on remarque une cruche remplie d’eau) d’un ange qui s’était occupé de lui et qui apparaît traditionnellement dans les tableaux d’un sujet similaire (son absence dans le tableau exposé à Rome est inhabituelle). La présence du pain et de l’eau, aliments expressément mentionnés dans le Livre des Rois et assimilés au pain et au vin que Jésus a administrés aux apôtres lors de la dernière Cène, rappelle le thème de l’Eucharistie qui, à l’aube du Concile de Trente, était au centre de vifs débats qui opposaient les catholiques aux protestants. Les luthériens, en particulier, avaient nié le concept de transsubstantiation, c’est-à-dire la transformation, au cours de la messe, du pain et du vin en corps et en sang de Jésus, affirmant au contraire celui de consubstantiation, c’est-à-dire la simple coprésence du corps et du sang de Jésus d’une part et de la nature physique des deux aliments d’autre part. À Volterra, le culte de l’hostie consacrée était particulièrement enraciné, notamment en raison d’un miracle eucharistique qui se serait produit dans la ville en 1472, lorsqu’un soldat qui avait profané une pyxide vit que son contenu s’était mis à émettre des rayons éblouissants et fut choqué par ce qui s’était passé. On suppose que l’Élie du désert était destiné à la ville natale de Daniele Ricciarelli.
Daniele da Volterra, Élie dans le désert (vers 1543 ; huile sur toile, 81 x 115 cm ; collection privée). Photo: Andrea Lensini, Sienne |
Daniele da Volterra, Élie dans le désert, réflexion |
La figure majestueuse et monumentale du prophète occupe tout l’axe horizontal du tableau: les doigts et les orteils touchent même les deux bords. Dans la grandeur de la figure, avec son fort accent classique, et dans les couleurs irisées, les suggestions que Daniele da Volterra a tirées de l’exemple des fresques de Michel-Ange dans la chapelle Sixtine (en particulier celles de la voûte) sont évidentes, mais il ne s’agit pas d’imitations serviles: Le peintre de Volterra, qui avait été l’élève de Perin del Vaga (qui, à son tour, fréquentait le cercle de Raphaël) a essayé d’atténuer la vigueur de Michel-Ange en l’adoucissant avec une bonne dose de grâce raphaëlique, évidente en particulier dans le doux paysage qui est lié à la puissante figure du protagoniste avec une étude très calculée de la lumière (noter en particulier l’ombre projetée par l’arbre à l’arrière-plan sur l’épaule gauche d’Elie) et les positions des membres du prophète, suggérant la tridimensionnalité. La réflectographie a permis de mettre en évidence le soin apporté par Daniele da Volterra aux premières étapes de la réalisation: Bien que ce type d’investigation présente des difficultés pour les peintures sur toile, à certains endroits (par exemple dans la zone de contraste entre le paysage et la jambe gauche d’Elie) il est possible d’apprécier la finesse du dessin de l’artiste toscan, et les légendes aident bien le visiteur à lire l’image obtenue par balayage infrarouge (et aussi à expliquer pourquoi la découverte du dessin par réflectographie, dans les œuvres sur toile, est plus difficile: parce que la façon dont la toile est préparée offre de moins bonnes conditions de contraste pour faire ressortir les études préliminaires).
Si l’Elie dans le désert est daté d’une période proche de 1543, année où Daniele da Volterra acheva les fresques de l’église de San Marcello al Corso, l’autre tableau de d’Elci, la Vierge à l’Enfant avec saint Jean et sainte Barbe, devrait être légèrement postérieur à l’exécution de la Déposition à la Trinité des Monts, qui date d’environ 1545: l’hypothèse la plus favorisée la ferait exécuter vers 1548. Une haute tour se détache derrière les protagonistes: c’est celle dont l’hagiographie de Sainte Barbe dit qu’elle fut le lieu de son emprisonnement, avant son martyre aux mains de son père, qui n’avait pas toléré sa conversion au christianisme et qui l’avait décapitée avec l’épée qui devint ensuite son attribut iconographique (elle ne manque pas non plus dans le tableau de Daniele da Volterra). Le troisième élément qui permet d’identifier la sainte sans hésitation (dans le passé, cependant, il y avait des doutes: les noms de sainte Martine et de sainte Catherine d’Alexandrie ont également été proposés) est le sein nu, une référence aux tortures que la jeune femme a dû subir de la part de ses ravisseurs (y compris l’amputation de son sein, guéri par la suite par un ange).
Daniele da Volterra, Vierge à l’enfant, saint Jean et sainte Barbe (vers 1548 ; huile sur panneau, 131,6 x 100 cm ; collection privée). Photo: Andrea Lensini, Sienne |
Daniele da Volterra, Vierge à l’Enfant avec l’Enfant Jésus, Saint Jean et Sainte Barbe, réflectographie |
Dans la description du tableau dans le catalogue de l’exposition monographique de 2003, l’attention était attirée sur l’originalité des saints (et des figures en général) de Daniele da Volterra: en particulier, la tentative de donner aux figures un fort sentiment de détachement du fond distinguerait les figures de Volterra de celles de ses compatriotes, tels que Vasari ou Bronzino, actifs dans les mêmes années. Plus précisément, Hermann Voss aurait déclaré qu’il considérait ces figures comme dotées d’une “concrétude parfois même dérangeante”, au point qu’“elles semblent presque essayer de sortir du tableau, avec leurs extrémités anormalement grandes” (les doigts, pour Voss, étaient décidément des éléments révélateurs: notez ceux tendus vers l’avant de la main gauche de sainte Barbara, mais aussi le pied droit de l’Enfant qui se tend lui aussi vers l’observateur). Les figures semblent presque se jeter en avant, tendre la main au spectateur, l’impliquer profondément. Il est évident que les travaux de Michel-Ange dans la Chapelle Sixtine et la Chapelle Pauline ont exercé une attraction fondamentale sur Daniele da Volterra: la composition elle-même, avec les figures littéralement “calées” (c’est le terme utilisé par les conservateurs) dans le tableau de sorte qu’elles occupent toute la surface picturale, est le résultat d’une analyse minutieuse des œuvres de Michel-Ange. Une composition d’ailleurs étudiée dans ses moindres détails: et comme la Vierge à l’Enfant, Saint Jean et Sainte Barbe est une œuvre sur bois, la lecture du dessin à travers la réflectographie est beaucoup plus aisée. Il est donc clair que l’artiste a réalisé un dessin préparatoire extrêmement détaillé et qu’il a même pris soin de dessiner sur la caricature, qui ne manquait pas non plus de détails, les limites entre les zones d’ombre et de lumière afin de s’aider dans la création du clair-obscur. Un clair-obscur, il faut le souligner, très raffiné: voyez, par exemple, les corbeaux de la tour qui sont inondés par la lumière venant de la droite et qui descendent progressivement dans l’obscurité, ou les passages du visage de Sainte-Barbe qui, penchée vers nous qui l’observons (d’une manière non dénuée d’une certaine sensualité, accrue par l’exposition de ses seins nus), reste à moitié dans la pénombre.
En quittant la salle qui abrite les œuvres de Daniele da Volterra (par ailleurs aménagée avec des décors sobres et élégants: La pleine lisibilité des peintures et des reflets a naturellement été privilégiée), il faut procéder avec une certaine prudence, car le dialogue avec les œuvres de la collection (celui avec la Sainte Famille attribuée à Jacopino del Conte, dont la Madone fait écho à celle de Daniele da Volterra, est particulièrement fructueux) n’est pas suffisamment mis en valeur et l’on risque de le manquer, ou du moins de ne pas y prêter l’attention nécessaire: en ce sens, les organisateurs auraient pu faire beaucoup mieux. Au-delà de cette lacune, il s’agit en tout cas d’une opération à promouvoir sans tarder, notamment parce qu’elle s’inscrit dans un contexte qui incite le visiteur à aller plus loin: Palazzo Corsini se trouve à deux pas de la Cité du Vatican, où l’on trouve non seulement les œuvres de Michel-Ange qui ont inspiré Daniele da Volterra, mais aussi les mêmes fresques que Volterra a peintes pour les palais du Vatican, et en traversant le Tibre, on peut aller admirer ses œuvres à Trinità dei Monti, San Marcello al Corso, et San Giovanni in Laterano. Et puis, comme nous l’avons déjà souligné, il s’agit d’une exposition qui offre une excellente occasion de voir deux œuvres remarquables de Daniele da Volterra qui, autrement, seraient inaccessibles. Cela ne veut pas dire qu’avec seulement deux tableaux on ne peut pas réaliser uneopération intelligente: à une époque où exposer une ou deux œuvres signifie, le plus souvent, réaliser des présentations plus proches des célébrations religieuses que des expositions d’art, des événements tels que Daniele da Volterra. Les tableaux de D’Elci, impeccables d’un point de vue philologique et précieux d’un point de vue de la vulgarisation, doivent être présentés comme des exemples vertueux.
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