La multitude d’articles, de brochures, d’éditoriaux, de revues, d’éditoriaux et de communiqués de presse qui accompagnent depuis le mois de mai l’exposition du pavillon italien à la Biennale de Venise(Ni l’un ni l’autre. Le défi du labyrinthe) ne cesse de nous rappeler que le commissaire Milovan Farronato a cité Calvino, Borges et Kierkegaard pour justifier l’aménagement du “labyrinthe” qui accueillera les visiteurs de l’exposition de Venise jusqu’au mois de novembre. Mais ce que l’on oublie de dire, c’est qu’il ne suffit pas de citer trois illustres personnalités du passé récent pour donner un semblant de légitimité à une exposition. Il y a en effet un détail, de plus en plus négligé, que beaucoup de commissaires, de critiques et de journalistes semblent oublier trop souvent: c’est que le réseau de “citations” (pour reprendre un terme manifestement très cher à plusieurs collègues) devrait créer une structure solide, capable de soutenir une exposition d’art contemporain afin d’offrir une lecture profonde, et la plus claire possible, de la problématique posée. La première limite de Neither Another Nor This réside dans le fait que, peut-être, le problème de départ n’est pas clair, même pour le commissaire.
Un manque qui unit néanmoins Farronato à cetItalo Calvino que l’exposition attribue à sa divinité tutélaire, à son guide conceptuel: Déjà dans le sixième numéro de Menabò, celui qui suivit immédiatement la publication de La sfida al labirinto (Le défi du labyrinthe ) de Calvino, d’où est parti le commissaire du pavillon italien, Angelo Guglielmi, soulignant les lacunes de l’essai de l’écrivain ligure, écrivait que lui-même n’avait peut-être pas une idée précise de ce qu’était le “défi du labyrinthe”, notamment parce que Calvino ne l’avait mentionné que de manière fugace dans les dernières lignes de son long essai. Guglielmi tenta de proposer son exégèse: “en termes simples, la littérature du défi du labyrinthe consisterait en une littérature qui ne renonce pas à exprimer des jugements moraux et dont le discours est tel qu’il a un impact direct sur l’histoire de l’humanité”. Le jeune critique militant reprochait à Calvino (il serait intéressant de savoir pourquoi, parmi toute la littérature disponible sur le labyrinthe, il a opté pour un essai d’un écrivain dont le moralisme ne cadre pas bien avec l’histoire curatoriale de Farronato) le fait que son désir de réaliser une littérature du défi au labyrinthe restait confiné au pur niveau de l’intention, incapable de trouver une réalisation concrète puisqu’il n’avait pas les “prémisses historiques et culturelles sur la base desquelles il serait possible de concevoir une telle intention”. Et n’ayant pas, selon Guglielmi, les prémisses d’une littérature de défi au labyrinthe, Calvino, implicitement, a accepté cette “littérature du labyrinthe” qu’il a lui-même rejetée: ainsi, la discussion s’est déplacée au niveau de l’engagement de la littérature. Il convient de souligner que, selon Guglielmi, l’idée d’une littérature au contenu utile était, à l’époque, irréalisable et que, en fait, son souhait était que le fait de céder à une littérature désengagée devienne un “choix conscient et raisonné”: Il s’ensuivit un débat qui dura un certain temps et auquel participèrent divers protagonistes de la culture du début des années 1960, dont Edoardo Sanguineti, qui avait déjà utilisé la métaphore du palus putredinis pour désigner le monde contemporain une dizaine d’années plus tôt dans son Laborintus(et, bien entendu, on ne trouve aucune trace de Sanguineti dans les textes qui sont censés étayer l’exposition).
Image de l’exposition Ni l’un ni l’autre. Le défi du labyrinthe. Ph. Crédit Delfino Sisto Legnani et Marco Cappelletti. Courtesy DGAAP-MiBAC |
Image tirée de l’exposition Ni l’un ni l ’autre. Le défi du labyrinthe. Ph. Crédit: Italo Rondinella. Courtesy La Biennale |
Image de l’exposition Ni l’un ni l’autre. Le défi du labyrinthe. Ph. Crédit: Italo Rondinella. Avec l’autorisation de La Biennale |
Image de l’exposition Ni l’un ni l’autre. Le défi du labyrinthe. Ph. Crédit Delfino Sisto Legnani et Marco Cappelletti. Courtesy DGAAP-MiBAC |
Milovan Farronato. Ph. Crédit Italo Rondinella. Avec l’autorisation de La Biennale |
Ici: Il aurait certainement été plus intéressant que Né altra né questa mène une réflexion sur les conséquences, les développements et les critiques de l’essai de Calvino, au lieu d’en produire une lecture superficielle et scolaire (dans le fond et la forme), reposant sur quelques hypothèses de base, avec des connexions qui, pour être généreuses, ne sont pas toujours évidentes (dans le catalogue de 523 pages, le seul passage, d’à peine quelques lignes, où Kierkegaard est mentionné, est celui où il est question de Kierkegaard), (dans le catalogue de 523 pages, le seul passage de quelques lignes où est cité Kierkegaard, qui est censé être l’une des bases philosophiques de la revue puisqu’il en a inspiré le titre, est celui où il est dit que l’expression Ni l’autre ni celui-ci a pour but de rappeler les deux stades de l’existence définis dans Aut Aut : mais on ne sait pas quel est le rapport avec le Labyrinthe de Calvino, car Farronato ne l’explique pas). Le commissaire semble s’être limité à classer les œuvres des trois protagonistes du Padiglione Italia(Liliana Moro, Enrico David et Chiara Fumai) selon les deux lignes que Calvino a identifiées dans l’avant-garde, la viscérale et la rationaliste (bien que l’on ne sache pas exactement ce que Farronato entend par “viscérale” et “rationaliste” dans son exposition: l’approche du “labyrinthe” par les trois artistes? leur attitude envers l’art, la culture, la réalité, le chaos? leur engagement?) C’est du moins ce qui semble être sa préoccupation principale dans l’essai d’ouverture: ce qui manque, cependant, c’est une base théorique sous-jacente. Et, bien sûr, il n’est pas nécessaire d’avoir une connaissance approfondie de Calvino et de la scène littéraire italienne des années 1960 pour s’en rendre compte: la frivolité de ce pavillon italien apparaît avec une clarté cristalline si l’on essaie de comprendre ce qui se cache derrière les œuvres, derrière la conception de l’exposition.
Pour commander une exposition qui fonctionne, il ne suffit pas d’énumérer une série de clichés sur les labyrinthes (dont celui selon lequel, je cite, “à Rome [...] au XVIIe siècle, des labyrinthes élaborés ont été construits à l’intérieur de la ville.au XVIIe siècle, on érigeait des façades élaborées et on ouvrait des passages grandioses, précédés d’allées étroites afin d’obtenir, par contraste, un effet de surprise agréable et plaisant”: avec tous ces hommes du XVIIe siècle, de Virgilio Spada à Carlo Fontana, qui ont posé le problème de la démolition, déjà à l’époque, de la Spina di Borgo, et avec tous les historiens de l’architecture qui nous racontent comment les choses se sont passées): il faut des hypothèses bien structurées (du moins si l’on veut les légitimer sur le plan philosophique). Hypothèses dont ni l’un ni l’autre ne sont pourtant dépourvus: aucun raisonnement, aucune clé d’interprétation, aucune proposition forte n’émerge. Il n’y a pas de discussion sur Calvino: il y a simplement une reprise. Et ce qui reste au visiteur, c’est un ensemble d’œuvres bien rangées dans des lambris impeccables, disposés de manière à rappeler la forme d’un labyrinthe.
Du labyrinthe, il ne reste donc que le sentiment du vide (mais c’est peut-être un atout, car la désorientation est sincère): peut-être parce qu’il semble exagéré de vouloir réunir des objets différents, de trois artistes différents, réalisés à des époques différentes, en leur fournissant un cadre (ou quelque chose qui y ressemble) élaboré pour une occasion spécifique ; peut-être parce qu’une exposition aussi terne n’a pas grand-chose à dire ; peut-être parce que les œuvres semblent avoir fonctionné pour le commissaire et non l’inverse (à tel point que la plupart des commentaires des gens se sont concentrés sur le contenant plutôt que sur le contenu, comme c’était tout à fait naturel): une telle proposition scénographique pour servir de canevas à des œuvres qui, étant donné la faiblesse du projet, ont joué le rôle de figurants plutôt que celui de protagonistes, n’aurait pas pu conduire à un résultat très différent). Et le résultat final est que le meilleur artiste du pavillon italien est sans aucun doute Milovan Farronato. Paradoxalement, dans ce qui semble être l’un des pires défauts du projet, il est possible de trouver le mérite le plus intéressant de l’exposition: parce que, au moins, elle offre l’occasion de raisonner sur les transformations que le rôle du conservateur d’art contemporain a subies ces dernières années (bien que l’on parle d’artistes/conservateurs depuis un certain temps). Mais cette idée dépasse probablement le cadre de l’exposition.
Calvino affirmait que le diable aujourd’hui, c’est l’approximation. Il est donc intéressant de voir comment le labyrinthe a été simplifié dans les couloirs du pavillon italien, où les réflexions politiques (à supposer qu’il y en ait vraiment) sont réduites à des métaphores sans force et incapables d’être incisives, où personne n’ose parler d’“avant-garde”, malgré la centralité du sujet dans le Défi au labyrinthe de 62 (dans le catalogue, le mot “avant-garde” apparaît seize fois: quinze dans l’essai de Calvino réédité pour l’occasion, et une dans le chapeau qui l’introduit, parce qu’il est cité dans le titre deAvant-garde et expérimentalisme de Guglielmi), où la détermination de l’écriture de Menabò se perd dans des ruisseaux aphasiques faits de cartes des arcanes majeurs, de parapluies usés, de guillemets vides, de constructions improbables, d’essais de creative writing fastidieux, autoréférentiels et prévisibles, qui n’ont rien à dire. Au mieux, ils finissent par inventer un divertissement sans prétention à la longévité, un magasin de meubles de luxe, une vitrine à l’enseigne grandiloquente et rhétorique. Mais ce n’est pas ce que l’on attend du pavillon italien.
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